Objet d'étude :
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Texte 1 : Théâtre et Destin, 1959« Texte à lire » | Pierre Henri Simon |
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De « Le théâtre » à « qu'un prétexte ». |
[...] Le théâtre n'est pas toujours joué : il peut-être lu, et l'objet du critique est beaucoup plus d'étudier le texte d'une pièce dans le silence du cabinet que de la voir jouer et de rendre compte de sa représentation ; c'est en tant que littérature dramatique que le théâtre l'intéresse. Évidemment, critique ou lecteur, on peut lire Asmodée comme Le Nœud de Vipère, y reconnaître la même saveur du style, le même climat spirituel et physique, la même poésie et la même morale. Et cependant, ce n'est pas la même chose. Entre le roman et la pièce, il demeure cette différence que le roman, en tant que texte écrit, est à soi sa propre fin. Il ne demande rien d'autre, pour révéler ce qu'il porte de vérité et de beauté, que les yeux et l'intelligence d'un lecteur. Au lieu que la pièce appelle un autre accomplissement. Le plaisir que j'éprouve à la lire est valable, mais au-delà de ce plaisir, elle reste chargée de virtualités esthétiques et affectives qui ne se délivreront que par le jeu et n'apparaîtront qu'à la scène. Il en est du texte d'une pièce de théâtre comme d'une partition musicale : si je suis assez musicien, je puis lire cette partition et y trouver un plaisir intellectuel, je puis même imaginer la somme de plaisirs sensoriels qu'elle constitue virtuellement ; de même, si j'ai le goût et l'habitude du théâtre, je puis, en lisant une pièce, goûter la beauté du style, imaginer le jeu, entrer moi-même dans les personnages, me les parler. Mais, dans l'un et l'autre cas, je n'atteins pas le fond et la plénitude de l'œuvre. L'essence de la symphonie a besoin, pour se livrer, de passer par l'organisation sonore d'un orchestre et par la sensibilité musicale de celui qui le conduit ; de même l'essence d'un drame a besoin de passer par la voix et l'âme de l'acteur. Le rôle nécessaire de cet intermédiaire est ce qui caractérise le théâtre : "l'art dramatique, a écrit Jouvet (l'inspiration de l'écrivain et son écriture, les interprétations des comédiens, l'affection du public), est en fonction d'une amitié médiatrice : celle de l'acteur. Il est, dit Platon, l'anneau moyen de la chaîne qui lie le spectateur au poète". Ce qui ne va pas sans donner à l'œuvre dramatique un caractère ambigu : elle n'est jamais exclusivement l'œuvre de son auteur, mais toujours à quelque degré celle de son interprète. Dans un certain sens, on pourrait dire qu'il y a autant de romans que de lecteurs d'un roman, que Le Rouge et le Noir n'est pas la même œuvre pour André Rousseaux et pour Roger Vailland que vous et moi y mettons chacun une série d'images différentes, un autre système de rapports et de valeurs. Néanmoins, l'auteur d'un roman, s'il est exposé lui aussi à voir se dissiper la personnalité de son œuvre dans celle de ses lecteurs, l'est beaucoup moins que l'auteur d'une pièce de théâtre : son texte fait foi, le lecteur lui est livré désarmé. Au contraire, le dramaturge a besoin de l'acteur ; et comme le Don Juan de Vilar n'est pas celui de Jouvet bien qu'ils parlent tous les deux sur le texte de Molière et qu'ils soient vrais et convaincants l'un et l'autre, il faut bien conclure que Molière n'a pas créé un Don Juan absolu qui n'eût pas besoin d'autres géniteurs pour être ce qu'il est. À la limite il faudrait conclure qu'un "texte" dramatique n'est en définitive qu'un "prétexte". [...] |
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Texte 2 : Chronique, du Figaro« Texte à lire » | Pierre Marcabru |
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De « On ne devrait » à « un adaptateur ? ». |
