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▼ Avertissement de l'Éditeur
▼ Notice
▼ Nomenclature ?
▼ Douze éditions des Cent Nouvelles
▼ Dédicace
▼ Table
Les Cent Nouvelles nouvelles, depuis la pitoyable édition de 1735
n'avaient été réimprimées qu'une seule fois (en 1786 ), et avec une monstrueuse augmentation de fautes grossières,
lorsque nous réimprimâmes, en 1841 ce chef-d'oeuvre de notre ancienne littérature gauloise,
dans le recueil des Vieux Conteurs français, qui fait partie de la collection du Panthéon littéraire.
« On vante sans cesse les Conteurs italiens, disions-nous en tête de ce recueil ; on ne parle pas des nôtres, du moins en France
où c'est un parti pris depuis longtemps de déprécier autant que possible la littérature nationale au profit des
littératures étrangères. Nous n'avons jamais partagé, Dieu merci, cette injuste indifférence à
l'égard des précieux monuments de la langue des quinzième et seizième siècles ;
nous accordons même une sorte d'admiration à ces récits pleins de grâce, de finesse et de naïveté, dans lesquels
brille de tout son éclat le véritable esprit français. »
La réimpression des Cent Nouvelles nouvelles était, on peut le dire, une tentative assez hasardée : le public, qui est toujours ce qu'on le fait, ne paraissait pas trop préparé à goûter la saveur un peu crue de cet admirable livre, qu'on avait relégué depuis longtemps parmi les vieilleries et les curiosités littéraires. Il fallait donc créer, en quelque sorte, un nouveau public, qui voulût bien se familiariser avec la lecture, quelque peu pénible, de notre Decamerone français.
Le conte de Louis XI ou de la cour de Bourgogne, ce conte franc, naïf, libre et jovial, comme une réminiscence des fabliaux d'autrefois, avait passé de mode et n'était plus apprécié d'un petit nombre de lecteurs qu'à titre de monument archéologique du génie de la langue du quinzième siècle. Cette langue, il est vrai, qui n'est obscure qu'en raison de l'orthographe du temps, semblait une espèce de hiéroglyphe à déchiffrer. Voilà le principal motif qui nous fit alors adopter complétement l'orthographe moderne dans une édition destinée surtout à restituer aux Cent Nouvelles nouvelles la popularité qu'elles avaient perdue.
Ce fut, il faut le reconnaître, l'orthographe moderne qui permit de lire facilement et même agréablement un ouvrage, que sa vieille orthographe eût rendu presque inintelligible à la plupart des personnes que nous gagnâmes ainsi à la cause de notre ancienne littérature. On s'étonna de pouvoir comprendre sans effort un écrivain du temps de Charles VII, et on apprit à se plaire avec ces joyeux conteurs qu'on ne connaissait plus que de nom. Au moment même où nous obtenions ce résultat inespéré, le savant M. Leroux de Lincy publiait, de son côté, une autre édition des Cent Nouvelles nouvelles, édition offerte surtout aux érudits, et dans laquelle il s'appliquait à reproduire le texte original d'après la première édition de ce célèbre recueil de contes. La tentative de M. Leroux de Lincy réussit aussi bien que la nôtre, et son édition eut les honneurs d'une réimpression dans l'espace de peu d'années. Grâce à cette double expérience de librairie, le livre des Cent Nouvelles nouvelles peut s'attendre désormais à être souvent réimprimé avec son vieux langage et sa vieille orthographe ; car il a pris sa place à la tête de ces ouvrages classiques qu'on nomme en Italie ''testi di lingua''.
L'édition que nous publions aujourd'hui est toute différente de celle que nous avons donnée il y a seize ans dans le volume des Vieux conteurs français : suivant notre système, nous avons essayé de faire mieux que nous n'avions fait alors. Depuis seize ans, d'ailleurs, l'érudition est en progrès ; elle est devenue beaucoup plus répandue, et il y a, pour les faiseurs d'éditions nouvelles, un public plus nombreux, mais plus difficile aussi à contenter. Nous nous sommes donc attaché à présenter un texte aussi parfait que possible, en le revoyant sur l'édition originale de Vérard, et nous l'avons élucidé par des notes philologiques et historiques qui étaient indispensables pour l'intelligence de la langue et du récit. Quant à imposer un caractère constamment uniforme et régulier à l'orthographe des ouvrages du quinzième siècle, ce serait une entreprise peut-être regrettable, car cette variété orthographique indique souvent des nuances grammaticales qu'il importe de conserver. Nous avons seulement éclairci le sens du discours par l'emploi de certains signes d'accentuation et de ponctuation modernes, qui ne changent pas la forme du langage et qui ne lui ôtent rien, pour ainsi dire, de son goût de terroir gaulois.
Le texte des Cent Nouvelles nouvelles est, ce nous semble, dans notre édition, plus correct et plus compréhensible que dans les éditions précédentes ; car, tout en reproduisant scrupuleusement ce texte d'après la plus ancienne édition connue, qui devait nous tenir lieu du manuscrit original, nous n'avons pas hésité à rectifier une foule de phrases, évidemment fautives, par le seul fait de l'impression, et à corriger des mots plus ou moins altérés dans cette édition de 1486 qui a été la base de toutes les autres. Nous ne croyons pas que l'exactitude d'un éditeur doive aller jusqu'à respecter les fautes et les négligences de de ses devanciers. Vienne un nouvel éditeur qui profite, à son tour, de notre travail, et qui contribue à le rendre parfait ! Nous lui en saurons un gré infini, dans l'intérêt de l'étude de la langue et des moeurs de nos aïeux.
Les Cent Nouvelles nouvelles furent racontées, dans l'intervalle de l'année 1456 à l'année 1461,
par le Dauphin de France, Louis, fils de Charles VII, et par le comte de Charolais, Charles, fils de Philippe le Bon,
duc de Bourgogne, ainsi que par leurs officiers et les personnes de leur suite, au château de Genappe,
en Belgique, où le Dauphin s'était retiré après sa sortie de France, et où il tenait sa cour en attendant
la mort du roi son père. C'est là un fait que nous apprend une tradition constante et qui se trouve établi
par les termes mêmes de l'épître dédicatoire du recueil :
« Notez que, par toutes les Nouvelles où il est dit ''par Monseigneur'', il est entendu
par Monseigneur le Daulphin, lequel depuis a succedé à la couronne,
et est le roy Louis XIe, car il estoit lors ès pays du duc de Bourgoigne. »
(Dans cette notice, nous suivons presque pas à pas celle de M. Leroux de Lincy, qui s'est servi
des meilleurs historiens du temps avec une exactitude que nous ne saurions mieux apprécier qu'en renvoyant une fois
pour toutes à son travail, emprunté aux Chroniques Martiniennes, aux Mémoires de Comines,
de Jacques Duclerc, d'Olivier de la Marche, de Mathieu de Couey, etc.
Cependant M. Leroux de Lincy cite à peine un opuscule très estimable dont il a tiré de grands secours :
Mémoire sur le séjour que Louis, dauphin de Viennois, depuis roi sous le nom de Louis XI,
fit aux Pays-Ras, de l'an 1456 à 1461, par de Reiffenberg.)
Le Dauphin Louis montra de bonne heure ce que devait être Louis XI : il fut mauvais fils avant d'être mauvais père. À peine âgé de quatorze ans, il causa beaucoup de chagrin à Charles VII en se déclarant l'ennemi implacable de la belle Agnès, que le roi aimait, et il s'emporta même jusqu'à donner un soufflet à cette favorite, qui l'avait traité peut-être sans ménagement. Ce soufflet fut, dit-on, la cause de la première révolte du Dauphin (en 1440), contre Charles VII, qui se vit obligé d'employer la force des armes pour soumettre le rebelle et faire cesser la Praguerie, cette petite guerre civile qui menaça un moment de s'étendre par tout le royaume. Charles VII, voulant éloigner son fils, quoiqu'il lui eût pardonné, le fit gouverneur du Dauphiné, et le jeune prince résida quelques années à Grenoble, appauvrissant la province par des exactions impitoyables, machinant des intrigues criminelles et créant des obstacles à l'autorité royale, qu'il bravait ouvertement. Louis était impatient de s'emparer de la couronne : il essaya de gagner les archers de la garde écossaise et les principaux seigneurs de la cour de Charles VII ; il répandit de l'argent et des promesses dans un but secret, qui touchait peut-être au parricide ; mais Antoine de Chabannes, comte de Dampmartin, alla dénoncer le complot, et le Dauphin nia tout avec effronterie, en laissant punir ses complices qui l'accusaient. Il se vengea dès lors d'Agnès Sorel, empoisonnée à Jumiéges, par ses ordres, s'il faut en croire les échos de l'indignation populaire que souleva cette mort tragique. Mais il ne put se venger du comte de Dampmartin qu'après être monté sur le trône.
Celui-ci continua donc à surveiller les projets sinistres du Dauphin, qui était sans cesse en mésintelligence avec son père.
Louis s'apprêtait même à en venir à une seconde révolte et il rassemblait déjà des troupes et de l'argent pour tenir tête à la royauté,
sinon pour l'attaquer, lorsque Charles VII, poussé à bout et las de pardonner,
ordonna au fidèle de Chabannes d'entrer avec une armée dans le Dauphiné et d'arrêter le Dauphin.
« Si Dieu ou la fortune, s'écria Louis en apprenant l'approche du lieutenant du roi,
m'eussent donné la grâce de disposer de la moitié des hommes d'armes dont le roi mon père est le maître
et qui m'appartiendront un jour, de par Notre-Dame, ma bonne maîtresse, je lui aurais épargné la peine
de Venir si avant me chercher : je serais allé jusqu'à Lyon pour le combattre. »
Sentant bien que la résistance était impossible et n'espérant plus de pardon,
il résolut de sortir de France et de se réfugier auprès du duc de Bourgogne.
Dans le cours du mois de juin 1456, il feignit une partie de chasse pour qu'on ne s'opposât point à sa fuite,
et passa en Bourgogne avec six de ses familiers. En arrivant à Saint-Claude, sur les terres du duc,
qui devenait son hôte, il écrivit au roi pour se justifier, et il manifesta l'intention de s'associer à
une espère de croisade que Philippe le Bon devait entreprendre contre les Turcs.
Le duc de Bourgogne, qui assiégeait alors Utrecht, se réjouit de l'arrivée du Dauphin de France,
et transmit les ordres nécessaires pour que le prince exilé fût reçu à Bruxelles avec les honneurs appartenant à
son rang et à sa naissance. Il revint bientôt lui-même en Brabant ; il accueillit très gracieusement à la cour le Dauphin,
et il voulut, connaître les griefs que ce prince prétendait avoir contre le roi et ses conseillers.
« Monseigneur, soyez le bienvenu dans mon pays lui dit le duc, après l'avoir écouté avec attention ;
je suis très-heureux de vous y voir. En tout ce qui touche votre personne, soyez sûr que je vous ferai
service,
soit de corps, soit d'argent, sauf contre monseigneur le roi votre père, contre lequel, pour rien,
je ne voudrais entreprendre aucune chose qui fût à son déplaisir. »
Philippe le Bon s'employa activement pour réconcilier le Dauphin avec le roi ;
mais les négociations, entamées à cet effet, échouèrent toujours par le mauvais vouloir des personnes intéressées
à empêcher ou à retarder cette réconciliation ; le Dauphin, d'ailleurs, ne se souciait pas trop de rentrer
en France, du vivant de son père, et celui-ci se croyait plus sûr de conserver sa couronne,
tant que son redoutable fils resterait hors de ses Etats.
Pendant le séjour du Dauphin en Brabant,
une parfaite harmonie régna entre lui et le vieux duc, quoique Charles VII eût dit amèrement,
au sujet de la généreuse hospitalité que Philippe le Bon accordait au fugitif :
« Mon cousin ne sait pas ce qu'il fait ; il donne asile au renard qui mangera ses poules. »
Le duc avait promis une pension do trois mille florins d'or par mois au Dauphin,
qui alla se fixer au château de Genappe.
« Ce manoir, fort ancien, dit M. Leroux de Lincy, situé sur la rivière de Dyle, entre Nivelle et Gemblours, à
six lieues
de Bruxelles et à sept de Louvain, fut la dot et le séjour d'Ide, mère du célèbre Godefroy de Bouillon.
Les bâtiments dont il se composait, et qui n'existent plus aujourd'hui, entièrement construits sur la Dyle,
étaient joints au rivage par un pont de bois, auquel venait se joindre, du côté du château,
un petit pont-levis. On arrivait au premier pont, en traversant une cour assez vaste,
environnée de jardins et d'arbres fruitiers. Deux tourelles protégeaient l'entrée ;
deux autres étaient placées sur la face gauche. Autant qu'on en peut juger par le dessin qui nous en reste
(Délices du Brabant, etc., par Cantillon, t. II), l'ensemble de l'édifice se composait de quatre corps
de logis distribués inégalement de chaque côté d'une grande cour.
À gauche, on voyait s'avancer une chapelle. Un bâtiment séparé, défendu par une cinquième tour carrée,
faisait saillie en dehors, du même côté que la chapelle. En considérant avec attention l'aspect de ce château,
environné de toutes parts d'une rivière aux eaux tranquilles et d'une campagne florissante ouverte aux plaisirs
de la promenade et de la chasse, on comprend que, le Dauphin de France y ait fixé sa demeure,
en attendant la fin de son exil. La nuit, le pont-levis une fois dressé, il ne craignait ni attaque ni surprise,
et pouvait tranquillement se livrer aux plaisirs de la table et à celui d'écouter ou de faire ces
joyeux récits qui composèrent plus tard les Cent Nouvelles.
Le jour, accompagné de ses fidèles serviteurs et du comte de Charolais, dont il aimait à exciter la bouillante ardeur,
il chassait, ou bien encore visitait les paysans et s'amusait de leurs propos. »
« Les principaux du Conseil, dudict Dauphin, raconte Olivier de la Marche dans ses Mémoires, furent le seigneur de Montauban et le bastard d'Armignac, avec le seigneur de Craon ; et avoit mondit seigneur le Dauphin, de moult notables jeunes gens, comme le seigneur de Cressols, le seigneur de Villiers, de l'Estang, M. de Lau, M. de la Barde, Gaston du Lyon, et moult d'autres nobles gens et gens esleus ; car il fut prince, et aima chiens et oiseaux, et mesme, où il scavoit nobles hommes de renommée, il les achetoit à poids d'or, et avaient très-bonne condition. Mais il fut homme soupçonneux, et legerement attrayoit gens et legerement il les reboutoit de son service ; mais il estoit large et abandonné, et entretenoit par sa largesse ceux de ses serviteurs dont il se vouloit servir, et aux autres donnoit congé legerement et leur donnoit le bond, à la guise de France. »
Le Dauphin, au château de Genappe, pouvait se croire encore souverain, comme dans son gouvernement du Daupbiné,
à l'exception qu'il ne pressurait pas d'impôts la province et qu'il manquait quelquefois d'argent.
« À la despense qu'il faisoit de tant de gens qu'il avoit, dit Comines, l'argent lui failloit souvent :
qui lui estoit grande peine et soucy ; et luy en falloit chercher ou emprunter, ou ses gens l'eussent laissé :
qui est grande angoisse à un prince qui ne l'a point accoustumé. »
C'était une véritable cour, qui ressemblait à celle de Bourgogne par le nombre et l'état des seigneurs que
le prince retenait auprès de lui à force de sacrifices. Le comte de Charolais,
que l'exemple et peut-être les perfides conseils du Dauphin avaient mis presque en révolte ouverte
contre le duc son père et qui plusieurs fois oublia même le respect qu'il devait à ce noble vieillard,
quittait souvent le palais de Bruxelles et venait passer quelques semaines au château de Genappe
avec les gentilshommes de sa maison. Ce fut durant les divers séjours du comte de Charolais auprès de
Louis de France que les Cent Nouvelles nouvelles furent racontées, à l'imitation de celles de Boccace,
dans les veillées d'hiver, autour d'une vaste cheminée où brûlaient des arbres entiers,
et dans les veillées d'été, sous des tonnelles de vigne vierge ou entre des murailles de buis taillé.
En ce temps-là, les femmes vivaient à l'écart entre elles et loin de la société des hommes, excepté dans les circonstances solennelles où elles paraissaient en public, pour l'ornement des fêtes, des processions et des tournois. Anne de Bretagne établit la première, entre les deux sexes, des habitudes de fréquentation polie, qui produisirent cette urbanité que la France a longtemps apprise aux autres nations et que nous ne connaissons plus que par des traditions à demi-effacées.
Anne de Bretagne fonda la Cour des dames, comme le dit Brantôme, et cette innovation amena presque aussitôt une révolution générale et profonde dans les moeurs, qui, de rudes et grossières qu'elles étaient, devinrent douces et élégantes. On sent bien, en lisant les Cent Nouvelles nouvelles, que des femmes n'étaient pas là pour les entendre, et que des hommes, jeunes et galants la plupart, pouvaient seuls écouter ce que chacun narrait à son tour si gaillardement, avec cette liberté de paroles qui n'accuse que l'innocence du bon vieux temps.
Voici, par ordre alphabétique, la nomenclature des personnages qui ont coopéré à la composition des Cent Nouvelles nouvelles, et dont quelques uns nous sont à peine connus de nom, malgré les persévérantes recherches de MM. de Reiffenberg et Leroux de Lincy.
Parmi Les Cent Nouvelles nouvelles, il y en a plusieurs dont les narrateurs ne sont pas nommés. M. de Reiffenberg attribue ces Nouvelles anonymes à Philippe, comte de Croy, qu'il présente même comme l'Acteur du recueil entier ; mais cette conjecture n'est guère vraisemblable, et l'on a plus de raison de penser qu'Antoine de La Sale, écrivant de souvenir les Nouvelles qu'il avait entendues, ne s'est pas rappelé tous les noms des conteurs et en a omis quelques-uns. La Table des sommaires, rédigée postérieurement à la composition du livre, rectifie plusieurs noms et en ajoute d'autres qui avaient été omis en tête des Nouvelles.
Le Dauphin, que le rédacteur désigne sous le nom de Monseigneur, comme il l'annonce dans l'épître dédicatoire,
raconte les Nouvelles
2,
4,
7,
9,
11,
29,
33,
53,
69,
70,
71.
La Nouvelle
71
est attribuée à Monseigneur le duc dans le titre qui la précède ;
mais la Table porte seulement : racomptée par Monseigneur.
Louis XI aimoit fort les bons mots et les subtils esprits, selon Brantôme.
Ce fut chez lui un goût prédominant, dont il ne se corrigea pas en devenant roi, car alors, dit encore Brantôme,
« la pluspart du temps mangeoit en pleine salle avec force gentilshommes de ses plus privez.
Et celuy qui lui faisoit le meilleur et le plus lascif conte de dames de joye,
il estoit le mieux venu et festoyé. Et luy-mesme ne s'espargnoit à en faire, car il s'en enquéroit fort et en vouloit souvent sçavoir ;
et puis, en faisoit part aux autres publiquement. C'estoit bien un scandale grand que celuy-là.
Il avoit très mauvaise opinion des femmes et ne les croyoit toutes chastes. »
L'histoire a conservé un grand nombre de reparties facétieuses et d'anecdotes plaisantes, qui nous font bien connaître le genre d'esprit de Louis XI : il n'était pas ignorant comme presque tous les princes de son temps, qu'il méprisait, parce que, dit Comines, de nulles lettres n'ont congnoissance et sont nourris seulement à faire les fols en habillemens et en paroles ; il prenait plaisir à entendre parler les gens savants, et, malgré les leçons du docte Jean d'Arconville, qui lui avait appris le latin, il préférait aux chefs-d'oeuvre de l'antiquité grecque et romaine les poésies, les histoires et les romans français ou plutôt gaulois. Il eût donné tout Homère et tout Virgile pour un joyeux propos.
Le comte de Charolais, qui devait pourtant, par la nature même de son caractère belliqueux,
faire moins de cas des récits grivois et familiers que des héroïques histoires de chevalerie,
paya aussi son tribut de conteur aux veillées du château de Genappe1.
(Voyez Nouv.
16,
17 et
58.)
Le comte, à cette époque, vivait fraternellement avec le Dauphin : ils mangeaient à la même table, couchaient dans le même lit, chassaient ensemble, échangeaient leurs pensées et leurs projets, se préparant mutuellement à leur destinée de duc et de roi. Louis aimait les contes, et Charles conta. Quand ils se quittèrent, à la fin de juillet 1461, le Dauphin devenant roi de France par la mort de son père, ils étaient ennemis et ne se retrouvèrent plus que sur les champs de bataille. Pendant que Louis XI était prisonnier de son beau cousin de Bourgogne dans le château de Péronne, en 1468, il se souvint peut-être des bons contes qu'il faisait et qu'il entendait naguère au château de Genappe.
|||||||||| Note 1 ||||||||||
On ne sait par quelle préoccupation M. Leroux de Lincy a placé parmi les contenus des Cent Nouvelles nouvelles
le vieux duc Philippe le Bon, lequel n'eût pas certainement compromis la dignité ducale dans des assemblées intimes
qui réunissaient les domestiques les plus privés du Dauphin et du comte de Charolais.
Ce rédacteur ayant mis monseigneur le duc en tête des contes qu'il attribue au jeune prince de Bourgogne,
qui ne fut duc qu'à la mort de son père, il faut en conclure plulôt que la rédaction du livre a été faite après,
ou du moins que, dans le manuscrit qui servit à la première impression de ce recueil,
le copiste avait changé la qualification du personnage, sans s'inquiéter de l'erreur chronologique
qui devait résulter de ce changement.
Les contes dont se composent les Cent Nouvelles nouvelles peuvent se diviser en trois catégories, provenant chacune de trois sources différentes :
Les anecdotes contemporaines sur lesquelles reposent la plupart des Cent Nouvelles (notamment les Nouvelles 1, 5, 47, 62, 63, 75 etc.) ont certaine valeur historique ; « mais, dit M. Leroux de Lyncy, ce n'est pas seulement sous le point de vue de l'histoire proprement dite que les Cent Nouvelles ont de l'importance ; c'est plutôt comme servant à l'histoire des moeurs, des usages, des coutumes du quinzième siècle, que ce recueil doit être considéré. Sous cet aspect, il n'est pas une page qui ne mérite de fixer l'attention. La vie intime de nos aïeux y est peinte dans le plus grand détail ; il est facile d'en saisir les circonstances les plus secrètes... Ce qui distingue principalement les Cent Nouvelles, c'est le style plein de clarté, de finesse et d'élégance, avec lequel elles sont écrites. Il est impossible de pousser plus loin la satire et la moquerie : la gaieté la plus franche s'y mêle à cette naïveté, dont notre la Fontaine avait le secret et qui s'est perdue avec lui. Cette naïveté a l'avantage de faire passer la crudité, quelquefois un peu rude, dont les récits sont empreints, et de faire oublier certaines expressions trop grossières... Le style est surtout remarquable dans le dialogue : l'Acteur est arrivé, sous ce rapport, à une grande perfection ; mais il ne faut pas oublier que chacun des narrateurs y a contribué pour une partie, et que le mérite de l'Acteur consiste principalement dans la fidélité scrupuleuse avec laquelle il a reproduit chaque récit dans les mêmes termes qu'il l'avait entendu faire. Cette fidélité donne aux Cent Nouvelles une grande valeur, parce qu'elle nous permet de juger du langage admis dans la haute société du quinzième siècle. »
On ne possède plus de manuscrits des Cent Nouvelles nouvelles. Celui qui était dans l'ancienne bibliothèque des ducs de Bourgogne, sous le n°1261, et qui avait été sans doute offert à Charles le Téméraire2 par Antoine de La Sale, est perdu.
||||| Note 2 |||||
Ung livre tout neuf escript en parchemin à deux coulombes, couvert de cuir blanc de chamoy,
historié eu plusieurs lieux de riches histoires, contenant Cent Nouvelles, tant de Monseigneur (que Dieu pardonne ! )
que de plusieurs autres de son hostel... »
Bibliothèque protypographique, ou librairie des fils du roi Jean, publié par Barrois, p..
Ces mots, que Dieu pardonne, prouvent que l'inventaire de la librairie a été dressé après la mort du duc Charles le Téméraire,
voilà tout.
Celui qu'on trouve inscrit dans le Catalogue des livres du cabinet de L. J. Gaignat, sous le n° 2214, et qui ne fut vendu que 100 francs en 1769, n'est point entré dans un dépôt public : on doit d'autant plus le regretter, qu'il portait la date de 1462 ; c'était donc probablement une copie de l'original.
Les Cent Nouvelles nouvelles ont été réimprimées environ douze fois depuis la première édition datée de 1486. Voici la liste de ces éditions.
Dans des éditions modernes, le texte est singulièrement altéré, et l'on voit que les éditeurs ne comprenaient guère le langage du quinzième siècle ; car, outre les erreurs continuelles de la ponctuation, on remarque presque à chaque ligne, des fautes grossières qui prouvent que ces éditions ont été copiées l'une sur l'autre depuis celle de 1701, qu'on imprima sur un exemplaire gothique, que les compositeurs ne savaient pas même lire. On ne s'étonne plus, en voyant le texte défiguré de ces éditions, que les deux derniers siècles aient regardé comme barbare et incompréhensible la langue si claire et si charmante de nos vieux conteurs.
Comme ainsi soit que, entre les bons et prouffitables passetemps, le très gracieux exercice de lecture et d'estude soit de grande et sumptueuse recommandacion, duquel, sans flatterie, mon très redoublé Seigneur, vous estes haultement et largement doué, Je, vostre très obeissant serviteur2, desirant complaire, comme je doy, à toutes voz haultes et très nobles intencions, en façon à moy possible, ose ce present petit oeuvre, à vostre commandement et advertissement mis en terme et sur piez, vous presenter et offrir, suppliant très humblement que agreablement soit reçeu, qui en soy contient et traicte cent hystoires assez semblables en matiere, sans attaindre le subtil et très orné langaige du livre de Cent Nouvelles 3. Et se peut intituler le Livre de Cent Nouvelles nouvelles.
Et, pour ce que les cas descriptz et racomptez oudit livre de Cent Nouvelles, advindrent la pluspart ès marches et mettes des Ytalies, jà long temps a ; neantmoins toutesfois, portans et retenans toujours nom de Nouvelles, se peut très bien, et par raison fondée convenablement en assez apparente verité, ce present livre intituler de Cent Nouvelles nouvelles ; jà soit ce qu'elles soyent advenues ès parties de France, d'Alemaigne, d'Angleterre, de Haynault, de Flandres, de Braibant, etc. ; aussy, pource que l'estoffe, taille et façon d'icelles est d'assez fresche memoire et de myne beaucoup nouvelle.
Et notez que, par toutes les Nouvelles où il est dit par Monseigneur, il est entendu par Monseigneur le Daulphin, lequel depuis a succedé à la couronne, et est le roy Loys unziesme, car il estoit lors ès pays du duc de Bourgoigne.
||||| Notes |||||
1 :Cette épître est adressée certainement à Charles le Téméraire, qui porta le titre de comte de Charolais
jusqu'à ce que la mort de son père, Philippe le Bon, l'eut fait duc de Bourgogne en 1467,
lorsque Louis XI était déjà roi de France depuis six ans. On voit donc, par là,
que la rédaction ou du moins la publication des Cent Nouvelles nouvelles est postérieure à l'année 1467.
2 : Antoine de La Sale, qui passe pour être
l'Acteur
ou rédacteur des Cent Nouvelles nouvelles,
recueillies par le commandement du duc de Bourgogne, longtemps après l'époque où elles furent
racontées au château de Genappe. Voy. la Notice préliminaire.
3 : Le Decamerone de Boccace avait été traduit en français, d'après une version latine littérale,
par Laurent du Premier-Faict, sous le règne de Charles VI ; et cette traduction, peu exacte,
mais pleine de naïveté et de charme, se trouvait en manuscrit dans toutes les bibliothèques des rois et des princes.
Table des matières ; avertissement de l'editeur. Notice sur le livre des Cent Nouvelles nouvelles
À mon très redoublé seigneur Monseigneur le duc de Bourgoingne et de Braibant
Les Cent Nouvelles nouvelles PARIS. - IMP. SIMON MACON ET COMP. RUE D'ERFURTH.
||||| Note de l'éditeur (1858)|||||
Nous avons conservé, dans cette "Table" seulement, les titres donnés aux Cent Nouvelles nouvelles
longtemps après leur rédaction, car ils ne se trouvent pas dans les éditions du quinzième siècle ni dans les premières du seizième siècle.
La premiere nouvelle traicte d'ung qui trouva façon do jouyr de la femme de son voisin, lequel il avoit envoyé dehors pour plus aisiement en jouyr ; et luy, retourné de son voyaige, le trouva qui se baignoit avec sa femme. Et non saichant que ce fust elle, la voulut veoir ; et permis luy fut de seulement en veoir le derriere : et alors jugea que ce luy sembla sa femme, mais croire ne l'osa. Et sur ce, se partit et vint trouver sa femme à son ostel, qu'on avoit boutée hors par une poterne de derriere ; et luy compta l'imaginacion qu'il avoit eue sur elle, dont il se repentoit.
||||| Note de l'éditeur |||||
1 - Le sujet de cette Nouvelle existe dans un ancien fabliau intitulé : les Deux Changeurs.
Voy. les Contes et fabliaux de Legrand d'Aussy, éd., t. IV. Il a été traité aussi dans le Peeorone, giorn. II, nouv. II.
Depuis, les nouvelliers italiens ont imité, à l'envi, la Nouvelle française. Voy. Nolti de Straparolla, nov. II, nouv. XI ;
Malespini, Ducento Novelle, nouv. LIII ;
Bandello, Novelle, etc. Mais il est probable que le conteur des Cent Nouvelles nouvelles avait en vue,
dans son récit, un fait véritable qui s'était passé à la cour de France, et que Brantôme rapporte en ces termes,
dans ses Dames galantes (disc. er) :
« Louis, duc d'Orléans, tué à la porte Rarbette, à Paris, fit bien au contraire, grand desbaucheur des dames de la cour, et toujours des plus grandes.
Car, ayant avec luy couchée une fort belle et grande dame, ainsy que son mary vint en sa chambre pour luy donner le bonjour, il alla couvrir la teste de sa dame,
femme de l'autre, du linceul, et luy descouvrit tout le corps, luy faisant voir tout nud et toucher à son bel aise, avec defense expresse, sur la vie,
de n'oster le linge du visage ni le descouvrir aucunement, à quoi il n'osa contrevenir.
Luy demandant par plusieurs fois ce qui luy sembloit de ce beau corps tout nud, l'autre en demeura tout esperdu et grandement satisfait...
Et le bon fut de ce mary, qu'estant la nuict d'emprès couché avec sa femme,
il luy dit que monseigneur d'Orléans luy avoit fait voir la plus belle femme nue qu'il vit jamais ;
mais, quant au visage, qu'il n'en sçavoit que rapporter, d'amant qu'il luy avoit interdit.
Je vous laisse à penser ce qu'en pouvoit dire sa femme, dans sa pensée !
Et, de ceste dame tant grande et de monseigneur d'Orléans, on dit que sortit ce brave et
vaillant bastard d'Orléans duquel est venue cette noble et généreuse race des comtes de Dunois. »
Suivant la chronique scandaleuse de la cour, en effet, c'était Mariette d'Enghien, mère du bâtard d'Orléans,
comte de Dunois, que le duc d'Orléans aurait fait voir nue, le visage couvert,
à Aubert de Cany, mari de cette belle et grande dame.
La seconde nouvelle traicte d'une jeune fille qui avoit le mal de broches, laquelle creva, à ung cordelier qui la vouloit mediciner, ung seul bon oeil qu'il avoit ; et aussi du procès qui s'ensuyvit puis après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, Ducento Novelle, part. II, nov. XXXVII.
La troisiesme nouvelle, de la tromperie que fist ung chevalier à la femme de son musnier, à laquelle bailloit à entendre que son c... luy cherroit s'il n'estoit recoigné ; et ainsi par plusieurs fois le luy recoigna. Et le musnier, de ce adverty, pescha puis après dedans le corps de la femme dudit chevalier ung dyamant qu'elle avoit perdu en soy baignant ; et pescha si bien et si avant, qu'il le trouva, comme bien sceut depuis ledit chevalier, lequel appela le musnier pescheur de dyamans, et le musnier luy respondit en l'appellant recoigneur de c...
||||| Note de l'éditeur |||||
Cette Nouvelle, empruntée aux Faceliae de Poggio, a été imitée par Bonaventure Bes l'eriers,
Contes et joyeux devis, nouv. XI ; par Malespini, Dueento Novelle, nov. XLV ; par Straparolla, Notti, notte VI, nov. I ;
par Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, édit. de Leduchat, t. Il, p., et par
La Fontaine, Contes, liv. Il, conte II, le Faiseur d'oreilles et le raccommodeur de moules.
La qnatriesme nouvelle, d'ung archier Escossois qui fut amoureux d'une belle et gente damoiselle, femme d'un eschoppier, laquelle, par le commandement de son mary, assigna jour audit Escossois ; et, de fait, garny de sa grande espée, y comparut et besoigna tant qu'il voulut, present ledit eschoppier qui de paour s'estoit caiché en la ruelle de son lit, et tout povoit veoir et ouyr plainement ; et la complainte que fist après la femme à son mary.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, Ducento Novelle, nov. XV, et par l'auteur anonyme des
Joyeuses adventures et nouvelles récréations contenant plusieurs contes et facéties
(Lyon, Rigaud, 1582, in-16), recueil que Barbier cite mal à propos, dans son Dict. des Anonymes,
comme une réimpression des Contes de Bonaventure Des Periers. Voy. devis IX.
La cinquiesme nouvelle racompte de deux jugemens de Monseigneur Thalebot, c'est assavoir d'ung François qui fut prins par ung Anglois soubz son sauf-conduit, disant que esguillettes estoient habillemens de guerre ; et ainsi le fist armer de ses esguillettes sans aultre chose, encontre le François, lequel d'une espée le frappoit, present Thalebot ; et l'aultre, qui l'Église avoit robée, auquel il fist jurer de jamais plus en l'Église entrer.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par l'auteur anonyme des Joyeuses adventures et nouvelles rêcréations, devis LIV.
La sisiesme nouvelle, d'ung yvroingne, qui, par force, au prieur des Augustins de La Haye en Hollande, se voulut confesser ; et après sa confession, disant qu'il estoit en bon estat, voulut mourir. Et cuida avoir la teste trenchée et estre mort, et par ses compaignons fut emporté, lesquels disoient qu'ilz le portoient en terre.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, Ducento Novelle, part II, nov. XLVII.
La septiesme nouvelle, d'ung orfevre de Paris qui fist coucbier un charreton, lequel luy avoit amené du charbon, avec luy et sa femme ; et comment ledit charreton par derriere se jouoit avecques elle, dont l'orfevre s'apperceut et trouva ce que estoit ; et des parolles qu'il dist au charreton.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, Ducento Novelle, part. II, nov. LXXVII,
et par l'auteur anonyme des Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis X.
La huictiesme nouvelle parle d'ung compaignon picart, demourant à Brucelles, lequel engrossa la fille de son maistre ; et, à ceste cause, print congié de haulte heure et vint en Picardie soy marier. Et tost après son partement, la mere de la fille s'apperceut de l'encoleure de sadicte fille, laquelle, à quelque meschief que ce feust, confessa à sa mere le cas tel qu'il estoit ; et sa mere la renvoya devers ledit compaignon pour luy deffaire ce qu'il lui avoit fait. Et du reffuz que la nouvelle mariée fist audit compaignon, et du compte qu'elle luy compta ; à l'occasion duquel d'elle se departit incontinent et retourna à sa premiere amoureuse, laquelle il espousa.
||||| Note de l'éditeur |||||
Cette Nouvelle, tirée des Facéties du Pogge (Repensa merces),
a été imitée depuis par Malespini, Ducento Novelle, nov. XVIII ; par Nicod. Frischelinus,
Facetiae ; par La Fontaine, Contes, liv. III, conte V, les Aveux indiscrets.
La neufviesme nouvelle racompte et parle d'ung chevalier de Bourgoigne, lequel estoit tant amoureux d'une des chamberieres de sa femme, que c'estoit merveille ; et cuidant couchier avec ladicte chamberiere, coucha avec sa femme, laquelle s'estoit couchée au lit de sadicte chamberiere. Et aussi comment il fist ung aultre chevalier son voisin, par son ordonnance, couchier avec sadicte femme, cuidant veritablement que ce fust la chamberiere, de laquelle chose il fut depuis bien mal content, jà soit que la dame n'en sceust oncques riens, et ne cuidoit avoir eu que son mary, comme je croy.
||||| Note de l'éditeur |||||
La plus ancienne source de cette Nouvelle est un fabliau d'Enguerrand d'Oisi, le Meunier d'Aleu.
Voy. le recueil de Legrand d'Aussy, t. III. Le même sujet avait été aussi traité par Boccace,
Decamerone, giorn. VIII, nov. IV ; par Poggio, Facetiae, sous ce titre : Vir sibi cornua promovens ;
par Sacchetti, Novelli, nov. CCVI.
Le conte des Cent Nouvelles nouvelles a eu de nombreuses imitations : Malespini, Ducento Novelle, nov. XCVI ;
Marguerite de Navarre, Heptaméron, nouv. VIII ;
J. Bouchet, Serées, VIIIe ; Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XII ;
Ludov. Guicciardini, Hore di recreazione ;
Gabr. Chapuys, Facétieuses journées, p. 215 ;
La Fontaine, Contes, liv. V, les "Quiproquos".
La dixiesme nouvelle, d'ung chevalier d'Angleterre, lequel, depuis qu'il fut marié, voulut que son mignon, comme par avant son mariaige faisoit, de belles filles luy fist finance ; laquelle chose il ne voulut faire, car il pensoit qu'il luy souffisoit bien d'avoir une femme ; mais ledit chevalier à son premier train le ramena, par le faire tousjours servir de pastez d'anguilles, au disner et au soupper.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, Ducento Novelle, nov. LVII ;
par l'auteur des Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis LVII ;
par La Fontaine, Contes, liv. I, conte XII, le "Pâté d'anguilles."
La onziesme nouvelle, d'ung paillart jaloux qui après plusieurs offrandes faictes à plusieurs sainctz, pour le remede de sa maladie de jalousie, lequel offrit une chandelle au dyable qu'on paint communement dessoubz sainct Michel ; et du songe qu'il songea, et de ce qu'il luy advint à son reveillier.
||||| Note de l'éditeur |||||
Tiré d'une facétie de Poggio, intitulée "Annulus" ;
imité par Rabelais, Pantagruel, liv. III, chap. XXVIII ;
et par Malespini, Ducento Novelle, part. II, nov. LXXXIX.
La douziesme nouvelle parle d'ung Hollandois, qui, nuyt et jour, à toute heure, ne cessoit d'assaillir sa femme au jeu d'amours ; et comment d'adventure il la rua par terre, en passant par ung bois, soubz ung grant arbre sur lequel estoit ung laboureur qui avoit perdu son veau. Et, en faisant inventoire des beaux membres de sa femme, dist qu'il veoit tant de belles choses et quasi tout le monde ; à qui le laboureur demanda s'il veoit pas son veau qu'il cherchoit, duquel il disoit qu'il luy sembloit en veoir la queue.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imite de Poggio ; voy., dans les Facetiae, son "Asinus perditus",
qui se retrouve aussi dans les Cento Novelle antiche.
Il y a de nombreuses imitations de cette Nouvelle. Voy. les Ducento Novelle de Malespini, nov. LXVIII ;
le "Cabinet satirique", t. II, p. 282 ;
les Contes du sieur d'Ouville, édit. de 1661, IIe part., p. 72 ;
Roger Bontemps en belle humeur, p. 87 ;
les Contes de La Fontaine, liv. II, conte XII, etc.
La treiziesme nouvelle, comment le clerc d'un procureur d'Angleterre deceut son maistre pour luy faire accroire qu'il n'avoit nulz coillons, et, à ceste cause, il eut le gouvernement de sa maistresse aux champs et à la ville, et se donnerent bon temps.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, Ducento Novelle, nov. V,
et par l'auteur anonyme des Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XII.
La quatorziesme nouvelle, de l'hermite qui deceut la fille d'une pauvre femme, et luy faisoit acroire que sa fille auroit ung fils de luy, qui seroit pape ; et adonc, quant vint à l'enfanter, ce fut une fille ; et ainsi fut l'embusche du faulx hermite descouverte, qui à ceste cause s'enfouyt du pays.
||||| Note de l'éditeur |||||
Cette Nouvelle, dont l'origine existe dans l'Histoire des Juifs de Josêphe (liv. XVIII, ch. XIII),
et qui a été reproduite dans un roman du Moyen-Âge, intitulé Historia Alexandri Magni de praeliis,
est empruntée par l'auteur des Cent Nouvelles nouvelles aux conteurs italiens, Boccace (Decamerone, giorn. IV, nov. II),
et Masuccio (Novellino, t. I, nov. II). Elle a été imitée depuis par Malespini, Ducento Novelle, nov. LXXX ;
et par La Fontaine, Contes, liv. II, conte XVI, l'"Hermite".
Marmontel s'est servi de la même idée dans son conte moral, le Mari sylphe.
La quinziesme nouvelle, d'une nonnain que ung moyne cuidoit tromper, lequel en sa compaignie amena son compaignon, qui devoit bailler à taster à elle son instrument, comme le marchié le portoit, et comme le moyne mist son compaignon en son lieu, et de la response que elle fist.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, Ducento Novelle, part. II, nov. LXX.
La seiziesme nouvelle, d'ung chevalier de Picardie, lequel en Prusse s'en alla ; et tandis ma dame sa femme d'ung autre s'accointa ; et, à l'heure que son mary retourna, elle estoit couchée avec son amy, lequel, par une gracieuse subtilité, elle le bouta hors de sa chambre, sans ce que son mary le chevalier s'en donnast garde.
||||| Note de l'éditeur |||||
Cette Nouvelle, qui se trouve dans le Decamerone de Boccace (giorn. VII, nov. VI), est peut-être sortie des fables indiennes.
Voy. l'Essai de L. Deslong, champs sur ces fables, p. 76. Elle a passé ensuite dans la littérature du Moyen-Âge,
car elle reparaît dans les Gesta Romanorum, cap. CXXII ;
dans les fabliaux des trouvères (De la mauvaise femme) ; voy. le recueil de Legrand d'Aussy, t. IV, p. 188 ;
dans la Discipline de Clergie, de Pierre Alphonse, etc.