[...] On ne devrait adapter pour le théâtre que des romans que personne ne lit. Un lecteur averti est un mauvais spectateur. Il en sait trop. Il précède le comédien, et l'attend au tournant. Pierre Laville en a fait avec Bel-Ami au théâtre Antoine la fâcheuse expérience. On lui tresse des couronnes, mais c'est pour mieux lui reprocher la vanité de son entreprise. Pourquoi diable mettre en scène Maupassant ? Qui en voit la nécessité ? Et qui gagne à ce jeu ? Ce n'est qu'un coup d'épée dans l'eau. La querelle ne date pas d'aujourd'hui, et le roman sur les planches à toujours fait pâle figure. Il n'est pas dans son élément. Il perd sa dimension, sa profondeur, il ne donne plus à rêver. Il est sans épaisseur, réduit au simple dialogue. Toute sa part descriptive, tout son mouvement secret, son climat intime s'effacent. Restent des répliques, isolées de leur contexte, et abandonnées dans un décor. C'est un squelette. La chair, la substance même de l'œuvre, s'est décomposée. Les personnages ne sont plus portés par le courant romanesque. Abandonnés à eux-mêmes, ils perdent leur singularité et leur mystère. Ils s'expliquent et se montrent trop. Le romancier n'est plus là pour leur tenir la main et pour éclairer leur psychologie, pour explorer leurs profondeurs. Pour nous montrer du doigt leurs pensées. Ce sont des orphelins. Le temps romanesque et le temps théâtral ne sont pas les mêmes. Le premier s'écoule lentement, nous laisse libres de flâner, d'imaginer, d'aller et de venir, de trouver nos plaisirs au cœur d'un univers auquel, peu ou prou, nous participons. Le second, rapide, impérieux, nous impose son rythme et sa loi. Ici, on décide à notre place. Nous ne sommes plus maîtres du jeu. On choisit pour nous. Nous étions actifs, nous sommes passifs. Jusqu'à l'apparence des personnages, tout nous est dicté. La vision de l'adaptateur et du metteur en scène se substitue à celle du créateur. Chacun a une certaine idée du héros de roman. Nous avons tous notre Julien Sorel, notre Rubempré, notre Raskolnikov personnels. Nous le voyons, nous le suivons, nous croyons tout connaître de sa nature. Le romancier nous a fourni tous les éléments pour que nous puissions le construire selon nos goûts. Le faire nôtre. Et voici qu'un acteur vient s'intercaler entre lui et nous, et l'occulte. Nous ne reconnaissons plus en cet inconnu le familier de nos fantasmes. C'est un étranger qui vient brouiller les cartes. Un intrus. Il ne répond pas à notre espérance. D'où une suite de malentendus dont le théâtre se tire mal. Le comédien n'a que ses propres ressources. Il joue avec son propre corps. Il a une identité. C'est une présence physique, et il lui faut incarner ce fantôme à la fois net et fuyant qu'a peint par petites touches le romancier. Il ne sait où donner de la tête. En revanche, Richard III, Alceste, Volpone sont comme de grands vêtements qui attendent d'être endossés. Ils sont des rôles avant que d'être des personnages. Ils n'existent que par la parole. Ce sont des porte-voix. Ce que nous savons d'eux, pour ce qui est de l'apparence, de l'intimité, est réduit à l'essentiel. Ils ne vivent qu'en représentation. L'acteur se glisse en eux comme la main dans le gant. On voit les difficultés, elles sont immenses. Au théâtre comme au cinéma. Bien que le cinéma, pour ce qui est de l'espace et du temps, ait plus de libertés. L'adaptateur pour échapper à ces contradictions devrait s'écarter le plus possible du roman. N'en garder que la trame, et broder sur elle autre chose. Changer d'époque, modifier les caractères, et tout réinventer. Bref, être infidèle. Se servir du roman comme un scénariste se sert d'un synopsis, pour y trouver une idée, un point de départ, et de ce point départ, aller ailleurs. Mais, à ce jeu, y a-t-il encore un adaptateur ? [...] |
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Texte 3 : Discours sur le théâtre, 1931« Texte à lire » | Jean Giraudoux |
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De « La question du théâtre » à « il l'a perdue. » |