Parmi les nombreuses imitations qui en ont été faites depuis les Cent Nouvelles nouvelles,
il faut citer celles du Bandello (Parle prima, nov. XXIII),
de Sansovino (Cento Novelle), de Sabadino (Novelle),
de Malespini (nov. XLIV), de Marguerite de Navarre (Heptaméron, VIe nouv. de la 1re journée),
de Henry Estienne (Apologie pour Hérodote, ch. XV),
de La Monnoye (en latin, OEuvres choisies, t. II, p. 354),
de d'Ouville (Contes, t. II, p. 215), etc.
La dix et septiesme nouvelle d'ung president de parlement, qui devint amoureux de sa chamberiere, laquelle, à force, en buletant la farine, cuida violer, mais, par beau parler, de luy se desarma et luy fist affubler le buleteau de quoy elle tamissoit, puis alla querir sa maistresse qui en cet estat son mary et seigneur trouva, comme cy après vous orrez.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, Ducento Novelle, nov. XCVII, et par l'auteur des Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XIX.
La dix et huitiesme nouvelle racomptée par Monseigneur de la Roche, d'ung gentil homme de Bourgoigne, lequel trouva façon, moyennant dix escuz qu'il fist bailler à la chamberiere, de coucher avecques elle ; mais, avant qu'il voulsist partir de sa chambre, il eut ses dix escuz et se fist porter sur les espaulles de ladicte chamberiere par la chambre de l'oste. Et, en passant par ladicte chambre, il fist ung sonnet tout de fait advisé, qui tout leur fait encusa, comme vous pourrez ouyr en la nouvelle cy dessoubz.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité de Boccace et de Poggio (Decamerone, giorn. VIII, nov. I et II, et Facetiae, "Anser venatis"),
qui avaient eux-mêmes pris ce sujet dans deux fabliaux, "la Dame et le Curé", "le Boucher d'Abbeville".
Voy. le recueil de Legrand d'Aussy, t. III, p.288, et t. IV, p.299.
Il y a des imitations de cette Nouvelle dans les Facetiae de Bebelianus, lib. IV, p. 88 ;
dans les Ducento Novelle de Malespini, nov. XXIX ;
dans les Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XX ;
dans les Contes du sieur de d'Ouville, IIe part., p. 156 ; et dans un grand nombre de contes français des dix-septième et dix-huitième siècles.
La dix neuviesme nouvelle par Phelippes Vignieu, d'ung marchant d'Angleterre, duquel la femme, en son absence, fist ung enfant, et disoit qu'il estoit sien ; et comment il s'en despescha gracieusement : comme elle luy avoit baillé à croire qu'il estoit venu de neige, aussi pareillement au soleil comme la neige s'estoit fondu.
||||| Note de l'éditeur |||||
Tiré d'un ancien fabliau, l'Enfant qui fondit au soleil ;
voy. le recueil de Legrand d'Aussy, t. III, p. 84.
Imité depuis par Malespini, Ducento Novelle, nov. XXXVII ;
par l'auteur des Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XX
par Gabr. Chapuys, Facétieuses journées, p. ;
par Sansovino, Novelle, giorn. IX, nov. VI, par Grécourt, t. III, p. 67.
La vingtiesme nouvelle par Phelippe de Laon, d'ung lourdault Champenois, lequel, quant il se maria, n'avoit encores jamais monté sur beste crestienne, dont sa femme se tenoit bien de rire. Et de l'expedient que la mere d'elle trouva ; et du soubdain pleur dudit lourdault, à une feste et assemblée qui se fist depuis après qu'on lui eust monstré l'amoureux mestier, comme vous pourrez ouyr plus à plain, cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Cette nouvelle a été imitée par Malespini, nov. XL, et par l'auteur des Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XXI.
La vingt et uniesme nouvelle racomptée par Phelippe de Laon, d'une abbesse qui fut malade par faulte de faire cela que vous scavez, ce qu'elle ne vouloit faire, doubtant de ses nonnains estre reprouchée ; et toutes luy accorderent de faire comme elles ; et ainsi s'en firent toutes donner largement.
||||| Note de l'éditeur |||||
Tiré des Facetiae de Poggio ("Priapi vis"),
et imité par Malespini, nov. LXXIX ;
par La Fontaine, liv. IV, conte II,
et par La Monnoye, qui n'a fait que traduire en latin le récit du Pogge.
La vingt et deuxiesme nouvelle racomptée, d'ung gentil homme qui engrossa une jeune fille, et puis en une armée s'en alla. Et avant son retour, elle d'ung autre s'accointa, auquel son enfant elle donna. Et le gentil homme, de la guerre retourné, son enfant demanda ; et elle luy pria que à son nouvel amy le laissast, promettant que le premier qu'elle feroit, sans faulte, luy donneroit, comme cy dessoubz vous sera recordé.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. VIII, part. Il, et par l'auteur des Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis LVIII.
La vingt et troisiesme nouvelle, d'ung clerc, de qui sa maistresse fut amoureuse, laquelle à bon escient s'y accorda, pour tant qu'elle avoit passé la raye, que ledit clerc luy avoit faicte ; ce voyant, son petit filz dist à son pere, quant il fut venu, qu'il ne passast point la raye, car, s'il la passoit, le clerc luy feroit comme il avoit fait à sa mère.
||||| Note de l'éditeur |||||
D'après un ancien fabliau, le Curé qui posa une pierre ; voy. le recueil de Legrand d'Aussy, t. III, p. 221.
Imité, en français et en italien, par Malespini, nov. LXXXVIII ;
par Bandello, nov. LIII ; par Granucci (Novelle) ;
par L. Guicciardini (Delli et fatti piacevoli) ; par le sieur de d'Ouville ;
par l'auteur des Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XXII ;
par les compilateurs de divers recueils de contes du dix-septième siècle, "le Facétieux réveil-matin", "le Courrier facétieux",
les "Divertissements curieux de ce temps", etc.
La vingt et quatriesme nouvelle dicte et racomptée par Monseigneur de Fiennes, d'ung conte qui une très belle jeune et gente fille, l'une de ses subjectes, cuida decevoir par force ; et comment elle s'en eschappa par le moyen de ses houseaux : mais depuis l'en prisa très fort, et l'aida à marier, comme il vous sera cy après declairé.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. XXXVI, et par l'auteur des Joyeuses adventures et nouvelles récréations,
devis XXV. Selon M. Leroux de Lincy, le sujet de cette Nouvelle serait emprunté à une ancienne ballade anglaise.
Voy. Perey's Relict of the ancient poetry.
La vingt et cinquiesme nouvelle racomptée et dicte par Monseigneur de Saint Yon, de celle qui de force se plaignit d'ung compaignon, lequel elle avoit mesmes Adrecié à trouver ce qu'il queroit ; et du jugement qui en fut fait.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, Ducento Novelle, nov. LVI, part. II.
La vingt et sixiesme nouvelle racomptée et mise en ternie par Monseigneur de Foquessoles, des amours d'ung gentil homme et d'une damoiselle, laquelle esprouva la loyaulté du gentil homme par une merveilleuse et gente façon, et coucha troys nuytz avec luy, sans aucunement scavoir que ce feust elle, mais pour homme la tenoit, ainsy comme plus à plain pourrez ouyr cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, Ducento Novelle, nov. XIX, part. II.
La vingt et septiesme nouvelle racomptée par Monseigneur de Beauvoir, des amours d'ung grant seigneur de ce royaulme, et d'une gente damoiselle mariée, laquelle, affin de bailler lieu à son serviteur, fist son mary bouter en ung bahu par le moyen de ses chamberieres, et leans le fist tenir toute la nuyt, tandis qu'avec son serviteur passoit le temps ; et des gageures qui furent faictes entre elle et sondit mary, comme il vous sera recordé cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, Ducento Novelle, nov. XX. par l'auteur des Joyeuses adventures el nouvelles récréations, devis XXIII.
La vingt et huitiesme nouvelle dicte et racomptée par Messire Michault de Changy, de la journée assignée à ung grand prince de ce royaulme par une damoiselle servante de chambre de la royne ; et du petit exploit d'armes que fist ledit prince, et des faintises que ladicte damoiselle disoit à la royne de sa levriere, laquelle estoit tout à propos enfermée dehors de la chambre de ladicte royne, comme orrez cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, Ducento Novelle, nov. XXXVII, et par l'auteur des Joyeuses adventures el nouvelles récréations, devis XXIV.
La vingt et neufviesme nouvelle racomptée par Monseigneur, d'ung gentil homme qui dès la premiere nuyt qu'il se maria et après qu'il eut heurté ung coup à sa femme, elle luy rendit ung enfant ; et de la maniere qu'il en tint, et des parolles qu'il en dist à ses compaignons qui lui apportoient le chaudeau, comme vous orrez cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, Ducento Novelle, nov. XLVII.
La trentiesme nouvelle racomptée par Monseigneur de Beauvoir, François, de trois marchans de Savoye alans en pellerinage à sainct Anthoine, en Viennois, qui furent trompez et deceuz par trois cordeliers, lesquelz coucherent avec leurs femmes, combien qu'elles cuidoient estre avecques leurs mariz ; et comment, par le rapport qu'elles firent, leurs marys le sceurent, et de la maniere qu'ilz en tindrent, comme vous orrez cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, Ducento Novelle, nov. LII.
La trente et uniesme nouvelle mise en avant par Monseigneur, de l'escuier qui trouva la mullette de son compaignon, et monta dessus, laquelle le mena à l'huis de la dame de son maistre ; et fist tant l'escuier, qu'il coucha leans où son compaignon le vint trouver ; et pareillement des parolles qui furent entre eulx, comme plus à plain vous sera declairé cy dessoubz.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, Ducento Novelle, nov. X, part. II. Il y a, dans les Historiettes de Tallemant des Réaux,
une aventure toute semblable dont Henri de Guise est le héros ; édit. in-18, t. II, p, 26.
La trente et deuxiesme nouvelle racomptée par Monseigneur de Villiers, des cordeliers d'Ostellerie en Castelongne, qui prindrent le disme des femmes de la ville ; et comment il fut sceu, et quelle punicion par le seigneur et ses subjetz en fut faicte, comme vous orrez cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Tiré des Facetiae de Poggio ("Decimae"). Imité depuis par Malespini, Ducento Novelle, nov. XXIII ;
par Frischlinus, Facetiae, p. 17, et par La Fontaine, Contes, liv. II, conte III.
La trente et troisiesme nouvelle racomptée par Monseigneur, d'ung gentil seigneur qui fut amoureux d'une damoiselle, dont se donna garde ung aultre grant seigneur qui luy dist ; et l'aultre tousjours plus luy celoit et en estoit tout affolé ; et de l'entretenement depuis d'eulx deux envers elle, comme vous pourrez ouyr cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, Ducento Novelle, nov. XVII.
La trente et quatriesme nouvelle racomptée par Monseigneur de la Roche, d'une femme mariée qui assigna journée à deux compaignons, lesquelz vindrent et besoingnerent ; et le mary tantost après survint ; et des parolles qui après en furent et de la maniere qu'ilz tindrent, comme vous orrez cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Cette Nouvelle, dont la source est un ancien fabliau (voy. le recueil de Legrand d'Aussy, t. III, p. 265),
a été souvent imitée depuis. Voy. les Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XXVI ;
Ducento Novelle de Malespini, nov. XC ;
Facetiae de Frischlinus, t. I, p. ;
Roger Bontemps en belle humeur ; Contes de Grécourt, t. III, p.212, etc.
La trente et cinquiesme nouvelle par Monseigneur de Villiers, d'ung chevalier, duquel son amoureuse se maria, tandis qu'il fut en voyaige ; et, à son retour, d'aventure la trouva en mesnage, laquelle, pour couchier avec son amant, mist en son lieu couchier avec son mary une jeune damoiselle sa chamberiere ; et des parolles d'entre le mary et le chevalier voyaigeur, comme plus à plain vous sera recordé cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité dans les Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XXVII.
La trente et sixiesme nouvelle racomptée par Monseigneur de la Roche, d'ung escuier qui vit sa maistresse, dont il estoit moult feru, entre deux aultres gentilz hommes, et ne se donnoit garde qu'elle tenoit chascun d'eulx en ses laz ; et ung aultre chevalier, qui scavoit son cas, le luy bailla à entendre, comme vous orrez cy après.
La trente et septiesme nouvelle par Monseigneur de la Roche, d'ung jaloux qui enregistroit toutes les façons qu'il povoit ouyr, ne scavoir, dont les femmes ont deceu leurs marys ; le temps passé ; mais, à la fin, il fut trompé par l'orde eaue que l'amant de sadicte femme getta par une fenestre sur elle, en venant de la messe, comme vous orrez cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. XLIX ; par Domenichi, lib. V, nov. 1 ; par Bon. Des Periers, conte XVIII ;
par l'auteur anonyme des Plaisantes nouvelles (Lyon, 1555, in-16) ;
par l'auteur des Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XXVIII ;
par La Fontaine, liv. II, conte X.
La trente et huitiesme nouvelle racomptée par Monseigneur le Seneschal de Guyenne, d'ung bourgeois de Tours qui acheta une lamproye qu'à sa femme envoya pour appointer , affin de festoier son curé, et ladicte femme l'envoya à ung cordelier son amy ; et comment elle fist coucher sa voisine avec son mary, qui fut batue, Dieu scait comment, et de ce qu'elle fist accroire à sondit mary, comme vous orrez cy dessoubz.
||||| Note de l'éditeur |||||
Cette Nouvelle, imitée de Boccace, Decameronee, giorn. VII, nov. VIII, est peut-être originaire de l'Orient,
puisqu'on la trouve dans les contes de Bidpaï. Voy. l'Essai sur les fables indiennes, par Deslongchamps, p. 54.
Elle aurait été, à l'époque des croisades, transportée dans la littérature française, car elle a fourni le sujet de plusieurs fabliaux.
Voy. le recueil de Legrand d'Aussy, t. II, p. 340.
Malespini l'a reproduite, d'après les Cent Nouvelles nouvelles ; voy. ses Ducento Novelle, part. II, nov. XL.
La trente et neufviesme nouvelle racomptée par Monseigneur de Saint Pol, du chevalier, qui, en attendant sa dame, besoigna trois fois avec la chamberiere qu'elle avoit envoyée pour entretenir ledit chevalier, affin que trop ne luy enuuyast ; et depuis besoigna trois fois avec la dame, et comment le mary sceut tout par la chamberiere, comme vous orrez.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. XCIX.
La quarantiesme nouvelle par Messire Michault de Changy, d'ung Jacopin qui abandonna sa dame par amour, une bouchiere, pour une aultre plus belle et plus jeune ; et comment ladicte bouchiere cuida entrer en sa maison par la cheminée.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. XLIII, part. II.
La quarante et uniesme nouvelle par Monseigneur de la Roche, d'ung chevalier qui faisoit vestir à sa femme ung haubregon quant il luy vouloit faire ce que scavez, ou compter les dens ; et du clerc qui luy apprint aultre maniere de faire, dont elle fut à peu près par sa bouche mesmes encusée à son mary, se n'eust esté la glose qu'elle controuva subitement.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par l'auteur des Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XXIX,
et par Malespini, nov. XL, part. II.
La quarante et deusiesme nouvelle par Meriadech, d'ung clerc de villaige, qui, estant à Romme, cuidant que sa femme fust morte, devint prestre et impetra la cure de sa ville ; et quant il vint à sa cure, la premiere personne qu'il rencontra, ce fut sa femme.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. XXVI,
et par L. Guicciardini (Les Heures de récréation. et aprés-dînées, 1594, in-16, p. 237).
La quarante et troisiesme nouvelle par Monseigneur de Fiennes, d'ung laboureur qui trouva ung homme sur sa femme ; et laissa à le tuer, pour gaingner une somme de blé ; et fut la femme cause du traictié, affin que l'aultre parfist ce qui avoit commencé.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imite par Malespini, nov. LI, part. II ; par L. Guicciardini, Heures de récréation, p. 92 ;
et par l'auteur des Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XXXI.
La quarante et quatriesme nouvelle par Monseigneur de la Roche, d'ung curé de villaige qui trouva façon de marier une fille, dont il estoit amoureux, laquelle luy avoit promis, quant elle seroit mariée, de faire ce qu'il vouldroit, laquelle chose le jour de ses nopces il luy ramenteust, ce que le mary d'elle ouyt tout à plain, à quoy il mist provision, comme vous orrez.
||||| Note de l'éditeur |||||
La quarante et cinquiesme nouvelle par Monseigneur de la Roche, d'ung jeune Escossois qui se maintint en habillement de femme l'espace de quatorze ans, et par ce moyen couchoit avec filles et femmes mariées, dont il fut puny en la fin, comme vous orrez cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. LXXVIII,
et par l'auteur des Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XXXII.
La quarante et sixiesme nouvelle racomptée par Monseigneur de Thienges, d'ung Jacopin et de la nonnain qui s'estoient boutez en un preau pour faire armes à plaisance dessoubz ung poirier où s'estoit caiché ung qui scavoit leur fait, tout à propos, qui leur rompit leur fait pour ceste heure, comme plus à plain vous orrez cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Cette Nouvelle est une répétition de la XIIe, le "Veau", avec quelques changements.
Les imitations que nous avons signalées à propos de la nouvelle XII se rapportent également à celle-ci.
Nous ajouterons à ces imitations celle qui se trouve dans le Joyeux réveil-matin des esprits mélancoliques (Rouen, 1626, in-8.
La quarante et septiesme nouvelle par Monseigneur de la Roche, d'ung president saichant la deshonneste vie de sa femme, la fist noyer par sa mulle, laquelle il fist tenir de boire par l'espace de huit jours ; et pendant ce temps luy faisoit bailler du sel à mengier, comme il vous sera recordé plus à plain.
||||| Note de l'éditeur |||||
M. Leroux de Lincy a retrouvé l'origine historique de cette Nouvelle dans un dictionnaire manuscrit des Beautés et choses curieuses du Dauphiné.
Voici le curieux passage qu'il en a extrait :
« Dans la rue de Cleres, à Grenoble, on voyoit autrefois sur le portail de la maison de Nicolas Prunier de Saint-André,
président au parlement de Grenoble, un écusson de pierre soutenu par un ange, et portant pour armoiries d'or à un lion de gueule
(ces armes étoient celles de la famille Carles, éteinte au dix-septième siècle).
L'ange qui supportoit l'écusson tenoit l'index d'une de ses mains contre sa bouche,
d'un air mystérieux et comme indiquant qu'il faut savoir se taire. Chaffrey Carles,
président unique au parlement de Grenoble, en 1505, l'avoit fait mettre sur cette maison qui lui appartenoit.
Cet homme sut en effet dissimuler assez longtemps, avant que de trouver l'occasion de se venger de l'infidélité de sa femme,
en la faisant noyer par la mule qu'elle montoit au passage d'un torrent.
Il avoit commandé à dessein qu'on laissât la mule plusieurs jours sans boire. Cette aventure,
imprimée en plusieurs endroits, a fait le sujet d'une des nouvelles de ce temps ;
mais dans ce conte on n'y nomme pas les personnages.
Chaffrey étoit si savant dans la langue latine et dans les humanités, que la reine Anne de Bretagne,
femme de Louis XII, le choisit pour enseigner cette langue et les belles lettres à Renée, sa fille,
qui fut depuis duchesse de Ferrare. Ce même Chaffrey Carles fut fait chevalier d'armes et de lois par Louis XII, en 1509. »
Cette aventure est trop originale pour n'avoir pas tenté les imitateurs. Aussi la Reine de Navarre s'en est-elle emparée la première,
Heptaméron, journ. IV, nouv. XXXVI.
Après elle, Bonaventure Des Periers l'a reproduite dans ses Contes et joyeux devis, nouv. XCXII ;
puis Malespini, nov. XVI, part. II ;
puis l'auteur des Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XXXV ;
puis L. Guicciardini, Hore di recreazione, 1585, in-8.
La quarante et huitiesme nouvelle racomptée par Monseigneur de la Roche, de celle qui ne vouloit souffrir qu'on la baisast, mais bien vouloit qu'on lui rembourrast son bas ; et habandonnoit tous ses membres, fors la bouche, et de la raison qu'elle y mettoit.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité dans les Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XXX,
et dans les Ducento Novelle de Malespini, nov. C.
La quarante et neufviesme nouvelle racomptée par Pierre David, de celuy qui vit sa femme avec ung homme auquel elle donnoit tout son corps entierement, excepté son derriere qu'elle laissoit à son mary, lequel la fist habiller ung jour, presens ses amys, d'une robbe de bureau et fit mettre sur son derriere une belle piece d'escarlate ; et ainsi la laissa devant tous ses amys.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. XVIII.
La cinquantiesme nouvelle racomptée et dicte par Anthoine de la Sale, d'ung pere qui voulut tuer son fîlz, pource qu'il avoit voulu monter sur sa mere grand, et de la response dudit filz.
||||| Note de l'éditeur |||||
Tiré des Novelle de Sacchetti, nov. XIV, et des Facetiae de Poggio ("Justa excusatio").
Imité depuis par Malespini, Ducento Novelle, nov. LXVII ;
par Sterne, Tristram Shandy ;
par Mérard de Saint-Just, Espiégleries et joyeusectez, 1789, t. I, p. 214, etc.
La cinquante et uniesme nouvelle racomptée par l'Acteur, de la femme qui departoit ses enfans au lit de la mort, en l'absence de son mary qui siens les tenoit ; et comment ung des plus petitz en advertitson pere.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Guicciardini, Heures de récréation et après-dînées, 1594, in-16, p. 66 ;
par. Malespini, nov. XXV, part. II ;
par l'auteur des Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XXXIV.
La cinquante et deuxiesme nouvelle racomptée par Monseigneur de la Roche, de trois enseignemens que ung pere bailla à son filz, luy estant au lit de la mort, lesquelz ledit filz mist à effet au contraire de ce qu'il luy avoit enseigné. Et comment il se deslya d'une jeune fille qu'il avoit espousée, pource qu'il la vit couchier avec le prestre de la maison, la premiere nuyt de leurs nopces.
||||| Note de l'éditeur |||||
Tiré de Sacchetti, nov. XVI. Imité par Straparole, Nuits facétieuses, 1re nuit, conte I,
et par Malespini, Ducento Novelle, nov. XIV.
La cinquante et troisiesme nouvelle racomptée par Monseigneur l'Amant de Brucelles, de deux hommes et deux femmes qui attendoient pour espouser à la premiere messe bien matin ; et pource que le curé ne veoit pas trop cler, il print l'une pour l'autre, et changea à chascun homme la femme qu'il devoit avoir, comme vous orrez.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité de Malespini, nov. X.
La cinquante et quatriesme nouvelle racomptée par Mahiot, d'une damoiselle de Maubeuge qui se abandonna à ung charreton et refusa plusieurs gens de bien ; et de la response qu'elle fist à ung noble chevalier, pource qu'il lui reprouchoit plusieurs choses, comme vous orrez.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité dans les Ducento Novelle de Malespini, nov. XXXIII,
et dans les Joyeuses adventures el nouvelles récréations, devis XXXV.
La cinquante et cinquiesme nouvelle par Monseigneur de Villiers, d'une fille qui avoit l'epidimie, qui fist mourir trois hommes pour avoir la compaignie d'elle ; et comment le quatriesme fut saulvé et elle aussi.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité dans les Ducento Novelle de Malespini, part. II, nov. V,
et dans les Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XXXVI.
La cinquante et sixiesme nouvelle par Monseigneur de Villiers, d'ung gentil homme qui attrapa, en un piege qu'il fist, le curé, sa femme, et sa chamberiere et ung loup avec eulx ; et brula tout là dedans, pource que le dit curé maintenoit sa femme.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, part. II, nov. I.
La cinquante et septiesme nouvelle par Monseigneur de Villiers, d'une damoiselle qui espousa ung bergier, et de la maniere du traictié du mariage, et des parolles qu'en disoit ung gentil homme frere de ladicte damoiselle.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. LXIII, part II.
La cinquante et huitiesme nouvelle par Monseigneur le Duc, de deux compaignons qui cuidoient trouver leurs dames plus courtoises vers eulx ; et jouerent tant du bas mestier, que plus n'en pouvoient ; et puis dirent, pource qu'elles ne tenoient compte d'eulx, qu'elles avoient comme eulx joué du cymier, comme vous orrez cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. XLII.
La cinquante et neufviesme nouvelle par Poncelet, d'ung seigneur qui contrefist le malade pour couchier avec sa chamberiere avec laquelle sa femme le trouva.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. XXXV.
La soixantiesme nouvelle par Poncelet, de trois damoiselles de Malines qui accointées s'estoient de trois cordeliers qui leur firent faire couronnes et vestir l'habit de religion, affin qu'elles ne fussent apperceues, et comment il fut sceu.
||||| Note de l'éditeur |||||
Tiré d'un ancien fabliau, Frère Denise, cordelier ; voy. le recueil de Legrand d'Aussy. t. III, p. 395.
Imité depuis par la Reine de Navarre, Heptaméron, nouv. XXXI ;
par Henry Estienne, Apologie pour Hérodote, t. I, p. 499 ;
par Malespini Ducento Novelle, nov. LXXV.
La soixante et uniesme nouvelle par Poncelet, d'ung marchant qui enferma en sa huche l'amoureux de sa femme ; et elle y mist une asne secretement, dont le mary eut depuis bien à souffrir et se trouva confus.
||||| Note de l'éditeur |||||
D'après un fabliau intitulé "les Cheveux coupés" ; voy. le recueil de Legrand d'Aussy, t. II, p. 340.
Imité depuis dans les Novelle de Domenichi ; les Ducento Novelle de Malespini, nov. LXXV ;
les Sermones convivales, T. II, p. 99 ;
les Jocoram atque seriorum libri duo, Oth. Melandro, part. II, p. 41.
La soixante et deuxiesme nouvelle par Monseigneur de Commesuram, de deux compaignons dont l'ung d'eulx laissa ung dyamant au lit de son ostesse et l'aultre le trouva, dont il sourdit entre eulx ung grant debat que le mary de ladicte ostesse appaisa par très bonne façon.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. II.
La soixante et troisiesme nouvelle, d'ung nommé Montbleru, lequel à une foire d'Envers desroba à ses compaignons leurs chemises et couvrechiefz qu'ilz avoient baillées à blanchir à la chamberiere de leur ostesse ; et comme depuis ilz pardonnerent au larron ; et puis ledit Montbleru leur compta le cas quittance.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. XCI.
La soixante et quatriesme nouvelle par messire Michault de Changy, d'ung curé qui se vouloit railler d'ung chastreur nommé Trenchecouille ; mais il eut ses genitoires coupez par le consentement de l'oste.
||||| Note de l'éditeur |||||
Cette Nouvelle, dont le sujet est emprunté à un fabliau (voy. le recueil de Legrand d'Aussy, t. IV, p. 100),
avait déjà été mise en oeuvre par Sacchetti ; on en trouve des imitations plus ou moins fidèles dans les Facétieuses nuits de Straparole ;
les Contes et joyeux devis de Bonav. Des Periers, nouv. CXIII ;
l'Apologie pour Hérodote de Henry Estienne, chap. XV ;
les Ducento Novelle de Malespini, nov. XCXIII ;
l'Enfant sans souci, 1680, in-12, p. 274.
La soixante et cinquiesme nouvelle par Monseigneur le Prevost de Vuastennes, de la femme qui ouyt compter à son mary que ung ostellier du mont Sainct-Michiel faisoit raige de ronciner ; si y alla, cuidant l'esprouver, mais son mary l'en garda trop bien, dont elle fut trop mal contente, comme vous orrez cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. XLIII, et par l'auteur des Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis LXXXVII.
La soixante et sixiesme nouvelle par Phelippe de Laon, d'ung tavernier de Sainct-Omer qui fist une question à son petit filz, dont il se repentit après qu'il eut ouy la response, de laquelle sa femme en fut très honteuse, comme vous orrez plus à plain cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. LXXV, part. II.
La soixante et septiesme nouvelle racomptée par Philippe de Laon, d'ung chapperon fourré de Paris, qui une courdouenniere *** cuida tromper, mais il se trompa luy mesmes bien lourdement, car il la maria à ung barbier ; et, cuidant d'elle estre despesché, se voulut marier ailleurs, mais elle l'en garda bien, comme vous pourrez veoir cy dessoubz, plus à plain.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. XXXV, part. II.
La soixante et huitièsme nouvelle, d'ung homme marié qui sa femme trouva avec ung aultre, et puis trouva maniere d'avoir d'elle son argent, ses bagues, ses joyaux et tout jusques à la chemise ; et puis l'envoya paistre en ce point, comme cy après vous sera recordé.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. VIII.
La soixante et neufviesme nouvelle racomptée par Monseigneur, d'ung gentil chevalier de la conté de Flandres, marié à une très belle et gente dame, lequel fut prisonnier en Turquie par longue espace, durant laquelle sa bonne et loyale femme, par l'amonestement de ses amys, se remaria à ung aultre chevalier ; et, tantost après qu'elle fut remariée, elle ouyt nouvelles que son premier mary revenoit de Turquie, dont par desplaisance se laissa mourir, pource qu'elle avoit fait nouvelle aliance.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. IX.
M. Leroux de Lincy pense que Lesage a pu tirer de cette nouvelle l'histoire de dona Mencia, qu'il a intercalée dans son Gil Blas.
La septantiesme nouvelle racomptée par Monseigneur, d'ung gentil chevalier d'Alemaigne, grant voyaigier en son temps, lequel après ung certain voyaige par luy fait, fist veu de jamais faire le signe de la croix, par la très ferme foy et credence qu'il avoit au sainct sacrement de baptesme, en laquelle credence il combatit le dyable, comme vous orrez.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. XIII, part. II.
La septante et uniesme nouvelle racomptée par Monseigneur, d'ung chevalier de Picardie qui en la ville de Saint-Omer se logea en une ostellerie où il fut amoureux de l'ostesse de leans, avec laquelle il fut très amoureusement, mais, eu faisant ce que scavez, le mary de ladicte ostesse les trouva, lequel tint maniere telle que cy après pourrez ouyr.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. XCIV ;
par Bonav. Des Periers, conte VI ;
par L. Guicciardini, Heures de récréations, 1594, p. 56 ;
et par l'auteur des Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XXXVIII.
La septante et deuxiesme nouvelle par Monseigneur de Commesuram, d'ung gentil homme de Picardie qui fut amoureux de la femme d'ung chevalier son voisin, lequel gentil homme trouva façon par bons moyens d'avoir la grace de sa dame, avec laquelle il fut assiegé, dont à grant peine trouva maniere d'en yssir ***, comme vous orrez cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini. nov. LXXXVI, et par l'auteur des Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XXXVIII.
La septante et troisiesme nouvelle par maistre Jehan Lambin, d'ung curé qui fut amoureux d'une sienne paroissienne, avec laquelle ledit curé fut trouvé par ledit mary de la gouge, par l'advertissement de ses voisins ; et de la maniere comment ledit curé eschappa, comme vous orrez cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. XIX.
La septante et quatriesme nouvelle par Phelippe de Laon, d'ung prestre Boulenois qui leva par deux fois le corps de nostre Seigneur, en chantant une messe, pource qu'il cuidoit que Monseigneur le seneschal de Boulongne fut venu tard à la messe ; et aussy comment il refusa de prendre la paix devant Monseigneur le seneschal, comme vous pourrez ouyr cy après.
La septante et cinquiesme nouvelle racomptée par Monseigneur de Thalemas, d'ung gentil galant demy fol et non gueres saige, qui en grant aventure se mist de mourir et estre pendu au gibet, pour nuyre et faire desplaisir au bailly, à la Justice et aultres plusieurs de la ville de Troyes en Chainpaigne, desquelz il estoit hay mortellement, comme plus à plain pourrez ouyr cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Bonav. Des Periers, nouv. XLI ; par Malespini, nov. LXVII ;
par Agrippa d'Aubigné, Aventures du baron de Foeneste, liv. I, ch. XII.
La septante et sixiesme nouvelle racomptée par Phelippe de Laon, d'ung prestre chapellain à ung chevalier de Bourgoigne, lequel fut amoureux de la gouge dudit chevalier ; et de l'adventure qui lui advint à cause de ses dictes amours, comme cy dessoubz vous orrez.
||||| Note de l'éditeur |||||
Tiré des Facetiae de Poggio ("Priapus in laqueo").
Imité depuis par Malespini, nov. LXXIX, part. Il,
et par Beroalde de Verville, Moyen de parvenir, t. II, p. 108, édit. sans date, in-12 de 617 pag.
La septante et septiesme nouvelle racomptée par Alardin, d'ung gentil homme des marches de Flandres, lequel faisoit sa residence en France ; mais, durant le temps que en France residoit, sa mere fut malade ès dites marches de Flandres, lequel la venoit très souvent visiter, cuidant qu'elle mourust ; et des parolles qu'il disoit et de la maniere qu'il tenoit, comme vous orrez cy dessoubz.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité de Malespini, nov. XXXIX
La septante et huitiesme nouvelle par Jean Martin, d'ung gentil homme marié, lequel s'avoulenta de faire plusieurs et loingtains voyaiges, durant lesquelz sa bonne et loyale preude femme de trois gentilz compaignons s'accointa, que cy après pourrez ouyr ; et comment elle confessa son cas à son mary, quant desditz voyaiges fut retourné, cuidant le confesser à son curé ; et de la maniere comment elle se saulva, comme cy après orrez.
||||| Note de l'éditeur |||||
Le sujet de cette Nouvelle, imitée du Decamerone de Boccace, giorn. VII nov. V,
se trouve dans un ancien fabliau, "le Chevalier qui fist sa femme confesser". Voy. le recueil de Legrand d'Aussy, t. IV, p. 90.
Elle a été imitée depuis par Malespini, nov. XCXII ;
par Bandello, nov. IX, part. I ;
et par La Fontaine, liv. I, conte IV, "le Mari confesseur".
La septante et neufviesme nouvelle par messire Michault de Changy, d'ung bon homme de Bourbonnois, lequel alla au conseil à ung saige homme dudit lieu, pour son asne qu'il avoit perdu, et comment il croioit que miraculeusement il retrouva sondit asne, comme cy après pourrez ouyr.
||||| Note de l'éditeur |||||
Tiré des Facetiae du Poggio ("Circulator").
Imité depuis par Bonav. Des Periers, nouv. LVIII ; par Bouchet, Serées, X ;
par l'auteur des Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XLI ;
par Malespini, nov, LXXXI ;
et par de Théis, dans son recueil, intitulé : , 1775, p. 66.
La huitantiesme nouvelle par messire Michault de Changy, d'une jeune fille d'Alemaigne, qui, de l'aage de XV à XVI ans, ou environ, se maria à ung gentil galant, laquelle se complaignit de ce que son mary avoit trop petit instrument à son gré, pource qu'elle veoit ung petit asne qui n'avoit que demy an, et avoit plus grand oustil que son mary qui avoit XXIV ou XXVI ans.
||||| Note de l'éditeur |||||
Tiré des Facetiae du Poggio ("Aselli Priapus").
Imité par l'auteur des Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XLIII,
et par Malespini, nov. LXXIV part. II.
La huitante et uniesme nouvelle racomptée par Monseigneur de Vaulvrain, d'ung gentil chevalier qui fut amoureux d'une très belle jeune dame mariée, lequel cuida bien parvenir à la grace d'icelle et aussi d'une aultre sienne voisine, mais il faillit à toutes deux, comme cy après vous sera recordé.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. XXXII.
La huitante et deusiesme nouvelle par Monseigneur de Lannoy, d'ung bergier qui fit marchié avec une bergiere qu'il monterait sur elle affin qu'il veist plus loing, par tel si qu'il ne l'embrocheroit non plus avant que le signe qu'elle mesmes fist de sa main sur l'instrument dudit bergier, comme cy après plus à plain pourrez ouyr.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. LXXIII, part. II.
La huitante et troisiesme nouvelle par Monseigneur de Vaulvrain, d'ung carme qui en ung vilaige prescha ; et comment après son preschement, il fut prié de disner avec une damoiselle ; et comment, en disnant, il mist grant peine de fournir et emplir son prepoint, *** comme vous orrez cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Bonav. Des Periers, devis LXXV, et par Malespini, nov. LXXXIII.
La huitante et quatriesme nouvelle par Monseigneur le marquis de Rothelin, d'ung sien mareschal qui se maria à la plus douce et amoureuse femme qui fust en tout le pays d'Alemaigne. S'il est vray ce que je dis, sans en faire grant serment, affin que par mon escript menteur ne soye reputé, vous le pourrez veoir cy dessoubz plus à plain.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. VII, part. II, et par l'auteur des Joyeuses adventures et nouvelles récréations, devis XL.
La huitante et cinquiesme nouvelle d'ung orfevre marié à une très belle, doulce et gracieuse femme et avec ce très amoureuse, par especial de son curé leur prochain voisin, avec lequel son mary la trouva couchée par l'advertissement d'ung sien serviteur, et ce, par jalousie, comme vous pourrez ouyr.
||||| Note de l'éditeur |||||
Cette Nouvelle, prise d'un ancien fabliau, le Forgeron de Creil (voy. le recueil de Lcgrand d'Aussy, t. IV, p. 160),
que Sacchetti avait déjà mis à contribution dans ses Novelle,
a été imitée depuis par Bonav. Des Periers, nouv. LXII ;
par Malespini, nov. XCIII ;
et par l'auteur anonyme de l'Enfant sans souci, 1680, in-12, p. 274.
La huitante et sixiesme nouvelle racompte et parle d'ung jeune homme de Rouen, qui print en mariaige une belle gente et jeune fille, de l'aage de quinze ans ou environ, lesquelz la mere de ladicte fille cuida bien faire desmarier par Monseigneur l'official de Rouen ; et de la sentence que ledit official en donna, après les parties par luy ouyes, comme vous pourrez veoir cy dessoubz plus à plain, en ladicte nouvelle.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. LXXXI, part. II.
La huitante et septiesme nouvelle racompte et parle d'ung gentil chevalier, lequel s'énamoura d'une très belle, jeune et gente fille, et aussy comment il luy print une moult grande maladie en ung oeil ; pour laquelle cause lui convint avoir ung medecin, lequel pareillement devint amoureux de ladicte fille, comme vous orrez ; et des parolles qui en furent entre le chevalier et le medecin, pour l'emplastre qu'il luy mist sur son bon oeil.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. XLVI.
La huitante et huictiesme nouvelle, d'ung bon simple homme paysant, marié à une plaisante et gente femme, laquelle laissoit bien le boire et le mengier pour aymer par amours ; et, de fait, pour plus asseurement estre avec son amoureux, enferma son mary au coulombier par la maniere que vous orrez.
||||| Note de l'éditeur |||||
Cette Nouvelle est prise de Boccace, Decamerone, giorn. VIII, nov. VII ;
ou de Poggio, "Fraus mulieris", dans les Facetiae.
Le même sujet avait été auparavant traité par les troubadours et les trouvères. Voy. le fabliau de "la Bourgeoise d'Orléans",
dans le recueil de Legrand d'Aussy, t. IV, p. 287,
et le récit de Raimond Vidal, dans le Choix des poésies des troubadours, publ. par Raynouard, t. III, p. 398.
La huitante et neufviesme nouvelle, d'ung curé qui oublia, par negligence, ou faulte de sens, à annoncer le karesme à ses parroissiens, jusques à la vigille de Pasques fleuries, comme cy après pourrez ouyr ; et de la maniere comment il s'excusa devers ses parroissiens.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. LXII, part. II.
La nonantiesme nouvelle, d'ung bon marchant du pays de Braibant, qui avoit sa femme très fort malade, doubtant qu'elle ne mourut, après plusieurs remonstrances et exortacions qu'il lui fist pour le salut de son ame, luy crya mercy, laquelle luy pardonna tout ce qu'il povoit luy avoir meffait, excepté tant seulement ce qu'il avoit si peu besongné en son ouvrouer, *** comme en ladicte nouvelle pourrez ouyr plus à plain.
||||| Note de l'éditeur |||||
Tiré des Facetiae de Poggio ("Venia rile negata") ;
imité depuis par Malespini, nov. XC, part. II, et dans les Addimenta Phil. Hermotimi ad Bebelii facetias, p. 285.
La nonante et uniesme nouvelle parle d'ung homme qui fut marié à une femme, laquelle estoit tant luxurieuse et tant chaulde sur potaige, que je cuide qu'elle fut née ès estuves ou à demye lieue près du soleil de midy, car il n'estoit nul, tant bon ouvrier fust-il, qui la peust refroidir ; et comment il la cuida chastier, et de la response qu'elle luy bailla.
||||| Note de l'éditeur |||||
Tiré des Facetiae de Poggio ("Novum supplicii genus").
Imité ensuite par Bouchet, Serées, Ve ;
par Beroalde de Verville, Moyen de parvenir, t. II, p. 29, édit. de 1781 ;
par de Théis, le Singe (le La Fontaine, t. I, p. 156 ;
par Sedaine, "la Femme incorrigible", conte en vers.
La nonante et deuxiesme nouvelle, d'une bourgeoise mariée qui estoit amoureuse d'ung chanoine, laquelle, pour plus couvertement aller vers ledit chanoine, s'accointa d'une sienne voisine ; et de la noyse et debat, qui entre elles sourdit pour l'amour du mestier dont elles estoient, comme vous orrez cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov LXV.
La nonante et troisiesme nouvelle, d'une gente femme mariée qui faignoit à son mary d'aller en pellerinaige pour soy trouver avec le clerc de la ville son amoureux, avec lequel son mari la trouva ; et de la maniere qu'il tint, quant ensemble les vit faire le mestier que vous scavez.
||||| Note de l'éditeur |||||
Tiré des Facetiae de Poggio ("Quomodo calceis parcitur").
Imité depuis dans le Cabinet satyrique, t. I, p. 126 ;
le Facétieux réveil-matin, édit. de 1654, p. 184 ;
Roger Bontemps en belle humeur, p. 30.
Cette nouvelle reproduit à peu près le sujet de la nouvelle XLIII, "les Cornes marchandes".
La nonante et quatriesme nouvelle, d'ung curé qui portoit courte robbe comme font ces galans à marier ; pour laquelle cause il fut cité devant son juge ordinaire ; et de la sentence qui en fut donnée ; aussi, la deffense qui luy fut faicte, et des aultres tromperies qu'il fist après, comme vous orrez plus à plain.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespici, nov. CI.