[...] La question du théâtre et des spectacles, qui a joué un rôle capital et parfois décisif dans l'histoire des peuples, n'a rien perdu de son importance à une époque où le citoyen voit se multiplier, du fait de la journée de huit ou de sept heures, son temps de loisir et de distraction. Le spectacle est la seule forme d'éducation morale ou artistique d'une nation. Il est le seul cours du soir valable pour adultes et vieillards, le seul moyen par lequel le public le plus humble et le moins lettré peut être mis en contact personnel avec les plus hauts conflits, et se créer une religion laïque, une liturgie et ses saints, des sentiments et des passions. Il y a des peuples qui rêvent, mais pour ceux qui ne rêvent pas, il reste le théâtre. La lucidité du peuple français n'implique pas du tout son renoncement aux grandes présences spirituelles. Le culte des morts, ce culte des héros qui le domine prouve justement qu'il aime voir de grandes figures, des figures proches et inapprochables jouer dans la noblesse et l'indéfini sa vie humble et précise. Son culte de l'égalité aussi est flatté par ce modèle d'égalité devant l'émotion qu'est la salle de théâtre au lever du rideau, égalité qui n'est surpassée que par celle du champ d'épis avant la moisson. S'il n'est admis qu'une fois par an, au cœur de notre fête officielle, dans la matinée gratuite du 14 juillet, comme il convient à notre démocratie, à vivre quelques heures à l'Odéon et à la Comédie-Française, avec les reines et les rois, avec les passions reines et les mouvements rois, croyez bien qu'il n'en est pas responsable. Partout où s'ouvre pour lui un recours contre la bassesse des spectacles, il s'y précipite. Dans les quelques lieux sacrés que n'a pas gâtés encore la lèpre du scurrile et du facile, des masses de spectateurs, sortis de toutes les classes de la population, s'entassent, et écoutent respectueusement,– peu importe qu'ils en comprennent le détail puisque le tragique agit sur eux en cure d'or et de soleil –, la plus hermétique des œuvres d'Eschyle ou de Sophocle. Sous le masque des vêtements, la tenture des décors, la broussaille des mots, cet assemblage de charmantes épicuriennes et de joyeux détenteurs de permis de chasse qui constitue généralement en France méridionale un auditoire, suit avec angoisse et passion le serpentement de l'hydre invisible, surgie de l'antiquité la plus éclatante, car c'est dans les époques les plus claires et les plus pures que les monstres de l'âme ont leurs marais. Orange, Saintes ! Est-ce donc que ces villes seules donnent tout à coup l'émotion et l'intelligence à des spectateurs qui redeviennent aussitôt sous d'autres cieux les fervents du café-concert et du sketch en film parlé ? Est-ce donc que le ciel ouvert redonne sa noblesse originelle à un auditoire; et que sous des plafonds, le Français retombe à la vulgarité ? Non. C'est qu'autour de ces enceintes privilégiées le public est entretenu dans le respect du théâtre, qu'il est poussé par des guides et jusque par des municipalités à cultiver en soi une notion instinctive et exacte du théâtre... A Paris, il la perd, il l'a perdue. [...] |
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Texte 4 : Discours du Poème dramatique, 1660« Texte à lire » | Pierre Corneille |
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De « Bien que, selon » à « leur pratique. » |
[...] Bien que, selon Aristote, le but seul de la poésie dramatique soit de plaire aux spectateurs, et que la plupart de ces poèmes leur aient plu, je veux bien avouer toutefois que beaucoup d'entre eux n'ont pas atteint le but de l'art. Il ne faut pas prétendre, dit ce philosophe, que ce genre de poésie nous donne toute sorte de plaisir, mais seulement celui qui lui est propre ; et, pour trouver ce plaisir qui lui est propre, et le donner aux spectateurs, il faut suivre les préceptes de l'art, et leur plaire selon les règles. Il est constant qu'il y a des préceptes, puisqu'il y a un art ; mais il n'est pas constant quels ils sont. On convient du nom sans convenir de la chose, et on s'accorde sur les paroles pour contester sur leur signification. Il faut observer l'unité d'action, de lieu et de jour, personne n'en doute ; mais ce n'est pas une petite difficulté de savoir ce que c'est que cette unité d'action, et jusques où peut s'étendre cette unité de jour et de lieu. Il faut que le poète traite son sujet selon le vraisemblable et le nécessaire ; Aristote le dit, et tous ses interprètes répètent les mêmes mots, qui leur semblent si clairs et intelligibles, qu'aucun d'eux n'a daigné nous dire, non plus que lui, ce que c'est que ce vraisemblable et ce nécessaire. Beaucoup même ont si peu considéré ce dernier, qui accompagne toujours l'autre chez ce philosophe, hormis une seule fois, où il parle de la comédie, qu'on en est venu à établir une maxime très fausse, qu'il faut que le sujet d'une tragédie soit vraisemblable ; appliquant ainsi aux conditions du sujet la moitié de ce qu'il a dit de la manière de le traiter. Ce n'est pas qu'on ne puisse faire une tragédie d'un sujet purement vraisemblable ; il en donne pour exemple La Fleur d'Agathon, où les noms et les choses étaient de pure invention, aussi bien qu'en la comédie : mais les grands sujets qui remuent fortement les passions, et en opposent l'impétuosité aux lois du devoir et aux tendresses du sang, doivent toujours aller au-delà du vraisemblable, ne trouveraient aucune croyance parmi les auditeurs, s'ils n'étaient soutenus, ou par l'autorité de l'histoire qui persuade avec empire, ou par la préoccupation de l'opinion commune qui nous donne ces mêmes auteurs déjà tout persuadés. Il n'est pas vraisemblable que Médée tue ses enfants, que Clytemnestre assassine son mari, qu'Oreste poignarde sa mère ; mais l'histoire le dit, et la représentation de ces grands crimes ne trouve point d'incrédules. Il n'est ni vrai ni vraisemblable qu'Andromède, exposée à un monstre marin, ait été garantie de ce péril par un cavalier volant, qui avait des ailes aux pieds : mais c'est une fiction que l'antiquité a reçue ; et, comme elle l'a transmise jusqu'à nous, personne ne s'en offense quand on la voit sur le théâtre. Il ne serait pas permis toutefois d'inventer sur ces exemples. Ce que la vérité ou l'opinion fait accepter serait rejeté, s'il n'avait point d'autre fondement qu'une ressemblance à cette vérité ou à cette opinion. C'est pourquoi notre docteur dit que les sujets viennent de la fortune, qui fait arriver les choses, et non de l'art, qui les imagine. Elle est maîtresse des événements et le choix qu'elle nous donne de ceux qu'elle nous présente enveloppe une secrète défense d'entreprendre sur elle, et d'en produire sur la scène qui ne soient pas de sa façon. Aussi les anciennes tragédies se sont arrêtes autour de peu de familles, parce qu'il était arrivé à peu de familles des choses dignes de la tragédie. Les siècles suivants nous en ont assez fourni pour franchir ces bornes, et ne marcher plus sur les pas des Grecs : mais je ne pense pas qu'ils nous aient donné la liberté de nous écarter de leurs règles. Il faut, s'il se peut, nous accommoder avec elles, et les amener jusqu'à nous. Le retranchement que nous avons fait des chœurs nous oblige à remplir nos poèmes de plus d'épisodes qu'ils ne faisaient ; c'est quelque chose de plus, mais qui ne doit pas aller au delà de leurs maximes, bien qu'il aille au delà de leur pratique. |
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Texte 5 : D'après : Pour pratiquer les textes de théâtre« Texte à lire » | Collectif (éditions Duculot, 1992) |
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de « L'exposition... » à « ...et résoudre. » |
L'exposition est la partie de la pièce de théâtre qui apporte les éléments indispensables à la compréhension de la situation initiale ; elle renseigne sur l'identité des personnages, leurs motivations, etc., dont découle nécessairement la suite de la pièce : ainsi elle pose les bases de l'action. Elle a pour rôle d'informer le public et de "lancer" la pièce ; elle implique un rapport de cause à effet entre ce qu'elle annonce et ce qui va suivre. Il s'agit là d'une « convention » dramaturgique dans la mesure où, à travers le dialogue des personnages, c'est l'auteur qui informe les spectateurs de ce qui s'est passé auparavant, hors scène. Cet artifice qui touche parfois à la perfection de l'illusion doit être analysé, démonté dans le texte théâtral. Cette déconstruction de l'exposition est particulièrement intéressante en ce qu'elle permet de mettre en évidence le travail de l'écriture théâtrale, à savoir : comment l'information circule-t-elle (qui dit quoi, quel objet, quel jeu de scène... apportent quel sens) ? À cet égard la comparaison de différents types d'exposition sera fructueuse.