La nonante et cinquiesme nouvelle, d'ung moyne qui faignit estre très fort malade et en dangier de mort, pour parvenir à l'amour d'une sienne voisine par la maniere qui cy après s'ensuit.
||||| Note de l'éditeur |||||
Tiré des Facetiae de Poggio ("Digiti tumor").
Imité depuis par Malespini, nov. LXXXVIII, part. II,
et par Grécourt, le Mal d'aventure, conte.
La nonante et sixiesme nouvelle, d'ung simple et riche curé de villaige, qui par sa simplesse avoit enterré son chien ou cymitiere ; pour laquelle cause il fut cité par devant son evesque ; et comme il bailla la somme de cinquante escuz d'or audit evesque ; et de ce que l'evesque luy en dit, comme pourrez ouyr cy dessoubz.
||||| Note de l'éditeur |||||
Cette Nouvelle, dont le sujet se trouve dans un fabliau de Rutebeuf (voy. le recueil de Legrand d'Aussy, t. III, p. 107),
est tirée des Facetiae de Poggio ("Canis testamentun").
Elle a été depuis imitée dans les Ducento Novelle de Malespini, nov. LIX, part. II ;
dans les Facetiae de Frischlinus ;
dans les Sermones convivales, t. I, p. 151 ;
dans l'Arcadia di Brenta, 1667, in-12, p. 325 ;
dans les Facéties et mots subtils, en françois et en italien, par L. Dominichi, 1597, in-12, p. 17 ;
dans le Dictionnaire d'anecdotes, t. II, p. 451.
La nonante et septiesme nouvelle, d'une l'assemblée de bons compaignons faisans bonne chiere à la taverne et beuvans d'autant et d'autel, dont l'ung d"iceulx se combatit à sa femme, quant à son ostel fut retourné, comme vous orrez cy dessoubz.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. VI.
La nonante et huitiesme nouvelle, d'ung chevalier de ce royaulme, lequel avoit de sa femme une belle fille et très gente damoiselle aagée de XV à XVI ans, ou environ ; mais, pource que son pere la voulut marier à ung riche chevalier ancien, lequel estoit son voisin, elle s'en alla avecques ung aultre jeune chevalier son serviteur en amours, en tout bien et en tout honneur. Et comment par merveilleuse fortune ilz finirent leurs jours tous deux piteusement, sans jamais en nulle maniere avoir habitacion l'ung avecques l'aultre, comme vous orrez cy après.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. LVIII.
La nonante et neufviesme nouvelle racompte d'ung evesque d'Espaigne, qui par deffaulte de poisson mengea deux perdris en ung vendredy ; et comment il dist à ses gens qu'il les avoit converties, par parolles, de chair en poissons, comme cy dessoubz plus à plain vous sera recordé et compté.
||||| Note de l'éditeur |||||
Tiré des Facetiae de Poggio ("Sacerdotii virtus").
Imité par Bonav. Des Periers, Contes et joyeux devis ;
par H. Estienne, Apologie pour Hérodote, ch. XXXIX ;
par Malespini, nov. XXVII, part. II ;
et par Béroalde de Verville, Moyen de parvenir, ch. XXVI.
Quoique ce conte soit bien ancien, ou le retrouve à l'état de légende dans la vie de plusieurs saints,
et, en l'an de grâce 1840, on a béatifié à Rome saint Jean de la Croix, qui, entre autres miracles,
changea des perdrix en brochets, pour ne pas faire gras un vendredi.
La centiesme et derreniere de ces présentes nouvelles, d'ung riche marchant de la cité de Gennes, qui se maria à une belle et gente fille, laquelle, par la longue absence de son mary, et par son mesme advertissement, manda querir ung saige clerc, jeune et royde, pour la secourir de ce dont elle avoit mestier ; et de la jeusne qu'il luy fist faire, comme vous orrez cy après plus à plain.
||||| Note de l'éditeur |||||
Imité par Malespini, nov. XII.
En la ville de Valenciennes eut nagueres ung notable bourgeois, en son temps
receveur
de Henault, lequel entre les autres fut renommé de large et discrete prudence.
Et, entre ses louables vertuz, celle de liberalité ne fut pas la moindre, car par icelle vint en la grace des princes,
seigneurs, et aultres gens de tous estaz. En ceste eureuse felicité,
Fortune le maintint et soustint jusques en la fin de ses jours.
Devant et après ce que Mort l'eust destachié de la chaîne qui à mariaige l'accouploit,
le bon bourgeois, cause de ceste histoire, n'estoit pas si mal logié en ladicte ville,
que ung bien grant maistre ne s'en tint pour content et honnouré d'avoir ung tel logis.
Et entre les desirez et louez édifices, sa maison descouvroit sur plusieurs rues ; et là avoit une petite
poterne
vis à vis près de là, en laquelle demouroit ung moult bon
compaignon,
qui très belle femme et gente avoit et encores en meilleur point. Et, comme il est de coustume,
les yeulx d'elle, archiers de coeur, descoicherent tant de fleches en la personne dudit bourgeois,
que, sans prochain remede, son cas n'estoit pas moindre que mortel. Pour laquelle chose seurement
obvier,
trouva par plusieurs et subtiles façons, que le
compaignon,
mary de ladicte
gouge,
fut son amy très
privé
et familier ; et tant, que peu de diners, de
souppers,
de bancquetz, de bains,
d'estuves,
et aultres passetemps en son ostel et ailleurs ne se feissent jamais sans sa compaignie.
Et, à ceste occasion, se tenoit ledit
compaignon
bien fier et encores autant eureux.
Quant nostre bourgeois, plus subtil que ung regnart, eust gaignié la grace du
compaignon,
bien peu se soussia de parvenir à l'amour de sa femme ; et, en peu de jours, tant et si très bien
laboura,
que la vaillant femme fut contente d'ouyr et entendre son cas, pour y
bailler
remede convenable. Ne restoit plus que temps et lieu ; et fut à ce menée, qu'elle luy promist,
tantost que
son mary iroit quelque part dehors pour sejourner une nuyt, elle
incontinent
l'en avertiroit.
À chief de piece, ce désiré jour fut assigné, et dit le compaignon à sa femme, qu'il s'en alloit à ung chasteau loingtain de Valenciennes environ troys lieues. Et la chargea bien de soy tenir à l'ostel et garder la maison, pource que ses affaires ne povoieut souffrir que cette nuyt il retournast. S'elle en fut bien joyeuse, sans en faire semblant ne maniere en parolles ne aultrement, il ne le fault jà demander, car il n'avoit pas encore cheminé une lieue d'assez, quant le bourgeois sceust ceste adventure de pieça désirée. Il fist tantost tirer les bains, chauffer les estuves, faire pastez, tartes, ypocras, et le surplus des biens de Dieu, si largement que l'appareil sembloit ung droit desroy. Quant vint sur le soir, la poterne fut desserrée, et celle, qui pour la nuyt y devoit le guet, saillit dedans ; et Dieu scait qu'elle fut doulcement receuc. Je m'en passe en brief, et espoire plus, qu'ilz firent plusieurs devises d'aucunes choses qu'ilz n'avoient pas en ceste eureuse journée à leur première voulenté. Après ce que en la chambre furent descenduz, tantost se bouterent au bain, devant lequel beau souper fut en haste couvert et servy. Et Dieu scait qu'on y beut d'autant largement et souvent. De vins et viandes parler, n'en seroit que redicte ; et pour faire le compte brief, faulte n'y avoit que du trop. En ce très gracieux estat se passa la pluspart de ceste doulce et courte nuyt : baisiers donnez, baisiers renduz, tant et si longuement que chascun ne desiroit que le lit.
Tandiz que ceste grande
chiere
se faisoit,
Vecy
bon mary, jà retourné de son voyaige, non querant ceste sa bonne adventure, qui heurte bien fort à
l'uys
de sa chambre. Et, pour la compaignie qui y estoit, l'entrée de
prinsault
luy fut refusée jusques à ce qu'il nommast son parrain.
Adonc se nomma haut et clair ; et très bien l'entendirent et recongneurent sa bonne femme et le bourgeois.
La gouge
fut tant fort effrayée à la voix de son mary,
que à peu que
son loyal cueur ne
failloit ;
et ne scavoit jà plus sa
contenance,
se
le bon bourgeois et ses gens ne l'eussent reconfortée. Mais le bon bourgeois, tant asseuré,
et de son fait très advisé, la fist bien en haste couchier ; et au plus près d'elle
se bouta,
et luy charga qu'elle se joingnist près de luy et caichast le visaige, qu'on n'en peult rien appercevoir.
Et cela fait au plus
brief
que on peult, sans soy trop haster, il commanda ouvrir la porte. Et le bon
compaignon
sault
dedans la chambre, pensant en soy que aucun mistere y avoit, quant devant
l'huys
l'avoient retenu si longuement. Et quand il vit la table tant chargée de vins et de grans viandes,
ensemble le beau bain très bien paré, et le bourgeois ou très beau lit
encourtiné
avec sa seconde personne, Dieu scait s'il parla hault et
blasonna
les armes
de son bon voisin : lors l'appela
ribault,
loudier,
après putier, après yvrongne, et tant bien le baptiza,
que tous ceulx à la chambre, et luy avecques, s'en rioient bien fort. Mais sa femme, à ceste heure,
n'avoit pas ce loisir, tant estoient ses levres empeschées de soy joindre près de son amy nouvel :
« Ha ! ha ! dist-il, maistre
houllier,
vous m'avez bien
celée
ceste bonne
chiere ;
mais, par ma foy, si je n'ay esté à la grant feste, si fault-il bien que l'en me monstre l'espousée. »
Et, à ce coup, tenant la chandelle ardant en sa main, se tira près du lit : et jà se vouloit avancier de haulcier la couverture soubz laquelle faisoit grant penitance et silence sa très parfaite et bonne femme, quant le bourgeois et ses gens l'en garderent : dont le compaignon ne s'en contentoit pas trop ; et à force, maulgré chascun, tousjours avoit la main au lit. Mais il ne fut pas maistre pour lors, ne creu de faire son vouloir : et pour cause. Sur quoy ung appointement très gracieux et bien nouveau fut fait, de quoy assez se contenta, qui fut tel : le bon bourgeois fut content que on luy monstrast à descouvert le derriere de sa femme, les rains et les cuisses, qui blanches et grosses estoient, et le surplus bel et honneste, sans riens descouvrir ne veoir le visaige. Le bon compaignon, toujours la chandelle en sa main, fut assez longuement sans dire mot. Et quant il parla, ce fut en louant beaucoup la très grande beaulté de ceste femme ; et afferma, par ung bien grant serment, que jamais n'avoit veu chose si bien ressembler au cul de sa femme ; et s'il ne feust bien seur qu'elle feust en son ostel, à ceste heure, il diroit que ce seroit elle ! Mais elle fut tantost recouverte, et adonc se tira arriere, assez pensif. Et Dieu scait se on luy disoit bien, puis l'ung, puis l'autre, que c'estoient de luy mal congneu, et à sa femme peu d'honneur porter ; et que c'estoit bien aultre chose, que cy après assez il pourroit veoir. Pour reffaire les yeulx abusez de ce povre martir, le bourgeois commanda qu'on le feist seoir à la table, où il reprint nouvelle ymaginacion par boire et mengier largement du soupper de ceulx, qui entretemps au lit se devisoient à son grant prejudice.
Puis, l'heure vint de partir, et donna la bonne nuyt au bourgeois et à sa compaignie ; et pria moult doulcement qu'on le boutast hors de leans par la poterne, pour plus tost trouver sa maison. Mais le bourgeois luy respondit qu'il ne scauroit à ceste heure trouver la clef ; pensoit aussy que la serreure feust tant enrouillie qu'on ne la pourroit ouvrir, pource que nulle fois ou peu souvent s'ouvrait. Il fut, au fort, contraint de saillir par la porte de devant et d'aller le grant tour à sa maison. Tandis que les gens au bourgeois le conduisoient vers la porte, tenant le bec en l'eaue par devises ; et la bonne femme fut incontinent mise sur piez, et en peu de heure habillée et lacée sa cotte simple, son corset en son bras, et venue à la poterne ; puis, ne fist que ung sault en sa maison où elle attendoit son mary qui le long tour venoit, très advisée de son fait, et des manieres qu'elle avoit à tenir.
Vecy
nostre homme, voyant encore la lumiere et la clarté en sa maison, heurte assez rudement.
Et sa bonne femme qui
mesnaigeoit
par leans,
en sa main tenant ung
ramon,
demande ce qu'elle bien scait :
« Qui est-ce là ? » Et il respondit :
« C'est vostre mary.
- Mon mary ? dist-elle ; mon mary, n'est-ce pas ; il n'est pas en la ville. »
Et il heurte
de rechief
et dit :
« Ouvrez, ouvrez, je suis vostre mary.
- Je congnois bien mon mary, dist-elle ; ce n'est pas sa coutume de soy
enclorre
si tart, quant il seroit en la ville ; allez ailleurs, vous n'estes pas bien arrivé :
ce n'est point ceans, qu'on doit heurter à ceste heure. »
Et il heurte pour la tierce fois et l'appella par son nom, une fois, deux fois.
Adonc fist-elle aucunement semblant de le congnoistre, en demandant dont il venoit à ceste heure ?
Et pour response ne bailloit aultre chose que :
« Ouvrez ! ouvrez !
- Ouvrez ! dit-elle ; encores, n'y estes-vous pas, meschant
houillier ?
Par la force saincte Marie, j'aymeroie mieulx vous veoir noyer, que ceans vous
bouter !
Allez coucher
en mal repos,
dont vous venez ! »
Et lors le bon mary de soy courroucer ; et
fiert
tant qu'il peut de son pié contre la porte, et semble qu'il doyve tout abatre :
et menassa sa bonne femme de la tant batre que c'est raige, dont elle n'a gueres grant paour ; mais,
au fort,
pour apaisier la
noyse
et à son aise mieulx dire sa pensée, elle ouvrit
l'uys.
Et à l'entrée qu'il fist, Dieu scait qu'il fut servy d'une
chiere
bien rechignée, et d'ung
agu
et enflambé visaige. Et quant la langue d'elle eut povoir sur le cueur chargié très fort
d'yre
et de courroux, par
semblant,
les parolles qu'elle descocha ne furent pas moins tranchantes que rasoirs de Guingant bien affiliez.
Et entre aultres choses, fort luy reprouchoit qu'il avoit par malice conclut ceste faincte allée pour l'esprouver ;
et que c'estoit fait d'ung lasche et
recreu couraige,
indigne d'estre alié à si preude femme comme elle. Le bon
compaignon,
jà soit ce que
feust fort courroucié et
mal meu,
par avant, toutefois pource qu'il veoit son tort à l'oeil et le rebours de sa pensée, refraint son
yre ;
et le courroux qu'en son cueur avoit conceu, quant à sa porte tant heurtoit, fut tout à coup en courtois parler converty.
Car il dist, pour soy excuser, et pour sa femme contenter, qu'il estoit retourné de son chemin,
pource qu'il avoit oublié lai lettre principale qui touchoit plus le fait de son voyaige.
Sans faire semblant de le croire, elle recommence sa
legende dorée,
luy mettant sus
qu'il venoit de la taverne et de lieux deshonnestes et dissoluz ; et qu'il se gouvernoit mal en homme de bien, mauldissant l'heure que
oncques
elle eut son
accointance
et sa très mauldicte aliance. Le povre desolé, congnoissant son
cas,
voyant sa bonne femme trop plus qu'il ne
voulsist
troublée, helas ! et à sa cause ne scavoit que dire. Si se prent à penser, et
à chief de pensée
ou meditation,
se tire près d'elle,
ployant ses genoulz tout en bas sur la terre, et dit les beaulx motz qu'ilz s'ensuyvent :
« Ma chiere compaigne, et très loyale espouse, je vous prie,
ostez
vostre cueur de tous ces courroux que avez vers moy conceuz, et me pardonnez au surplus ce que vous puis avoir
meffait
ne mesdit. Je congnois mon
cas,
et viens nagueres d'une place où l'en faisoit bien bonne
chiere .
Si vous ose bien dire que congnoistre vous y
cuiday,
dont j'estoie très
desplaisant.
Et, pour ce que à tort et sans cause, je le confesse,
vous ay suspeçonnée d'estre aultre que bonne, dont me repens amerement, je vous supplie, et
au fort,
que, tous aultres passez courroux et cestuy-cy oubliez, vostre grace me soit donnée, et me pardonnez ma folie. »
Le mautalant
de nostre bonne
gouge,
voyant son mary en bon
ploy
et à son droit, ne se monstra
meshuy
si aspre ne si venimeuse :
« Comme,
dit-elle,
villain
putier,
se vous venez de vos tres deshonnestes lieux et infames, est-il dit pourtant que vous devez oser penser,
ne en quelque façon croire, que vostre bonne preude femme les daignast regarder ? Nonny, par Dieu.
- Hélas ! ce scay-je bien, ma mye ; n'en parlons plus, pour Dieu ! » dist le bon homme.
Et, de plus belle, vers elle s'encline, faisant la requeste
jà pieça
que trop dicte. Elle,
jà soit ce que
encores
marrye
et presque enraigée de cette suspection, voyant la
parfonde
contrition du bon homme, cessa son parler, et petit à petit son troublé cueur se remist à nature ; et luy pardonna,
combien que
à grant regret, après cent mille sermons et autant de promesses,
que celuy qui
tant l'avoit
grevée.
Et *** par ce point, à moins de crainte et de regret, elle passa maintesfois depuis la poterne, sans que l'embusche feust jamais descouverte à celui à qui plus touchoit. Et ce souffise quant à la premiere histoire.
En la maistresse ville du royaume d'Angleterre, nommée Londres, assez hantée et congneue de plusieurs gens, n'a pas long temps, demouroit ung riche et puissant, homme, qui marchant et bourgois estoit, qui, entre ses riches bagues et innumerables tresors, s'esjoyssoit et se tenoit plus enrichy d'une belle fille que Dieu lui avoit envoyée, que du bien grant surplus de sa chevance, car, de bonté, beaulté, et genteté, passoit toutes les filles, d'elle plus aagées.
Et ou temps que ce très eureux bruit et vertueuse renommée d'elle sourdoit, en son quinziesme an ou environ, Dieu scait se plusieurs gens de bien desiroient et pourchassoient sa grace par plusieurs et toutes façons en amours accoustumées ; qui n'estoit pas ung plaisir petit au pere et à la mere. Et, à ceste occasion, de plus en plus croissoit en eulx l'ardante et paternelle amour, que à leur très aymée fille portoient.
Advint toutesfois, ou que Dieu le permist, ou que fortune le voulsist et commandast, envieuse et mal contente de la prosperité de cette belle fille, de ses parais, ou de tous deux ensemble, ou espoir de une secrette cause et raison naturelle, dont je laissé l'inquisicion aux philosophes et medecins, qu'elle cheut en une dangereuse et desplaisante maladie que communement on appelle broches.
La doulce maison fut très largement troublée, quant en la garenne que plus chiere tenoient lesditz parens, avoient osé laschier ses levriers et limiers ce desplaisant mal, et, qui plus est, touchier sa proye en dangereux et dommageable lieu. La povre fille, de ce grand mal toute affolée, ne scait sa contenance que de plourer et souspirer. Sa très Dolente mere est si très fort troublée, que d'elle il n'est rien plus desplaisant ; et son très ennuyé pere detort ses mains et detire ses cheveux, pour la raige de ce nouveau courroux. Que vous diray-je ? Toute la grant triumphe qu'en cest ostel souloit tant comblement abonder est par ce cas flappie et ternie, et en amere et subite tristesse à la male heure convertie. Or viennent les parens, amys, et voisins de ce doulent ostel visiter et conforter la compaignie, mais peu ou rien prouffitoit, car de plus en plus est aggressée et oppressée, la bonne fille, de ce mal.
Adoncques vient une matrone qui moult et trop enquiert de ceste maladie ; et fait virer et revirer, puis çà, puis là, la très dolente et povre paciente, à grant regret, Dieu le scait, et puis luy baille medecines de cent mille façons d'erbes, mais riens ; plus vient avant, et plus empire : si est force que les medecins de la ville et du pays environ soient mandez, et que la povre fille descouvre et monstre son très piteux cas. Or sont venuz maistre Pierre, maistre Jehan, maistre cy, maistre là, tant de physiciens que vous vouldrez, qui veulent bien veoir la paciente, ensemble et les parties du corps à descouvert où ce mauklit mal de broches s'estoit, helas ! longuement embusché. Ceste povre fille fut plus surprinse et esbabie que se à la mort feust adjugée ; et ne se vouloit accorder qu'on la mist en façon que son mal feust apperceu, mesmes aymoit plus chier mourir que ung tel secret feust à ung homme descouvert. Ceste obstinée voulenté ne dura pas gramment, quant pere et mere vindrent, qui plusieurs remonstrances luy firent, comme de dire qu'elle pourroit estre cause de sa mort, qui n'est pas ung petit peché, et plusieurs aultres y eut trop longs à racompter. Finablement, trop plus pour pere et mère que pour crainte de mort vaincue, la povre fille se laissa ferrer ; et fut mise sur une couche, les dens dessoubz, et son corps tant et si très avant descouvert, que les medicins virent apertement le grant meschief qui fort la tourmentoit. Ilz ordonnerent son regime faire aux appotiquaires : clysteres, pouldres, oygnemens et le surplus que bon sembla, elle print, et fist tout ce que on voulut, pour recouvrer santé. Mais tout rien n'y vault, car il n'est tour ne engin que les dictz medicins saichent pour allegier quelque peu de ce destresseux mal, ne en leurs livres n'ont veu ne accoustumé que riens, si trèsfort, que la povre fille empire, mais que l'ennuy qu'elle s'en donne que autant semble estre morte que vive.
En ceste aspre langueur et douleur forte se passerent beaucoup de jours. Et comme le pere et la mere, parens et voisins
s'enqueroient
partout pour
l'alegance
de la fille, si rencontrerent ung très ancien
cordelier,
qui borgne estoit ; et en son temps avoit veu moult de choses, et de sa principale science se mesloit fort de medicine.
Dont sa presence fut plus agreable aux parens de la paciente, laquelle, helas !
à tel regret que dessus, regarda tout à son beau loisir, et se fist fort de la guarir.
Pensez qu'il fut très voulentiers ouy, et tant que la
dolente
assemblée,
qui de
lyesse
pieça
banie estoit, fut
*** a ce point
quelque peu consolée, esperant le fait sortir tel que sa parolle le touchoit. Adonc maistre
cordelier
se partit de
leans ;
et print jour a demain de retourner, fourny et pourveu de medicine si très vertueuse, qu'elle en
peu d'heure effacera la grant douleur qui tant
martire
et desbrise la povre paciente. La nuyt fut beaucoup longue, attendant le jour desiré ;
neantmoins passerent tant d'heures à quelque peine que ce fut, que nostre bon
cordelier
fut acquitté de sa promesse pour soy rendre, devers la paciente a l'heure assignée. S'il fut joyeusement receu, pensez que ouy.
Et quant vint l'heure qu'il voulut
besongner
et la paciente mediciner, on la print comme l'aultre fois, et sur la couche, tout au plus
bel qu'on peust, fut
a bougons
couchée, et son derriere descouvert assez avant, lequel fut
incontinent,
des matrones, d'ung très beau blanc, drap linge garny, tapissé et armé ;
et, à l'endroit du secret mal, fut fait ung beau
pertuis,
par lequel maistre
cordelier
povoit
appertement
le
choisir.
Et il regarde ce mal, puis d'ung
cousté,
puis d'aultre ; maintenant le touche du doy tout doulcement, une autre fois prent la pouldre dont mediciner la vouloit.
Ores regarde le tuyau dont il veult souffler icelle pouldre par sus et dedans le mal ; ores retourne arriere et jecte l'oeil
de rechief
sur cedit mal, et ne se scait saouler d'assez le regarder.
À chief de piece,
il prend sa pouldre à la main gauche, mise en ung beau petit vaisseau plat, et de l'aultre son tuyau qu'il vouloit emplir de ladicte pouldre ;
et comme il regardoit très ententivement et de très près par ce
pertuis
et à l'environ le destresseux mal de la povre fille ; et elle ne se peut contenir, voyant l'estrange façon de regarder,
à-tout
ung oeil, de nostre
cordelier,
que force de rire ne la surprist, qu'elle
cuida
bien longuement retenir,
mais si mal, helas ! lui advint que ce riz, à force retenu, fut converty en ung
sonnet,
dont le vent retourna si très
à point
la pouldre, que la pluspart il fit voler contre le visaige et seul bon oeil de ce bon
cordelier,
lequel, sentant ceste douleur, abandonna tantost et vaisseau et tuyau ; et
à peu qu'il
ne cheut à la reverse, tant fut fort effrayé. Et quant il
eut son sang,
il met tost en haste la main à son oeil, soy plaingnant durement, disant qu'il estoit homme
deffait,
et en dangier de perdre ung seul bon oeil qu'il avoit. Il ne mentit pas, car en peu de
jours la pouldre, qui corrosive estoit, luy gasta et mengea trestout l'oeil, et
*** par ce point,
l'aultre qui jà estoit perdu, aveugle fut, et ainsi demoura ledit
cordelier.
Si se fist guider et mener, ung certain jour après ce, jusques à
l'ostel
où il conquist ce beau butin ; et parla au maistre de
leans,
auquel il remonstra son piteux cas, priant et requérant, ainsi que droit le porte,
qu'il lui baille et assigne, ainsi qu'à son estat appartient, sa vie honnorabletnent.
Le bourgois respondit que de ceste son adventure beaucoup luy desplaisoit, combien qu'en riens il n'en soit cause,
ne,
en quelque façon que ce soit, chargié ne s'en tient. Trop bien est-il
content
luy faire quelque gracieux ayde d'argent,
pource qu'il avoit emprins de garir sa fille, ce qu'il n'avoit pas fait, et que à luy ne veult estre tenu en riens ; lui veult
bailler
autant en somme, que s'il luy eust sa fille en santé rendue, non pas, comme dit est, qu'il soit tenu de ce faire. Maistre
cordelier,
non content de ceste offre, demande qu'il luy assignast sa vie, remonstrant comment sa fille l'avoit aveuglé
en sa presence, et, à ceste occasion, privé estoit de la digne et très saincte consecracion du precieux corps de Jesus,
du sainct
service
de l'Église, et de la glorieuse
inquisicion
des docteurs qui ont escript sur la saincte theologie ; et,
par ce point,***
de predicacion, plus ne povoit servir le peuple :
qui estoit sa totale destruction, car il est
mendiant
et non fondé, sinon sur aumosnes que plus conquerre ne povoit. Quelque chose qu'il allegue ne remonstre, il ne peut
finer
d'autre response que ceste precedente. Si se tira par devers la justice du parlement dudit Londres, devant lequel fist
bailler
jour à nostre homme dessusdit. Et quant il vint heure de plaider sa cause par ung bon advocat bien informé de ce qu'il devoit dire,
Dieu scait que plusieurs se rendirent au consistoire, pour ouyr ce nouveau procès, qui beaucoup pleust aux seigneurs dudit parlement,
tant pour la nouvelleté du cas, que pour les allegacions et argumens des parties devant eulx debatans, qui non acoustumées,
mais plaisantes estaient Ce procès tant plaisant et nouvel, affin qu'il feust de plusieurs gens congneu,
fut tenu et maintenu assez et longuement, non pas qu'à son tour de
roule
ne fut bien renvoyé et mis en jeu ; mais le juge le fist differer jusques à la façon de
cestes.
Et par ce point, *** celle qui auparavant, par sa beaulté, bonté et genteté, congneue estoit de plusieurs gens, devint notoire à tout le monde par ce mauldit mal de broches, dont en la fin fut garie, ainsi que depuis me fut compté.
En la duchié de Bourgoigne eust nagueres ung gentil chevalier, dont l'histoire passe le nom, qui marié estoit à une belle et gente dame. Et assez près du chasteau où ledit chevalier faisoit résidence, demouroit ung musnier, pareillement à une belle, gente et jeune femme marié.
Advint, une fois
entre les aultres,
que comme le chevalier, pour passer temps et prendre son
esbatement,
se pourmenast entour son ostel, et, du long de la rivière sur laquelle estoit assise la maison et moulin dudit
musnier,
qui à ce coup n'estoit pas à son ostel, mais à Dijon ou à Beaune, ledit chevalier apperceut la femme dudit
musnier,
portant deux cruches et retournant de la riviere querir de l'eaue.
Si se avança vers elle et doulcement la salua ; et, elle, comme saige et bien aprinse,
luy fist l'onneur et reverence qui luy appartenoit. Nostre bon chevalier, voyant ceste
musnière
tres belle et
en bon point,
mais de sens assez
escharssement bourdée,
se pensa de
bonnes,
et lui dit :
« Certes, m'amie, j'apperçoy bien que vous estes malade et en grant péril ? »
À ces parolles, la
musnière
s'approcha de luy et luy dist :
« Helas ! Monseigneur, et que me fault-il ?
- Vrayement, m'amie, j'apperçoy bien, se vous cheminez gueres avant, que
vostre devant est en très grant dangier de cheoir ; et vous ose bien
dire que vous ne le porterez gueres longuement, qu'il ne vous chée, tant m'y cognois-je. »
La simple
musnière,
ouyant
les parolles de Monseigneur, devint tres esbahie et courroucée : esbahie comment Monseigneur povoit scavoir ne veoir ce
meschief
advenir, et courroucée d'ouyr la perte du meilleur membre de son corps, et dont elle se
servoit mieulx et son mary aussi. Si respondist :
« Helas ! Monseigneur, et à quoy congnoissez-vous que mon devant est en dangier de cheoir ?
Il me semble qu'il tient tant bien.
- dea,
m'amie,
souffise-vous à tant,
et soyez seure que je vous dy la verité ; et ne seriez pas la premiere à qui le cas est advenu.
- Helas ! dist-elle, Monseigneur, or suis-je femme deffaicte, deshonorée et perdue !
Et que dira mon mary, Nostre Dame ! quant il scaura ce
meschief ?
Il ne tiendra plus compte de moy.
- Ne vous desconfortez que bien à point, m'amie, dist Monseigneur ; encores n'est pas le cas advenu, aussi, y a-il bon remede. »
Quant la jeune
musnière
ouyt que on trouveroit bien remede en son fait, le sang luy commença à revenir :
et ainsi qu'elle sceul, pria Monseigneur, pour Dieu, que de sa grace luy
voulsist
enseigner qu'elle doit faire pour garder ce povre devant de cheoir. Monseigneur, qui très courtois et gracieux estoit,
mesmement tousjours
vers les dames, luy dit :
« M'amie, pource vous estes belle et bonne, et que j'ayme bien vostre mary, il me prent pitié et compassion de vostre fait :
si vous enseigneray comment vous garderez vostre devant de cheoir.
- Helas ! Monseigneur, je vous en mercie, et certes vous ferez une oeuvre bien meritoire,
car autant me vauldroit non estre, que de vivre sans mon devant. Et que dois-je donc faire, Monseigneur ?
- M'amie, dist-il, affin de garder vostre devant de cheoir, le remede si est que,
au plus tost que pourrez, le fort et souvent faire recoingnier.
- Recoingnier, Monseigneur ! Et qui le scauroit faire ?
À qui me fauldroit-il parler, pour bien faire cette besoingne ?
- Je vous diray, m'amie, dist Monseigneur, pource que je vous ay advertie de vostre
meschief,
qui très prouchain et grief estoit, ensemble aussi et du remede necessaire pour
obvier
aux inconveniens qui
sourdre
en pourraient, je suis
content,
affin de plus en mieulx nourrir amour entre nous deux, vous recoingnier votre devant ;
et le vous rendray en tel estat, que partout le pourrez tout seurement porter, sans avoir crainte ne
doubte
que jamais il puisse cheoir ; et de ce me fais-je bien fort. »
Se nostre musnière fut bien joyeuse, il ne le fault pas demander, qui mettoit si très grant peine du peu du sens qu'elle avoit, de souffisamment remercier Monseigneur. Si marcherent tant, Monseigneur et elle, qu'ilz vindrent au moulin où ils ne furent gueres sans mettre la main à l'oeuvre, car Monseigneur, par sa courtoisie, d'ung oustil qu'il avoit, recoingna en peu d'heure, troys ou quatre fois, le devant de nostre musnière qui très joyeuse et lyée en fut. Et, après que l'oeuvre fut ployée, et de devises ung millier, et jour assigné d'encores ouvrer à ce devant, Monseigneur part, et tout le beau pas s'en retourna vers son ostel. Et, au jour nommé, se rendit Monseigneur vers sa musnière, en la façon que dessus, et au mieulx qu'il peut il s'employa à recoingnier ce devant ; et tant et si bien y ouvra, par continuacion de temps, que ce devant fut tout asseuré et tenoit ferme et bien.
Pendant le temps que Monseigneur recoingnoit le devant de ceste
musnière,
le
musnier
retourna de sa marchandise et fit grand
chiere
et aussi fist sa femme. Et comme ilz eurent
devisé
de leurs besoingnes,
la très saige
musnière
va dire à son mary :
« Par ma foy, sire, nous sommes bien obligez à Monseigneur de ceste ville !
- Voire,
m'amie, dit le musnier, en quelle façon ?
- C'est bien raison que le vous die, affin que l'en merciez, car vous y estes tenu.
Il est vray que, tandis qu'avez esté dehors, Monseigneur passoit par cy droit à la court,
ainsi que
à-tout
deux cruches je alloye à la riviere ; il me salua : si fis-je luy, et, comme je marchoie, il apperceut que mon devant ne tenoit comme rien,
et qu'il estoit en trop grant aventure de cheoir ; et le me dist de sa grace, dont je fuz si très esbahie,
voire,
par dieu, autant courroucée que se tout le monde feust mort. Le bon seigneur, qui me veoit on
en point
lamenter, en eut pitié ; et, de fait, m'enseigna ung beau remede pour me garder de ce mauldit dangier.
Et encores me fist-il bien plus qu'il n'eust point fait à une aultre, car le remede dont il me advertit,
qui estoit faire recoingnier et recheviller mon devant, affin de le garder de cheoir,
lui-mesmes le mist à execution ; qui lui fut très grant peine et en sua plusieurs fois, pource que mon cas requeroit d'estre souvent visité.
Que vous diray-je plus ? il s'en est tant bien acquitté, que jamais ne luy scauriez
desservir.
Par ma foy, il m'a tel jour de ceste sepmaine recoingnié les trois, les quatre fois ;
ung aultre, deux ; ung autre, trois ; il ne m'a jà laissée, tant que j'aye esté toute guarie ;
et si m'a mis en tel estat, que mon devant tient à ceste heure, tout aussi bien et aussi fermement que celuy de femme de nostre ville. »
Le
musnier,
oyant cette adventure, ne fist pas
semblant
par dehors, tel que son cueur au par-dedans portoit ; mais, comme s'il feust bien joyeux, dit à sa femme :
« Or ça, m'amie, je suis bien joyeux que Monseigneur nous a fait ce plaisir, et, se Dieu plaist, quant il sera possible, je feray autant pour luy.
Mais, pource que vostre cas n'estoit pas bonneste, gardez-vous bien d'en riens dire à personne, et aussi, puisque vous estes guarie, il n'est jà
mestier
que vous
travaillez
plus Monseigneur.
- Vous n'avez garde, dist la
musnière,
que j'en die jamais ung mot, car aussi le me deffendit bien Monseigneur. »
Nostre musnier, qui estoit gentil compaignon, à qui les crignons de sa teste ramentevoient souvent et trop la courtoisie que Monseigneur luy avoit faicte, si saigement se conduisit, qu'oncques mondit seigneur ne s'apperceut qu'il se doubtast de la tromperie qu'il luy avoit faicte, et cuidoit en soy-mesmes qu'il n'en sceust rien. Mais helas ! si faisoit et n'avoit ailleurs son cueur, son estudie, ne toutes ses pensées, que à soy vengier de luy, s'il scavoit, en façon telle ou semblable qu'il luy deceut sa femme. Et tant fist, par son engin, qui point oyseux n'estoit, qu'il advisa à une maniere par laquelle bien luy sembloit que s'il en povoit venir à chief, que Monseigneur auroit beurre pour oeufz. À chief de piece, pour aucuns affaires qui survindrent à Monseigneur, il monta à cheval, et print de Madame congié bien pour ung mois : dont le musnier ne fut pas peu joyeux.
Un jour,
entre les aultres,
Madame eut volenté de soy baingnier, et fit
tirer le baing
et chauffer les
estuves
en son ostel, à part ; ce que nostre
musnier
sceust très bien, pource que assez familier estoit de
leans.
Si s'advisa de prendre ung beau brochet qu'il avoit en sa fosse,
et vint ou chasteau pour le presenter à ma dame. Aucunes des femmes de ma dame vouloient prendre le brochet, et de par le
musnier
en faire present, mais il dist que luy-mesmes il le presenteroit, ou vrayment il le remporteroit.
Au fort,
pource qu'il estoit comme de
leans,
et joyeux homme, ma dame le fist venir, qui dedans son bain estoit. Le gracieux
musnier
fist son present, dont ma dame le mercia, et fist porter en la cuisine le beau brochet, et
mectre à point
pour le
soupper.
Et,
entretant que
ma dame au
musnier
devisoit,
il apperceut sur le bord de la cuve ung très beau dyamant qu'elle avoit osté de son doy,
doubtant
de l'eaue le gaster. Si le croqua si soupplement, qu'il ne fut de ame aperceu ; et quant il vit
son point,
il donna la bonne nuyt à ma dame et à sa compaignie, et s'en retourna en son moulin, pensant au
surplus
de son affaire. Ma dame, qui faisoit grant
chiere
avec ses femmes, voyant qu'il estoit jà bien tard et heure de
souper,
abandonna le bain, et en son lit
se bouta.
Et, comme elle regardoit ses bras et ses mains, elle ne vit point son dyamant : si appella ses femmes
et leur demanda après ce dyamant, et à laquelle elle l'avoit baillé. Chascune dist :
« Ce ne fust pas à moy !
- N'a moy.
- Ne à moy aussi. »
On cherche hault et bas, dedans la cuve, sur la cuve, mais riens n'y vault :
on ne le scait trouver. La queste de ce dyamant dura beaucoup, sans qu'on en sceust quelque nouvelle,
dont ma dame s'en donnoit bien mauvais temps, pource qu'il estoit meschamment perdu,
et en sa chambre. Et aussi Monseigneur son mari luy donna au jour de ses espousailles :
si
l'en tenoit beaucoup plus cher. On ne scait qui
mescroire,
ne à qui le demander, dont grant dueil
sourd
par leans.
L'une des femmes s'advisa et dist :
« Ame n'est ceans entré, que nous qui y sommes, et le
musnier ?
Ce me sembleroit bon qu'il fut mandé. »
On le manda, et il vint. Ma dame, si très courroucée et desplaisanle estoit que plus ne povoit : demanda au
musnier,
s'il avoit point veu son dyamant ? Et luy, asseuré autant en
bourdes,
que ung aultre à dire verité,
s'en excusa tres haultement. Et mesmes osa bien demander à ma dame, s'elle le tenoit pour larron :
« Certes,
musnier,
dit-elle, nenny ! Aussi, ce ne seroit pas larrecin, si vous l'aviez par
esbatement emporté.
- Ma dame, dist le
musnier,
je vous promeiz que de vostre dyamant ne scay-je nouvelle. »
Adonc fut la compaignie bien
simple
et ma dame especialement, qui en est si très
desplaisante,
qu'elle n'en scait
sa contenance,
que de jetter larmes à grant abondance, tant à regret de ceste
verge.
La triste compaignie se met à conseil pour scavoir qu'il est de faire. L'une dist :
« Il fault qu'il soit en la chambre ? »
L'aultre respond qu'elle a cherchié partout. Le
musnier
demande à ma dame, s'elle l'avoit à l'entrée du bain ? Et elle dist que ouy.
« S'ainsi est certainement, ma dame, veu
la grant diligence
qu'on a fait de le querir sans en scavoir nouvelle, la chose est bien estrange.
Toutesfois, il me semble bien que s'il y avoit homme en ceste ville qui sceust donner conseil pour le recouvrer, que je seroye celluy ;
et pource que je ne vouldroye pas que ma science fust divulguée, il serait bon que je parlasse à vous
à part.
- À cela ne tiendra pas, » dit ma dame.
Si fist partir la compaignie, et, au partir que firent les femmes, disoient dames Jehanne, Ysabcau, et Catherine :
« Helas !
musnier,
que vous seriez bon homme, se vous faisiez revenir ce dyamant ?
- Je ne m'en fais pas fort, dist le
musnier,
mais j'ose bien dire que s'il est possible de jamais le trouver, que j'en apprendray
la maniere. »
Quant il se vit à part avecques ma dame, il lui dist qu'il se doubtoit beaucoup et pensoit,
puis que, a l'arriver au baing, elle avoit son dyamant, qu'il ne fust
sailly
de son doy et
cheu
en l'eaue ; et dedans son corps s'est
bouté,
attendu qu'il n'y avoit ame qui le
voulsist
retenir. Et,
la diligence faicte
pour le trouver, se fist ma dame monter sur son lit : ce qu'elle eust voulentiers refusé,
se n'eust esté pour mieulx faire. Et après qu'il feust assez descouverte, fist
comme maniere de
regarder çà et là, et dist :
« Seurement, ma dame, le dyamant est entré en vostre corps.
- Et dictes-vous,
musnier,
que vous l'avez apperceu ?
- Ouy, vrayement.
- Helas ! dist-elle, et comment l'en pourra l'en
tirer ?
- Très bien, ma dame ; je ne doubte pas que je n'en vienne bien
à chief,
s'il vous plaist.
- Se m'aist Dieu,
il n'est chose que je ne face pour le ravoir, dist ma dame ; or, vous avancez, beau
musnier. »
Ma dame, encores sur le lit couchée, fut mise par le musnier tout en telle façon que Monseigneur mettoit sa femme, quant il lui recoingnoit son devant, et d'ung tel oustil la tente, pour querir et peschier le dyamant. Après les reposées de la premiere et seconde queste que le musnier fist du dyamant, ma dame demanda s'il ne l'avoit point sentu ? Et il dist que ouy ; dont elle fut bien joyeuse et luy pria qu'il peschast encores, tant qu'il l'eust trouvé.