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Texte 6 : La Cantatrice chauve, 1991De « Texte à lire » | Lagarce |
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de « En 1992 Jean-Pierre Han... » à « ...La Cantatrice est une chose rare. » |
(Voir aussi l'objet d'étude sur les réécritures - phm-lettres) |
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Texte 7 : Article du NOBS La Cantatrice, 1964« Texte à lire » | Ionesco |
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De « Étrange, étrange,... » à «...que cela signifie ? » |
Théâtre (Archives Nouvel Obs) « Les quinze ans de ma cantatrice » par Ionesco La télévision, l'édition, le théâtre célèbrent un phénomène artistique : le succès pendant quinze ans d'une pièce au départ « maudite ». Eugène Ionesco, l'auteur, parle de cette pièce comme si elle n'était plus de lui. Étrange, étrange, le destin d'une œuvre. Celui de « la Cantatrice chauve » par exemple. J'ai l'impression que ce texte ne m'appartient plus. Depuis huit ans, la troupe de Nicolas Bataille le joue à La Huchette. Cette série de représentations a résisté à la guerre d'Algérie, aux changements de gouvernements ; elle a survécu au règne de Khrouchtchev, et à « Patate », la pièce de Marcel Achard. Elle a pu inspirer , deux ou trois cents metteurs en scène, de tous pays. Moi-même, j'ai vu une quinzaine de « Cantatrices » en différentes langues. Parmi lès mises en scène auxquelles j'aï assisté, celle de Nicolas Bataille est sans doute la meilleure. Cette pièce a inspiré des compositeurs gui en ont tiré deux opéras ; on en a fait plusieurs films à la télévision ; et récemment, Massin en à fait une mise en scène typographique, rénovant la typographie, cela l'a aidé à inventer le livre spectacle. Que des gens prennent ce que vous avez fait, qu'ils l'enrichissent, qu'ils en fassent autre chose, que le texte ne soit plus lui-même mais son interprétation, sa transformation, sa résonance, non plus un texte mais un Prétexte, cela me réconforte et en même temps, me libère. Je n'en réponds plus. On sifflait...Comment se fait-il qu'un écrit, auquel on n'attachait aucune importance publique, qui n'était, au départ, qu'un jeu et une chose très personnelle, comment se fait-il que cela devienne la chose des autres, et pour combien de temps ? Qu'estce que les autres y voient, qu'est-ce que cela veut dire pour eux ? On peut penser qu'un roman ou une pièce c'est tout simplement ce que les autres en font. Au départ, ils ne voulaient rien en faire. Lorsque je dictais cette pièce à une amie qui, il y a de cela des années, a bien voulu me rendre le service de la taper à la machine, cette amie me disait que ce n'était pas une pièce, que « cela » ne pouvait pas être joué. Je me disais qu'elle devait avoir raison. Une autre amie a soumis ce texte à Bernard Grasset. Bernard Grasset était malade ; cette amie était son infirmière. Bernard Grasset était le premier homme de lettres à prendre connaissance de mon texte : il a dit que cela ne passerait pas la rampe, que cela ne valait rien. D'autres personnes encore en ont pris connaissance, leur avis était le même. Puis, Monique a porté la pièce à Nicolas Bataille, qui a décidé que cette pièce était une pièce. Tel ne fut pas l'avis des premiers critiques pour qui, non plus, cela ne passait pas la rampe. Les spectateurs sifflaient ; ceux qui riaient disaient que cette comédie n'était pas sérieuse, que c'était justement la raison pour laquelle ils riaient d'un rire qui n'était pas un rire sérieux. Trop joyeusePuis il y eut Lemarchand, Guy Dumur, Renée Saurel, J. Brenner, Duvignaud, K ,Humeau, Verdot Lherminer, Joly qui défendaient la pièce etle spectacle de Nicolas Bataille. Comme j'avais un grand respect pour les premiers lecteurs, j'eus un respect moindre pour mes défenseurs qui devaient se tromper, pensais-je. Jean Pouillon, dans les « Temps Modernes », en juin 1950, découvrit dans, «la Cantatrice chauve » des implications philosophiques insolite, expression de l'étonnement d'être parodie du théâtre, la vie quotidienne devenant incompréhensible, la vie quotidienne détériorée spirituellement par