Pour abregier, tant fist le bon
musnier,
qu'il rendit à ma dame son tres beau dyamant, dont la très grant joye vint par
leans ;
et n'eust jamais
musnier
tant d'onneur et d'avancement, que ma dame et ses femmes luy donnerent. Ce bon
musnier,
en la très bonne grace de ma dame, part de
leans,
et vint à sa maison, sans soy vanter à sa femme de sa nouvelle adventure, dont il estoit plus joyeux que s'il eust tout le monde gaignié.
La Dieu mercy,
petit de temps après,
Monseigneur revint en sa maison, où il fut doulcement receu et de ma dame humblement bien venu, laquelle, après plusieurs
devises
qui au lit se font, luy compta la très
merveilleuse
adventure de son dyamant, et comment il fut par le
musnier
de son corps repeschié ; pour abregier,
tout du long
lui compta le procès en la façon et maniere que tint ledit
musnier
en la queste dudit dyamant : dont il n'eut gueres grant joye, mais pensa que le
musnier
luy avoit baillé belle.
À la premiere fois qu'il rencontra le
musnier,
il le salua haultement, et lui dist :
« Dieu gard, Dieu gard ce bon pescheur de dyamans ! »
À quoy le
musnier
respondit :
« Dieu gard ce recongneur de c... !
- Par nostre Dame, tu dis vray, dist le seigneur ; tays-toy de moy et si feray-je de toy. »
Le musnier fut content, et jamais plus n'en parla : non fist le seigneur, que je saiche.
Le Roy nagueres estant en sa ville de Tours, ung gentil compaignon Escossois, archier de son corps et de sa grant garde, s'enamoura très fort d'une belle et gente damoiselle mariée et merciere. Et quant il sceust trouver temps et lieu, le moins mal qu'il sceut compta son gracieux et piteux cas, dont il n'estoit pas trop content, ne joyeux. Neantmoins, car il avoit la chose trop à cueur, ne laissa pas à faire sa poursuite, mais de plus en plus très aigrement pourchassa, tant que la damoiselle le voulut enchassier, et donner total congié, et luy dist qu'elle advertiroit son mary, du pourchas deshonneste et damnable qu'il s'efforçoit de achever : ce qu'elle fist quittance. Le mary, bon et saige, preux et vaillant, comme après vous sera compté, se courrouça amerement encontre l'Escossois qui deshonnourer le vouloit et sa très bonne femme aussi. Et pour bien se vengier de luy à son aise et sans reprise, commanda à sa femme, que, s'il retournoit plus à sa queste, qu'elle luy baillast et assignast jour, et s'il estoit si fol que de y comparoir, le blasme qu'il pourchassoit luy seroit chier vendu. La bonne femme, pour obeyr au bon plaisir de son mary, dist que si feroit-elle.
Il ne demoura gueres que le povre amoureux Escossois fist tant de tours,
qu'il vit en place nostre merciere, qui fut par luy humblement saluée, et
de rechief
d'amours si doulcement priée, que les requestes du paravant devoient bien estre enterinées par la confusion de ceste piteuse et derreniere priere ;
et qu'elle les
voulsist
ouyr, et jamais ne seroit femme plus loyalement obeye ne servie, qu'elle seroit, se de grace vouloit accepter sa très humble et raisonnable requeste.
La belle merciere, soy
recordant
de la leçon que son mary luy
bailla,
voyant aussi l'heure propice, entre aultres
devises
et plusieurs excusations servans à son propos,
bailla
journée à l'Escossois, à lendemain au soir, de comparoir personnellement en sa chambre, pour en ce lieu luy dire plus
celeement
le surplus
de son intention, et le grant bien qu'il luy vouloit. Pensez qu'elle fut haultement merciée, doulcement escoutée, et de bon cueur obeye de celuy,
qui, après ces bonnes nouvelles, laissa sa dame, le plus joyeux que jamais il n'avoit esté. Quant le mary vint à
l'ostel,
il sceut comment l'Escossois fut
leans,
des parolles et des grants offres qu'il fist ; et comment il se rendra demain au soir devers elle, en sa chambre :
« Or, le laissez venir, dist le mary ; il ne fist jamais si fole entreprise, que bien je luy
cuide
montrer, avant qu'il parte,
voire et
faire son grant tort confesser, pour estre exemple aux aultres folz outrecuidez et enraigiez comme luy. »
Le soir du lendemain approucha, très desiré du povre amoureux Escossois pour veoir et jouyr de sa dame ;
très desiré du bon mercier, pour accomplir la très criminelle vengeance qu'il veult executer en la personne de celuy Escossois, qui veult estre son
lieutenant ;
très
doubté
aussi de la bonne femme, qui, pour obeir à son mary, attend de veoir ung grant
hutin.
Au fort, chascun s'appreste : le mercier se fait armer d'ung grant, lourt et vieil harnois, prent sa
salade,
ses ganteletz, et en sa main une grant haiche. Or est-il bien en point, Dieu le scait, et semble bien que autresfois il ait veu
hutin.
Comme ung vray champion venu sur les rens de bonne heure, et attendant son ennemy, en lieu de
pavillon
se va mettre derriere ung tapis, en la
ruelle
de son lit, et si très bien se caicha, qu'il ne pourroit estre apperceu. L'amoureux malade, sentant l'heure très desirée, se met en chemin devers
l'ostel
a la merciere, mais il n'oublia pas sa grande, bonne et forte espée à deux mains. Et comme il fut venu
leans,
la dame monte en sa chambre sans faire effroy, et il la suit tout doulcement. Et quant il s'est trouvé
leans,
il demande à sa dame, s'en sa chambre y avoit ame qu'elle ? À quoy elle respondit assez
legierement,
et estrangement, et comme non trop asseurée, que non :
« Dictes verité, dist l'Escossois, vostre mary n'y est-il pas ?
- Nenny, dist-elle.
- Or le laissez venir ; par sainct Aignan ! s'il vient, je luy fendray la teste jusques aux dens !
Voire,
par Dieu, s'ilz estoient trois, je ne les crains ! J'en seray bien maistre. »
Et après ces criminelles parolles, vous tire hors sa grande et bonne espée et si la fait brandir trois ou quatre fois ;
et auprès de luy, sur le lit la couche. Et se fait
incontinent
baiser
et accoller, et le
surplus
qu'après s'ensuit tout à son bel aise et loisir acheva, sans ce que le povre
coux
de la
ruelle
s'osast
oncques
monstrer, mais si grant paour avoit
qu'à peu qu'il
ne mouroit. Nostre Escossois, après ceste haulte adventure, prent de sa dame congié jusques une aultre fois,
et la mercye, comme il doit et scait, de sa grant
courtoisie,
et se met à chemin. Quant le vaillant homme d'armes sceut l'Escossois yssu hors de
l'uys,
ainsi effrayé qu'il estoit, sans à peine savoir parler, sault dehors de son
pavillon,
et commence à
teneier
sa femme de ce qu'elle avoit souffert le plaisir de l'archier.
Et elle respondit que c'estoit sa faulte et sa
coulpe,
et que enchargié luy avoit de luy
bailler jour.
« Je ne vous commanday pas, dist-il, que luy laissassiez faire sa voulenté ne son plaisir ?
- Comment, dist-elle, le povois-je reffuser, voyant sa grande espée dont il m'eust tuée en cas de reffuz ? »
Et, à ce coup,
vecy
bon Escossois qui retourne et monte arriere les degrez de la chambre, et sault dedans et dit tout hault :
« Qu'est-ce cy ! »
Et le bon homme de soy saulver, et dessoubz le lit
se boute,
pour estre plus seurement, beaucoup plus
esbahy
que paravant. La dame fut reprinse et
de rechief
enferrée
à son beau loisir, et à la façon que dessus, tousjours l'espée au plus près de luy. Après ceste rencharge et plusieurs longues
devises
d'entre l'Escossois et la dame, l'heure vint de partir : si lui donna la bonne nuyt, et
picque,
et s'en va. Le povre
martyr
estant dessoubz le lit,
à peu
s'il se osoit tirer de là,
doubtant
le retour de son adversaire, ou, pour mieulx dire, son compaignon.
À chief de piece,
il print
couraige
et, à l'ayde de sa femme, la Dieu mercy, il fut remis sur piez. S'il avoit bien
tensé
sa femme auparavant, encores recommença-il plus dure legende ; car elle avoit consenty, après sa deffense, le deshonneur de luy et d'elle.
« Helas ! dist-elle, et où est la femme si asseurée,
qui osast desdire ung homme ainsi eschauffé et enraigé comme cestuy estoit, quant vous, qui estes armé,
embastonné
et si vaillant, à qui il a trop plus
meffait
que à moy, ne l'avez pas osé assaillir ne moy deffendre ?
- Ce n'est pas response ! dist-il ; dame, se vous n'eussiez voulu, jamais ne fust venu à ses attainctes ; vous estes mauvaise et
desleale.
- Mais vous, dist-elle, lasche, meschant, et reprouchié homme, pour qui je suis deshonnourée,
car, pour vous obeyr, je assignay le mauldit jour à l'Escossois. Et encores n'avez eu en vous tant de
couraige
d'entreprendre la deffense de celle en qui gist tout vostre bien et vostre honneur !
Et ne pensez pas que j'eusse trop mieulx aymé la mort, que d'avoir de moy-mesmes consenty ne accordé ce
meschief.
Et Dieu scait le deuil que j'en porte et porteray tant que je vivray,
quant celuy de qui je dois avoir et tout secours attendre, en sa presence m'a bien souffert deshonnourer. »
Il fait assez à croire et penser qu'elle ne souffrit pas la voulenté de l'Escossois, pour plaisir qu'elle y print, mais elle fut à ce contraincte et forcée par non resister, laissant la resistance en la prouesse de son mary qui s'en estoit très bien chargié. Donc, chascun d'eulx laissa son dire et sa querelle, après plusieurs argumens et répliques, d'ung costé et d'aultre. Mais en son cas evident fut le mary deceu, et demoura trompé de l'Escossois, en la façon qu'avez ouye.
Monseigneur Thalebot, que Dieu pardoint, capitaine anglois si oureux, comme chascun scait, fist en sa vie deux jugemens, dignes d'estre recitez et en audience et memoire perpetuelle amenez. Et, affin que de chascun d'iceulx jugemens soit faicte mention, j'en veuille racompter en briefz motz ma premiere nouvelle, et au renc des aultres la cinquiesme. J'en fourniray et diray ainsi.
Pendant le temps que la mauldite et pestilencieuse
guerre
de France et d'Angleterre regnoit, et que encores n'a pas prins fin, comme souvent advient,
ung François homme d'armes fut à ung autre Anglois prisonnier ; et, puis qu'il fut
mis à finance,
soubz le saufconduit de Monseigneur Thalebot, devers son capitaine retournoit,
pour faire finance de sa rançon, et à son maistre l'envoyer ou apporter.
Et, comme il estoit en chemin, fut par ung Anglois sur les champs encontre,
lequel, le voyant François, tantost lui demanda dont il venoit et où il alloit. L'aultre respondit la vérité :
« Et où est votre saufconduit ? dist l'Anglois.
- Il n'est pas loing, » dist le François.
Lors, tire une petite boete, pendante à sa ceinture, où son saufconduit estoit,
et à l'Anglois le tendit, qui de bout à aultre le leut. Et, comme il est de coustume mettre en toutes lettres de saufconduit :
« Reservé tous vrais habillemens de guerre »
L'Anglois note sur ce mot, et voit encores les
esguillettes
à armer pendantes au
parpoint
du François. Si va jugier en soy-mesmes qu'il avoit enfraint son saufconduit,
et que esguillettes sont vrais habillemens de guerre ; si lui dist :
« Je vous fays prisonnier, car vous avez rompu votre sauf-conduit.
- Par ma foy, non ay, dist le François, saulve vostre grace ; vous voyez en quel estat je suis.
- Nermy, nenny, dist l'Anglois, par sainct Jouen ! vostre saufconduit est rompu. Rendez-vous, ou je vous tueray ! »
Le povre François, qui n'avoit que son paige, et qui estoit tout nud et de ses armeures desgarny, voyant l'aultre et de trois ou quatre archiers acompaigné, pour le mieulx faire, à lui se rendit. L'Anglois le mena en une place assez près de là, et en prison le boute. Le François, se voyant ainsi malmené, à grant haste à son capitaine le manda, lequel, ouyant le cas de son homme, fut trestoust à merveilles esbahy. Si fist tantost escripre lettres à Monseigneur Thalebot, et, par ung herault, les envoya bien et suffisamment informé de la matiere que l'homme d'armes prisonnier avoit au long au capitaine rescript : c'est assavoir comment ung tel de ses gens avoit prius un tel des siens soubz son saufconduit. Ledit herault, bien informé et aprins de ce qu'il devoit dire et faire, de son maistre partit et à Monseigneur Thalebot ses lettres presenta. Il les leut, et, par ung sien secretaire, en audience, devant plusieurs chevaliers et escuyers et aultres de sa route de rechief les fist lire. Si devez scavoir que tantost il monta sur son chevalet, car il avoit la teste chaulde et fumeuse, et n'estoit pas content, quant on faisoit aultrement qu'à point, et, par especial, en matiere de guerre et d'enfraindre son saufconduit, il enraigeoit tout vif.
Pour abregier le compte, il fist venir devant luy l'Anglois et le François, et dist au François, qu'il comptast son cas.
Il dist comment il avoit esté prisonnier d'ung tel de ses gens et s'estoit
mis à finance :
« Et soubz vostre saufconduit, Monseigneur ; je m'en aloye devers ceulx de nostre party, pour querir ma rençon.
Je rencontray ce gentilhomme icy, lequel est aussi de voz gens, qui me demanda où j'aloye, et se j'avoye saufconduit ?
Je luy dis que ouy, lequel je luy monstray. Et quant il Feust leu, il me dist que je l'avoye rompu,
et je luy respondis que non avoye et qu'il ne le scauroit monstrer.
Brief, je ne penz estre ouy et me fut force, se je ne me vouloye faire tuer sur la place, de me rendre.
Et ne scay cause nulle parquoy il me doye avoir retenu : si vous en demande justice. »
Monseigneur Thalebot, oyant le François, n'estoit pas bien à son aise ; neantmoins, quant il ce eut dit, il dist à l'Anglois :
« Que respons-tu à cecy ?
- Monseigneur, dist-il, il est bien vray, comme il a dit, que je le rencontray et vouluz veoir son saufconduit, lequel de bout en bout et
tout du long
je leuz ; et apperceuz tantost, qu'il l'avoit rompu et enfraint, et aultrement jamais je ne l'eusse arresté.
- Comment l'a-il rompu ? dist Monseigneur Thalebot ; dy tost ?
- Monseigneur, pource que en son saufconduit sont reservez tous habillemens de guerre ;
et il avoit et ha encores vrayz habillemens de guerre, c'est assavoir à son
parpoint
ses esguillettes
à armer, qui sont ungz vrais habillemens de guerre, car sans elles on ne se peut armer.
- Voire !
dit Thalebot ; et
esguillettes
sont-ce doncques vrais habillemens de guerre ? Et ne scais-tu aultre chose par quoy il puisse avoir enfraint son saufconduit ?
- Vrayement, Monseigneur, nenny, respondit l'Anglois.
- Voire,
villain,
de par vostre dyable, dist Monseigneur Thalebot, avez-vous retenu ung gentil homme, sur mon saufconduit, pour ses
esguillettes ?
Par sainct George ! je vous feray monstrer se ce sont habillemens de guerre ! »
Alors, tout eschauffé et de courroux bien fort esmeu, vint au François, et de son
parpoint
deux esguillettes
en tira, et à l'Anglois les
bailla,
et au François une bonne espée d'armes fut en la main livrée ; et puis, la sienne belle et bonne hors du fourreau va
tirer,
et la tint en sa main, et à l'Anglois va dire :
« Deffendez-vous de cest habillement de guerre que vous dictes, se vous scavez ! »
Et puis, dist au François :
« Frappez sur ce
villain
qui vous a retenu sans cause et sans raison ; on verra comment il se deffendra de vostre habillement de guerre.
Se vous l'espargnez, je frapperay sur vous, par sainct George ! »
Alors le François,
voulsist ou non,
fut contraint de frapper sur l'Anglois, de l'espée toute nue qu'il tenoit,
et le povre Anglois se couvroit le mieulx qu'il povoit, et couroit par la chambre,
et Thalebot après, qui tousjours faisoit
ferir
par le François sur l'aultre, et luy disoit :
« Deffendez-vous,
villain,
de vostre habillement de guerre ? »
À la vérité, l'Anglois fut tant batu, qu'il fut près jusque à la mort ; et cria mercy à Thalebot et au François, lequel par ce moyen fut delivré de sa rançon et par Monseigneur Thalebot acquitté. Et, avecques ce, son cheval et son harnois et tout son bagaige qu'au jour de sa prinse avoit, lui fist rendre et bailler.
Vela le premier jugement que fist Monseigneur Thalebot ; reste à compter l'autre qui fut tel.
Il sceust que l'ung do ses gens avoit desrobé en une eglise le tabernacle, où l'en met
Corpus Domini
et à bons deniers contans vendu, je ne scay pas la juste somme,
mais il estoit grant et beau et d'argent doré très gentement esmaillé. Monseigneur Thalebot,
quoy qu'il fust très cruel, et en la guerre très criminel, si avoit-il en grant reverence tousjours l'eglise, et ne vouloit que nul en
monstier
no eglise le feu
boutast,
ne desrobast quelque chose ; et où il scavoit qu'on le fist, il en faisoit
merveilleuse
discipline de ceulx, qui en ce faisant
trespassoient
son commandement. Or, fist-il devant luy amener et venir celuy qui ce tabernacle avoit en l'église
robé.
Et quant il le vit, Dieu scait quelle
chiere
il luy fist ; il le vouloit à toute force tuer, se n'eussent esté ceulx qui entour luy estoient,
qui tant luy prierent que sa vie lui fust saulvée. Mais neantmoins, si le voulut-il pugnir et lui dist :
« Traistre
ribault,
et comment avez-vous osé
rober
l'eglise, oultre mon commandement et ma deffense ?
- Ah ! Monseigneur, pour Dieu, dist le povre larron, je vous
crie mercy;
jamais ne m'adviendra.
- Venez, avant,
villain ! » dist-il.
Et l'aultre, aussi voulentiers qu'on va au guet, devers Monseigneur Thalebot d'aller s'avance.
Et ledit Monseigneur Thalebot de chargier sur ce pelerin, de son poing qui estoit gros et lourt,
et pareillement frape sur sa teste, en lui disant :
« Ha ! larron, avez-vous
robé
l'église ! »
Et l'aultre de crier :
« Monseigneur, je vous
crie mercy ;
jamais je ne le feray.
- Le ferez-vous ?
- Nenny, Monseigneur.
- Or, jure doncques que jamais tu n'entreras en eglise nulle quelqu'elle soit ; jure,
villain !
- Et bien, Monseigneur ! » dist l'aultre.
Lors, lui fist jurer que jamais en eglise pié ne mettroit, dont tous ceulx qui là estoient et qui l'ouyrent, eurent grant riz, quoy qu'ilz eussent pitié du larron, pource que Monseigneur Thalebot luy deffendoit l'eglise à tousjours, et luy faisoit jurer de non jamais y entrer. Et croyez qu'il cuidoit bien faire et à bonne intention luy faisoit.
Ainsi avez-vous ouy de Monseigneur Thalebot les deux jugemens qui furent telz comme comptez les vous ay.
En une ville de Hollande, comme le prieur des Augustins nagueres se pourmenast, en disant ses
heures,
sur le serain, assez près de la chappelle de Sainct Anthoyne située au bois de ladicte ville,
il fut rencontré d'ung grant lourt Hollandois,
si très yvre qu'à merveilles,
lequel demouroit en ung villaige nommé Stevelinghes, à deux lieux
près d'illec.
Le prieur, de loing le voyant venir, congneut tantost son cas, par les lourdes desmarches et mal seures qu'il faisoit, tirant son chemin.
Et quant ilz vindrent pour joindre l'ung à l'autre, l'yvroingne salua
premier
le prieur, qui luy rendit son salut tantost ; et puis passe oultre,
continuant son
service,
sans en aultre propos l'arrester ne interroguer. Mais l'yvroingne,
tant oultré
que plus ne povoit, se retourne et poursuit le prieur, et luy requist confession.
« Confession ? dist le prieur. Va-t-en. va-t-en, tu es bien confessé.
- Helas, sire, respond l'yvroingne, pour Dieu, confessez-moy ; j'ay assez
très fresche memoire de tous mes pechiez, et si ay parfaicte contrition. »
Le prieur,
desplaisant
d'estre empesché à ce coup par cest yvroingne, respond :
« Va ton chemin ! il ne te fault confesser, car tu es en très bon estat.
- Ha
dea,
dist l'yvroingne, par la mort bien, vous me confesserez, maistre prieur, car j'en ay à ceste heure devotion ! »
Et le saisit par la manche, et le voulut arrester. Ce prieur n'y vouloit entendre, mais avoit tant
grant faim
que merveilles
d'estre eschappé de l'aultre, mais rien n'y vault, car il est ferme,
en la dévotion d'estre confessé, ce que le prieur tousjours reffuse ; et
si s'en cuide
desarmer,
mais il ne peut. La
devocion
de l'yvroingne de plus en plus s'efforce ; et, quant il voit le prieur reffusant d'ouyr ses pechiez, il met sa main à sa grande
coustille
et de sa gayne la tire et dit au prieur qu'il le tuera, si bien il n'escoute sa confession. Le prieur,
doubtant
le cousteau et la main perilleuse qui le tenoit, si demande à l'aultre :
« Que veulx-tu dire ?
- Je me vueil confesser, dit-il.
- Or avant ! dist le prieur, je le vueil ; avance-toy ? »
Nostre yvroingne, plus saoul que une grive partant d'une vigne, commença, s'il vous plaist,
sa devote confession, laquelle je passe, car le prieur point ne la revela, mais vous pouvez penser qu'elle fut bien nouvelle et estrange. Quant le prieur vit
son point,
il couppa le chemin aux longues et lourdes parolles de nostre yvroingne et l'absolution luy donne ; et, en congié luy donnant, lui dist :
« Va-t-en ! Tu es bien confessé.
- Dictes-vous, sire ? respond-il.
- Ouy vrayement, dist le prieur, ta confession est très bonne. Va-t-en ! tu ne peuz mal avoir.
- Et puis que je suis bien confessé et que j'ay l'absolucion receu, se à ceste heure je mouroye, n'yroye-je pas en paradis ? ce dit l'yvroingne.
- Tout droit, sans faillir, respond le prieur, n'en faiz nul doubte.
- Puis qu'ainsi est, ce dit l'yvroingne, que maintenant je suis en bon estat et en chemin de paradis,
et qu'il y fait tant bel et tant bon, je vueil mourir tout maintenant, affin que
incontinent
je y aille. »
Si prent et
baille
son cousteau à ce prieur, en luy priant et requerant qu'il luy tranchast la teste, affin qu'il allast en paradis
« Ha,
dea,
dist le prieur tout
esbahy,
il n'est
jà mestier
d'ainsi faire ; tu yras bien en paradis par aultre voye.
- Nenny, respond l'yvroingne, je y vueil aller tout maintenant et icy mourir par voz mains ; avancez-vous et me tuez ?
- Non feray pas, dist le prieur ; un prestre ne doit personne tuer.
- Si ferez, sire,
par la mort bieu !
et, se bientost ne me depeschiez et me mettez en paradis, moy-mesmes à mes deux mains vous occiray. »
Et, à ces motz, brandit son grant cousteau, et en fait monstre aux yeulx du povre prieur tout espoventé et
assimply.
Au fort,
après qu'il eut ung peu pensé, affin d'estre de son yvroingne despeschié, lequel de plus en plus l'aggresse et
parforce
qu'il luy oste la vie, il saisit et prent le cousteau, et si va dire :
« Or ça, puisque tu veulx
finer
par mes mains, affin d'aller en paradis, metz-toy à genoulz cy devant moy. »
L'yvroingne ne s'en fist gueres preschier, mais tout à coup, du hault de luy, tomber se laissa, et
à chief
de pechié,
à quelque meschief que ce fut,
sur les genoulz se releva, et à mains joinctes, le coup de l'espée,
cuidant
mourir, actendoit. Le prieur, du doz du cousteau,
fiert
sur le col de l'yvroingne ung grant et pesant coup, et par terre le abat bien rudement. Mais vous n'avez garde qu'il se relieve, mesmes
cuide
vrayement estre mort et estre jà en paradis.
En ce point,
le laissa le prieur, qui pour sa seureté n'oublia pas le cousteau.
Et, comme il fut ung peu avant, il rencontra ung chariot chargé de gens : au moins, de la pluspart,
si bien advint que ceulx qui avoient esté presens où nostre yvroingne s'estoit
chargié,
y estoient, auxquelz il racompta
bien au long
le mistere
dessusdit, en leur priant qu'ilz le levassent et qu'en son ostel le voulsissent rendre et conduire, et puis leur
bailla
son cousteau. Ilz promirent de l'emmener et chargier avec eulx, et le prieur s'en va.
Ilz n'eurent gueres cheminé, qu'ilz apperceurent ce bon yvroingne couchié ainsi comme s'il feust mort,
les dens contre terre. Et quant ilz furent près de luy, tous à une voix, par son nom l'appelerent, mais ilz ont beau
huchier,
il n'avoit garde de respondre ; ilz recommencerent à crier, mais c'est pour neant. Adoncques descendirent
aucuns
de leur chariot, si le prindrent par la teste, par les piez et par les jambes, et tout en l'air le leverent, et tant
hucherent,
qu'il ouvrit ses yeulx, et
incontinent
parla et dist :
« Laissez-moy, laissez-moy, je suis mort !
- Non estes, non, dirent ses compaignons ; il vous fault venir avec nous ?
- Non feray, dist l'yvroingne. Où yray-je ? Je suis mort et desja en paradis.
- Vous vous en viendrez, dirent les aultres ; il nous fault aller boire.
- Boire ? dist-il.
- Voire,
dist l'aultre.
- Jamais je ne boiray, dist-il, car je suis mort. »
Quelque chose que ses compaignons luy dissent, ne fissent, il ne vouloit mettre hors de sa teste qu'il ne feust mort. Ces
devises
durerent beaucoup, et ne scavoient trouver les compaignons façon ne maniere d'emmener ce fol yvroingne,
car, quelque chose qu'ilz dissent, tousjours respondoit :
« Je suis mort ! »
En la fin, ung
entre les aultres
se advisa et dist :
« Puis que vous estes mort, vous ne voulez pas demourer icy, et, comme une beste,
aux champs estre enfouy ; venez avec nous : si vous porterons enterrer, sur nostre chariot,
au cymitiere de nostre ville, ainsi qu'il appartient à ung crestien ; aultrement, n'yrez pas en paradis. »
Quand l'yvroingne entendit qu'il le falloit enterrer, ains qu'il montast en paradis, si fut content d'obeyr ; si fut tantost troussé et mis dedans le chariot, où gueres ne fut sans dormir. Le chariot estoit bien bastelé ; si furent tantost à Stevelinghes, où ce bon yvroingne fut descendu tout devant sa maison. Sa femme et ses enfans furent appelez, et leur fut ce bon corps saint rendu, qui si fort dormoit, que, pour le porter du chariot en sa maison et en son lit le gecter, jamais ne s'esveilla, et là fut-il ensevely entre deux linceulx sans s'esveiller, bien deux jours après.
Ung orfevre de Paris, nagueres, pour despeschier plusieurs besongnes de sa marchandise, à l'encontre d'une foire du Landit et d'Auvers, fit large et grant provision de charbon de saulx.
Advint, ung jour
entre les aultres,
que le
charreton,
qui ceste denrée livroit, pour la
grant haste de l'orfevre, fist
si grant diligence,
qu'il amena deux voitures plus qu'il n'avoit fait ès jours par avant ; mais il ne fust pas si tost en Paris, à sa derreniere charretée, que
la porte
à ses talons ne fust fermée ; toutesfois, il fust très bien venu, et bien de l'orfevre receu.
Et, après, que son charbon fut descendu et ses chevaux mis en l'estable, il voulut
soupper
tout à loisir, et firent très grant
chiere ,
qui pas ne se passa sans
boire d'autant et d'autel.
Quant la
brigade
fut bien
repeue,
la cloche va sonner douze heures, dont ilz se donnerent grant
merveille,
tant plaisamment s'estoit le temps passé à ce
soupper.
Chascun rendit graces à Dieu, faisans très petiz yeulx, et ne demandoient que le lit ;
mais, pource qu'il estoit tant tart, l'orfevre retint au coucher son
charreton,
doubtant
la rencontre du guet qui l'eust
bouté en Chastelet,
se
à ceste heure feust trouvé.
Pour cette heure,
nostre orfevre avoit tant de gens, qui pour luy
ouvraient,
que force luy fut le
charreton,
avec luy et sa femme, en son lit hebergier ;
et, comme saige et non suspeçonneux, il fit sa femme entre luy et le
charreton
couchier. Or, vous fault-il dire que ce ne fut pas
sans grant mistere,
car le bon
charreton
refusoit de tous points ce logis, et, à toute force, vouloit dessus le banc ou dedans la grange couchier :
force luy fut d'obeyr à l'orfevre. Et, après qu'il fut
despouillé,
dedans le lit
se boute,
auquel estaient jà l'orfèvre et sa femme en la façon que j'ay dicte. La femme, sentant le
charreton
à cause du froit et de la petitesse du lit d'elle approuchier, tost se vira devers son mary, et,
en lieu d'aureillier, se mist sur la poitrine de son dit mary, et ou
giron
du
charreton
son gros derriere reposoit. Sans dormir ne se tindrent gueres l'orfevre, et sa femme, sans en faire le
semblant ;
mais nostre
charreton,
jà soit qu'il
fust lassé et
travaillé,
n'en avoit garde.
Car, comme le poulain s'eschauffe, sentant la jument, et se dresse et demaine, aussi faisoit le sien
poulain,
levant la teste
contremont
si très prouchain de ladicte femme. Et ne fut pas en la puissance dudit
charreton,
qu'à elle ne se joignit et de près. Et, en cest estat, fut longue
espace,
sans que la femme s'esveillast, voire ou au moins qu'elle en fist semblant.
Aussi, n'eust pas fait le mary, se ce n'eust esté la teste de sa femme qui sur sa poitrine estoit reposant,
qui, par l'assault et hurt de ce
poulain,
luy donnoit si grant
branle,
que assez tost il se resveilla. Il
cuidoit
bien que sa femme songeast, mais, pource que trop longuement durait, et qu'il
ouyoit
le
charreton
soy remuer, et très fort souffler, tout doulcement leva la main en hault ;
et, si très bien à point en bas la rabatit, qu'en dommaige et en sa
garenne
le
poulain au
charreton
trouva : dont il ne fut pas bien
content,
et ce, pour l'amour de sa femme. Si l'en fist en haste
saillir,
et dist au
charreton :
« Que faictes-vous, meschant
coquart ?
Vous estes, par ma foy, bien enraigié, qui à ma femme vous prenez ! N'en faictes plus. Je vous jure, par
la mort bieu,
que s'elle se fust à ce
coup
esveillée, quant vostre
poulain
ainsi la
harioit,
je ne scay moy penser que vous eussiez fait ; car je suis tout certain, tant la congnois, qu'elle vous eust tout le visaige esgratiné, et
a
ses mains les yeulx de vostre teste
esrachez.
Vous ne savez pas comme elle est
merveilleuse,
depuis qu'elle
entre en sa malice, et si n'est chose ou monde qui plustost
luy boutast.
Ostez-vous, je vous en supplie, pour vostre bien. »
Le
charreton,
a peu de motz, s'excusa qu'il n'y pensoit pas ; et comme le jour fut prochain tantost, il se leva,
et, après le bon jour donné à son ostesse, part et s'en va, et a
charrier
se met.
Vous devez penser que la bonne femme, s'elle eust pensé le fait, du
charreton,
qu'elle l'eust beaucoup plus
grevé
que son mary ne disoit ;
combien que
depuis il me fut dit que assez de fois le
charreton
la rencontra en la propre façon et maniere qu'il fut trouvé de l'orfevre, sinon qu'elle ne dormoit pas ;
non point que je le vueille croire, ne en riens ce raport faire bon.
En la VIIIe de Brucelles, où maintes adventures sont en nostre temps advenues, demouroit, n'a pas long tems, ung jeune
compaignon
picart, qui servit très bien et loyaulment son maistre
assez longue espace.
Et, entre aultres
services
à quoy il obligea sondit maistre vers luy, il fit tant, par son très gracieux parler,
maintien et courtoisie, que si avant fut en la grace de sa fille,
qu'il coucha avec elle, et par ses oeuvres meritoires elle devint grosse et ençainte. Nostre
compaignon,
voyant sa dame en cest estat, ne fut pas si fol que d'attendre l'heure que son maistre le pourrait savoir et appercevoir.
Si print de bonne heure ung gracieux congié pour peu de jours, combien qu'il n'eust nulle envye d'y jamais retourner,
faignani d'aller en Picardie visiter son pere et sa mere et
aucuns
de ses parens. Et quant il eut à son maistre et à sa maistresse dit adieu, le très piteux fut à la fille, sa dame,
à laquelle il promist tantost retourner : ce qu'il ne fist point, et pour cause. Luy estant en Picardie, en
l'ostel
de son pere, la povre fille de son maistre devenoit si très grosse, que son piteux cas ne se pouvoit plus
celer :
dont, entre les autres, sa bonne mere, qui au mestier se congnoissoit, s'en
donna garde
la premiere. Si la tira à part et luy demanda, comme assez on peut penser,
dont elle venoit en cest estat et qui luy avoit mise. S'ellé se fist beaucoup presser et admonester avant qu'elle en
voulsist
rien dire ne congnoistre, il ne le fault jà demander : mais, en la fin, elle fut à ce menée, qu'elle fut contrainte de congnoistre et confesser son piteux fait,
et dist que le picart varlet de son pere, lequel nagueres s'en estoit allé, l'avoit seduitte et en ce très piteux
point
laissée. Sa mere, toute enraigée, forcenée et tant
marrye
qu'on ne pourroit plus, la voyant ainsi deshonorée, se prent à la
tenser
et tant d'injures luy va dire, que la pacience qu'elle eut de tous coustez, sans mot sonner, ne riens respondre,
estoit assez suffisante d'estaindre le crime qu'elle avoit commis par soy laissier engroissier du Picart.
Mais, helas ! ceste pacience ne esmeut en riens sa mere à pitié, mais luy dist :
« Va-t-en, va-t-en, arrière de moy,
et fais tant que tu treuves le Picart qui t'a faicte grosse et luy dis qu'il te defface ce qu'il t'a fait !
Et ne retourne jamais vers moy, jusqu'à ce qu'il aura tout deffait ce que par son oultraige il t'a fait. »
La povre fille, en l'estat que vous oyez,
marrye
et desolée par sa
fumeuse
et cruelle mere, se met en la queste de ce Picart qui l'engroissa. Et croyez certainement que, avant qu'elle en peust, avoir aucunes nouvelles,
ce ne fut pas sans endurer grant peine et du malaise largement.
En la parfin,
comme Dieu le voulut, après maintes gistes qu'elle fist en Picardie, elle arriva, par ung jour de dimanche,
en ung gros villaige, ou pays d'Artois. Et si très bien luy vint à
ce propre jour,
que son amy le Picart, lequel l'avoit engroissée, faisoit ses nopces, de laquelle chose elle fut
merveilleusement
joyeuse. Et ne fut pas si peu asseurée pour à sa mere obeyr, qu'elle ne
se boutast
par la presse des gens, ainsi grosse comme elle estait ;
et fist tant, qu'elle trouva son amy et le salua, lequel tantost la congneut, et, en rougissant, son salut lui rendit, et luy dist :
« Vous soyez la très bien venue ! Qui vous amaine à ceste heure, m'amie ?
- Ma mere, dist-elle, m'envoye vers vous, et Dieu scait que vous m'avez bien fait
tenser.
Elle m'a chargié et commandé que je vous die que vous me deffaciez ce que vous m'avez fait ;
et, se ainsi ne le faictes, que jamais je ne retourne vers elle. »
L'aultre entend tantost la folie, et, au plutost qu'il peut, il se deffist d'elle et luy dist par telle maniere :
« M'amie, je feray voulentiers ce que me requerez et que vostre mere veult que je fasse,
car c'est bien raison ; mais, à ceste heure, vous voyez que je n'y puis pas bonnement entendre :
si vous prie, tant comme je puis, que ayez pacience pour
meshuy,
et demain je
besongneray à vous. »
Elle fut
contente,
et alors il la fist guider et mettre en une belle chambre, et commanda qu'elle fut très bien
pancée,
car, aussi bien, elle en avoit bon
mestier,
à cause des grans labeurs et
travaulx
qu'elle avoit euz en son voyaige, faisant ceste queste. Or, vous devez scavoir que l'espousée ne tenoit pas ses yeulx en son sein, mais
se donna très bien garde
et apperceut son mary parler à nostre fille grosse, dont la puce luy entre en l'oreille ; et n'estoit en riens
contente,
mais très troublée et
marrie
en estoit. Si garda son courroux, sans mot dire, jusques à ce que son mary se vint couchier. Et quant il la
cuida
acoller et
baiser,
et au surplus faire son devoir, et gaingner le
chaudeau,
elle se vire, puis d'un costé, puis d'aultre, tellement qu'il ne peut parvenir à ses attaintes, dont il est très
esbahy
et courroucé, et luy va dire :
« M'amie, pourquoy faictes-vous cecy ?
- J'ay bien cause, dist-elle, et aussi, quelque
maniere
que vous facez, il ne vous
chault
gueres de moy : vous en avez bien d'autres, dont il vous est plus que de moy !
- Et non ay, par ma foy, ma dame, dist-il, ne, en ce monde, je n'ayme aultre femme que vous.
- Helas ! dist-elle, et ne vous ay-je pas bien veu, après
disner,
tenir voz longues parolles à une femme en la sale ? Ouy, voyois trop bien que c'estoit vous,
et ne vous en scauriez excuser.
- Cela, dist-il, nostre dame, vous n'avez cause en rien de vous en jalouser ! »
Et adonc luy va quittance compter comment c'estoit la fille à son maistre de Brucelles, et coucha avec elle et l'engroissa ; et que à ceste cause il s'en vint par deçà ; comment aussi, après son parlement, elle devint si très grosse qu'on s'en apperceut ; et comment elle se confessa à sa mere, qu'il l'avoit engroissée ; et l'envoyoit vers luy, affin qu'il luy deffist ce qu'il luy avoit fait ; aultrement, jamais vers elle ne s'en retournast.
Quant nostre homme eut
quittance compté
sa
ratelée,
sa femme ne reprint que l'ung de ses pointz et dist :
« Comment, dist-elle, dictes-vous qu'elle dist à sa mere que vous aviez couchié avecques elle ?
- Ouy, par ma foy, dist-il, elle luy congneut tout.
- Par mon serment, dist-elle, elle monstra bien qu'elle estoit beste ;
le charreton
de nostre maison a couchié avecques moy plus de quarante nuytz, mais vous n'avez garde que j'en disse
oncques
ung seul mot à ma mere ; je m'en suis bien gardée !
- Voire,
dist-il, de par le dyable, le
gibet
y ait part ! Or, allez à vostre
charreton,
se vous voulez, car je n'ay cure de vous. »
Si se leva tout à coup et s'en vint rendre à celle qu'il engroissa, et abandonna l'aultre.
Et quant lendemain on sceust ceste nouvelle, Dieu scait le grant riz d'aucuns, et le grant desplaisir de plusieurs, especialement du pere et de la mere de ceste espousée.
Pour continuer le propoz des nouvelles histoires, comme les adventures adviennent en divers lieux et diversement,
on ne doit pas taire comment ung gentil chevalier de Bourgoingne, faisant residence en ung sien chasteau,
beau et fort, fourny de gens et d'artillerie, comme à son estat appartenoit, devint amoureux d'une belle
damoiselle
de son ostel,
voire et
la premiere après ma dame sa femme. Et par amours si fort la contraingnoit, que jamais ne scavoit
sa maniere
sans elle, et tousjours l'entretenoit et la requeroit, et
brief,
nul bien sans elle avoir il ne povoit, tant estoit il
au vif
feru
de l'amour d'elle.
La damoiselle,
bonne et saige, voulant garder son honneur que aussi
chier
elle tenoit que sa propre ame, voulant aussi garder la loyaulté que à sa maistresse elle devoit,
ne prestoit pas l'oreille à son seigneur, toutes fois qu'il l'eust bien voulu. Et se aucune force luy estoit de l'escouter,
Dieu scait la très dure responce dont il estoit servy, luy remonstrant sa très fole entreprinse, et la grant lacheté de son cueur.
Et, au surplus, bien luy disoit que se ceste queste il continue plus, qu'à sa maistresse il serait descouvert.
Quelque maniere ou menace qu'elle face, il ne veult laisser son entreprinse, mais de plus en plus la pourchasse,
et tant en fait, que force est à la bonne fille d'en advertir
bien au long
sa maistresse, ce qu'elle fist. La dame, advertie des nouvelles amours de Monseigneur, sans en monstrer
semblant,
en est très mal contente, mais
non pourtant,
elle s'advisa d'ung tour,
ainçois que
rien luy en dire, qui fut tel. Elle enchargea à sa
damoiselle,
que la premiere fois que Monseigneur viendrait pour la prier d'amours, que, trestous reffuz mis arriere, elle lui
baillast jour
à lendemain de soy trouver dedans sa chambre et en son lit :
« Et s'il accepte la journée, dist ma dame, je viendray tenir vostre place, et
du surplus
laissez-moy faire. »
Pour obeyr, comme elle doit, à sa maistresse, elle est contente, et promet d'ainsi le faire. Si ne tarda gueres après, que Monseigneur ne retournast à l'ouvraige, et, s'il avoit auparavant bien fort menty, encores à ceste heure il s'en efforce beaucoup plus de l'affermer, disant que, se à ceste heure elle n'entend à sa priere, trop mieulx luy vauldroit la mort, et que sans prouchain remede vivre en ce monde plus ne povoit.