les cliches et les automatismes, l'absence, c'était pourtant. bien ce que je ressentais lorsque j'écrivais cette pièce joyeuse, trop joyeuse sans doute pour exprimer vraiment ce que l'on déclarait qu'elle exprimait. Pourtant, si on avait, vu ce que l'on y avait vu, cela devait y être ; d'une certaine façon je m'étais projeté dans ces dialogues, puisque l'on s'en apercevait, ou bien les autres s'y projetaient eux-mêmes. Une œuvre acquiert de la valeur lorsqu'on veut lui en donner une, lorsqu'on veut la prendre en considération, ou peut-être, qui sait ? lorsqu'on ne peut pas ne pas la prendre en considération. La critique est affaire d'autorité. Je sais maintenant : on prend une œuvre en considération lorsque quelqu'un qui est bien considéré vous dit de la prendre en considération. C'est Raymond Queneau, en 1950, qui a donné sa parole d'honneur que « la Cantatrice chauve » avait des mérites littéraires. Pouvait-on ne pas croire Raymond Queneau ? Et Raymond Queneau, lui-même, comment est-il arrivé à devenir considérable ? C'est un autre problème. Je considère qu'il est considérable, moi-même l'aurais-je considéré considérable s'il n'avait pas été considérable au moment où il me considérait ? Ou avant qu'il ne me considérât ? Si Raymond Queneau n'avait pas été là la « Cantatrice » aurait-elle survécu ? Ou même aurait-elle vécu ? Aurait-elle été quelque chose ? Combien y a-t-il d'arbitraire et combien de prédéterminé dans le destin de quelques dizaines de pages écrites on ne sait trop comment, on ne sait trop pourquoi ? Après coup, les critiques, les sociologues vous demontrent que ce qui s'est produit devait se produire nécessairement. Sans Raymond Queneau...Je suis plutôt tenté de croire au hasard, à la chance, si on peut appeler cela « chance ». S'il n'y avait pas eu Queneau, s'il n'y avait pas eu Monique, s'il n'y avait pas eu Nicolas Bataille, s'il n'y avait pas eu quelques critiques et journalistes parisiens, mon œuvre n'aurait pas été ; comme moi-même, je n'aurais, pas existé si un hasard considérable ne l'avait permis. Il y aurait eu quelqu'un d'autre à ma place, bien sûr, cela serait revenu au même. Si les circonstances n'avaient pas joué en favenr de la « Cantatrice », d'autres cantatrices auraient apparu a la place. Il se peut que nous soyons a peu près interchangeables. Enfin, le fait est que « la Cantatrice chauve » est devenue une œuvre. Avee ce titre. Si j'avais su que ma pièce deviendrait un bien collectif, je lui aurais donné un autre titre moins risible, plus sérieusement comique. Lorsque, en 1952, à la première reprise de cette pièce, le public arrivait, Nicolas Bataille et moi-même étions tout étonnés, inquiets. On se demandait si les gens ne se trompaient pas, s'ils ne confondaient pas le Théâtre de la Huchette avec le Mogador ou le Châtelet. Ils devaient arriver, certainement, par erreur. Mais non, c'est Lemarchand qui leur avait dit de venir en faisant honte au public parisien de ne pas se précipiter à notre spectacle ; Georges Neveux avait dit la même chose dans un autre article, donnant dans sa critique à ma pièce une résonance, des profondeurs inconnues que je reconnus, bien sûr, et que j'admis immédiatement et qui étaient à la fois de lui, un peu du texte. Rire sérieusementJ'ai toujours été ému par la noblesse des comédiens, par leur générosité. C'est à eux que nous devons le plus, bien sûr. Bataille, Mansart, Simone Mozet, Huet, Odette Barrois, Paulette Frantz, les premiers créateurs de cette œuvre, qui la prirent à charge, qui lui donnèrent la vie. Une vie qui continue, incompréhensiblement reprise par d'autres comédiens. « Ils ont été mauvais ce soir », disent les comédiens des spectateurs après chaque représentation, et ils sont tristes ; ou bien « ils ont été bons » et les comédiens sont joyeux. Et pendant que je dors, ou que je dîne, ou que je vais voir d'autres spectacles, ou que je voyage, ou que je rêvasse, ou que je ni ne dors ni ne dîne, ni ne vais voir un autre spectacle, ni ne voyage, ni ne rêvasse, ils sont là à donner vie à un être qu'ils inventent, qu'ils recréent, qui ne serait pas s'ils ne le voulaient pas.