Qu'en vauldroit le long compte ? La damoiselle, de sa maistresse bien conseillée, si bien à point que mieulx on ne pourrait, baille à demain au bon seigneur l'heure de besongnier : dont il est tant content, que son cueur tressault tout de joye, et dit bien en soy-mesmes qu'il ne fauldroit pas à sa journée. Le jour des armes assigné, survint, au soir, ung gentil chevalier, voisin de Monseigneur et son très grant amy, qui le vint veoir, auquel il fist très grande et bonne chiere, comme bien le scavoit faire ; si fist ma dame aussi, et le surplus de la maison s'efforçoit fort de luy complaire, saichant estre le bon plaisir de Monseigneur et de ma dame. Après les très grandes chiere et du soupper et du bancquet, et qu'il fut heure de retraite, la bonne nuyt donnée à ma dame et à ses femmes, les deux chevaliers se mettent en devises de plusieurs et diverses matieres : et, entre aultres propos, le chevalier estrange demande à Monseigneur s'en son villaige avoit rien de beau pour aler courir l'esguillette. Car la devocion luy en est prinse, après ces bonnes chieres et le beau temps qu'il fait à ceste heure. Monseigneur, qui rien ne lui vouldroit celer, pour la très grant amour qu'il luy porte, luy va dire comment il a jour assigné decouchier anuyt avec sa chamberiere. Et pour luy faire plaisir, quant il aura esté avec elle une espace de temps, il se levera tout doulcement et le viendra quérir pour le surplus aller parfaire. Le compaignon estrange mercia son compaignon, et Dieu scait qu'il luy tarde bien que l'heure soit venue. L'oste prend congié de luy et se retrait dedans sa garderobe, comme il avoit de coustume, pour soy deshabiller. Or, devez-vous scavoir que, tandis que les chevaliers se devisoient, ma dame s'en alla mettre dedans le lit où Monseigneur devoit trouver sa chamberiere, et droit là attend ce que Dieu lui vouldra envoyer. Monseigneur mist assez longue espace à soy deshabiller tout à propoz, pensant que desja ma dame fust endormie, comme souvent faisoit, pource que devant se couchoit. Monseigneur donne congié à son varlet de chambre, et à-tout sa longue robe, s'en va ou lit où ma dame l'attendoit, cuydant y trouver autruy ; et tout coyement de sa robe se desarme, et puis dedans le lit se bouta. Et, pource que la chandelle estoit estaincte et que ma dame mot ne sonnoit, il cuide avoir sa chamberiere. Il n'y eut gueres esté sans faire son devoir, et si très bien s'en acquitta, que les trois, les quatre fois gueres ne luy cousterent, que ma dame print bien en gré, laquelle tost après, pensant que fust tout, s'endormit. Monseigneur, trop plus legier que par avant, voyant que ma dame dormoit, et se recordant de sa promesse, tout doulcement se lieve, et puis vient à son compaignon qui n'attendoit que l'heure d'aller aux armes, et luy dist qu'il allast tenir son lieu, mais qu'il ne sonnast mot, et que retournast, quand il auroit bien besongnié et tout son saoul. L'aultre, plus esveillié que ung rat, et viste comme ung levrier, part, et s'en va, et auprès de ma dame se loge, sans qu'elle en saiche rien. Et, quant il fut tout rasseuré se Monseigneur avoit bien besongnié, voire et en haste encores fist-il mieulx : dont ma dame n'est pas ung peu esmerveillée, laquelle, après ce beau passe temps qui aucunement travail luy estoit, arriere s'endormit. Et bon chevalier, de l'abandonner, et à Monseigneur s'en retourne, lequel comme paravant se vint relogier emprès ma dame, et de plus belle aux armes, se rallie, tant luy plaist ce nouvel exercice.
Tant d'heures se passerent, tant en dormant comme aultre chose faisant, que le jour s'apparut. Et, comme il se retournoit,
cuidant
virer l'oeil sur la
chamberiere,
il voit et congnoit que c'est ma dame, laquelle à ceste heure luy va dire :
« N'estes-vous pas bien
putier,
recraint,
lache et nieschant, qui,
cuidant
avoir ma
chamberiere,
tant de fois et oultre mesure m'avez accollée pour accomplir votre
desordonnée
voulenté ! Vous estes, la Dieu mercy, bien
deceu,
car aultre que moy, pour ceste heure, n'aura ce qui doit estre mien. »
Se le bon chevalier fut
esbahy
et courroucé,
ce n'est pas merveilles.
Et quant il parla, il dist :
« M'amye, je ne vous puis
celer
ma folye, dont beaucoup il me
poise
que
jamais
l'entreprins ; si vous prie que vous en soyez
contente
et n'y pensez plus, car jour de ma vie plus ne m'adviendra. Cela vous prometz par ma foy.
Et affin que vous n'ayez occasion d'y penser, je donneray congié à la
chamberiere,
qui me
bailla
le vouloir de faire ceste faulte. »
Ma dame, plus contente d'avoir eu l'aventure de ceste nuyt que sa chamberiere, et ouyant la bonne repentance de Monseigneur, assez legierement se contenta, mais ce ne fut pas sans grans langaiges et remonstrances. Au fort trestout va bien, et Monseigneur, qui a des nouvelles en sa quenoille, après qu'il est levé, s'en vient devers son compaignon, auquel il compte tout du long son adventure, luy priant de deux choses : la premiere, ce fut qu'il celast très bien ce mistere, et sa très plaisante adventure ; l'autre, si est que jamais il ne retourne en lieu où sa femme sera. L'aultre, très desplaisant de ceste male adventure, conforte le chevalier au mieulx qu'il peut, et promist d'accomplir sa très raisonnable requeste ; et puis, monte à cheval et s'en va.
La chamberiere,
qui
coulpe
n'avoit au
meffait
dessusdit, en porta la pugnicion par en avoir congié.
Si vesquirent
depuis
long temps Monseigneur et ma dame ensemble, sans qu'elle sceust jamais avoir eu affaire au chevalier
estrange.
Plusieurs haultes, diverses, dures, et merveilleuses adventures ont esté souvent menées et à fin conduittes ou royaulme d'Angleterre, dont la recitation à present ne servirait pas à la continuation de ceste presente histoire. Neantmoins, ceste presente histoire, pour ce propos continuer, et le nombre de ces histoires acroistre, fera mention comment ung bien grant seigneur du royaulme d'Angleterre, entre les mieulx fortunez riche, puissant et conquerant, lequel entre les aultres de ses serviteurs avoit parfaicte confiance, confidence et amour en ung jeune et gracieux gentil homme de son ostel, pour plusieurs raisons, tant par sa loyaulté, diligence, subtilité et prudence ; et, pour le bien que en luy avoit trouvé, ne luy celoit pas riens de ses amours. Mesmes, par succession de temps, tant fist ledit gracieux gentil homme, par son habileté envers ledit seigneur son maistre, qu'il fut tellement en sa grace, que tous les parfaiz secretz et adventures de ses amours, mesmement les affaires, ambassades et diligences, menoit et conduisoit ; et ce, pour le temps que sondit maistre estoit encores à marier.
Advint certaine
espace
après, que, par le conseil de plusieurs de ses parens, amis et bien vueillans,
Monseigneur se maria à une très belle, noble, bonne et riche dame, dont plusieurs furent très joyeux ;
et, entre les autres, nostre gentil homme, qui
mignon
se peut bien nommer, ne fut pas moins joyeux, disant en soy que c'estoit le bien et honneur de son maistre,
et qu'il se retireroit, à ceste occasion, de plusieurs menues folies d'amour qu'il faisoit, auxquelles ledit
mignon
trop se donnoit d'espoir. Si dist ung jour à Monseigneur, qu'il estoit très joyeux de luy,
pource qu'il avoit si très belle et bonne dame espousée, car, à ceste cause, plus ne seroit empeschié de faire queste çà ne là pour luy,
comme il avoit coustume. À quoy Monseigneur respondit que, ce nonobstant, n'entendoit pas du tout amours abandonner : et
jà soit ce qu'il
fust marié, si n'estoit-il pas pourtant du gracieux
service
d'amours osté, mais de bien en mieulx s'y vouloit emploier.
Son mignon,
non content de ce vouloir, luy respondit que sa queste en amours devrait estre bien
finée,
quant Amours
l'ont party
de la nonpareille,
de la plus belle, de la plus saige, de la plus loyale et bonne par dessus toutes les aultres :
« Faictes, dist-il, Monseigneur, tout ce qu'il vous plaira, car, de ma part, à aultre femme jamais parolle ne porteray, au prejudice de ma maistresse.
- Je ne scay quel prejudice, dist le maistre ; mais il vous fault trop bien remettre en train d'aller à telle et à telle.
Et ne pensez pas que encores d'elles ne m'en soit autant, que quant vous en parlay
premier.
- Ha
dea !
Monseigneur, dist le
mignon,
il faut dire que vous prenez plaisir d'abuser femmes, laquelle chose n'est pas bien fait :
car vous scavez bien que toutes celles que m'avez icy nommées ne sont pas à comparer en beaulté, ne aultrement,
à ma dame, à qui vous feriez mortel
desplaisir,
s'elle scavoit vostre deshonneste vouloir. Et, qui plus est, vous ne povez ignorer qu'en ce faisant vous ne damnez vostre ame.
- Cesse ton preschier, dist Monseigneur, et va faire ce que je commande.
- Pardonnez-moy, Monseigneur, dit le
mignon ;
j'aymeroye mieulx mourir que par moy
sourdist
noise
entre ma dame et vous ; si vous prie que soyez
content
de moy, car certes je n'en feray plus. »
Monseigneur, qui voit son
mignon
en son opinion
aheurté,
pour ce coup plus ne le pressa. Mais,
certaine piece,
comme de trois ou quatre jours, sans faire en rien
semblant
des parolles precedentes, entre aultres
devises
à son
mignon,
demanda quelle viande il mangoit plus voulentiers ?
Et il luy respondit que nulle viande tant ne lui plaisoit que pastez d'anguille.
« Saint Jehan ! c'est bonne viande, dist le maistre ; vous n'avez pas mal choisy. »
Cela se passe, et Monseigneur se
trait arriere
et mande vers luy venir ses maistres d'ostel, ausquelz il enchargea, si
chier
qu'ilz le vouloyent obeyr, que son
mignon
ne fust servy d'aultres choses que de pastez d'anguilles,
pour riens qu'il die.
Et ilz respondirent, promettans d'acomplir son commandement. Ce qu'ilz firent très bien, car, comme ledit
mignon
fut assis à table pour mangier en sa chambre,
le propre jour
du commandement, ses gens luy apporterent largement de beaulx et gros pastez d'anguilles, qu'on leur delivra en la cuisine ; dont il fut bien joyeux. Si en mangea
tout son saoul.
À lendemain, pareillement ; cinq ou six jours ensuivans,
tousjours ramenoient des pastez en jeu, dont il estoit desja tout ennuyé. Si demanda ledit
mignon
à ses gens, se on ne servoit
leans
que ces pastez ?
« Ma foy, Monseigneur, dirent-ilz, on ne vous baille aultre chose.
Trop bien voyons-nous servir en sale et ailleurs aultre viande, mais, pour vous, il n'est memoire que de pastez. »
Le
mignon,
saige et prudent, qui jamais sans grant cause pour sa bouche ne faisoit plainte, passa encores plusieurs jours, usant de ces ennuyeux pastez,
dont il n'estoit pas bien content. Si s'advisa, un jour
entre les aultres,
d'aller
disner
avec les maistres d'ostel, qui le firent servir comme paravant de pastez d'anguilles. Et quant il vit ce,
il ne se peut plus tenir de demander la cause pourquoy on le servoit plus de pastez d'anguilles, que les aultres, et s'il estoit pasté :
« Par
la mort bieu,
dist-il, j'ensuis si
bourdé
que plus n'en puis ; il me semble que je ne vois que pastez. Et, pour vous dire, il n'y a point de raison,
vous la m'avez faicte trop longue ;
il y a jà plus d'ung mois que vous me faictes ce tour, dont je suis tant maigre, que je n'ay force ne puissance ; si ne scauroie estre
content
d'estre ainsi
gouverné. »
Les maistres d'ostel luy dirent que vrayement ilz ne faisoient chose que Monseigneur n'eust commandé, et que ce n'estait pas eulx. Nostre
mignon,
plain de pastez, ne porta gueres sa pensée, sans la descouvrir à Monseigneur ;
et luy demanda à quel propos il l'avoit fait servir si longuement de pastez d'anguille, et deffendu, comme disoient les maistres d'ostel, que on ne luy
baillast
aultre chose ? Et Monseigneur, pour response, lui dist :
« Ne m'as-tu pas dit que la viande que en ce monde tu plus aymes, ce sont pastez d'anguilles ?
- Par saint Jehan ! ouy, Monseigneur, dist le
mignon.
- Et pourquoy doncques te plains-tu maintenant, dist Monseigneur, si je te fais
bailler
ce que tu aymes ?
- Ce que j'ayme, dit le
mignon,
il y a maniere :
j'ayme
voirement
très bien pastez d'anguilles pour une fois, ou pour deux, ou pour trois, ou
de fois à aultre ;
et n'est viande que devant je prinse. Mais de dire que tousjours les voulsisse avoir sans mangier aultre chose,
par Nostre Dame ! non feroye. Il n'est homme qui n'en feust rompu et
rebouté ;
mon estomac en est si
travaillé,
que, tantost qu'il les sent, il a assez disné. Pour Dieu ! Monseigneur, commandez qu'on me
baille
aultre viande, pour recouvrer mon
appetit ;
aultrement, je suis homme perdu.
- Ha
dea,
dist Monseigneur, et te semble-il
que je ne soye,
qui veulx que je ne me passe de la chair de ma femme ? Tu peuz penser, par ma foy, que j'en suys aussi
saoul,
que tu es de pastez, et que aussi voulentiers me renouvelleroye,
jà soit ce que
point tant ne l'aymasse, que tu ferais d'aultre viande, qui pourtant n'aymes que pastez.
Et, pour tout abreger, tu ne mengeras jamais d'aultre viande jusques à ce que me serves
ainsi que soulois ;
et me feras avoir des unes et des aultres, pour moy renouveler, comme tu veulx changier de viandes. »
Le mignon, quant il entent le mistere et la subtille comparaison que son maistre luy baille, fut tout confuz et se rendit, promettant à son maistre de faire tout ce qu'il vouldra pour estre quitte de ses pastez, voire ambassades et diligences comme par avant.
Et, *** par ce point, Monseigneur, voire et pour Madame espargnier, ainsi que povons penser, au pourchas du mignon, passa le temps avec les belles et bonnes filles ; et nostre mignon fut delivré de ses pastez, et à son premier mestier reattelé et restably.
Ung lache paillart, recraint, jaloux, je ne dis pas coux, vivant à l'aise ainsi que Dieu scait que les entaichiez de ce mal peuvent sentir, et les aultres peuvent percevoir et ouyr dire, ne scavoit à qui recourre et soy rendre pour trouver garison de sa douleur miserable et bien peu plainte maladie. Il faisoit huy ung pellerinage, demain ung aultre, et aussi le plus souvent par ses gens ses devocions et offrendes faisoit faire, tant estoit assoté de sa maison, voire au moins du regart de sa femme, laquelle miserablement son temps passoit avec son très mauldit mary, le plus suspeconneux hongnart que jamais femme accointast.
Ung jour, comme il pensoit qu'il avoit fait et fait faire plusieurs offrendes à divers saints de paradis, et entre aultres à monseigneur sainct Michel,
il s'advisa qu'il en ferait une à l'image qui est soubz les piez dudit sainct Michel. Et, de fait,
commanda à l'ung de ses gens qu'il luy alumast et fist offre d'une grosse chandelle de cire, en le priant pour son intention.
Tantost son commandement fut acomply et luy fut fait son rapport.
« Or ça, dist-il en soy-mesmes, je verray se Dieu ou Diable me pourroit guarir. »
En son accoustumé desplaisir, s'en va coucher auprès de sa bonne et preude femme ; et jà soit ce qu'il eust en sa teste des fantaisies et pensées largement, si le contraingnit Nature, qu'elle eust ses droiz de repos. Et, de fait, bien fermement s'endormit ; et ainsi qu'il estoit au plus parfont de son somme, celluy à qui ce jour la chandelle avoit esté offerte, par vision à luy s'apparut, qui le remercia de l'offrende que nagueres luy avoit envoyée, affermant que pieça telle offrande ne luy fut donnée. Dist, au surplus, qu'il n'avoit pas perdu sa peine, et qu'il obtiendrait ce dont il avoit requis. Et comme l'aultre tousjours perseverait à son somme, luy sembla que, à ung doy de sa main ung anneau luy fut bouté, en luy disant que tant que cest anneau en son doy serait, jamais jaloux il ne seroit, ne cause aussi venir luy en pourroit, qui de ce le tentast. Après l'evanouyssement de ceste vision, nostre jaloux se resveilla, et cuida à l'ung de ses doys ledit anneau trouver, ainsi que semblé luy avoit, mais au derriere de sa femme bien avant bouté l'un de sesditz doys se trouva : de quoy luy et elle furent très esbahis. Mais, du surplus de la vie au jaloux, de ses affaires et maintiens, ceste histoire se taist.
Ès mectes du pays de Hollande, ung fol nagueres s'advisa de faire du pis qu'il pourroit, c'est assavoir soy marier. Et tantost qu'il fut affublé du doulx manteau de mariaige, jà soit ce que alors il fust yver, il fut si très fort eschauffé, qu'on ne le scavoit tenir de nuyt, encores vea que les nuytz, qui pour ceste saison duraient neuf ou dix heures, n'estoient point assez souffisantes ne d'assez longue durée pour estaindre le très ardent desir qu'il avoit de faire lignée. Et, de fait, quelque part qu'il encontrast sa femme, il la abatoit : feust en la chambre, feust en l'estable, ou en quelque lieu que ce feust, tousjours avoit ung assault. Et ne dura ceste maniere ung moys ou deux seulement, mais si très longuement que pas ne le vouldroye escripre, pour l'inconvenient qui sourdre en pourrait, se la folie de ce grant ouvrier venoit à la congnoissance de plusieurs femmes.
Que vous en diray-je plus ? Il en fist tant, que la memoire jamais estaincte n'en sera audit pays. Et, à la verité, la femme qui nagueres au bailly d'Amiens se complaignit, n'avoit pas si bien matiere de soy complaindre que ceste-cy. Mais, quoy qu'il feust, nonobstant que de ceste plaisante peine se feust très bien aucune fois passée, pour obeyr comme elle devoit à son mary, jamais ne fut rebourse à l'esperon.
Advint, ung jour, après disner, que très beau temps faisoit, et que le soleil ses raies envoioit et departoit dessus la terre paincte et broudée de belles fleurs, si leur print voulenté d'aller jouer au bois eulx deux tant seulement, et si se misrent au chemin. Or ne vous fault-il pas celer ce qui sert à l'histoire : à l'heure droictement que noz bonnes gens avoient ceste devocion d'aller jouer au bois, advint que ung laboureur avoit perdu son veau qu'il avoit mis paistre dedans ung pré, en ung pastiz dudit bois ; lequel le vint cherchier, mais il ne le trouva pas, dont il ne fut point trop joyeux. Si se mist en la queste, tant par le boiz comme ès prez, terres et places voisines de l'environ, pour trouver sondit veau, mais il n'en scet avoir nouvelles.
Il s'advisa que par adventure il se seroit bouté en quelque buisson pour paistre, ou dedans aulcune fosse herbue, dont il pourroit bien saillir, quant il aurait le ventre plain. Et à cette fin qu'il puisse mieulx veoir et à son aise, sans aller courir çà ne là, se son veau estoit ainsi comme il pensoit, il choisist le plus hault arbre et mieulx houchié de bois qu'il peut trouver, et monte sus. Et quant il se treuve au plus hault de cest arbre, qui toute la terre d'environ couvrait, il luy fut bien advis que son veau estoit à moityé trouvé. Tandis que ce bon laboureur gettoit ses yeulx de tous costez après son veau, voicy nostre homme et sa femme, qui se boutent ou bois, chantans, jouans, devisans et faisans feste, comme font les cueurs gaiz, quant ilz se trouvent ès plaisans lieux. Et n'est pas merveilles se vouloir luy creust et se desir l'enhorta d'accoller sa femme en ce lieu si plaisant et propice. Pour executer ce vouloir à sa plaisance et à son beau loisir, tant regarda un coup à dextre, l'aultre à senestre, qu'il apperceut le très bel arbre dessus lequel estoit le laboureur, dont il ne scavoit riens ; et soubz cest arbre, se disposa et conclud ses gracieuses plaisances acomplir. Et quant il fut au lieu, il ne demoura gueres après la semonce de sondit désir, mais tantost mist la main à la besoigne et vous commença à assaillir sa femme : et la gette par terre, car à l'heure il estoit bien en ses gogues ; et sa, femme aussi, d'autre part. Si la voulut veoir par devant et par derriere : et, de fait, prent sa robe et la luy osta, et en Cote simple la met. Après, il la haulsa bien hault, maulgré d'elle, ainsi comme efforcée, et ne fut pas content de ce ; mais encores, pour la bien veoir à son aise et sa beaulté regarder, la tourne et revire, et, à la fin, sur son gros derriere sa rude main par trois ou quatre fois il fait descendre ; puis, d'aultre part, la retourne ; et comme il eut son derriere regardé, aussi fait-il son devant ; ce que la bonne simple femme ne veult pour rien consentir : mesmes avec la grant resistence qu'elle fait, Dieu scait que sa langue n'estoit pas oiseuse. Or, l'appelle maulgracieux, maintenant fol et enragié, l'aultre fois deshonneste, et tant luy dist que c'est merveille, mais riens n'y vault : il est trop plus fort qu'elle, et si a conclud de faire inventaire de ce qu'elle porte, si est force qu'elle obeisse, mieulx aymant, comme saige, le bon plaisir de son mary, que par reffus le desplaisir.
Toute defense du costé d'elle mis arriere, ce vaillant homme va passer temps à son devant regarder, et,
se sans honneur on le peust dire, il ne fust pas
content
se ses mains ne descouvrirent à ses yeulx les secretz dont il se devoit bien passer
d'enquerre.
Et comme il estoit en ceste
parfonde
estude, il disoit maintenant :
« Je voy cecy ! Je voy cela ! encores cecy ! encores cela ! »
Et qui
l'oyoit,
il veoit tout le monde et beaucoup plus. Et, après une grande et longue pose, estant en ceste gracieuse contemplation, dist
de rechief :
« Saincte Marie, que je voy de choses !
- Helas ! dist lors le
laboureur
sur l'arbre, bonnes gens, ne veez-vous point mon veau ? Sire, il me semble que j'en voy la queue. »
L'aultre,
jà soit qu'il
fust bien
esbahy,
subitement fist la response et dist :
« Cette queue n'est pas de ce veau. »
Et à tant part et s'en va, et sa femme après.
Et qui me demanderait qui le laboureur mouvoit de faire cette question ? Le secretaire de cette histoire respond que la barbe du devant de ceste femme estoit assez et beaucoup longue, comme il est de coutume à celles de Hollande, si cuidoit bien que ce feust la queue de son veau, attendu aussi que le mary d'elle disoit qu'il veoit tant de choses, voire à peu près tout le monde ; si pensoit en soy-mesmes que le veau ne povoit gueres estre eslongné, et que avec d'aultres choses leans pourroit estre embuschié.
À Londres en Angleterre, avoit nagueres ung procureur de Parlement, qui, entre les aultres de ses serviteurs, avoit ung clerc habille et diligent et bien escripvant, qui très beau filz estoit ; et que on ne doit pas oublier, pour ung homme de son aage il n'estoit point des plus soubtils. Ce gentil clerc et vigoureux fust tantost picqué de sa maistresse, qui très belle, gente et gracieuse estoit ; et si très bien lui vint que, ainçois qu'il luy osast oncques dire son cas, le dieu d'amours l'avoit à ce menée, qu'il estoit le seul homme ou monde qui plus luy plaisoit.
Advint qu'il se trouva en place ramonnée ; et, de fait, toute craincte mise arrière, à sadicte maistresse, son très gracieux et doulx mal racompta. Laquelle, pour la grant courtoisie que Dieu en elle n'avoit pas oubliée, desja ainsi attaincte comme dessus est dit, ne le fist gueres languir : car, après plusieurs excusations et remonstrances qu'en brief elle luy toucha, que elle eust à aultre plus aigrement et plus longuement demenées, elle fut contente qu'il sceust qu'il luy plaisoit bien. L'aultre, qui entendoit son latin, plus joyeux que jamais il n'avoit esté, s'advisa de batre le fer, tandis qu'il estoit chault, et si très fort sa besoigne poursuyvit, qu'en peu de temps jouyst de ses amours. L'amour de la maistresse au clerc, et du clerc à elle, estoit et fut long temps si très ardant, que jamais gens ne furent plus esprins, car, en effect, le plus souvent en perdoient le boire et le mengier ; et n'estoit pas en la puissance de Malebouche, de Dangier, ne d'aultres telles mauldictes gens, de leur bailler ne donner destourbier. À ce très joyeux estat et plaisant passetemps se passerent plusieurs jours, qui gueres aux amans ne durerent, qui tant donnez l'ung à l'aultre s'estaient, qu'à peu ils eussent quitté à Dieu leur part de paradis, pour vivre au monde leur terme en ceste façon. Et, comme ung jour advint que ensemble estaient, et, des très haultz biens qu'amour leur souffrit prendre, se devisoient entre eulx, en eulx pourmenant par une sale, comment ceste leur joye nonpareille continuer seurement pourraient, sans que l'embusche de leur dangereuse entreprinse fust descouverte au mary d'elle, qui du renc des jaloux se tiroit très près et du hault bout. Pensez que plus d'ung advis leur vint au devant, que je passe sans plus au long le descripre. La finale conclusion et derreniere resolution que le bon clerc print, fut de très bien conduire et à seure fin mener son entreprinse : à quoy point ne faillit. Vecy comment.
Vous devez scavoir
l'accointance
et aliance, que le clerc eust à sa maistresse, laquelle diligemment servoit et luy complaisoit ;
qui aussi n'estoit pas moins diligent de servir et complaire à son maistre, et tout pour tousjours mieulx son fait couvrir,
et aveugler les jaloux yeulx, qui pas tant ne se doubtoient que on luy enforgeoit bien la matiere.
Ung certain jour après, nostre bon clerc, voiant son maistre assez
content
de luy, entreprint de parler et tout seul très humblement, doulcement et en grande reverence à luy ;
et luy dist qu'il avoit en son cueur ung secret que voulentiers luy declarast, s'il osoit. Et ne vous fault
celer
que, tout ainsi comme plusieurs femmes ont larmes à commandement qu'elles espandent au moins aussi souvent qu'elles vueillent,
si eust à ce coup, nostre bon clerc, que grosses larmes, en parlant, des yeulx luy descendoient en très grant abondance ; et n'est homme qui ne
cuidast
qu'elles ne fussent de contrition, de pitié, ou de très bonne intention. Le povre maistre, abusé,
ouyant
son clerc, ne fut pas ung peu
esbahy,
ne esmerveillé, mais
cuidoit
bien qu'il y eust autre chose que ce que après il sceust ; si dist :
« Et que vous fault-il, mon filz, et que avez-vous à plorer maintenant ?
- Helas ! sire, et j'ay bien cause plus que nul aultre de me
douloir,
mais, helas ! mon cas est tant estrange, et non pas moins piteux ne moins sur tous requis d'estre
celé,
que, nonobstant que j'aye ou vouloir de le vous dire, si m'en
deboute
crainte, quant j'ay au long à mon maleur pensé.
- Ne plorez plus, mon filz, respond le maistre, et si me dictes qu'il vous fault, et je vous asseure,
s'en moy est possible de vous aydier, je m'y emploieray voulentiers comme je doy.
- Mon maistre, dist le regnart clerc, je vous mercie, mais, quant j'ay bien tout regardé,
je ne pense pas que ma langue eust la puissance de descouvrir la très grant infortune que j'ay si longuement portée.
- Ostez-moy ces propos et toutes ces doleances, respond le maistre : je suis celuy à qui riens ne devez
celer ;
je vueil scavoir que vous avez ? Avancez-vous et le me dictes. »
Le clerc, saichant le tour de son baston, s'en fist beaucoup prier et à très grant crainte, par
semblant,
et à très grant abondance de larmes, et
à voulenté
se laisse
ferrer ;
et dist qu'il luy dira, mais qu'il luy vueille promettre que par luy jamais personne n'en scaura nouvelle, car il aimerait autant ou plus
chier
mourir, que son maleureux cas feust cogneu. Ceste promesse par le maistre accordée, le clerc,
mut
et descouloré comme ung homme jugié à pendre, si va dire son cas :
« Mon très bon maistre, il est vray que,
jà soit ce que
plusieurs gens et vous, aussi pourraient penser que je feusse homme naturel comme ung autre,
ayant puissance d'avoir compaignie avec femme, et de faire
lignée,
vous oseray bien dire et monstrer que point je ne suis tel, dont helas ! trop je me
deul. »
Et, à ces parolles, trop asseurement tira son membre à perche et lui fist monstre de la peau où les
coulons
se logent, lesquelz il avoit par industrie fait monter en hault, vers son petit ventre,
et si bien les avoit cachiez, qu'il sembloit qu'il n'en eust nulz. Or, luy va dire :
« Mon maistre, vous voyez bien mon infortune, dont je vous prie
de rechief
que elle soit
celée ;
et, oultre plus, très humblement vous requiers, pour tous les
services
que jamais vous feis, qui ne sont pas telz que j'en eusse eu la voulenté,
se Dieu m'eust donné le povoir, que me faciez avoir mon pain en quelque monastere devot, où je puisse
le surplus
de mes jours ou
service
de Dieu passer, car au monde ne puis de riens servir. »
Le abusé et
deceu
maistre remonstra à son clerc l'aspreté de religion, le peu de merite qui luy en viendrait, quant il se veult rendre moyne par
desplaisir
de son infortune, et foison d'aultres raisons luy amena, trop longues à compter, tendans à fin de l'oster de son propos.
Scavoir vous fault aussi que pour riens ne l'eust voulu abandonner, tant pour son bien escripre et
diligence,
que pour la fiance que doresenavant à luy adjoustera. Que vous diray-je plus ? Tant luy remonstra, que ce clerc,
au fort,
pour une
espace,
en son estat et en son
service
demourer luy promect. Et, comme bien ouvert luy avoit son secret le clerc, aussi le maistre le sien luy voulut desceler, et dist :
« Mon filz, de vostre infortune ne suis-je point joyeux, mais,
au fort,
Dieu, qui fait tout pour le mieulx, scait ce qui nous
duyt
et vault mieulx : vous me pourrez doresenavant très bien servir, et à mon povoir, vous le meriteray :
j'ay jeune femme assez legiere et volaige, et suis, ainsi comme vous
veez,
desja ancien et sur aage : qui aucunement peut estre occasion à plusieurs de la
requerre
de deshonneur ; et à elle aussi, s'elle estoit autre que bonne, me
bailler
matiere de jalousie, et plusieurs aultres choses. Je la vous baille et donne en garde,
et si vous en prie que tenez à ce la main, que je n'aye cause d'en elle trouver nulle matiere de jalousie. »
Par grande deliberation fit le clerc sa response ; et, quand il parla, Dieu scait si loua bien sa très belle et bonne maistresse,
disant que sur tous aultres il l'avoit belle et bonne et qu'il s'en devoit tenir seur. Neantmoins qu'en ce
service
et d'aultres il est celuy qui s'y veult de tout son cueur emploier ;
et ne la laissera, pour riens qu'il y puisse advenir, qu'il ne le advertisse de tout ce que loyal
serviteur
doit faire à son maistre. Le maistre,
lye
et joyeux de la nouvelle garde de sa femme, laisse
l'ostel,
et en la ville à ses affaires va entendre. Et bon clerc
incontinent
sault à sa garde, et, le plus longuement que luy et sa dame bien oserent, n'espargnerent pas les membres qui en terre pourriront ;
et ne firent jamais plus grant feste, depuis que l'adventure fut advenue de la façon subtille que bon mary abuseroient.
Assez et longue espace durant le joly passetemps de ceulx qui tant bien s'entraymoient. Et, se aucunes fois le bon mary alloit dehors, il n'avoit garde d'emmener son clerc ; plustost eust emprunté ung serviteur à ses voisins, que l'aultre n'eust gardé l'ostel ; et, se la dame avoit congié d'aller en aucun pellerinage, plustost alast sans chamberiere, que sans le très gracieux clerc. Et faictes vostre compte : jamais clerc vanter ne se peut d'avoir eu meilleur adventure, qui point ne vint à congnoissance, voire au moins que je saiche, à celuy qui bien s'en feust desesperé, s'il en eust sceu le demaine.
La grande et large marche de Bourgoigne n'est pas si despourveue de plusieurs adventures dignes de memoire et d'escripre, que, à fournir les histoires qui à present courent, n'en puisse et doive faire sa part en renc des aultres. Je ne ose avant mettre ne en bruit ce que nagueres y advint assez près d'ung gros et bon villaige seant sur la riviere d'Ousche. Là avoit, et encores a une montaigne où ung hermite, tel que Dieu scait, faisoit sa residence, lequel soubz umbre du doulx manteau d'ypochrisie faisoit des choses merveilleuses, qui pas ne vindrent à congnoissance en la voix publique du peuple, jusques ad ce que Dieu plus ne voulut son très damnable abus permettre ne souffrir. Ce sainct hermite, qui de son coup à la mort se tiroit, n'estoit pas moins luxurieux, ne malicieux, que seroit ung vieil cinge ; mais la maniéré du conduire estoit si subtille, qu'il fault dire qu'elle passoit les autres cautelles communes. Vecy qu'il fist.
Il regarda,
entre les aultres
femmes et belles filles, la plus digne de estre aymée et desirée : si se pensa que ce estoit la fille à une simple femme vefve,
très devote et bien aulmoniere ; et va conclure en soy-mesmes que, se son sens ne luy fault, il en
chevira
bien. Ung soir, environ la mynuyt, qu'il faisoit fort et rude temps, il descendit de sa montaigne, et vint à ce villaige,
et tant passa de voyes et sentiers, que, à l'environ de la mere et la fille, sans estre
oyseux,
se trouva.
L'ostel
n'estoit pas si grant, ne si peu de luy hanté tout en
devocion,
qu'il ne sceust bien les
engins.
Si va faire ung
pertuis
en une paroy non gueres espesse, a l'endroit de laquelle estoit le lict de ceste simple femme vefve ;
et prent un long baston percé et creux, dont il estoit
hourdé,
et, sans la vefve esveiller, auprès de son oreille le mist, et dist en assez basse voix, par trois fois :
« Escoute-moy, femme de Dieu ; je suis ung ange du Createur, qui devers toy m'envoye te annoncier et commander que,
pour les haultz biens qu'il a voulu en toy entrer, qu'il veult, par ung
hoir
de ta chair, c'est assavoir ta fille, l'Église son espouse reunir, refformer et en son estat deu remettre.
Et vecy
la façon : Tu t'en yras en la montaigne devers le sainct hermite, et ta fille luy meneras, et
bien au long
luy compteras ce qu'à present Dieu par moy te mande. Il congnoistra ta fille,
et de eulx viendra ung filz esleu de Dieu et destiné au sainct Siege de Romme,
qui tant de biens fera, que à sainct Pierre et à sainct Pol l'on le pourra bien comparer.
À tant m'en voys. Obeys à Dieu ! »
La simple femme vefve, très esbahye, surprinse aussi et à demy ravye, cuida vrayement, et de fait, que Dieu luy envoyast ce messaiger. Si dist bien en soy-mesmes qu'elle ne desobeira pas ; et puis, la bonne femme se rendort une grande piece après, non pas trop fermement, attendant et beaucoup desirant le jour. Et entretant, le bon hermite prend le chemin devers son hermitaige en la montaigne.
Ce très desiré jour tantost se monstra et fut par les raiz du soleil, maulgré les verrieres des fenestres,
a coup descendu
emmy
la chambre de ladicte vefve ; et la mere et la fille se leverent a très grant haste. Quant elles furent prestes et sur piez mises,
et leur peu de mesnage
mis a point,
la bonne mere si demande a sa fille s'elle avoit rien ouy en ceste nuyt ? Et la fille luy respond :
« Certes, mere, nenny.
- Ce n'est pas a toy, dist-elle aussi, que de
prinssault
ce doulx messaige s'adresse, combien qu'il te touche beaucoup. »
Lors luy va dire et racompter
quittance
l'angelicque nouvelle, que en ceste nuyt Dieu luy manda ; demande aussi qu'elle en veult dire. La bonne fille,
comme sa mere simple et devote, respond :
« Dieu soit loué ! Tout ce qu'il vous plaist, ma mere, soit fait !
- C'est très bien dit, respond la mere. Or nous en allons en la montaigne, à la
semonce
du bon ange, devers le sainct preudhomme. »
Le bon hermite, faisant le guet quant la
deceue
femme sa simple fille amenerait, la voit venir. Si laisse son
huys
entreouvert, et en priere se va mettre
emmy
sa chambre, affin qu'en devotion feust trouvé. Et comme il desiroit il advint, car la bonne femme et sa fille aussi, voyans
l'huys
entreouvert, sans demander quoy ne comment, dedans entrerent.
Et comme elles aperceurent l'hermite en contemplation, comme s'il feust Dieu, l'honnourerent.
L'hermite, à voix humble, en cachant les yeulx et vers la terre enclinez, dist :
« Dieu
salve
la compaignie ! »
Et la povre vieillote, désirant qu'il sceut la chose qui l'amenoit, le tira à part et luy va dire, de chief en bout, tout le fait, qu'il scavoit trop mieulx qu'elle. Et comme en grande reverence faisoit son rapport, le bon hermite gettoit les yeulx en hault, joignoit les mains au ciel ; et la bonne vieille plouroit, tant avoit de joye et de pitié. Et la povre fille aussi plouroit, quant elle veoit ce bon et sainct hermite en si grande devotion prier et ne scavoit pourquoy.
Quant ce rapport fut
quittance
achevé, dont la vieillote attendoit la response, celuy qui la doit faire ne se haste pas.
Au fort,
certaine piece après,
quant il parla, ce fut en disant :
« Dieu soit loué ! Mais, m'amie, dist-il, vous semble-il, à la verité, et à vostre entendement,
que ce que, droit cy vous me dictes, ne soit point fantasie ou illusion, que vous
enjuge
le cueur ? Saichez que la chose est grande.
- Certainement, beau pere, j'entendis la voix, qui ceste joyeuse nouvelle me aporta,
aussi plainement que je fais vous, et creez que je ne dormoie pas.
- Or bien, dist-il, non pas que je vueille contredire au vouloir de mon Createur,
se me semble-il bon que vous et moy dormirons encores sur ce fait, et, si vous
appert
de rechief,
vous reviendrez icy vers moy, et Dieu nous donnera bon conseil et advis.
On ne doit pas trop
legierement
croire, ma bonne mere ; le Dyable, qui est aucunes fois envieux d'aultruy, trouve tant de
cautelles,
et se transforme en ange de lumiere.
Creez, creez, ma mere, que ce n'est pas peu de chose de ce fait cy ; et, se je y metz ung peu de reffus,
ce n'est pas merveilles :
n'ay-je pas à Dieu voué chasteté ? Et vous m'apportez la
rompeure
de par luy ! Retournez en vostre maison, et priez Dieu, et au surplus demain nous verrons que ce sera, et à Dieu soyez ! »
Après ung grant tas de agyos, se part la compaignie, de l'hermite, et vindrent à l'ostel, tout devisant.
Pour abregier, nostre hermite, à l'heure accoustumée et deue, fourny du baston creux, en lieu de
potence,
revient à l'oreille de la simple femme, disant les propres motz, ou en substance, de la nuyt precedente ; et ce fait,
incontinent,
sans aultre chose faire, retourne à son hermitaige. La bonne femme,
emprinse
de joye, cuydant Dieu tenir par les piez, se lieve de haulte heure, et à sa fille racompte toutes ces nouvelles sans
doubte,
et confermant la vision de l'aultre nuyt passée.
« Il n'est que d'abregier : Or allons devers le sainct homme ! »
Elles s'en vont, et il les regarde approucher ; si va prendre son breviaire, et son
service
recommancer faisant de l'ypocrite. Et pensez que il le faisoit en grant devotion, Dieu le scait.
Et puis, après son
service,
print à recommencer, et en cest estat, devant
l'huys
de sa maisonnette, se fait des bonnes femmes saluer.
Et pensez que se la vieille luy fist hyer ung grant prologue de sa vision,
celuy de maintenant n'est de riens moindre : dont le preudhomme se signe du signe de la croix, faisant grans admirations à merveilles, disant :
« Mon Dieu, mon createur, qu'est cecy ? Fais de moy tout ce qu'il te plaist,
combien que,
se n'estoit ta large grace, je ne suis pas digne d'escouter ung si grant oeuvre !
- Or regardez, beau pere, dist alors la bonne femme abusée et follement
deceue,
vous voyez bien que c'est
à certes,
quant
de rechief
s'est apparu l'ange vers moy.
- En verité, m'amie, ceste matiere est si haulte et si très difficile et non accoustumée, que je n'en scauroye
bailler
que doubteuse response ;
non mie,
affin que vous entendez seurement que, en attendant la tierce apparicion, je veuille que vous tentez Dieu.
Mais on dit de coustume :
"À la tierce foys va la luyle".
Si vous prie et requiers que encores se puisse passer ceste nuyt sans aultre chose faire,
attendant sur ce fait la grace de Dieu ; et se, par sa grande misericorde, il luy plaise nous demonstrer
anuyt
comme lés aultres nuytz precedentes, nous ferons tant, qu'il en sera loué. »
Ce ne fut pas du bon gré de la simple vieille qu'on tardast tant d'obeyr à Dieu, mais,
au fort,
l'hermite est creu comme le plus saige. Comme elle fut couchée, au
parfond
des nouvelles qui en teste luy viennent, l'ypocrite pervers, de sa montaigne descendu, luy met son baston creux à l'oreille,
ainsi comme il avoit de coustume, en luy commandant de par Dieu, comme son ange, une fois pour toutes, qu'elle
maine
sa fille à l'hermite pour la cause que dit est. Elle n'oublia pas, tantost qu'il fut jour, ceste
charge,
car, après les graces à Dieu de par elle et sa fille rendues, se mettent au chemin par devers l'hermitaige,
où l'hermite leur vint au devant, qui de Dieu les salue et begnie. Et la bonne mere, trop plus que nulle aultre joyeuse, ne luy
cela
gueres sa nouvelle apparition : dont l'hermite, qui par la main la tient, en sa chappelle
la convoye,
et la fille aussi va après.
Et leans
font leurs très devotes oraisons à Dieu le tout puissant, qui ce très hault mystere leur a daigne demonstrer.
Après ung peu de sermon que fist l'hermite touchant songes, visions, apparitions et revelations,
qui souvent aux gens adviennent, et il chust en propos de touchier leur matiere,
pour laquelle estaient assemblez. Et pensez que l'hermite les prescha bien et en bonne
devocion,
Dieu le scait.
« Puis que Dieu veult et commande que je face
lignée
papale,
et le daigne reveler non par une fois ou deux seulement, mais là tierce
d'abondance,
il faut dire, croire et conclure que c'est ung hault bien, qui de ce fait s'en ensuyvera.
Si m'est advis que mieulx on ne peut faire que d'abregier l'exécution, en lieu de ce que trop j'ay differé de
bailler
foy à la saincte apparition.
- Vous dictes bien, beau pere. Comment vous plaist-il faire ? respond la vieille.
- Vous laisserez ceans, dist l'hermite, vostre belle fille, et elle et moy en oraisons nous mettrons, et au surplus ferons ce que Dieu nous aprendra. »
La bonne femme vefve en fut contente, et aussi fut sa fille, pour obeyr. Quant nostre hermite se treuve à part avecques la belle fille, comme s'il la voulsist rebaptiser, toute nue la fait despouiller ; et pensez que l'hermite ne demoura pas vestu. Qu'en vauldroit le long compte ?
Il la tint tant et si longuement avecques luy, en lieu d'aultre clerc, tant alla aussi et vint à
l'ostel
d'elle, pour la
doubte
des gens, et aussi pour honte qu'elle n'osoit partir de la maison, car bientost après le ventre si luy commença à
bourser :
dont elle fut si joyeuse qu'on ne vous le scauroit dire. Mais, se la fille s'esjouyssoit de sa
portée,
la mere d'elle en avoit à cent doubles joyes :
et le mauldit bigot faignoit aussi s'en esjouyr, mais il en enrageoit
tout vif. Ceste povre mere abusée,
cuidant
de vray que sa fille deust faire ung très beau filz,
pour le temps advenir, de Dieu esleu pape de Romme, ne se peult tenir qu'à sa plus
privée
voisine ne le comptast ; qui aussi
esbahye
en fut, comme se cornes luy venoient, non pas toutesfois qu'elle ne se doubtast de tromperie. Elle ne
cela
pas longuement aux autres voisins et voisines comment la fille d'une telle estoit grosse,
par les oeuvres du sainct hermite, d'ung filz qui doit estre pape de Romme.
« Et ce que j'en scay, dist-elle, la mere d'elle le m'a dit, à qui Dieu l'a voulu reveler. »
Ceste nouvelle fut tantost espandue par les villes voisines. Et, en ce temps pendant, la fille s'accoucha, qui à la bonne heure d'une belle fille se delivra : dont elle fut esmerveillée et courroucée, et sa très simple fille, et les voisines aussi, qui attendoient vraiement le saint Pere advenir recevoir.
La nouvelle de ce cas ne fut pas moins tost sceue que celle precedente ; et, entre aultres, l'hermite en fut des premiers advertis : qui tantost s'en fouyt en ung autre pays, ne scay quel, une autre femme ou fille decepvoir, ou, ès desers d'Egipte, de cueur contrit, la penitence de son pechié satisfaire. Quoy que soit ou fut, la povre fille en fut deshonnorée, dont ce fut grant dommaige, car belle, bonne et gente estoit.
Au gentil pays de Braibant, près d'ung monastere de blancs moynes, est situé ung aultre monastere de nonnains, qui très devotes et charitables sont, dont l'histoire tait le nom et la marche particuliere. Ces deux maisons, comme on dit de coustume, estaient voisines, la grange et les bateurs ; car, Dieu mercy, la charité de la maison aux nonnains estoit si très grande, que peu de gens estaient escondis de l'amoureuse distribution, voire se dignes estaient d'icelle recepvoir.
Pour venir ou fait de ceste histoire, ou cloistre des blancs moines,
avoit ung jeune et beau religieux, qui fut amoureux d'une des nonnains ; et, de fait, eust bien le
couraige,
après les
prémisses,
de luy demander à faire pour l'amour de Dieu. Et la nonnain, qui bien congnoissoit ses
oustilz,
jà soit qu'elle
fust bien courtoise, luy
bailla
dure et aspre response. Il ne fut pas pourtant enchassé, mais tant continua sa très humble requeste, que force fut à la très belle nonnain, ou de perdre le
bruit
de sa très large
courtoisie,
ou d'accorder, au moyne ce qu'elle avoit à plusieurs, sans gueres prier, accordé. Si luy va dire :
« En verité, vous poursuyvez et
faictes grant diligence
d'obtenir ce que à droit ne scauriez fournir ; et pensez-vous que je ne saiche bien, par ouyr dire, quelz
oustilz
vous portez ? Creez que si fais ; il n'y a pas pour dire grand
mercy !
- Je ne scay, moy, qu'on vous a dit, respond le moyne, mais je ne doubte point que vous ne soyez bien
contente
de moy, et que ne vous monstre que je suis homme comme ung aultre.
- Homme, dit-elle, cela croy-je assez bien, mais vostre chose est tant petit, comme l'on dit, que, se vous l'apportez en quelque lieu,
à peu
s'on s'aperçoit qu'il y est.
- Il va bien aultrement, dist le moyne, et, se j'estais en place, je feroye,
et par vostre jugement, menteurs tous ceulx ou celles qui ceste renommée me donnent. »
Au fort,
après ce gracieux debat, la courtoise nonnain, affin d'estre quitte de l'ennuyante poursuyte que le moyne faisoit,
affin aussi que elle saiche qu'il vault et qu'il scait faire, et aussi qu'elle n'oublie le mestier qui tant luy plaist, elle luy
baille jour,
à XII heures de nuyt, devers elle venir et heurter à sa
traille ;
dont elle fut haultement merciée :
« Toutesfois vous n'y entrerez pas, que je ne saiche, dist-elle, à la verité, quelz
Oustilz
vous portez, et se je m'en scauroye ayder ou non ?
- Comme il vous plaira, » respond le moyne.
À tant s'en va et laisse sa maistresse ; et vint tout droit devers frere Courard, l'ung de ses compaignons,
qui estoit oustillé Dieu scait comment, et pour ceste cause avoit ung grant
gouvernement
ou cloistre des nonnains. Il luy compta son
cas
tout du long,
comment il à prié une telle, la response et le reffus que elle fit,
doubtant
qu'il ne soit pas bien soulier à son pié ; et
en la parfin,
comment elle
est contente
qu'il entre vers elle,
mais qu'elle
sente et saiche
premier
de quelle lance il vouldroit
jouster
contre son
escu.
« Or est ainsi, dist-il, que je suis mal fourny d'une grosse lance telle que j'espoire et voy qu'elle desire d'estre rencontrée.
Si vous emprie tant comme je puis, que
anuyt
vous venez avecques moy, à l'heure que je me dois vers elle rendre, et vous me ferez le plus grant plaisir que jamais homme fist à aultre.
Je scay très bien qu'elle voudra, la moy venu, sentir et taster la lance, dont je attens à fournir mes
armes ;
et, en la fin, me fauldra ce faire : vous serez derriere moy, sans dire mot, et vous mettrez en ma place, et vostre gros
bourdon
en son poingt luy mettrez : elle ouvrera
l'huys,
je n'en doubte point, et puis, cela fait, vous vous en yrez et dedans j'entreray ; et puis,
du surplus
laissez-moy faire. »
Frere Courard est en grant soulcy comment il pourra faire et complaire à son compaignon, mais toutesfois se mect à l'adventure, et
tout ainsi que
luy avoit dit, s'en va et luy accorde ce marchié. Et, à l'heure assignée, se met avec luy en chemin par devers la nonnain.
Quant ilz sont à l'endroit de la fenestre, maistre moyne, plus eschauffé que ung estalon, de son baston ung coup heurta ;
et la nonnain n'attendit pas l'autre heurt, mais ouvrist la fenestre et dist en basse voix :
« Qui est-ce là ?
- C'est moy, dist-il ; ouvrez tost
l'huys,
que on ne nous oye.
- Ma foy, dist-elle, vous ne serez jà en mon livre enregistré, n'escript, que premierement ne passez
à monstre,
et que je ne saiche quel harnois vous portez. Approuchez-vous près et me monstrez que c'est.
- Très voulentiers, » dist-il.
Alors tire frere Courard, lequel s'avançoit pour faire son personnaige,
qui en la main de ma dame la nonnain mist son bel et très puissant
bourdon,
qui gros, long et rond estoit. Et, tantost qu'elle le sentit, comme sa nature luy en
baillast
la congnoissance, elle dist :
« Nenny, nenuy, je congnois bien cestuy-cy, c'est le
bourdon
de frere Courard ; il n'y a nonnain ceans qui bien ne le congnoisse ; vous n'avez garde que j'en soye
deceue,
je le congnois trop. Allez querir vostre adventure ailleurs. »
Et à tant sa fenestre referma, bien courroucée et mal contente, non pas sur frere Courard, mais sur l'aultre moyne, lesquelz, après ceste adventure, s'en retournerent vers leur ostel, tout devisant de ceste advenue.
En la conté d'Artois nagueres vivoit ung gentil chevalier, riche et puissant, lyé par mariage avec une très belle dame et de hault lieu. Ces deux ensemble, par longue espace, passerent plusieurs jours paisiblement et doulcement. Et pource que alors le très puissant duc de Bourgoigne, conte d'Artois et leur seigneur, estoit en paix avec tous les grands princes chrestiens, le chevalier, qui très devot estoit, delibera faire à Dieu sacrifice du corps qu'il luy avoit presté bel et puissant, assouvy de taille, d'estre, autant et plus que personne de sa contrée, excepté que perdu avoit ung oeil en ung assault. Et pour faire son obligation en lieu esleu et de luy desiré, après les congiez à ma dame sa femme prins et de plusieurs ses parens, s'en va devers les bons seigneurs de Prusse, vrais defensseurs de la très saincte foy chrestienne. Tant fist et diligenta qu'en Prusse, après plusieurs adventures que je passe, sain et sauf se trouva, où il fist assez largement de grans proesses en armes, dont le grant bruit de sa vaillance fut tantost espandu en plusieurs marches, tant à la relation de ceulx qui veu l'avoient, en leur pays retournez, que par lettres que les demeurez escripvoient à plusieurs qui très grant gré leur en scavoit. Or ne fault pas celer que ma dame, qui estoit demeurée, ne fut pas si rigoreuse qu'à la priere d'ung gentil escuier, qui d'amours la requist, elle ne feust tantost contente qu'il feust lieutenant de Monseigneur qui aux Sarrazins se combatoit.
Tandis que Monseigneur jeusne et fait penitence, ma dame fait bonne
Advint ung jour que Monseigneur, estant au giste, environ à
six lieues
de sa maison où il doit trouver ma dame, se leva bien matin et monta à cheval, que bien luy semble que son cheval le rendra à sa maison, avant que ma dame soit
descouchée,
qui riens de sa venue ne scait. Ainsi comme il le proposa il advint, et, comme il estoit en ce plaisant chemin, dist à ses gens :
« Venez tout à vostre aise, et
ne vous chaille
jà de moy
suyr ;
je m'en iray tout mon beau train, pour trouver ma femme au lit. »
Ses gens tout
hodez
et travaillez, et leurs chevaulx aussi, ne contredirent pas à Monseigneur, mais s'en viennent tout à leur aise après luy,
sans eulx travailler aucunement ; mais pourtant si
doubtoient-ilz
de mondit seigneur, lequel s'en alloit ainsi de nuyt tout seul et avoit si grant haste.
Cil
s'en va et fait tant, qu'il est en
brief
en la basse court de son
ostel
descendu, où il trouva ung varlet qui le desmonta de son cheval. Tout ainsi et
housé
et esperonné, quant il fut descendu, s'en va tout droit, sans rencontrer personne, car encores matin estoit,
devers sa chambre où ma dame encore dormoit, ou
espoire
faisoit ce qui tant a fait Monseigneur
travailler.
Creez que
l'huys
n'estoit pas ouvert, à cause du
lieutenant
qui tout
esbahy
fut et ma dame aussi, quant Monseigneur heurta de son baston ung très lourt coup :
« Qui est-ce là ? ce dist ma dame.
- C'est moy, ce dist Monseigneur, ouvrez, ouvrez ! »
Ma dame, qui tantost a cogneu Monseigneur à son parler, ne fut pas des plus asseurées ;
neantmoins fait habiller
incontinent
son escuier, qui met peine de s'advancier le plus qu'il peut,
pensant comment il pourra eschapper sans dangier.
Ma dame, qui faint d'estre encores toute endormie et non recongnoistre Monseigneur, après le second heurt qu'il fait à
l'huys,
demande encores :
« Qui est-ce là ?
- C'est vostre mary, dame, ouvrez bien tost, ouvrez !
- Mon mary ? dist-elle. Helas ! il est bien loing de cy ; Dieu le ramaine à joie et
brief !
- Par ma foy, dame, je suis vostre mary ; et ne me congnoissez-vous au parler ?
Si tost que je vous ay ouy respondre, je congneuz bien que c'estiez vous.
- Quant il viendra, je le scauray beaucoup devant, pour le recepvoir ainsi comme je dois,
et aussi, pour mander messeigneurs ses parens et amis pour le festoier et convoier à sa bien venue. Allez, allez, et me laissez dormir !
- Saint Jehan, je vous en garderay bien ! ce dist Monseigneur. Il fault que vous ouvrez
l'huys ;
et ne voulez-vous congnoistre vostre mary ? »
Alors l'appelle par son nom. Et elle, qui voit que son amy est jà tout prest, le fait mettre derriere
l'huys.
Et puis, va dire à Monseigneur :
« Estes-vous ce ? Pour Dieu ! pardonnez-moy, et estes-vous
en bon point ?
- Ouy, Dieu mercy ; ce dist Monseigneur.
- Or loué en soit Dieu ! ce dist ma dame, je viens
incontinant
vers vous et vous mettray dedans ;
mais que
je soye un peu habillée et que j'aye de la chandelle.
- Tout a vostre aise, ce dist Monseigneur.
- En vérité, ce dist ma dame, tout
a ce coup que vous avez heurté,
Monseigneur, j'estoye bien
empeschée
d'ung songe qui est de vous.
- Et quel est-il, m'amye ?
- Par ma foy ! Monseigneur, il me sembloit
à bon escient
que vous estiez revenu, que vous parliez a moy, et si voyez tout aussi cler d'ung oeil comme de l'aultre.
- Pleust ores à Dieu ! ce dist Monseigneur.
- Nostre Dame ! ce dist ma dame, je croy que
aussi faictes-vous?
- Par ma foy, ce dist Monseigneur, vous estes bien beste ; et comment ce pourroit-il faire ?
- Je tiens, moy, dist-elle, qu'il est ainsy.
- Il n'en est riens, non, dist Monseigneur. Estes-vous bien si fole de le penser ?
- dea,
Monseigneur, dist-elle, ne me créez jamais s'il n'est ainsi ; et, pour la paix de mon cueur, je vous requier que nous l'esprouvons. »
Et à ce coup, elle
ouvra
l'huys,
tenant la chandelle
ardant
en sa main. Et Monseigneur, qui est
content de
ceste espreuve, s'y accorde par les parolles de sa femme ;
et ainsi le povre homme endura bien, que ma dame luy bouchast son oeil d'une main ; et de l'aultre,
elle tenoit la chandelle devant l'oeil de Monseigneur, qui crevé estoit ; et puis luy demanda :
« Monseigneur, ne veez-vous pas bien, par vostre foy ?
- Par mon serment, non ! » ce dist Monseigneur.
Et entretint que ces
devises
se faisoient, le
lieutenant
de mondit seigneur sault de la chambre, sans qu'il fut apperceu de luy.
« Or attendez, Monseigneur, ce dist-elle. Et maintenant vous me voiez bien ? Ne faites pas ?
- Par Dieu ! m'amye, nenny, respond Monseigneur. Comment vous verroye-je ? Vous avez bouchié mon
dextre
oeil, et l'aultre est crevé, passé plus de dix ans !
- Alors, dist-elle, or voy-je bien que c'estoit songe voyrement qui ce rapport me fist ;
mais, quoy que soit, Dieu soit loué et gracié, que vous estes cy !
- Ainsi soit-il ! » ce dit Monseigneur.
Et à tant s'entracollerent et
baiserent
par plusieurs fois, et firent grant feste. Et n'oublia pas Monseigneur a compter comment il avoit laissé ses gens derriere,
et que, pour la trouver au lit, il avoit
fait telle diligence :
« Et vrayement, dist ma dame, encores estes-vous bon mary ! »
Et à tant vindrent femmes et serviteurs qui
bienveignerent
Monseigneur, et le
deshouserent,
et de tous points deshabillerent. Et ce fait,
se bouta
ou lit avec ma dame, qui le
repeust
du
demourant
de l'escuier, qui s'en va son chemin,
lye
et joyeux d'estre ainsi eschappé.
Comme vous avez ouy, fut le chevalier trompé, et n'ay point sceu,
combien que
plusieurs gens
depuis
le sceurent, qu'il en fut jamais adverty.
N'a gueres qu'à Paris presidoit en la chambre des Comptes ung grant clerc, chevalier, assez sur aage ; maistres joyeux et très plaisant estoit, tant en sa maniere d'estre, comme en devises, où qu'il les adreçast, feust aux hommes ou aux femmes. Ce bon seigneur avoit femme espousée desja ancienne et maladive, dont il avoit belle lignie. Et entre les aultres damoiselles, chamberieres et servantes de son ostel, celle où Nature avoit mis son entente de la faire très belle, estoit meschine, faisante le mesnage commun, comme les litz, le pain, et autres telz affaires.
Monseigneur, qui ne jeusnoit jour de l'amoureux
mestier,
tant qu'il trouvast rencontre, ne
cela
gueres à la belle
meschine
le grant bien qu'il luy veult, et luy va faire ung grant prologue des amoureulx assaultz,
que incessamment amours pour elle luy envoye ; continue aussi ce propos, luy promettant tous les biens du monde,
monstrant comment il est bien en luy de luy faire, tant en telle maniere, et tant en telle, et tant en telle.
Et qui uyoit le chevalier, jamais tant d'heur n'advint à la
meschine
que de luy accorder son amour. La belle
meschine,
bonne et saige, ne fust pas si beste que aux gracieux motz de son maistre
baillast
response en riens à son advantaige, mais se excusa si gracieusement que Monseigneur en son
courage
très bien l'en
prisa,
combien qu'il aymast mieulx qu'elle tinst aultre chemin. Motz rigoureux vindrent en jeu par la bouche de Monseigneur,
quant il apperceust que par doulceur ne ferait rien ; mais la très bonne fille, aymant plus
chier
mourir que perdre son honneur, ne s'en effroia gueres, ains asseurement respondit :
« Die et face ce qu'il luy plaist, mais, jour qu'elle vive, de plus près ne luy sera. »
Monseigneur, qui la voit aheurtée en ceste opinion, après ung gracieux adieu, laissa, ne scay quants jours, ce gracieux pourchas, de bouche seullement, mais regars et aultres petis signes ne luy coustoient gueres, qui trop estaient à la fille ennuyeux. Et s'elle ne doubtast mettre male paix entre Monseigneur et ma dame, elle ne lui celeroit guere la desloyauté de son seigneur ; mais, au fort, elle conclud le desceler tout le plus tard qu'elle pourra. La devotion que Monseigneur avoit aux saincts de sa meschine, de jour en jour croissoit, et ne luy souffisoit pas de l'aymer et servir en cueur seulement, mais d'oraison, comme il a fait cy devant, la veult arriere resservir. Si vient à elle et de plus belle recommença sa harengue en la façon que dessus, laquelle il confermoit par cent mille sermons et autant de promesses. Pour abregier, riens ne lui vault, et ne peust obtenir ung seul mot et encores moins de semblans qu'elle luy baille quelque peu d'espoir de jamais parvenir à ses attaintes. Et, en ce point, se partit, mais il n'oublia pas de dire que, s'il la rencontre en quelque lieu marchant, qu'elle l'obeyra ou elle fera pis. La meschine gueres ne s'en effroia, et, sans plus y penser, va besoigner en la cuisine ou aultre part.
Ne scay
quants
jours après, ung lundi matin, la belle
meschine,
pour faire des pastez,
buletoit
de la farine. Or devez-vous scavoir que la chambre où se faisoit ce
mestier
n'estoit pas loing de la chambre de Monseigneur, et qu'il oyoit très bien le bruit et la
noyse
qui s'y faisoit ; et encores scavoit aussi très bien que c'estoit sa
meschine
qui du tamis jouoit. Si s'avisa qu'elle n'auroit pas seule ceste peine, mais luy viendra ayder,
voire et
fera au surplus ce qu'il luy a bien promis, car jamais mieulx ne la pourroit trouver. Dist aussy en soy-mesrnes :
« Quelques reffus que de la bouche elle m'ait fait, si en
cheviray-je
bien se je la puis à gré tenir. »
Il regarda que bien matin estait et que ma dame n'estoit pas esveillée,
dont il fut bien joyeux, et, affin qu'il ne l'esveille, il sault tout doulcement hors de son lit,
à-tout
son couvrechief, et prent sa robe longue et ses botines ; et descend de sa chambre si
celeement,
qu'il fut dedans la chambrette où la
meschine
dormoit,
sans qu'elle oncques en sceut riens
jusques à tant qu'elle le vit tout dedans. Qui fut bien
esbahye,
ce fut la povre
chamberiere,
qui
à peu
trembloit, tant estoit effrée,
doubtant
que Monseigneur ne luy ostast ce que jamais rendre ne luy scauroit. Monseigneur, qui la voit effrée, sans plus parler, luy
baille
ung fier assault, et tant fist en peu d'heure, qu'il avoit la place emportée, s'il n'eust esté content de parlamenter. Si luy va dire la fille :
« Helas ! Monseigneur, je vous
crye mercy,
je me rens à vous ; ma vie et mon honneur sont en vostre main, ayez pitié de moy !
- Je ne scay quel honneur ? dit Monseigneur, qui très eschauffé et esprins estoit. Vous passerez par là ! »
Et, à ce mot, recommence l'assault plus
fier
que devant.
La fille, voyant que eschapper ne pouvoit, s'advisa d'ung bon tour et dist :
« Monseigneur, j'ayme mieulx vous rendre ma place par amour que par force ;
donnez fin, s'il vous plaist, aux durs assaultz que me livrez, et je feray tout ce qu'il vous plaira.
- J'en suis content, dist Monseigneur, mais creez que aultrement vous n'eschapperez.
- D'une chose, je vous requier, dist lors la fille : Monseigneur, je
doubte
beaucoup que ma dame ne vous oye ; et, se elle venoit d'aventure, et droict cy vous trouvast,
je seroye femme perdue et deshonnourée, car elle me feroit du moins battre ou tuer.
- Elle n'a garde de venir, non, dit Monseigneur ; elle dort au plus fort.
- Helas ! Monseigneur, je
doubte
tant, que je n'en scay estre asseurée ; si vous prie et requier, pour la paix de mon cueur et plus grande seureté de nostre besoigne,
que vous me laissez aller veoir s'elle dort ou qu'elle fait ?
- Nostre Dame ! tu ne retournerais pas ? dist Monseigneur.
- Si feray, dist-elle, par mon serment, trestout tantost.
- Or je le vueil ! dist-il.
Advance-toy !
- Ha ! Monseigneur, dist-elle, se vous vouliez bien faire, vous prendriez ce tamis et
besoigneriez
comme je faisoie, affin, d'aventure, se ma dame estoit esveillée, qu'elle oye la
noyse
que j'ay devant le jour encommencée ?
- Or, monstre ça : je feray bon devoir, et ne demeure gueres.
- Nenny, non, Monseigneur. Tenez aussi ce
buleteau
sur vostre teste : vous semblerez tout
à bon escient
estre une femme.
- Or ça, de par Dieu ! » dist-il.
Il fut affublé de ce
buleteau,
et puis commence à tamiser, tant que c'estoit belle chose que tant bien luy seoit. Et entretant la bonne
chamberiere
monta en la chambre et esveilla ma dame, et luy compta comment Monseigneur par cy devant d'amours l'avoit priée,
qu'il l'avoit assaillie à ceste heure où elle tamisoit :
« Et s'il vous plaist venir veoir comment j'en suis eschappée et en quel point il est, venez en bas, vous le verrez ? »
Ma dame tout à coup se lieve, et prent sa robe de nuyt ; et fust tantost devant
l'huys
de la chambre où Monseigneur diligemment tamisoit. Et quant elle le voit en cest estat, et affublé du
buleteau,
elle luy va dire :
« Ha ! maistre, et qu'est cecy ? Où sont voz lettres, voz grans honneurs, voz sciences et
discretions ? »
Et Monseigneur, qui l'ouyt et
deceu
se voit, respondit tout subitement :
« Au bout de mon
vit
dame, là ay-je tout amassé aujourd'huy. »
Lors, très marry et courroucé, sur la meschine, se desarma de l'estamine et du buleteau, et en sa chambre remonte ; et ma dame le suyt, qui son preschement recommence, dont Monseigneur ne tient gueres de compte. Quant il fut prest, il manda sa mule, et au palais s'en va, où il compta son adventure à plusieurs gens de bien, qui s'en rirent bien fort. Et me dit-on depuis, quelque courroux que le seigneur eust de prinsault à sa meschine, si l'ayda-il depuis, de sa parolle et de sa chevance à marier.
Ung gentilhomme de Bourgoigne, nagueres, pour
aucuns
de ses affaires, s'en alla à Paris, et se logea en ung très bon
ostel :
car telle estoit sa coustume de tousjours querir les meilleurs logis.
Il n'eust gueres esté en son logis, luy qui bien congnoissoit mouche en lait, qu'il n'apercent
tantost que
la chamberiere de
leans
estoit femme qui
debvoit faire pour les gens.
Si ne luy
cela
gueres ce qu'il avoit sur le cueur, et, sans aller de deux en trois, il demanda l'aumosne amoureuse. Il fut
de prinsault
bien
rechassé des meures :
« Voire,
dist-elle, est-ce à moy que vous devez adresser telles parolles ? Je vueil bien que vous sachiez que je ne suis pas celle qui fera tel blasme a
l'ostel
où je demeure. »
Et pour abreger, qui l'oyoit, elle ne le feroit pour aussi gros d'or. Le gentil homme tantost congneust que toutes ses excusations estoient
erres
pour besoigner : si luy va dire.
« M'amye, se j'eusse temps et lieu, je vous diroye telle chose que vous seriez bien
contente :
et ne doubtez point que ce ne feust grandement vostre bien, m'amye, pource que devant les gens ne vous vueil gueres
araisonner,
affin que ne soyez de moy souspeconné. Croyez
mon homme
de ce que par moy vous dira ; et se ainsi le faictes, vous en vauldrez mieulx.
- Je n'ay, dist-elle, n'a vous n'a luy, que
deviser ! »
Et, sur ce point, s'en va, et nostre gentil homme appela son varlet, qui estoit ung galant tout esveillé ; puis luy compta son cas et le charge de poursuyr sa besoigne sans espargner bourdes.
Le varlet,
duyt
à cela, dist qu'il fera bien son personnage. Il ne l'oublia pas, car, au plus tost qu'il la trouva, pensez qu'il joua bien du bec.
Et se elle n'eust esté de Paris, et plus subtille que foison d'aultres,
son gracieux langaige et les promesses qu'il faisoit pour son maistre l'eussent tout en haste abbatue. Mais aultrement alla, car, après plusieurs parolles et
devises
d'entre elle et luy, elle luy dist ung mot
trenché :
« Je scay bien que vostre maistre veult, mais il n'y touchera jà, se je n'ay
dix escus. »
Le varlet fist son rapport à son maistre, qui n'estoit pas si large,
voire au moins
en tel cas, que donner
dix escus
pour jouyr d'une telle damoiselie.
« Quoy que soit, elle n'en fera aultre chose, dist le varlet ; encores, y a-il bien maniere de venir en sa chambre,
car il fault passer par celle à l'oste. Regardez que vous vouldriez faire ?
- Par la mort bieu !
dist-il, mes
dix escus
me font bien mal,
d'en ce point
les laisser aller, mais j'ay si grant
devocion
au sainct et en ay fait tant de poursuyte, qu'il fault que je besoigne ; au Dyable soit
chicheté !
elle les aura.
- Pourtant vous dis-je, dist le varlet, voulez-vous que je luy die qu'elle les aura ?
- Ouy, de par le Dyable, ouy ! » dit-il.
Le varlet trouva la bonne fille et luy dist qu'elle aura ces
dix escus,
voire et
encores mieulx cy après.
« Trop bien ! » dit-elle.
Pour abregier, l'heure fut prinse que l'escuier doit venir coucher avec elle, mais, avant que oncques elle le voulsist guyder par la chambre de son maistre en la sienne, il baille tous les dix escus contant. Qui fut bien mal content, ce fut nostre homme, qui se pensa, en passant par la chambre et cheminant aux nopces qui trop chier à son gré luy coustoient, qu'il jouera d'ung tour.
Ilz sont venus si doulcement en la chambrette, que maistre ne dame rien n'en sceurent. Si se vont
despouiller,
et dist nostre escuier, qu'il emploiera son argent, s'il peut. Il se met à l'ouvrage et
fait merveilles d'armes
et
espoire
plus que bon ne luy fut. Tant en
devises
que aultrement se passerent tant d'heures, que le jour estoit voisin et prouchain à celuy,
qui plus voulentiers eust dormy que nulle autre chose fait, mais la très bonne
chamberiere
luy va dire :
« Or ça, sire, pour le trèsgrant bien, honneur et
courtoisie
que j'ay ouy et veu de vous, j'ay esté
contente
mectre en vostre obeissance et jouyssance la
rien
que plus en ce monde dois
chier
tenir. Je vous prie et requier que
incontinent
vous vueillez apprester habillier et de cy partir, car il est desja haulte heure, et, se d'avanture mon maistre ou ma maistresse venoient cy,
comme assez est leur coustume au matin, et vous trouvassent, je seroye perdue et
gastée ;
et vous
espoire
ne serez pas le mieulx
party
du jeu.
- Je ne scay moy, dit l'escuier, quel bien ou quel mal :
mais je me reposeray et si dormiray tout à mon aise et à mon beau loisir, avant que j'en parte.
Et aussi je vueil employer mon argent. Pensez-vous avoir si tost gaigné mes
dix escus ?
Ils ne vous coustent gueres à prendre, mais,
par la mort bieu !
affin que je n'aye point paour, et que point je ne me
espante,
vous me ferez compaignie, s'il vous plaist.
- Ha, Monseigneur, dist-elle, il ne se peut ainsi faire, par mon serment !
Il vous convient partir : il sera jour
trestout en haste ;
et, se on vous trouvoit icy, que seroit-ce de moy ? J'aymeroye mieulx estre morte, que ainsi en advenist. Et, se vous ne vous
advancez
ce que trop je
doubte
en adviendra !
- Il ne me chault, moy, qu'il adviengne, dit l'escuier, mais je vous dis bien que, se ne me rendez mes
dix escus,
jà ne m'en
partiray.
Advienne ce que advenir peut.
- Vos dix escus ? dist-elle ? Et estes-vous tel, se vous m'avez donné aucune
courtoisie
ou gracieuseté, que vous me le vouldrez après
retollir
par ceste façon ? Sur ma foy ! vous monstrez mal que vous soyez gentil homme !
- Tel que je suis, dist-il, je suis celuy qui de cy ne partiray, ne vous aussi,
tant que me ayez rendu mes dix escus ; vous les auriez gaignez trop aise !
- Ha ! dist-elle, si m'ayt Dieu ! Quoy que vous disiez, je ne pense pas que vous soyez si mal gracieux,
attendu le bien qui est en vous, et le plaisir que je vous ay fait,
que feussiez si peu courtois que vous ne aydissiez à garder mon honneur ! Et pour ce,
de rechief,
vous supplie que ma requeste passez et accordez, et que de cy vous partez ? »
L'escuier dist qu'il n'en fera rien. Et pour abregier, force fut à la bonne gentil femme, à tel regret que Dieu scait, de desbourser les dix escus, affin que l'escuyer s'en alast.
Quant les dix escus refurent en la main dont ilz estoient partis, celle qui les rendit
cuida
bien enrager, tant estoit mal contente, et celuy, qui les a, leur fait grant
chiere :
« Or avant, dist la courroucée et
desplaisante
qui se voit ainsi
gouvernée,
quant vous vous estes bien joué et
farcé
de moy, au moins
advancez vous
et vous suffise que vous seul congnoissez ma folie, et que, par vostre
tarder,
elle ne soit congneue de ceulx qui me deshonnoreront, s'ilz en voient l'aparence.
- À vostre honneur, dist l'escuier, point je ne touche.
Gardez-le autant que vous l'aymez ; vous m'avez fait venir icy,
et si vous somme que vous me rendez et remettez ou lieu dont je partis,
car ce n'est pas mon intencion d'avoir les deux peines de venir et retourner. »
La
chamberiere,
voyant que riens n'avoit eu, sinon le courroucer, voyant aussi que le jour commençoit à apparoir, avec tout le
desplaisir
et crainte que son ennuyé cueur portoit dudit escuier, se
hourde
de cest escuier et à son col le charge. Et comme,
à-tout
ce fardeau, le plus
souef
qu'elle oncques peust,
le courtois gentil homme portoit, tenant lieu de bahu,
sur le dos de celle qui sur son ventre l'avoit soustenu, laissa couler ung gros
sonnet,
dont le ton et le bruit firent l'oste esveiller ; et demanda assez
effrement :
« Qui est là ?
- C'est vostre
chamberiere,
sire, dist l'escuier, qui me porte rendre où elle m'avoit emprunté. »
À ces motz, la povre gentil femme n'eust plus cueur, puissance, ne vouloir de soustenir son desplaisant fardeau : si s'en va d'ung cousté, et l'escuier de l'autre. Et l'oste, qui bien congnoissoit que c'est, et aussi, avecques ce, s'en doubtoit bien, parla très bien à l'espousée qui toute demoura deceue et scandalisée, et tost après se partit de leans.
Et l'escuier, en Bourgoigne, s'en retourna, qui, aux galans et compaignons de la sorte, joyeusement et souvent racompta son adventure dessusdicte.
Ardant desir de veoir pays, congnoistre et scavoir plusieurs expériences qui par le monde universel de jour en jour adviennent,
nagueres si fort eschauffa
l'attrempé
cueur et vertueux
couraige
d'ung bon et riche marchant de Londres en Angleterre, qu'il abandonna sa très belle et bonne femme, sa belle
maignie
d'enfans, parens, amys, heritaiges, et la plupart de sa
chevance,
et se partit de ce royaulme, assez bien fourny d'argent contant et de très grande abondance de marchandises,
dont ledit pays de Angleterre peut d'aultres pays servir, comme d'estain, deris, et foison d'aultres choses, que pour cause de
briefveté
je passe. En ce premier voyage, vacqua le bon marchant l'espace de cinq ans, pendant lequel temps sa très bonne femme garda très bien son corps,
fist son prouffit de plusieurs marchandises, et tant si très bien le fist, que son mary, au bout desditz cinq ans retourné,
beaucoup la loua et plus que paravant ayma. Le cueur audit marchant, non encores
content
d'avoir veu et congneu plusieurs choses estranges et
merveilleuses,
comme d'avoir gaigné largement d'argent, le fist arriere sur la mer
bouter,
cinq ou six mois puis son retour, et s'en
reva
à l'adventure, en
estrange
terre, tant de Chrestiens comme de
Sarrasins ;
et ne demoura pas si peu, que les dix ans ne feussent passez, ains que sa femme le revist.
Trop bien luy escrivoit et assez souvent, et à cette fin qu'elle sceust qu'il estoit encores en vie. Elle, qui jeune estoit et
en bon point,
et qui faulte n'avoit de nulz biens de Dieu,
fors
seulement de la presence de son mary, fut contrainte, par son
trop demeurer,
de prendre ung
lieutenant,
qui en peu d'heure luy fist ung très beau filz. Ce filz fut nourry et
conduit
avec les aultres, ses freres d'ung
cousté ;
et, au retour du marchant, mary de sa mere, avoit ledit enfant environ sept ans.
La feste fut grande, à ce retour, d'entre le mary et la femme ; et, comme ils furent en joyeuses
devises
et plaisans propos, la bonne femme, à la
semonce
de son mary, fait venir devant eulx tous leurs enfans, sans oublier celuy qui fut gaignié en l'absence de celuy qui en avoit le nom.
Le bon marchant, voyant la belle compaignie de ses enfans,
recordant
très bien du nombre d'eulx à son
partement,
le voit creu d'ung : dont il est
esbahy
et moult esmerveillé. Si va demander à sa femme, qui estoit ce beau filz, le derrenier ou renc de leurs enfans :
« Qui il est ? dist-elle. Par ma foy ! sire, il est nostre filz ; et qui seroit-il ?
- Je ne scay, dist-il, mais, pour ce que plus ne l'avoye veu,
avez-vous merveille
se je le demande ?
- Saint Jehan ! nenny, dist-elle, mais il est nostre filz.
- Et comment se peut-il faire, dist le mary, vous n'estiez pas grosse à mon
partement ?
- Non, vraiement, dist-elle, que je sceusse, mais je vous ose bien dire à la verité que l'enfant est vostre et que aultre que vous à moy n'a touchié.
- Je ne le dis pas aussi, dist-il ; mais, toutesfois, il a dix ans que je partis,
et cest enfant se monstre de sept : comment doncques pourroit-il estre mien ? L'auriez-vous plus porté que ung aultre ?
- Par mon serment, dist-elle, je ne scay, mais tout ce que je dis est vray ;
se je l'ay plus porté que ung aultre, il n'est chose que j'en saiche, et,
se vous ne me le feistes au partir, je ne scay moy penser dont il peut estre venu, sinon que, assez tost après vostre
département,
ung jour j'estoye par ung matin en nostre grant jardin, où tout à coup me vint ung soudain desir et
appetit
de menger une feuille d'osille, qui pour icelle heure estoit couverte et soubz la neige tapie. J'en choisis une,
entre les aultres,
belle et large, que je
cuiday
avaller, mais ce n'estoit que ung peu de neige blanche et dure. Et ne l'eus pas si tost avallée,
que ne me sentisse en trestout tel estat que je me suis trouvée quant mes aultres enfans ay portez. Ce fait, à
certaine piece depuis, je vous ay fait ce très beau filz. »
Le marchant congneut tantost qu'il en estoit
nozamys,
et n'en voulut faire aucun
semblant,
ainçois
s'en vint adjoindre par parolles à conformer la belle
bourde
que sa femme luy bailloit, et dist :
« M'amye, vous ne dictes chose qui ne soit possible, et qu'à aultre que vous ne soit advenu ;
loué soit Dieu de ce qu'il nous a envoyé !
S'il nous a donné ung enfant par miracle, ou par aucune secrete façon dont nous ignorons la maniere, il ne nous a pas oublié d'envoier
chevance
pour l'entretenir. »
Quant la bonne femme vit que son mary vouloit condescendre à croire ce qu'elle luy dist, elle n'est pas moyennement joyeuse. Le marchant, saige et prudent, en dix ans qu'il fut depuis à l'ostel sans faire ses lointains voyages, ne tint oncques maniere envers sa femme en parolles ne aultrement, par quoy elle peust penser qu'il entendist rien de son fait, tant estoit vertueux et patient.
Il n'estoit pas encore
saoul
de voyager ; si voulut recommencer et le dist à sa femme qui fist semblant d'en estre très
marrie
et mal contente :
« Appaisez-vous, dist-il ; s'il plaist à Dieu et à Monseigneur sainct George, je reviendray
brief .
Et pource que nostre filz que feistes en mon aultre voyaige est desja grant, habile et
en bon point
de veoir et d'aprendre, se bon vous semble, je l'emmeneray avec moy.
- Et par ma foy, dist-elle, vous ferez bien et je vous en prie.
- Il sera fait, » dist-il.
À tant se part, et avec luy emmaine le filz, dont il n'estoit pas pere, à qui il a pieça gardé une bonne pensée.
Ils eurent si bon vent, qu'ilz sont venus au port d'Alexandrie, où le bon marchant très bien se deffist de la pluspart de ses marchandises ;
et ne fut pas si beste, affin qu'il n'eust plus de charge de l'enfant de sa femme et d'ung aultre,
et que après sa mort ne suscedast à ses biens, comme ung de ses aultres enfans, qu'il ne le vendist à bons deniers contens,
pour en faire ung esclave. Et pource qu'il estoit jeune et puissant, il en eust près de cent ducas.
Quant ce fut fait, il s'en revint à Londres, sain et sauf, Dieu mercy. Et n'est pas à dire la
chiere
que sa femme luy fist, quant elle le vit
en bon point,
mais elle ne voit point son filz : dont ne scait que penser. Elle ne se peust gueres tenir, qu'elle ne demandast à son mary, qu'il avoit fait de leur filz :
« Ha ! m'amye, dist-il, il ne le vous fault jà
celer :
il luy est très mal prins.
- Helas ! comment ! dist-elle, est-il noyé ?
- Nenny, certes, mais il est vray que fortune de mer nous mena par force en un païs où il faisoit si chault que nous
cuidions
tous mourir par la grant ardeur du soleil qui sur nous ses rais espandoit.
Et, comme ung jour nous estions
saillis
de nostre
nave,
pour faire ung chascun une fosse à soy tapir pour le soleil, nostre bon filz, qui de neige, comme vous scavez, estoit,
en nostre presence sur le gravier, par la grant force du soleil, il fut tout à coup fondu et en eaue ressolu. Et n'eussiez pas
dit une sept pseaume,
que nous ne trouvasmes rien de lui : tout ainsi en haste que au monde il vint, tout aussi soudain en est party.
Et pensez que j'en fus et suis bien
desplaisant,
et ne vis jamais chose, entre les merveilles que j'ay veues, dont je feusse plus
esbahy.