Qu'est-ce que cela veut dire pour eux aussi.
Ils sont là, à donner vie, presque à donner leur vie et cela tient le coup depuis des années.
Et des gens viennent et viennent et reviennent, et rient « sérieusement » avec toutes sortes d'idées sur la chose,
idées qui viennent d'eux-mêmes ou des exégèses savantes.
Ils ne disent plus, comme le disait Robert Kemp : « Cela mérite tout au plus un haussement d'épaules ».
Comme c'est bizarre, comme c'est curieux, comme c'est étrange.
Qu'est-ce que cela signifie ?
Référentiel Nouvel Observateur 10 décembre 1964 (P. 32) |
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Texte 8 : Suréna, général des Parthes (1674)« Texte à lire » | Corneille (1604-1684) |
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du début à « ... il s'enhardit assez. » |
Acte I, Scène première
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Texte 9 : Le More cruel (1613)Lecture cursive | Anonyme |
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Mise en scène de J.Ph. Clarac et Olivier Delœuil (2009, TNBA, Bordeaux)
Le More Cruel envers son seigneur nommé Riviery, gentilhomme espagnol, sa damoiselle et ses enfants (1613) est une illustration du théâtre sanglant du début du XVIIe siècle en France : la mise en scène d'une violente réponse aux injustes coups de bâtons reçus...
Dans cette lignée, le théâtre contemporain (notamment flamand) est un théâtre qui souvent joue sur notre rapport ambiguë avec la violence physique.
''Il se trouve qu'au tout début du XVIIe siècle, naît en France un nouveau théâtre à partir duquel s'est constitué ce théâtre moderne. Maintenant oublié, encore négligé parce que recouvert par l'ombre nationale du sacro-saint classicisme, bien proche des théâtres élisabéthain et espagnol qui lui sont contemporains, ce « théâtre de l'échafaud » s'est effacé des mémoires'' (Christian Biet)
Dans l'histoire du théâtre, penser au ''Grand Guignol'' en France après 1897
Introduction :
Le More Cruel s'appuie sur la thématique de l'esclavage dans la société du début du XVIIe siècle.
Il interroge sur le pouvoir de l'horreur et la fascination de l'indigne sur le spectateur au théâtre.
En quoi un théâtre de la violence ?
Annonce du plan.
Axes de résolution de la problématique :
I - Impression d'un bain de violence : le thème de l'esclavage et de la vengeance
II - Pouvoir de l'horreur : violence des personnages
III - Importance de la mise en scène : le spectateur est voyeur de l'indignité ; l'espace scénique, métalangage
Conclusion :
Relier avec la problématique : loin des bienséances classiques et humanisme ?
Lien avec le groupement : un théâtre moderne
Ouverture (interne, externe) : en lien avec la catharsis...
Texte 10 : In La Poétique, 1665« Texte à lire » | Aristote |
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De « » à « » |
De la comédie, sa définition. Comparaison de la tragédie et de l'épopée.
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