- Or avant, dist-elle, puis qu'il plaist à Dieu le nous oster comme il le nous avoit donné, loué en soit-il ! »
S'elle se doubtast que la chose allast aultrement, l'ystoire s'en taist et ne fait pas mencion, fors que son mary luy rendit telle comme elle luy bailla, combien qu'il en demoura toujours le cousin.
Ce n'est pas chose nouvelle que en la conté de Champaigne on a toujours eu bon à recouvrer de gens lourds en la taille, combien qu'il sembleroit assez estrange à plusieurs, pour tant qu'ilz sont si près à ceulx du pays du Mal-Engin. Assez et largement d'histoires à ce propos pourroit-on mettre confermant la bestise des Champenois, mais, quant à present, celle qui s'ensuit pourra souffire.
En ladicte conté, avoit ung jeune homme orphelin, qui bien riche et puissant demoura,
puis le
trespas de ses pere et mere. Jà soit ce qu'il feust
court, très peu
saichant,
et encores aussi mal plaisant, si avait une industrie de bien garder le sien et conduire sa marchandise. Et, à ceste cause, assez de gens,
voire
de gens de bien, luy eussent bien voulu donner en mariage leur fille. Une,
entre les aultres,
pleut aux parens et amis de nostre Champenois, tant pour sa beaulté, bonté, et
chevance,
etc. Et luy dirent qu'il estoit temps qu'il se mariast, et que bonnement il ne povoit conduire son fait :
« Vous avez aussi, dirent-ilz, desja XXIIII ans, si ne pourriez en meilleur aage prendre cest estat.
Et se vous y voulez entendre, nous avons regardé et choisy pour vous une belle fille et bonne, qui nous semble très bien vostre fait.
C'est une telle, vous la congnoissez bien ? »
Lors la luy nommerent. Et nostre homme,
à qui n'en challoit qu'il feust
marié ou aultre chose,
mais qu'il
ne
tirast
point d'argent, respondit qu'il feroit ce qu'ilz vouldroient :
« Puis qu'il vous semble que c'est mon bien, conduisez la chose au mieulx que vous-scaurez ;
car je vueil faire par vostre conseil et ordonnance.
- Vous dictes bien, dirent ces bonnes gens ; nous regarderons et penserons comme pour nous-mesmes, ou pour l'ung de noz enfans. »
Pour abreger, certaine piece après, nostre Champenois fut marié. De par Dieu ce fut ; mais, tantost qu'il fut auprès de sa femme couchié, la premiere nuyt, luy, qui oncques sur beste chrestienne n'avoit monté, tantost luy tourna le dos. Qui estoit mal contente, c'estoit nostre espousée, nonobstant qu'elle n'en fist nul semblant. Ceste mauldicte maniere dura plus de dix jours, et encore durast, se la bonne mere à l'espousée n'y eust pourveu du remede. Il ne vous fault pas celer que nostre homme, neuf en façon et en mariage, du temps de ses feu pere et mere, avoit esté bien court tenu ; et, sur toutes choses, luy estoit et fut deffendu le mestier de la beste aux deux dos, doubtant que, s'il s'y esbatoit, qu'il y despendroit toute sa chevance. Et bien leur sembloit, et à bonne cause, qu'il n'estoit pas homme qu'on deust aimer pour ses beaulx yeulx. Luy, qui pour riens ne courrouçast pere et mere et qui n'estoit pas trop chault sur potaige, avoit toujours gardé son pucellaige, que sa femme eust voulentiers desrobé, s'elle eust sceu par quelque honneste façon.
Ung jour, se trouva la mere de nostre espousée devers sa fille, et lui demanda de son mary, de son estat,
de ses conditions, de son mariage, et cent mille choses que femmes scaivent dire. À toutes choses
bailla
et rendit nostre espousée à sa mere response,
et dit que son mary estoit très bon homme et qu'elle ne doubtoit point qu'elle ne se conduisist bien avec luy.
Et, pource qu'elle scavoit bien par elle-mesmes qu'il fault en mariage autre chose que boire et mangier,
elle dist à sa fille :
« Or viens ça et me dis par ta foy, et de ces choses de nuyt, comment t'en est-il ? »
Quant la povre fille ouyt parler de ces choses de nuyt,
à peu que
le cueur ne luy faillit, tant fut
marrie
et
desplaisante ;
et ce que sa langue n'osoit respondre, monstrerent ses yeulx, dont
saillirent
larmes en très grande abondance. Si entendist tantost sa mere, que ses larmes vouloient dire ; si dist :
« Ma fille, ne plorez plus ! Dictes-moy hardiment ? Je suis vostre mere à qui ne devez riens
celer,
et de qui ne devez estre honteuse ; vous a-il encores riens fait ? »
La povre fille, revenue de
pamoison,
et ung peu rasseurée, et de sa mere confortée,
cessa la grant flote de ses larmes, mais n'avoit encores force ne sens de respondre.
Si l'interrogua arriere sa mere et luy dist :
« Dis-moy hardiment et oste tes larmes ; t'a-il riens fait ? »
À voix basse et de pleurs entremeslée, respondit la fille et dist :
« Par ma foy, mere, il ne me toucha
oncques,
mais, du surplus, qu'il ne soit bon homme et doulx, par ma foy, si est.
- Or dis-moy, dist la mere, et scez-tu point s'il est fourny de tous ses membres ? Dy hardiment, se tu le scez.
- Saint-Jehan ! si est très-bien, dist-elle. J'ay plusieurs fois sentu ses denrées d'aventure,
ainsi que
je me tourne et retourne en nostre lit, quant je ne puis dormir.
- Il souffit, dit la mere, laisse-moy faire du surplus.
Vecy
que tu feras : au matin, il te convient faindre d'estre malade très fort, et monstrer
semblant
d'estre oppressée, qu'il semble que l'ame s'en parte. Ton mary me viendra ou mandera querir, je n'en doubte point,
et je feray si bien mon personnaige, que tu scauras tantost comment tu fus
gaignie,
car je porteray ton urine à ung tel medecin qui donnera tel conseil que je vouldray. »
Comme il fut dit, il fut fait ; car lendemain, si tost qu'on vit le jour, nostre
gouge,
auprès de son mary couchée, se commença à plaindre et faire la malade,
que il sembloit que une fievre continue luy rongast corps et ame.
nozamys
son mary estoit bien
esbahy
et
desplaisant ;
si ne scavoit que faire, ne que dire. Si manda tantost querir sa belle mere qui ne se fist gueres attendre. Tantost qu'il la vit :
« Helas ! mere, dist-il, vostre fille se meurt !
- Ma fille, dist-elle, et que luy faut-il ? »
Lors, tout en parlant, marcherent jusques en la chambre de la paciente.
Si tost que la mere voit sa fille, elle luy demande qu'elle faisoit ?
Et elle, comme bien aprinse, ne respondit pas la premiere fois, mais,
à petit de piece après,
dist :
« Mere, je me meurs !
- Non faictes, fille, se Dieu plaist ! Prenez
couraige !
Mais dont vous vient ce mal si en haste ?
- Je ne scay, je ne scay, dist la fille ; vous me
peraffolez
à me faire parler. »
Sa mere la prent par la main ; si lui taste son poulx et son
chief,
et puis dit à son beau filz :
« Par ma foy, croyez qu'elle est bien malade ! Elle est pleine de feu ;
si y fault pourveoir de remede ; y a-il point icy de son urine ?
- Celle de la minuyt y est, dist une des
meschines.
- Baillez-la-moy, » dist-elle.
Quant elle eust ceste urine, fist tant qu'elle eust ung urinal et dedans la
bouta,
et dist à son beau filz, qu'il la portast monstrer à un tel medecin, pour scavoir qu'on pourra faire à sa fille, et se on luy peut ayder.
« Pour Dieu, n'y espargnons riens ! dist-elle. J'ay encores de l'argent, que je n'ayme pas tant que je fais ma fille.
- Espargnier ! dit
nozamys,
croyez, s'on luy peut aider pour argent, que je ne luy fauldray pas.
- Or
vous advancez,
dist-elle, et tandis qu'elle se reposera ung peu, je m'en iray jusques au mesnage. Toujours reviendray-je bien, s'on a
mestier
de moy. »
Or devez-vous scavoir que nostre bonne mere avoit, le jour de devant, au partir de sa fille, forgié le medecin, qui estoit bien adverty de la response qu'il devoit faire.
Vecy
nostre gueux, qui arrive devers le medecin
à-tout
l'urine de sa femme. Et, quant il y eust fait la reverence, il luy va compter comment sa femme estoit
deshaitée
et mrveilleusement malade :
« Et
vecy
son urine que vous aporte, affin que mieulx vous informez de son cas, et que plus seurement me puissiez conseiller. »
Le medecin prent l'urinal et
contremont
le lieve, et tourne et retourne l'urine, et puis va dire :
« Vostre femme est fort agravée de chaulde maladie et en dangier de mort, s'elle n'est prestement secourue.
Vecy
son urine qui le monstre.
- Ha ! maistre, pour Dieu mercy, veuillez-moy dire, et je vous paieray bien,
que on y pourra faire pour recouvrer santé, et s'il vous semble qu'elle n'ait garde de mort ?
- Elle n'a garde, se vous luy faictes ce que je vous diray, dist le medecin ;
mais, si vous tardez gueres, tout l'or du monde ne la garderoit de la mort.
- Dictes, pour Dieu, dist l'autre, et on le fera !
- Il faut, dist le medecin, qu'elle ait compagnie à homme, ou elle est morte.
- Compaignie d'homme ? dist l'aultre. Et qu'est-ce à dire, cela ?
- C'est à dire, dist le medecin, qu'il fault que vous montez sur elle, et que vous la
ronchinez
très bien trois ou quatre fois tout en haste ; et le plus, à ce premier, que vous en pourrez faire, sera le meilleur :
aultrement, ne sera point estaincte la grande ardeur qui la seiche et tire à fin.
- Voire,
dist-il, et seroit-ce bon ?
- Elle est morte, et n'y a point de respit, dist le medecin, se ainsi ne le faictes,
voire et
bien tost encore.
- Saint Jehan ! dist l'autre, j'essaieray comment je pourray faire. »
Il se part de là, et vient à
l'ostel
et treuve sa femme qui se plaignoit et
doulousoit
très fort.
« Comment va, dist-il, m'amye ?
- Je me meurs, mon amy, dist-elle.
- Vous n'avez garde, se Dieu plaist, dist-il ; j'ay parlé au medecin qui m'a enseigné une medicine dont vous serez guarie. »
Et durant ces
devises,
il se despoille, et au plus près de sa femme
se boute.
Et comme il approuchoit, pour excecuter le conseil du medecin
tout en lourdois :
« Que faictes-vous ! dist-elle ; me voulez-vous pas tuer ?
- Mais je vous gariray, dist-il ; le medecin l'a dit. »
Et si fit
ainsi que
Nature lui monstra, et à l'aide de la paciente, il besoigna très bien deux ou trois fois. Et comme il se reposoit, tout
esbahy
de ce que advenu luy estoit, il demande à sa femme comment elle se porte.
« Je suis ung peu mieulx, dist-elle, que par cy devant n'ay esté.
- Loué soit Dieu ! dist-il. J'espoire que vous n'avez garde, et que le medecin aura dit vray. »
Alors recommence de plus belle. Et, pour abregier, tant et si bien le fist, que sa femme revint en santé dedans peu de jours, dont il fut très-joyeux ; si fut la mere, quaut elle le sceut.
Nostre Champenois, après
ces armes
dessusdictes, devient ung peu plus gentil compaignon, qu'il n'estoit paravant ; et luy vint en
couraige,
puis que sa femme restoit en santé, qu'il
semondroit
ung jour au
disner
ses parens et amys, et les pere et mere d'elle, ce
qu'il fist. Et les servoit grandement en son
patois ;
à ce
disner,
faisoit très bonne et joyeuse
chiere.
On beuvoit à luy, il beuvoit aux aultres, c'estoit
merveilles qu'il
estoit gentil compaignon. Or escoutez qui lui advint :
au fort
de la meilleure
chiere
de ce
disner,
il commença très fort à plorer, et sembloit que tous ses amys,
voire
tout le monde, feussent morts ; dont n'y eust celuy de la table qui ne
s'en donnast grant merveille,
dont ces soubdaines larmes procedoient : les ungs et les autres lui demandent qu'il avoit, mais
à peu
s'il povoit ou scavoit respondre, tant le contraignoient ses foles larmes. Il parla
au fort,
en la fin, et dist :
« J'ay bien cause de plorer !
- Et, par ma foy, non avez, se dist sa belle mere : que vous fault-il ?
Vous estes riche et puissant et bien logié, et si avez de bons amis ; et, qui ne fait pas à oublier,
vous avez belle et bonne femme que Dieu vous a ramenée en santé,
qui nagueres fut sur le bort de sa fosse ; si m'est advis que vous devez estre lye et joyeux.
- Helas ! non fais, dist-il. C'est, par moy, que mon pere et ma mere qui tant m'aymoiont,
et me ont assemblez et laissiez tant de biens, qu'ilz ne sont encores en vie, car ilz ne sont morts tous deux,
que de chaulde maladie ; et se je les eusse aussi bien
ronchinez,
quant ilz furent malades, que j'ay fait ma femme, ilz fussent maintenant sur piez. »
Il n'y eust celuy de la table, qui après ces motz, à peu se peut tenir de rire, mais non pourtant il s'en garda qui peut. Les tables furent ostées, chascun s'en ala, et le bon Champenois demeura avec sa femme, laquelle, affin qu'elle demourast en santé, fut souvent de luy racolée.
Sur, les
metes
de Normandie, y a une bonne abbaye de dames, dont l'abbesse, qui, belle et jeune et
en bon point
lors estoit, nagueres
s'acoucha
malade. Ses bonnes seurs, devotes et charitables, tantost la vindrent visiter,
en la confortant et administrant, à leur leal povoir, de tout ce qu'elles sentoient que bon luy fut.
Et, quand elles apperceurent qu'elle se disposoit à garison, elles ordonnerent que l'une d'elles yroit à Rouen porter son urine,
et compterait son cas à ung medecin de grant renommée. Pour faire ceste ambassade, à lendemain,
l'une d'elles se mist en chemin ; et fist tant, qu'elle se trouva devers ledit medecin, auquel,
après qu'il eust visité l'urine de ma dame l'abbesse, elle conta
quittance
la façon et maniere
de sa maladie, comme de son dormir,
d'aler en chambre,
de boire et de menger. Le saige medecin, vraiement du cas de ma dame informé,
tant par son urine comme par la relation de la religieuse, voulut ordonner le regime. Et,
jà soit ce qu'il
eust de coustume de
bailler
à plusieurs ung
recipe
par escript, toutesfois il se fia bien de tant en la religieuse, que de bouche lui dirait
ce qu'avoit à faire, et luy dist :
« Belle seur, pour recouvrer la santé de ma dame l'abbesse, il luy est
mestier
et de necessité, qu'elle ait compaignie d'homme, et
brief ;
autrement, elle se trouvera en peu
de temps
si de mal
entechée
et
surprinse,
que la mort luy sera le
derrain
remede. »
Qui fut bien
esbahye
d'ouyr si très dures nouvelles, ce fut nostre religieuse, qui va dire :
« Helas ! maistre Jehan, ne voyez-vous aultre façon, pour la recouvrance de santé de ma dame ?
- Certes, nenny, dist-il, il n'en y a point d'aultre, et si vueil bien que vous saichez qu'il se fault
advancier
de faire ce que j'ay dit, car, se la maladie, par faulte d'ayde, peut prendre son cours, comme elle s'efforce, jamais homme à temps n'y viendra. »
La bonne religieuse
à peu
s'elle osa
disner
à son aise, tant avoit grant haste d'anoncer à ma dame ces nouvelles. Et, à l'ayde de sa bonne
haquenée,
et du grant desir qu'elle a d'estre à
l'ostel,
s'advança
si très bien, que ma dame l'abbesse fut tout esbaye de si tost la reveoir :
« Que dist le medecin, belle ? ce dist l'abbesse ; ay-je garde de mort ?
- Vous serez tantost
en bon point,
se Dieu plaist, ma dame, dist la religieuse messagiere ; faictes bonne
chiere
et prenez cueur.
- Comment ? Ne m'a le medecin point ordonné de regime ? dist ma dame.
- Si a, » dist-elle.
Lors luy va dire
quittance
comment le medecin avoit veu son urine, et les demandes qu'il fist de son aage, de son mengier, de son dormir, etc.
« Et puis, pour conclusion, il a dit et ordonné qu'il fault que vous ayez,
comment qu'il soit,
compaignie charnelle à quelque homme, ou brief ; aultrement, vous estes morte, car à vostre maladie n'a point d'aultre remede.
- Compaignie d'homme ? dist ma dame ; j'aymeroye plus
chier
mourir mille fois, s'il m'estoit possible. »
Et alors va dire :
« Puis que ainsi est que mon mal est incurable et mortel, se je n'y pourvois de tel remede, loué soit Dieu !
je prens bien la mort en gré. Appeliez bien tost tout mon couvent. »
Le tymbre fut sonné ; si vindrent à ma dame toutes ses religieuses.
Et, quant elles furent en la chambre, ma dame, qui avoit encores toute la langue à commandement, quelque mal qu'elle eust,
commença une grande et longue harengue devant ses seurs, remonstrant le fait et estat de son eglise,
en quel point
elle la trouva et en quel estat elle est aujourd'hui,
et vint descendre ses parolles, à parler de sa maladie qui estoit mortelle et incurable,
comme elle bien sentoit et congnoissoit, et au jugement aussi d'ung tel medecin,
elle s'arrestoit, qui morte l'avoit jugée :
« Et pour tant mes bonnes seurs, je vous recommande nostre eglise, et, en voz plus devotes prieres, ma povre ame. »
Et à ces parolles, larmes en grant abondance
saillirent
de ses yeulx qui furent accompaignées d'aultres sans nombre,
sourdans
de la fontaine du cueur de son bon couvent. Ceste plorerie dura assez longuement, et fut là le
mesnaige
long temps sans parler. Assez grant
piece
après, ma dame la prieure, qui saige et bonne estoit, print la parolle pour tout le couvent et dist :
« Ma dame, de vostre mal (quel il est, Dieu le scait, à qui nul ne peut rien
sceler),
il nous desplaist beaucoup, et n'y a celle de nous, qui ne se vouldroit emploier autant que possible est et serait à personne vivant,
pour la recouvrance de vostre sauté. Si vous prions toutes ensemble que vous ne nous espargnez en rien,
ne chose, qui soit des biens de vostre eglise, car mieulx nous vauldroit, et plus
chier
l'aurions, de perdre la plus part de nos biens temporelz, que le proffit espirituel que vostre presence nous donne.
- Ma bonne seur, dist ma dame, je n'ay pas tant
desservi
que vous me offrez, mais je vous en mercie tant que je puis, en vous advisant et priant
de rechief,
que vous pensez comme je vous ay dit aux affaires de nostre eglise qui me touchent près du cueur, Dieu le scait,
en acompaignant, aux prieres que ferez, ma povre ame qui grant
mestier
en a.
- Helas ! ma dame, dit la prieure, et n'est-il possible, par bon
gouvernement
ou par soigneuse
diligence
de médecine, que vous puissez
repasser ?
- Nenny, certes, ma bonne seur, dist-elle. Il me fault mettre ou reng des
trespassez,
car je ne vaulx gueres mieulx, quelque langaige que encore je prononce. »
Adonc
saillit avant
la religieuse qui porta son urine à Rouen, et dist :
« Ma dame, il y a bien remede, s'il vous plaisoit ?
- Creez qu'il ne me plaist pas, dist-elle ;
vecy
seur Jehanne, qui revient de Rouen,
et a monstre mon urine et compté mon cas à ung tel medecin qui m'a jugée morte,
voire se
je ne me vouloye abandonner à aulcun homme et estre en sa compaignie !
Et par ce point esperoit-il, comme il trouvoit par ses livres, que je n'auroye garde de mort,
mais, se ainsi ne le faisoye, il n'y a point de ressource en moy. Et quant à moy, j'en loue Dieu qui me daigne appeller,
ainçois que
j'aye fait plus de pechez à luy me rends, et à la mort je presente mon corps : viengne quant elle veult !
- Comment, ma dame, dist
l'enfermiere,
vous estes de vous-mesmes homicide ! Il est en vous de vous saulver et ne fault que tendre la main et
requerre
ayde, et vous la trouverez preste : ce n'est pas bien fait et vous ose bien dire que vostre ame ne partirait point seurement,
s'en cest estat vous mouriez.
- Ha ! ma belle seur, dist ma dame,
quantes fois
avez-vous ouy preschier que mieux vauldroit à une personne s'abandonner à la mort que commettre ung seul peché mortel ?
Et vous scavez que je ne puis ma mort fuyr ne
eslongier,
sans faire et commettre pechié mortel ! Et qui bien autant au cueur me touche, s'en ce faisant, ma vie
eslongeroye,
n'en seroye-je pas deshonnourée et à tousjours, mais reprouchée, et diroit-on : "Vela la dame", etc... ?
Mesmes, vous toutes, quelque conseil que me donnez, m'en auriez en irreverence et en moins d'amour ;
et vous semblerait, et à bonne cause, que indigne seroye d'entre vous presider et gouverner.
- Ne dictes et ne pensez jamais cela, dist ma dame la tresoriere ; il n'est chose qu'on ne doibve entreprendre pour
eschever
la mort. Et ne dist pas nostre bon pere saint Augustin, qu'il ne loisible à personne de soy oster la vie, ne
tollir
ung sien membre ? Et ne yriez-vous pas directement encontre sa sentence, se vous laissez
à escient
ce qu'il vous peut de mal garder ?
- Elle dist bien ! respondit le couvent en general. Ma dame, pour Dieu, obeissez au medecin, et ne soyez en vostre opinion si
aheurtée,
que, par faulte de soustenance, vous perdez corps et ame, et laissez vostre povre couvent, qui tant vous ayme, désolé et despourveu de
pastoure.
- Mes bonnes seurs, dist ma dame, j'ayme mieux voulontairement à la mort tendre les mains,
submettre mon col, et honnorablement l'embrasser, que pour la fuyr je vive deshonnourée.
Et ne diroit-on pas : "Vela la dame qui fist ainsi et ainsi ?"
- ne vous chaille
qu'on dye, ma dame : vous ne serez jà reprouchée de gens de bien.
-Si seroye, si, » dist ma dame.
Le couvent se alla esmouvoir, et firent les bonnes religieuses entre elles ung
consistoire,
dont la conclusion s'ensuyt ; et porta les parolles d'icelle, la prieure :
« Madame,
vecy
vostre desolé couvent, si très
desplaisant
que jamais maison ne fut plus troublée qu'elle est, dont vous estes cause ; et
créez,
se vous estes si mal conseillée de vous abandonner à la mort, que fuyr vous povez, j'en suis bien seure.
Et affin que vous entendez que nous vous aymons d'entiere et leal amour, nous sommes
contentes
et avons conclud et deliberé meurement, toutes ensemble generalement, en saulvant vous et nous,
avoir compaignie secretement d'aucun homme de bien ; nous pareillement le ferons, affin que vous n'ayez pensée ne
ymaginacion,
que ou temps advenir vous en
sourdit
reproche de nulle de nous. N'est-ce pas ainsi, mes seurs ?
- Ouy, » dirent-elles toutes de très bon cueur.
Ma dame l'abbesse, ouyant ce que dit est, et portant au cueur ung grant fardeau d'ennuy, pour l'amour de ses seurs, se laissa ferir et s'accorda, combien qu'à grant regret, que le conseil du medecin serait mis en oeuvre.
Adonc furent mandez moynes, prestres et clercs, qui trouverent bien à besoigne. Et là ouvrerent si très bien, que ma dame l'abbesse fut en peu d'heure rapaisée : dont son couvent fut très joyeux, qui par honneur faisoit ce que par honte oncques puis ne laissa.
N'a gueres
que ung gentil homme, demourant à Bruges, tant et si longuement se trouva en la compaignie d'une belle fille,
qu'il luy fist le ventre lever.
Et
droit au coup
qu'elle s'en apparceust et donna garde,
Monseigneur
fist
une assemblée
de gens d'armes ; si fut force a nostre gentilhomme d'abandonner sa dame et avec les aultres aller ou
service
de mondit seigneur,
ce que de bon cueur et bien il fist. Mais, avant son parlement, il fist garnison et
pourveance
de parrains et marraines et de nourrice, pour son enfant advenir, logea la mere avecques de bonnes gens,
luy laissa de l'argent et leur recommanda. Et quant au mieulx qu'il sceust et le plus
brief
qu'il peust, ces choses furent bien
disposées,
il ordonna son
partement
et print congié de sa dame, et, au plaisir de Dieu, promist de tantost retourner.
Pensez que s'elle n'eust jamais ploré, ne s'en tenist-elle pas à ceste heure, puis qu'elle veoit d'elle
eslongier
celuy, en ce monde, dont la presence plus luy plaist. Pour abregier, tant luy despleust ce
dolent
departir, que
oncques
mot ne sceust dire, tant empeschoient sa doulce langue les larmes
sourdantes
du parfond
de son cueur.
Au fort,
elle s'appaisa, quant elle vist qu'aultre chose
estre
n'en povoit. Et quant vint environ ung mois après le
partement
de son amy, desir luy eschauffa le cueur et si luy vint
ramentevoir
les plaisans passetemps qu'elle
souloit
avoir, dont la très dure et très mauldicte absence de son amy, helas ! l'avoit privé. Le Dieu d'amours, qui n'est jamais
oyseux,
luy mist en bouche et en termes les haultz biens, les nobles vertus, et la très grande beaulté d'ung marchant,
son voisin, qui plusieurs fois, avant et depuis le
département
de son amy, luy avoit presenté la
bataille ;
et conclure lui fist, que s'il retourne plus à sa queste, qu'il ne s'en yra pas
escondit ;
mesmes, si la voyoit ès rues, elle tiendra telles et si bonnes manieres, qu'il entendra bien qu'elle en veult à luy.
Or vint-il si bien, qu'à lendemain de ceste conclusion, à la première
oeuvre,
Amours envoya nostre marchant devers la patiente, et luy presenta, comme aultrefois,
chiens et oyseaulx, son corps, ses biens, et cent mille choses, que ces
abateurs
de femmes scaivent tout courant et par cueur. Il ne fut pas
escondit,
car s'il avoit bonne voulenté de combatre et
faire armes,
elle n'avoit pas moins de desir de luy fournir de tout ce qu'il vouldra.
Et durant que nostre gentil homme fournit et acomplist au bon marchant tout ce dont la requist ;
et se plus eust osé demander, elle estoit preste, de l'acomplir, et trouva en luy tant de bonne chevalerie,
de proesse et de vertu, qu'elle oublia de tous pointz son amy par amours,
qui à ceste heure gueres ne s'en doubtoit. Beaucoup aussi au bon marchant pleust la
courtoisie
de sa nouvelle dame ; et tant furent conjoincles les voulentez, desirs, et pensées de luy et d'elle,
qu'ilz n'avoient pour eulx deux que un seul cueur. Si se penserent que, pour se bien logier et à leur aise, il souffiroit bien d'ung
ostel
pour leurs deux : si
troussa
ung soir nostre
gouge
ses
bagues
avec elle, et en
l'ostel
du marchant s'en alla, en abandonnant le premier son amy, son oste, son ostesse, et foison d'aultres gens de bien, auxquelz
il
l'avoit recommandée. Et elle ne fut pas si folle, quant elle se vit bien logée, qu'elle ne dist
incontinent
à son marchant, qu'elle se sentoit grosse, qui en fut très joyeux,
cuidant
bien que ce fut de ses oeuvres. Au
chief
de sept mois, ou environ, nostre
gouge
fist ung beau filz, dont le pere adoptif
s'acointa
grandement et de la mere aussi.
Advint certaine
espace
après, que le bon gentil homme retourna de la guerre et vint à Bruges, et au plus tost qu'il peust honnestement,
print son chemin vers le logis où il laissa sa dame. Et luy, venu
leans,
il la demanda a ceulx qui en prindrent la
charge
de la
penser,
garder et ayder en sa
gesine.
« Comment ? dirent-ilz. Esse-ce que vous en scavez ? Et n'avez-vous pas eu les lettres qui vous furent escriptes ?
- Nenny, par ma foy, dist-il. Et quelle chose y a-il ?
- Quelle chose ! saincte Marie ! dirent-ilz. Nostre Dame ! c'est bien raison que on le vous die. Vous ne feustes pas party d'ung mois après,
qu'elle ne
troussast
pignes
et miroirs ; et s'en alla
bouter
cy devant en
l'ostel
d'ung tel marchant, qui la tient à fer et à clou. Et, de fait, elle a porté un beau filz et a
geu
leans.
Et l'a fait le marchant
chrestienner ;
et si le tient à sien.
- Saint Jehan !
vecy
aultre chose de nouveau ! dist le bon gentil homme ; mais,
au fort,
puis qu'elle est telle, au dyable soit-elle ! Je suis
content
que le marchant l'ayt et la tienne ; mais, quant est de l'enfant, je suis seur qu'il est mien, si le vueil ravoir. »
Et sur ce mot, part et s'en va heurter bien rudement à
l'huys
du marchant.
De bonne adventure,
sa dame, qui fut, vint à ce heurt, qui ouvre
l'huys,
comme toute de
leans
qu'elle estoit. Quant elle vit son amy oublié et qu'il congneust aussi, chascun fust
esbahy.
Non pourtant;
luy demanda, dont elle venoit en ce lieu ? Et elle respondit que Fortune l'y avoit amenée.
« Fortune ? dist-il, et Fortune vous y tienne ; mais je vueil ravoir mon enfant ;
vostre maistre aura la vache, mais j'auray le veau. Or le me rendez bien tost,
car je le vueil ravoir, quoy qu'il en advienne.
- Helas ! ce dist la
gouge,
que dirait mon homme ? Je seroye
desfaicte,
car il
cuide
certainement qu'il soit sien.
- Il ne m'en chault,
dist l'autre, die ce qu'il vouldra, mais il n'aura pas ce qui est mien.
- Ha ! mon amy, je vous requier que vous laissiez et baillez cest enfant icy à mon marchant,
et vous me ferez grant plaisir et à luy aussi. Et par Dieu, se vous l'aviez veu, vous ne seriez jà pressé de l'avoir : c'est ung lait et
ort
garson tout
rougneux
et contrefait.
- Dea,
dist l'autre, tel qu'il est, il est mien, et si le vueil reavoir.
- Et parlez bas, pour Dieu, ce dit la
gouge,
et vous appaisez, je vous en supplie, et vous plaise ceans laisser cest enfant, et je vous prometz, se ainsi le faictes,
je vous donneray le premier enfant que
jamais
j'aray. »
Le gentil homme, à ces motz, jà soit qu'il fust courroucé, ne se peut tenir de soubrire, et, sans plus dire, de sa bonne dame se partit, ne jamais ne redemanda ledit enfant. Et encores le nourrist celuy, qui la mere engranga en l'absence de nostredit gentil homme.
N'a gueres qu'en la ville de Mons, en Haynault, un procureur de la Cour dudit Mons, assez sur aage et jà ancien, entre ses aultres clercz avoit ung très beau filz et gentil compaignon, duquel sa femme, à certaine espace de temps, s'enamoura très fort ; et très bien luy sembloit qu'il estoit mieulx taillé de faire la besoigne, que n'estoit son mary. Et, affin qu'elle esprouvast se son cuider estoit vray, elle conclud en soy-mesmes qu'elle tiendra telz termes, que, s'il n'est plus beste que ung asne, il se donra tantost garde qu'elle en veult à luy.
Pour excecuter ce desir, ceste vaillant femme, jeune et fresche, et en bon point, venoit souvent et menu coustre et filer auprès de ce clerc : et devisoit à luy de cent mille besoignes, dont la pluspart tousjours en fin sur amours retournoient. Et, devant ces devises, elle n'oublia pas de le servir d'aubades assez largement : une fois le butoit du coude en escripvant ; une autre fois, luy gettoit des pierrettes, tant qu'il broulloit ce qu'il faisoit, et luy failloit recommencer. Ung aultre jour, recommençoit ceste feste et luy ostoit papier et parchemin, tant qu'il failloit qu'il cessast l'oeuvre, dont il estoit très mal content, doubtant le courroux de son maistre.
Quelque
semblant
que la maistresse long temps luy eust monstré, qui tirait fort au train de derriere,
si luy avoient jeunesse et crainte les yeulx si bandez qu'en rien il ne s'apercevoit du bien qu'on luy vouloit ;
neantmoins, en la fin, il apperceut qu'il estoit bien en grace.
Et ne demoura gueres après ceste deliberation, que, le procureur estant hors de
l'ostel,
sa femme vint au clerc
bailler
l'assault qu'elle avoit de coustume,
voire
trop plus aigre et plus fort que nulles fois de devant, tant de ruer, tant de
bouler,
de parler : mesmes, pour le plus
empeschier
et
bailler
destourbier,
elle respandit, sur buffet, sur papier, sur robe, son cornet à l'encre.
Et nostre clerc, plus congnoissant et mieulx voyant que cy dessus,
saillit
sur piez et assault sa maistresse et la
reboute
arriere de luy, priant qu'elle le laissast escripre. Et elle, qui demandoit estre assaillie et combatre, ne laissa pas pourtant
l'emprinse
encommencée.
« Scavez-vous, que luy a dit le clerc,
ma damoiselle,
c'est force que je acheve l'escript que j'ay encommencé ? Si vous requier que vous me laissez paisible, ou, par
la mort bieu,
je vous livreray
castille.
- Et que me feriez-vous, beau sire ? dist-elle : la
moe ?
- Nenny, par Dieu !
- Et quoy donc ?
- Quoy ?
- Voire quoy ?
- Pour ce, dist-il, que vous avez respandu mon cornet à l'encre, et avez
broullié
mon escripture, je vous pourray bien
broullié vostre parchemin ;
et, affin que faulte d'encre ne m'empesche d'escripre, j'en pourray bien
pescher en vostre cornet.
- Par ma foy, dist-elle, vous en estes bien l'homme, et croiez que j'en ay grant paour !
- Je ne say quel homme, dist le clerc, mais je suis tel que, se vous vous y
esbatez plus,
vous passerez par là. Et, de fait,
vecy
une roye
que je vous fais, et par Dieu, se vous la passez, tant peu que ce soit, se je vous
faulx,
je vueil qu'on me tue !
- Et par ma foy, dist-elle, je ne vous en crains, et si passeray la
roye,
et puis verray que vous ferez. »
Et disant ces parolles, marcha là dru, faisant le petit sault, oultre la roye, bien avant. Et le bon clerc la prent aux grifz, sans plus enquerre, et sur son banc la rue. Et creez qu'il la pugnit bien, car, s'elle l'avoit broullié, il ne luy en fist pas moins, mais ce fut en aultre façon, car elle le broullia par dehors et à descouvert, et il la broullia à couvert et par dedans.
Or est-il vray que là present y estoit ung jeune enfant de environ deux ans, fils de Jeans.
Il ne fault pas demander s'après ces premieres
armes
de la maistresse et du clerc, il y eut plusieurs secretz
remonstrez
à moins de parolles que les premieres. Il ne vous fault pas
celer
aussi que, peu de jours après ceste adventure, ledit petit enfant ou comptoir estant où nostre clerc escripvoit, le procureur et maistre de
leans
survint ; et marche avant, pour
tirer vers
son clerc, pour regarder qu'il escripvoit, ou pour
espoir
d'aultre chose ; et, comme il approucha la
roye,
que son clerc avoit faicte pour sa femme, qui encores n'estoit pas effacée, son filz lui crye et dit :
« Mon pere, gardez bien que vous ne passez ceste
roye,
car nostre clerc vous abatroit et houspillerait
ainsi qu'il
fist nagueres ma mere. »
Le procureur, ouyant son filz, et regardant la roye, si ne sceust que penser, car il se souvint que folz, yvres et enfans ont de coustume de verité dire, mais non pourtant il n'en fist pour ceste heure nul semblant ; et n'est encores point venu à ma congnoissance, se il differa la chose ou par ignorance ou par doubte d'esclandre, etc.
Jà soit ce que ès nouvelles dessusdictes les noms de ceulx et celles à qui elles ont touchié ou touchent, ne soient mis et escripts, si me donne appetit grant vouloir de nommer, en ma petite ratelée, le conte Vualeran, en son temps, conte de saint Pol, et appelé le beau conte. Entre autres seigneuries, il estoit seigneur d'ung villaige en la chastellenie de Lisle, nommée Vrelenchem, près dudit Lisle environ d'une lieue.
Ce gentil conte, de sa bonne et doulce nature, estoit et fut tout son temps amoureux. Oultre
l'enseigne,
il sceust, au rapport
d'aucuns
ses serviteurs, qui en ce cas le servoient, que audit Vrelenchem avoit une très belle fille, gente de corps et
en bon point.
Il ne fut pas si paresseux, que, assez tost après cette nouvelle,
il ne se trouvast en ce villaige. Et firent tant lesditz serviteurs,
que les yeulx de leur maistre confermerent de tous pointz leur rapport touchant la dicte fille :
« Or ça qu'est-il de faire ? dist lors le gentil conte ; c'est que je parle à elle entre nous deux seulement, et ne me chault qu'il me couste. »
L'ung de ses serviteurs, docteur en son mestier, lui dist :
« Monseigneur, pour vostre honneur et celuy de la fille aussi,
il me semble que mieulx vault que je luy descouvre
l'embusche
de vostre voulenté ; et selon la response, j'auray advis de parler et poursuyvre. »
Comme l'aultre dit, il fut fait ; car il vint devers la belle fille et très courtoisement la salua. Et elle, qui n'estoit pas moins saige, ne bonne que belle, courtoisement luy rendit son salut.
Pour abregier, après plusieurs parolles
d'acointances,
le bon
macquereau
va faire une grant
prémisse
touchant les biens et les honneurs que son maistre lui vouloit :
et, de fait, se à elle ne tenoit, elle seroit cause d'enrichir et honnourer tout son lignaige. La bonne fille
entendit tantost quelle heure il estoit.
Si fist sa response telle qu'elle estoit, c'est assavoir belle et bonne ;
car, au regard de monseigneur le conte, elle estoit celle, son honneur saulve,
qui luy vouldroit obeyr, craindre et servir en toutes choses ; mais qui la vouldroit requérir contre son honneur qu'elle tenoit aussi
chier
que sa vie, elle estoit celle qui ne le congnoissoit et pour qui
elle feroit non plus que le cinge pour les mauvais.
Qui fut esbaby et courroucé, cette response ouye, ce fut nostre
va-luy-dire
qui s'en revient devers son maistre,
à-tout
ce qu'il avoit de poisson,
car à chair avoit-il failly. Il ne faut pas demander se le conte fut mal content,
quant il sceust la très fiere et dure response de celle dont il desiroit
l'acointance
et joyssance, et autant ou plus que nulle du monde. Tantost après si va dire :
« Or avant laissons-la là pour ceste fois ; il m'en souviendra, quant elle
cuidera
qu'il soit oublié. »
Il se partit de là tantost après, et n'y retourna que les six sepmaines ne fussent passées ;
et quant il revint, ce fut si très secrètement, que nulle nouvelle n'en fut, tant simplement et
en tapinaige
s'y trouva. Il fit tant par ses
espies,
qu'il sceust que nostre belle fille
soyoit
de l'erbe au coing d'ung bois,
asseulée
de toutes gens ; il fut bien joyeux, et, tout
housé
encores qu'il estoit, se met au chemin devers elle, en la compaignie de ses
espies.
Et quant il fut près de ce qu'il queroit, il leur donna congié, et fist tant, qu'il se trouva auprès de sa dame,
sans ce qu'elle en sceust nouvelle, sinon quant elle le vit. S'elle fut
esprinse
et
esbahie
de se veoir tenue et saisie de monseigneur le conte,
ce ne fut pas merveilles ;
mesmes elle en changea couleur,
mua semblant,
et à bien peu en perdit la parolle, car elle scavoit par renommée, qu'il estoit périlleux et
noyseux
eutre femmes.
« Ha dya !
ma damoiselle,
dist lors le gentil conte, qui se trouva saisy, vous estes
a merveilles
fiere !
On ne vous peut avoir sans siège. Or pensez bien de vous défendre, car vous estes venue à la
bataille ;
et,
avant que de moy partez,
vous en ferez, à mon vouloir et tout à ma
devise,
des peines et travaulx que j'ay soufferts et endurez tout pour l'amour de vous.
- Helas, Monseigneur, ce dit la jeune fille toute
esbahye
et
surprinse
qu'elle estoit, je vous
crye mercy !
Se j'ay dit ou fait chose qui vous desplaise, vueillez-le-moy pardonner,
combien que
je ne pense avoir dit ne fait chose dont
me doyez
scavoir mal gré. Je ne scay, moy, qu'on vous a raporté : on m'a requise,
en vostre nom, de déshonneur ; je n'y ay point adjousté de foy, car je vous tien si vertueux,
que pour riens ne vouldriez deshonnourer une vostre simple subgecte, comme je suis, mais la vouldriez bien garder.
- Ostez ce
procès,
dist Monseigneur, et soyez seure que vous ne m'eschapperez. Je vous ay fait monstrer le bien que je vous vueil et ce pourquoy je envoyay devers vous. »
Et, sans plus dire, la
trousse
et prent entre ses bras, et dessus ung peu d'herbe mise en ung tas qu'elle avoit assemblée, soudainement la coucha et fort,
roide
l'acolla.
Et vistement faisoient toutes ses préparatoires d'accomplir le désir qu'il avoit
de pieça.
La jeune fille, qui se veoit en ce dangier et sur le point de perdre ce qu'en ce monde plus
chier
tenoit, s'advisa d'ung bon tour et dist :
« Ha ! Monseigneur, je me rens à vous ! Je feray ce qu'il vous plaira, sans nul reffus ne contredit ; soyez plus
content
de prendre de moy ce qu'en vouldriez, par mon accord et voulenté, que par force et malgré-moy ; voz parolles et vostre vouloir
desordonné
soient accomplis !
- Ha
dea,
dist Monseigneur, que vous m'eschappiez, non ferez. Que voulez-vous dire ?
- Je vous requier, dist-elle, puis qu'il faut que vous obéisse, que vous me faictes ceste honneur, que je ne soye
souillie
de vos
houseaulx,
qui sont gras et
ors, et vous suffise du surplus.
- Et comment en pourroye-je faire ? ce dist Monseigneur ?
- Je les vous osteray, ce dist-elle, très bien, s'il vous plaist, car, par ma foy, je n'aroye cueur ne
couraige
de vous faire bonne
chiere
avec ces
paillars
houseaulx.
- C'est peu de chose des
houseaulx,
ce dist Monseigneur ; mais
non pourtant,
puisqu'il vous plaist, ilz seront ostez. »
Et alors il abandonna sa prinse, et s'assit dessus l'herbe, et tend sa jambe ; et la belle fille luy osta l'esperon et puis luy tire l'ung de ses houseaulx, qui bien estrois estoient. Et quant il fut environ à moityé, à quoy faire elle eust moult de peine, pour ce que tout à propos le tira de mauvais biays, elle part et s'en va tant que piez la peuvent porter, aidez et soutenus de bon vouloir ; et là laissa le gentil conte, et ne fina, de courre tant qu'elle fut en l'ostel de son père. Le bon seigneur, qui se trouva ainsi deceu, si enrageoit et plus n'en povoit ; et qui à ceste heure l'eust veu rire, jamais n'eust eu les fiebvres.
À quelque meschief que ce fut, se mist sur piez, cuidant, par marchier sur son houseau, et par ce l'oster de sa jambe, mais c'est pour néant : il estoit trop estroit ; si n'y trouva aultre remede, que de retourner vers ses gens, de sa bonne adventure. Il ne fut pas loing allé, que tost ne trouvast ses bons disciples, sur le bord d'ung fossé qui l'attendoient ; qu'ilz ne sceurent que penser, quant ilz le veirent ainsi atourné. Il leur conta tout son cas et se fist rehouser. Et qui l'oyoit, celle qui l'a trompé ne serait pas seurement en ce monde, tant luy cuide et veult bien faire de desplaisir. Mais, quelque vouloir qu'il eust pour lors et tant mal content qu'il feust pour ung temps, toutesfois quant il fut ung peu refroidy, tout son courroux fut converti en cordiale amour.
Et qu'il soit vray, depuis, à son pourchas et à ses chiers coustz et despens, il la fit marier très richement et bien, à la contemplacion seulement de la franchise et loyaulté qu'en elle avoit trouvé, dont il eut la vraye congnoissance par le reffus icy dessus compté.
La chose est si fresche et si nouvellement advenue, dont je vueil fournir ma nouvelle, que je n'y puis ne tailler, ne rongnier, ne mettre, ne oster.
Il est vray que au Quesnoy vint une belle fille, nagueres, au prevost, soy complaindre de force et violence,
en elle perpétrée et commise par le vouloir
desordonné
d'ung jeune
compaignon.
Ceste complainte au prevost faicte, le compaignon,
encusé
de ce crime, fut en heure prins et saisy ; et, au dit du commun peuple,
ne valoit gueres mieulx que pendu au
gibet,
ou sans teste sur une
roe
mis
emmy
les champs. La fille, voyant et sentant celuy dont elle
se douloit
emprisonné, poursuyvoit
roidement
le prevost, qu'il luy en fist justice, disant que, oultre son gré et vouloir,
violentement et par force l'avoit deshonnourée. Et le prevost, homme discret et saige et en justice très expert, fist assembler les
hommes,
et puis manda le prisonnier. Et,
ainçois qu'il
le fist venir devant les hommes desjà tous pretz pour le jugier, s'il confessoit par
gehaine
ou aultrement l'horrible cas dont il estoit chargié, parla à luy à part, et si l'adjura de dire la vérité.
« Vecy
telle femme, dist-il, qui de vous se complaint très fort de force : est-il ainsi ? L'avez-vous efforcée ? Gardez que vous dictes vérité,
car, se vous faillez, vous estes mort, mais se vous dictes vérité, on vous fera grâce.
- Par ma foy, Monseigneur le prevost, dist le prisonnier, je ne vueil pas nyer ne
celer
que je ne l'aie
pieça
requise de son amour. Et, de fait, devant hyer, après plusieurs parolles, je la ruay sur ung lit pour faire ce que vous scavez, et luy levay robe,
pourpoint
et chemise. Et mon
furon,
qui n'avoit jamais hanté
[larrier ne]
lévrier,
ne scavoit trouver la
duyere
de son
connil ;
si ne faisoit que aller çà et là ; mais elle par sa
courtoisie
luy dressa le chemin, et à ses propres mains, le
bouta
tout dedans. Je croy trop bien qu'il ne partit pas sans proye, mais qu'il y eust aultre force, par mon serment, non eust.
- Est-il ainsi ? dist le prevost.
- Ouy, par mon serment, dist le bon compaignon.
- Or bien, dist-il, nous en ferons très bien. »
Après ces parolles, le prevost se vient mettre en siège pontifical,
à dextre,
environné de ses hommes. Et le bon compaignon fut mis et assis sur le petit banc, ou parquet, ce voyant tout le peuple et celle qui l'accusoit aussi :
« Or ça, m'amye, dist le prevost, que demandez-vous à ce prisonnier ?
- Monseigneur le prevost, dist-elle, je me plains à vous de la force que il m'a faicte,
car il m'a violée, oultre mon gré et voulenté, et malgré moy : dont je vous demande justice.
- Que respondez-vous, mon amy ? dist le prevost au prisonnier ?
- Monseigneur, se dist-il, vous ay jà dit comment il en va, et je ne pense pas qu'elle die au contraire.
- M'amye, dist le prevost, regardez bien que vous dictes et que vous faictes de vous plaindre de force ? C'est grant chose !
Vecy
qui dist qu'il ne vous fist
oncques
force, mesmes avez esté consentante, et à peu près requérante de ce qu'il a fait. Et qu'il soit vray, vous mesmes adressastes et mistes son
furon,
qui s'esbatoit
à l'entour de vostre
terrier ;
et à voz deux mains ou
à-tout
l'une, tout dedans vostredit
terrier
le mistes. Laquelle chose il n'eust peu faire sans vostre ayde ; et se vous y eussiez tant peu soit résisté, jamais n'en fust venu
à chief.
Se son
furon
a fouraigé l'ostel,
il n'en peut mais,
car, dès lors qu'il est au
terrier
ou
duyere,
il est hors de son
chastoy.
- Ha, Monseigneur le prevost, dist la fille plaintive, comment l'entendez-vous ? Il est vray, je ne vueil pas nier que
voirement
j'adressay son
furon
et le
bouta
en mon
terrier ,
mais pour quoy fut-ce ? Par mon serment, Monseigneur, il avoit la teste
roide
et le museau tant dur, que je scay tout vray qu'il m'eust fait ung grant
pertuis,
ou deux, ou trois, au ventre, se je ne l'eusse bien en haste
bouté
en celuy qui y estoit
d'avantaige ;
et vela pourquoy je le fis. »
Pensez qu'il y eust grande risée, après la conclusion de ce procès, de ceulx de la justice et de tous les assistans. Et fut le compaignon délivré, promettant de retourner à ses journées, quant sommé en serait.
Et la fille s'en alla bien courroucée, qu'on ne pendoit très bien hault, en hasté, celuy qui avoit pendu à ses basses fourches. Mais ce courroux, ne sa rude poursuite ne dura gueres, car, à ce qu'on me dit, tantost après, par bons moyens, la paix entre eulx si fut trouvée ; et fut abandonnée au bon compaignon garenne, conniniere et terrier , toutes fois que chasser y vouldroit.
En la duchié de Braibant, n'a pas long temps que la mémoire n'en soit fresche et présente à ceste heure, advint ung cas digne de réciter ; et, pour fournir une nouvelle, ne doit pas estre rebouté. Et, affin qu'il soit enregistré et en appert congneu et déclaré, il fut tel.
À
l'ostel
d'ung grant baron dudit païs, demouroit et residoit ung jeune,
gent et gracieux gentil homme, nommé Girard, qui s'énamoura très fort d'une damoiselle de
leans,
nommée Katherine. Et quant il vit
son coup,
il luy osa bien dire son gracieux et piteux cas. La response qu'il eut de
prinssault
plusieurs la peuvent scavoir et penser, laquelle, pour abreger, je
trespasse.
Et viens à ce que Girard et Katherine, par succession de temps, s'entreaymerent tant fort et si leallement,
que ilz n'avoient que ung seul cueur et ung mesme vouloir. Ceste entière, lealle et parfaicte amour ne dura pas si peu,
que les deux ans ne furent acomplis et passés ; puis
après certaine pièce,
Amours, qui bande les yeulx de ses serviteurs, les boucha si très bien, que là où ilz
cuidoient
le plus secrètement de leurs amoureux affairres conclure et
deviser,
chascun s'en apparcevoit ; et n'y avoit homme ne femme à
l'ostel,
qui très bien ne s'en donnast garde ; mesmes fut la chose tant
escriée,
que on ne parloit par
leans,
que des amours Girard et Katherine. Mais helas ! les povres aveugles
cuidoient
bien seulz
estre empeschez
de leurs
besoignes,
et ne se doubtoient gueres qu'on en tenist conseil ailleurs qu'en leur présence,
où le troisiesme, de leur gré, n'eust pas esté repceu, sans leur propos changier et
transmuer.
Tant au
pourchas
d'aucuns
maulditz et détestables envieux, que, pour la continuelle
noyse
de ce qui rien ou peu ne leur touche, vint ceste matière à la congnoissance du maistre et de la maistresse de ceux amans, et d'iceulx s'espandit et
saillit en audience
du pere et de la mere de Katherine. Si luy en cheust si très bien, que, par une damoiselle de
leans,
sa très bonne compaigne et amye, elle fut advertie et informée du long et du large de
la descouverture
des amours de Girard et d'elle, tant à monseigneur son pere et ma dame sa mère, que à Monseigneur et à ma dame de
leans :
« Helas ! qu'est-il de faire, ma bonne seur et m'amye ? dit Katherine. Je suis femme
destruicte,
puis que mon cas est si manifeste, que tant de gens le scavent et en devisent ! Conseillez-moy,
ou je suis femme perdue et plus que ung aultre désolée et mal fortunée ! »
Et à ces motz, larmes à grans tas
saillirent
de ses yeulx et descendirent au long de sa belle et clere face, jusques bien bas sur sa
robbe .
Sa bonne compaigne, ce voyant, fut très
marrie
et
desplaisante
de son ennuy, et, pour la conforter, lui dist :
« Ma seur, c'est follie de mener tel
deul
et si grant ; car on ne vous peut, Dieu mercy, reproucher de chose qui touche vostre honneur,
ne celuy de voz amys. Se vous avez
entretenu
ung gentil homme en cas d'amours, ce n'est pas chose defendue en la Court d'honneur ; mesmes est
la sente et
vraye adresse
de y parvenir ; et, pour ce, vous n'avez cause de
douloir,
et n'est ame vivant qui à la vérité vous en puisse ou doibve chargier.
Mais, toutesfoys, il me semblerait bon, pour estaindre la
noise
de plusieurs parolles qui courent aujourd'huy, à l'occasion de vosdictes amours, que Girard, vostre serviteur,
sans faire semblant de riens, print ung gracieux congié de Monseigneur et de ma dame,
coulourant son
cas,
ou d'aller en ung loingtain voyage, ou en quelque guerre apparente ; et, soubz ceste
umbre,
s'en alast quelque part soy rendre en ung bon
ostel,
attendant que Dieu et Amours auront
disposé
sur voz
besoignes ;
et, luy arresté, vous face scavoir de son estat ; et par son mesmes messaige, luy ferez scavoir de voz nouvelles.
Et, parce point, s'appaisera le bruit qui court à présent, et vous entraymerez et entretiendrez l'ung l'aultre par
liens,
en attendant que mieulx vous vienne. Et ne pensez point que vostre amour pourtant doibve cesser ; mesmes de bien en mieulx se maintiendra, car, par longue
espace,
vous n'avez eu rapport ne nouvelle, chascun de sa partie,
que par la relation de voz yeulx qui ne sont pas les plus heureux de faire les plus seurs jugemens,
mesmes à ceulx qui sont tenus en l'amoureux servaige. »
Le gracieux et bon conseil de ceste gentil femme fut mis en oeuvre et à effect, car,
au plus tost que Katherine sceust trouver la façon de parler à Girard son serviteur, elle en brief luy compta comment
l'embusche
de leurs amours estoit descouverte et venue desjà à la congnoissance de Monseigneur son père et de ma dame sa mère, et de Monseigneur et ma dame de
leans :
« Et creez, dist-elle, avant qu'il soit venu si avant, ce n'a pas esté sans passer grans langaiges, au
pourchas
des rapporteurs, devant tous ceulx de ceans et de plusieurs voisins.
Et, pource que Fortune ne nous est pas si amye de nous avoir permis longuement vivre si glorieusement en nostre estat encommencé,
et si nous menace, advise, forge et prepare encores plus grans
destourbiers
se ne pourvoyons à l'encontre ; il nous est
mestier
utile et nécessité d'avoir advis bon et hastif. Et, pource que le cas beaucoup me touche et plus que à vous, quant an
Dangier
qui
sourdre
en pourrait, sans vous desdire je vous diray mon opinion. »
Lors [elle] luy va compter,
de rechief
en bout, l'advertissement et conseil de sa bonne compaigne. Girard, desjà ung peu adverty de ceste mauldicte adventure, plus
desplaisant
que se tout le monde l'eus-t mort, mis hors de sa dame, respondit en telle manière :
« Ma leale et bonne maistresse,
vecy
vostre humble et obéissant serviteur, qui après Dieu n'ayme riens en ce monde si loyaulment que vous.
Et suis celuy à qui vous povez ordonner et commander tout ce que bon vous semble, et qui vous vient à plaisir, pour estre
lyement
et de bon cueur sans contredit obeye. Mais pensez qu'en ce monde ne me pourra pis advenir,
quant il fauldra que je esloigne vostre très désiré présence,
Helas ! s'il fault que je vous laisse, il m'est advis que les premières nouvelles que vous aurez de moy, ce sera ma
doulente
et piteuse mort
adjugée
et exécutée à cause de vostre
eslongier ;
mais, quoy que soit, vous estes celle et seule vivante que je vueil obeyr, et ayme trop plus
chier
la mort en vous obeyssant, que en ce monde vivre,
voire et
estre perpétuel, non accomplissant vostre noble commandement !
Vecy
le corps de celuy qui est tout vostre : Taillez, rongnez, prenez,
ostez
et faictes tout ce qu'il vous plaist. »
Se Katherine estoit
marrie et
desplaisante,
oyant son serviteur qu'elle aymoit plus loyaulment que nul autre,
le voyant aussi plus troublé que dire on ne le vous pourrait, il ne le fault que penser et non
enquerre.
Et se ne feust pour la grant vertu que Dieu en elle n'avoit pas oubliée de mettre largement et à comble,
elle se feust offerte de luy faire compaignie en son voyage ;
mais, espérant de quelque jour recouvrer à ce que très heureusement
faillit,
le retira de ce propos : et certaine
pièce
après, si [elle] luy dist :
« Mon amy, c'est force que vous en allez : si vous prie que vous n'oubliez pas celle qui vous a fait le don de son cueur.
Et, affin que vous ayez
couraige
de mieulx soustenir la très joyeuse et horrible bataille que Raison vous livre et amaine à vostre douloureux
partement,
encontre vostre vouloir et désir, je vous prometz et asseure,
sur ma foy, que, tant que je vive, autre homme n'auray à espousé, de ma voulenté et bon gré, que vous,
voire
tant que vous me soyez leal et entier, comme j'espoire que vous serez. Et,
en approbacion
de ce, je vous donne ceste
verge
qui est d'or esmaillié de larmes noires. Et, se d'adventure on me vouloit ailleurs marier,
je me defendray tellement et tiendray telz termes, que vous deverez estre de moy
content,
et vous monstreray que je vous vueil tenir, sans faulcer, ma promesse. Or, je vous prie que
tantost que
vous serez arresté où que ce soit, que m'escripvez de voz nouvelles, et je vous rescripray des miennes.
- Ha ! ma bonne maistresse, dist Girard, or voy-je bien qu'il fault que je vous abandonne, pour une
espace !
Je prie à Dieu qu'il vous
doint
plus de bien et plus de joye, qu'il ne
m'appert
en avoir. Vous m'avez fait, de vostre grâce, non pas que j'en soye digne, une si haulte et honnorable promesse,
que n'est pas en moy de vous en scavoir seulement et suffisamment mercier. Et encores ay-je le pouvoir de
le desservir,
mais pourtant ne demeure pas que je n'en aye la congnoissance : et si vous ose bien faire la pareille promesse, vous suppliant très humblement,
et de tout mon cueur, que mon bon et leal vouloir me soit réputé de tel et aussi grant mérite,
que s'il partoit de plus homme de bien que moy. Et adieu, ma dame !
Mes yeulx demandent à leur tour
audience,
qui coupent à ma langue son parler. »
Et, à ces motz, la baisa, et elle luy très serrement ; et puis, s'en allèrent chascun en sa chambre plaindre ses douleurs. Dieu scait s'ilz ploroient des yeulx, du cueur et de la teste ! Au fort, à l'heure qu'il se convint monstrer, chascun s'efforça faire aultre chiere de semblant et de bouche, que le désolé cueur ne faisoit. Et, pour abregier, Girard fist tant en peu de jours, qu'il obtint congié de son maistre, qui ne fut pas trop difficile a impetrer ; non pas pour faulte qu'il eust fait, mais à l'occasion des amours de luy et de Katherine, dont les amys d'elle estoient mal contens, pour tant que Girard n'estoit pas de si grand lieu ne de si grant richesse comme elle estoit ; et, pour ce, doubtoient qu'il ne la fiançast.
Ainsi n'en advint pas, et si se partit Girard, et fist tant par ses journées, qu'il vint ou pays de Barrois et trouva
retenance
a
l'ostel
d'ung grant baron du païs. Et luy arresté, tantost manda et fist savoir a sa dame de ses nouvelles,
qui en fut très joyeuse, et par son messaigier mesmes, luy rescripvit de son estat et du bon vouloir qu'elle avoit et aurait vers luy,
tant qu'il vouldroit estre loyal. Or, vous faut-il scavoir que,
tantost que
Girard fut party de Braibant, plusieurs gentilz hommes, escuyers et chevaliers se vindrent
accointer
de Katherine, desirans, sur toutes autres, sa bienveillance et sa grâce ;
qui, durant le temps que Girard servoit et estoit présent, ne se monstroient,
n'apparoient,
saichans de vray qu'il alloit devant eulx à l'offrande.
Et, de fait, plusieurs la requirent à Monseigneur son père de l'avoir en mariage ;
et, entre aultres, luy en vint ung, qui luy fut agréable. Si [son père] manda plusieurs ses amys et sa belle fille aussi ;
et leur remonstra comment il estoit desja ancien, et que ung des grans plaisirs qu'il pourroit en ce inonde avoir,
ce seroit de veoir sa fille en son vivant bien alliée. Leur dist au surplus :
« Ung tel gentil homme m'a fait demander ma fille ; ce me semble très bien son fait, et,
se vous le me conseillez et ma fille me vueille obeyr, il ne sera pas
escondit
en sa très honnorable requeste. »
Tous ses amys et parens louerent et accordèrent beaucoup ceste aliance, tant pour les vertus et richesses que aultres biens dudit gentil homme. Et quant vint à scavoir la voulenté de la bonne Katherine, elle se cuida excuser de non soy marier, remonstrant et alléguant plusieurs choses, dont elle le cuidoit désarmer et eslongier ce mariage ; mais, en la parfin, elle fut à ce menée, que s'elle ne vouloit estre en la male grâce de pere, de mère, de parens, d'amys, de maistre et de maistresse, qu'elle ne tiendrait pas la promesse qu'elle a fait à Girard son serviteur.
Si s'advisa d'un très bon tour pour
contenter
tous ses parens, sans enfreindre la loyaulté qu'elle veult à son serviteur, et dist :
« Mon très redoubté seigneur et père, je ne suis pas celle qui vous vouldroye en nulle
manière
du monde desobeyr,
voire
sans la promesse que j'auroye faicte à Dieu mon créateur, de qui je tiens plus que de vous. Or est-il
ainsi que
je m'estoye
resolute
en Dieu, et proposé et promis en mon cueur avoye, non pas de jamais moy marier, mais de le non faire encores, ne encores, attendant que par sa grâce me
voulsist
enseigner cest estat, ou aultre plus seur, pour saulver ma povre ame.
Neantmoins, pour ce que je suis celle qui pas ne vous vueil troubler, où je puisse bonnement à l'encontre, je suis
contente
d'emprendre
l'estat de mariage, ou aultre tel qu'il vous plaira, moyennant qu'il vous plaise moy donner congié de
ainçois
faire un pellerinage à
Sainct-Nycolas de Warengeville
lequel j'ay voué et promis, avant que jamais je change l'estat où je suis. »
Et ce, dist-elle, affin qu'elle peust veoir son serviteur en chemin et luy dire comment elle estoit forcée et menée contre son veu.
Le père ne fut pas moyennement joyeux de ouyr le bon vouloir et la saige response de sa fille. Si luy accorda sa requeste et prestement voulut disposer de son
partement ;
et disoit desjà à ma dame sa femme, sa fille présente :
« Nous luy
baillerons
ung tel gentil homme, ung tel et ung tel ; Ysabeau, Marguerite et Jehanneton, c'est assez pour son estat.
- Ah ! Monseigneur, dit Katherine, nous ferons aultrement, s'il vous plaist. Vous scavez que le chemin de cy à Sainct-Nycolas n'est pas bien seur,
mesmement pour gens qui mènent et conduisent femmes, et à quoy on doit bien prendre garde.
Je n'y pourroye aussi aller sans grosse despence ; et aussi, c'est une grant voie, et, s'il nous advenoit
meschief
d'estre prins ou destroussez de biens ou de nostre honneur (que jà Dieu ne vueille !), ce seroit ung
merveilleux
desplaisir.
Si me sembleroit bon, saulve toutes fois vostre bon plaisir, que me fissiez faire ung habillement d'homme et me
baillassiez en la
conduite de mon oncle le
bastard,
chascun monté sur un petit cheval. Nous yrions plus tost, plus seurement, et à moins de despens ;
et s'ainsi le vous, plaist, je l'entreprendray plus hardiment que d'y aller
en estat. »
Ce bon seigneur, pensa, ung peu sur l'advis de sa fille, en parla à ma dame ; si leur sembla que l'ouverture qu'elle faisoit luy partoit d'ung grant sens et d'ung très bon vouloir. Si furent ses choses prestes et ordonnées tantost pour partir.
Et ainsi se meirent au chemin la belle Katherine et son oncle le bastard,
sans aultre compaignie. Habillez à la façon d'Allemaigne bien et gentement estoient Katherine,
le maistre, l'oncle et le varlet. Ilz, firent tant par leurs journées, que leur pellerinage de Sainct-Nycolas
voire
fut acomply. Et, comme ilz se mettoient au retour,
louant Dieu qu'ilz n'avoient encores eu que tout bien, et devisant d'aultrès plusieurs choses, Kathérine à son oncle, va dire :
« Mon oncle, mon amy, vous scavez qu'il est en moy, la mercy Dieu,
qui suis seule héritière de Monseigneur mon père, de vous faire beaucoup de biens ;
laquelle chose je feray voulentiers quant en moy sera, se vous me voulez servir en une menue
queste
que j'ay entreprinse : c'est d'aller à
l'ostel
d'un seigneur de Barrois (qu'elle luy nomma) veoir Girard, que vous scavez ?
Et, affin que, quant nous reviendrons, puisse compter quelque chose de nouveau, nous demanderons
leans
retenance ;
et, se nous la povons obtenir, nous y serons par aulcuns jours et verrons le pays ; et ne faictes nulle
doubte
que je n'y garde mon honneur, comme une bonne fille doit faire. »
L'oncle, espérant que mieulx luy en sera cy après, et qu'elle est si
bonne,
qu'il n'y fault jà guet sur elle, fut content de la servir, et de l'accompaigner en tout ce qu'elle vouldra. Il fut beaucoup
mercyé,
n'en doubtez ; et dès lors conclurent qu'il appellerait sa niepce Conrard. Ilz vindrent assez tost,
comme on leur enseigna, ou lieu désiré ; et s'adressèrent au maistre d'ostel du seigneur,
qui estoit ung ancien escuyer, qui les receust comme estrangiers très
lyement
et honnorablement. Conrard luy demanda se Monseigneur son maistre ne vouldrait pas le
service
d'ung jeune gentil homme qui queroit adventure et demandoit à veoir pays ?
Le maistre d'ostel demanda dont il estoit, et il dist que il estoit de Braibant :
« Or bien, dist-il, vous viendrez
disner
céans, et après
disner,
j'en parleray à Monseigneur. »
Il les fist tantost conduire en une belle chambre, et envoya couvrir la table, et faire ung très beau feu et apporter la soupe, et la pièce de mouton, et le vin blanc, attendant le disner. Et s'en alla devers son maistre et luy compta la venue d'ung jeune gentil homme de Braibant, qui le vouldroit bien servir, se le seigneur estoit content, et si luy semble que ce soit son fait.
Pour abregier, tantost qu'il eut servy son maistre, il s'en vint devers Conrard pour luy tenir compaignie au
disner,
et avec luy amena, pour ce qu'il estoit de Braibant, le bon Girard dessus nommé, et dist à Conrard :
« Vecy
ung gentil homme de vostre pays ?
- Il soit le très bien trouvé ! ce dist Conrard.
- Et vous le très bien venu ! » ce dist Girard.
Mais créez qu'il ne recongneust pas sa dame ; mais elle, luy, très bien. Durant que ces accointances se faisoient, la viande fut apportée et assise emprès le maistre d'ostel, chascun en sa place.
Ce
disner
dura beaucoup à Conrard, esperant après, d'avoir de bonnes
devises
avec, son serviteur, pensant aussi qu'il la recongnoistra tantost,
tant à sa parolle comme aux responses qu'il luy fera de son pays de Braibant, mais, il alla tout aultrement ; car
oncques,
durant le
disner,
le bon Girard ne demandoit après homme ne femme de Braibant : dont Conrard ne scavoit que penser. Ce
disner
fut passé, et, après
disner,
Monseigneur retint Conrard en son
service.
Et le maistre d'ostel, très
scient
homme, ordonna que Girard et Conrard, pour ce qu'ilz sont tous d'ung pays, auroyent chambre ensemble.
Et, après ceste retenue, Girard et Conrard, se prindrent à bras, et s'en vont veoir leurs chevaulx ; mais,
au regard de Girard,
s'il parla
oncques,
ne demanda rien de Braibant.
Si se print à doubter le povre Conrard, c'est assavoir la belle Katherine, qu'elle estoit mise avec les péchiez oubliez,
et que, s'il en estoit riens à Girard, il ne se pourrait tenir qu'il n'en demandast,
ou au moins du seigneur ou de la dame où elle demouroit.
La povrete estoit, sans gueres le monstrer, en grant destresse de cueur ; et ne scavoit lequel faire, ou de soy encores
celer,
et de l'esprouver par subtilles parolles, ou de soy prestement faire congnoistre.
Au fort,
elle s'arresta que encores demourera Conrard, et ne demandera pas Katherine, se Girard ne tient aultre manière.
Ce soir se passe comme le
disner.
Et vindrent en leur chambre Girard et Conrard,
parlans de beaucoup de choses, mais il ne venoit nulz propos en termes que gueres pleussent audit Conrard.
Quant il vit qu'il ne dirait rien se on ne luy met en bouche,
elle luy demanda de quelz gens il estoit de Braibant, ne comment il estoit là venu ;
et comment on se portoit audit pays de Braibant, depuis qu'elle n'y avoit esté, et il en respondit tout ce que bon luy sembla :
« Et congnoissez-vous pas, dist-elle, ung tel seigneur et ung tel ?
- Saint Jehan ! ouy, » dist-il.
Et, au derrenier, elle luy nomma le Seigneur. Et il dist qu'il le congnoissoit bien,
sans dire qu'il y eust demouré, ne aussi que jamais en sa vie y eut esté.
« On dit, ce dist-elle, qu'il y a de belles filles
leans ?
En congnoissez-vous nulles ?
- Bien peu, dist-il, et aussi, il ne m'en chault ! Laissez-moy dormir, je meurs de sommeil.
- Comment, dist-elle, povez-vous dormir, puisque on parle de belles filles ? Ce n'est pas signe que vous soyez amoureux ! »
Il ne respondit mot, mais s'endormit comme ung pourceau ;
et la povre Katherine se doubta tantost de ce qui estoit, mais elle conclud qu'elle l'esprouvera plus avant.
Quant vint à lendemain, chascun s'habilla, parlant et devisant de ce que plus luy estoit,
Girard de chiens et d'oiseaulx, et Conrard, des belles filles de
leans
et de Braibant. Quant vint après
disner,
Conrard fist tant, qu'il destourna Girard des aultres,
et luy va dire que le pays de Barrois desjà luy desplaisoit, et que vrayement Braibant est toute aultre
marche,
et en son langaige luy donna assez à congnoistre que le cueur luy tirait fort devers Braibant.
« À quel propos ? ce dist Girard. Que voyez vous en Braibant, qui n'est icy ?
Et n'avez-vous pas icy les belles foretz pour la chasse, les belles rivières et les belles plaines, tant plaisantes que a souhaiter, pour le
deduyt des oyseaulx
en tant de gibier, et aultre ?
- Encore n'est-ce rien ! ce dist Conrard. Les femmes de Braibant sont bien aultres, qui me plaisent bien autant et plus que vos chasses et
voliers !
- Sainct Jehan ! c'est aultre chose ! ce dist Girard. Vous y seriez hardiment amoureux en vostre Braibant, je
l"oz bien !
- Par ma foy, ce dist Conrard, il n'est
jà mestier
qu'il soit
celé,
car je suis amoureux
voirement.
Et, à ceste cause, me y tire le cueur tant rudement et si fort,
que je fais doubte que force me sera d'abandonner ung jour vostre Barrois,
car il ne me sera pas possible à la longue de longuement vivre sans veoir ma dame.
- C'est follie donc, ce dist Girard, de l'avoir laissie, se vous vous sentiez si inconstant ?
- Inconstant, mon amy ? Et où est celuy qui peult
mestrier
loyaulx amoureux ? Il n'est si saige ne si advisé, qui s'y saiche seurement conduire.
Amours bannist souvent, de ses servans, et sens et raison. »
Ce propos, sans plus avant le desduire, se passa, et fut heure de
souper : et ne se
ratellerent au
deviser,
tant qu'ilz furent au lict couchiez. Et créez que de par Girard jamais n'estoit nouvelles, que de dormir, se Conrard ne l'eust assailly de
procès :
qui commença une piteuse, longue, et douloureuse plainte après sa dame (que je passe, pour abregier). Et si dist, en la fin :
« Helas, Girard, et comment-povez-vous avoir envie ne
faim
de dormir auprès de moy, qui suis tant esveillée, qui n'ay esperit qui ne soit plain de regretz, d'ennuy et de soulcy ?
C'est merveilles,
que vous n'en estes ung peu touchié ; et croyez, se c'estoit maladie contagieuse, vous ne seriez pas seurement si près, sans avoir des
esclabotures.
Helas ! je vous prie, se vous n'en sentez nulles, ayez au moins pitié et compassion de moy, qui meurs surtout, se je ne vois
brief
ma dame par amours !
- Je ne veis jamais si fol amoureux ! ce dist Girard. Et pensez-vous que je n'aye point esté amoureux ?
Certes, je scay bien que c'est, car j'ay passé par là comme vous ;
certes si ay ! Mais je ne fus
oncques
si enraigé, que d'en perdre le dormir ne
la contenance,
comme vous faictes maintenant Vous estes beste, et ne prise point vostre amour ung
blanc.
Et pensez-vous qu'il en soit autant à vostre dame ? Nenny, nenny,
- Je suis tout seur que si, ce dist Conrard ; elle est trop leale.
- Ha
dea,
vous direz ce que vous vouldrez, ce dist Girard, mais je ne croiray jà que femmes soient si leales, que pour tenir telz
termes,
et ceulx qui le
cuident
sont parfaits
coquarts.
J'ay aymé comme vous, et encores en ayme-je bien une. Et, pour vous dire mon fait,
je partis de Braibant à l'occasion d'amours ; et, à l'heure que je partis,
j'estoye bien en la grâce d'une très belle, bonne et noble fille, que je laissay à très grand regret ;
et me despleust beaucoup, par aucuns peu de jours, d'avoir perdu sa présence, non pas que j'en laissasse le dormir, ne boire, ne manger, comme vous.
Quant je me veis ainsi d'elle
eslongié,
je voulus user pour remède du conseil de
Ovide,
car je n'eus pas si tost
accointance
et entrée céans, que je ne priasse une des belles qui y soit ; et ay tant fait, la Dieu mercy ! qu'elle me veult beaucoup de bien,
et je l'ayme beaucoup aussi. Et, par ce point, me suis-je deschargié de celle que par avant aymoye,
et ne m'en est à présent non plus que de celle que
oncques
ne veis ; tant m'en a
rebouté
ma dame de présent !
- Et comment, ce dist Conrard, est-il possible, se vous aymiez bien l'aultre,
que vous la puissiez si tost oublier ne abandonner ? Je ne le scay entendre, moy, ne concepvoir, comment il se peut faire !
- Il s'est fait toutesfoys ; entendez-le, se vous scavez.
- Ce n'est pas bien gardé loyaulté, ce dist Conrard ; quant à moy, j'aymeroye plus
chier
mourir mille fois, se possible m'estoit, que d'avoir fait à ma dame si grant faulseté. Et jà Dieu ne me laisse tant vivre,
que j'aye non pas le vouloir seulement, mais une seule pensée de jamais aymer ne prier aultre qu'elle !
- Tant estes-vous plus beste, ce dist Girard, et se vous maintenez ceste follie,
jamais vous n'aurez bien et ne ferez que songier et
muser ;
et sécherez sur terre comme la belle herbe dedans le four, et serez homicide de vous-mesmes ;
et si n'en aurez jà gré, mesmes vostre dame n'en fera que rire, se vous estes si heureux qu'il vienne jusques à sa congnoissance.
- Comment ? ce dist Conrard ; vous scavez d'amours bien avant ! Je vous requier donc que veuillez estre mon
moyen
ceans ou autre part, que je face dame par amours, assavoir se je pourroye garir comme vous !
- Je vous diray, ce dist Girard, je vous feray demain
deviser
à ma dame, et aussi je lui diray que nous sommes compaignons et qu'elle fasse vostre besoigne à sa compaigne ;
et je ne doubte point, se vous voulez, que encores n'ayons du bon temps, et que bien
brief
se passera la resverie qui vous affole,
voire se
à vous ne tient.
- Se ce n'estoit pour faulcer mon serment à ma dame, je le desireroye beaucoup, ce dist Conrard, mais,
au fort,
j'essaieray comment il m'en prendra. »
Et, à ces motz, se retourna Girard et s'endormit. Et Katherine estoit de mal tant oppressée,
voyant et oyont la desloyaulté de celuy qu'elle aymoit plus que tout le monde, qu'elle se souhaitoit morte et plus que morte.
Non pourtant ;
elle adossa la
tendreur
féminine, et
s'adouba
de virile vertu. Car elle eust bien la constance de lendemain longuement et largement
deviser
avec celle qui par amours aymoit celuy au monde que plus
chier
tenoit ; mesmes força son cueur, et ses yeulx fist estre
notaires
de plusieurs
entretenances,
à son très grant et mortel préjudice ; et, comme elle estoit en parolles avec sa compaigne, elle apperceust la
verge,
que au partir donna à son desloyal serviteur : qui luy parcreust ses douleurs ; mais elle ne fut pas si folle, non pas par convoitise de la
verge,
qu'elle ne trouvast une gracieuse façon de la regarder et
bouter
en son doy. Et, sur ce point, comme non y pensant, se part et s'en va. Et,
tantost que
le souper
fut passé, elle vint à son oncle et lui dist :
« Nous avons assez esté en Barrois ! Il est temps de partir.
Soyez demain prest au point du jour, et aussi seray-je. Et gardez que tout nostre
bagaige
soit bien
attinté.
Venez si matin, qu'il vous plaist ?
- Il ne vous fauldra que monstrer, » respondit l'oncle.
Or devez-vous scavoir que tandis, puis
souper,
que Girard devisoit avec sa dame,
celle, qui la fut, s'en vint en sa chambre et se met à escripre unes lettres qui narraient
tout du long
et du large les amours d'elle et Girard :
« comme les promesses que s'entrefirent au partir ; comment on l'avoit voulu marier,
le refus qu'elle en fist, et le pellerinaige qu'elle entreprinst pour sauver son serment,
et se rendre à luy ; la desloyaulté dont elle l'a trouvé garny, tant de bouche comme de oeuvre et de fait : et,
pour les causes dessus dictes, elle se tient pour acquittée et
desobligée
de la promesse qu'elle jadis luy fist : et s'en va vers son pays, et ne le quiert jamais ne veoir, ne rencontrer, comme le plus
desleal
qu'il est, qui jamais priast femme : et si emporte la
verge
qu'elle luy donna, qu'il avoit desjà mise en main séquestre :
et si se peut vanter qu'il a couchié par trois nuytz au plus près d'elle ; s'il y a que bien, si le dye, car elle ne le craint. »
Escript de la main de celle dont il peut, bien congnoistre la lettre, et au dessoubz : Katherine, etc., surnommée Conrard ; et sur le dos : Au desleal Girard, etc.
Elle ne dormist gueres la nuyt, et aussitost que on vit du jour, elle se leva tout doulcement, et s'habilla, sans ce que oncques Girard s'esveillast. Et prent sa lettre, qu'elle avoit bien close et fermée, et la boute en la manche du pourpoint de Girard ; et à Dieu le commanda, tout en basset, en pleurant tendrement, pour le grant deul qu'elle avoit du très faulx et mauvais tour qu'il luy avoit joué. Girard dormoit, qui mot ne respondit. Elle s'en vient devers son oncle qui luy bailla son cheval, et elle monte, et puis tirent pays, tant qu'ilz vindrent en Braibant, où ilz furent receuz joyeusement, Dieu le scait.
Et pensez que leur fust bien demandé des nouvelles et adventures de leurs voyaiges :
comment ilz s'y estoient gouvernez ; mais, quoy qu'ilz respondissent, ilz ne se vanterent pas de la principale.
Pour parler comment il advint à Girard : quant vint le jour du
partement
de la bonne Katherine, environ dix heures, il s'esveilla ; et regarda que son compaignon Conrard estoit jà levé ;
si se pensa qu'il estoit tard et
sault
tout en haste, chercha et saisit son
pourpoint :
et comme il
boutoit
son bras dedans l'une des manches, il en
saillit
unes lettres, dont il fut assez
esbahye ;
car il ne luy souvenoit pas que nulles y en eust
boutées.
Il les releva toutesfois, et voit qu'elles sont fermées : et avoit au dos escript : Au desleal Girard, etc.
Se paravant avoit esté
esbahye,
encores le fut-il beaucoup plus. À certaine
pièce
après, il les ouvrit et voit la subscription qui disoit : Katherine surnommée Conrard, etc.
Si ne scait que penser : il les list neantmoins, et, en lisant, le sang luy monte et le cueur luy fremist,
et devint tout altéré de manière et de couleur. À quelque
meschief
que ce feust, il acheva de lire sa lettre, par laquelle il congneut que sa desloyaulté estoit venue à la congnoissance de celle qui luy vouloit tant de bien ;
non qu'elle le sceust estre tel, au rapport d'aultruy, mais elle-mesmes, en personne, en a faicte la vraye information ;
et, qui plus près du cueur luy touche, il a couché trois nuytz avec elle, sans l'avoir
guerdonnée
de la peine qu'elle a prinse que de si très loing le venir esprouver. Il ronge son frain, et euraige tout vif, quant il se voit en cette
peleterie.
Et après beaucoup d'avis, il ne scait autre remède, que de la,
suyr ;
et bien luy semble qu'il la rataindra. Si prent congié de son maistre, et se met à la voye, suyvant le
fraye
des chevaulx de ceulx que
oncques
ne rataignit, tant qu'ilz feussent en Braibant, où il vint
si à point,
que c'estoit le jour des nopces de celle qui l'a esprouvé : laquelle il
cuida
bien aller
baisa
et saluer, et faire une
orde
excusance de ses faultes, mais il ne luy fut pas souffert, car elle luy tourna l'espaule, et ne sceust, tout ce jour ne
oncques puis après,
trouver manière ne façon de
deviser
avecques elle. Mesmes il s'advanca une fois pour la mener dancer, mais elle le reffusa plainement devant tout le monde : dont plusieurs à ce prindrent garde.
Ne demoura gueres après, que ung aultre gentil homme entra dedans, qui fist
corner
les menestriers ; et s'advança par devant elle, et elle descendist, ce voyant Girard, et s'en alla dancer.
Ainsi donc, comme avez ouy, perdit le desleal sa dame. S'il en est encores d'aultres telz, ilz se doibvent mirer en cest exemple, qui est notoire et vray, et advenu depuis nagueres.
Ce n'est pas chose peu accoustumée, especialement en ce royaulme, que les belles dames et damoiselles se trouvent voulentiers et souvent en la compaignie des gentilz compaignons. Et, à l'occasion des bons et joyeux passetemps qu'elles ont avec eulx, les gracieuses et doulces requestes, qu'ilz leurs font, ne sont pas si difficiles à impetrer.
À ce propos, n'a pas long temps que ung très gentil seigneur, que on peut bien mettre au renc et du
cousté
des princes, dont je laisse le nom en la plume, se trouva tant en grâce d'une très belle
damoiselle,
qui mariée estoit, dont le
bruit
d'elle n'estoit pas si peu congneu, que le plus grant maistre de ce royaulme ne se
tenist
pour très heureux d'en estre retenu serviteur.
Laquelle luy voulut de fait monstrer le bien qu'elle luy vouloit. Mais ce ne fut pas à sa première voulonté, tant
l'empeschoient
les anciens adversaires et ennemis d'amour.
Et, par especial, plus luy nuysoit son bon mary, tenant le lieu, en ce cas, du très mauldit
Dangier ;
car, se ce ne feust-il, son gentil serviteur n'eust pas encores à luy
tollir
ce que bonnement et par honneur donner ne luy povoit.
Et pensez que ce serviteur n'estoit pas moiennement mal content de ceste longue attente,
car l'achèvement de sa gente chasse luy estoit plus grand heur, et trop plus désiré,
que nul aultre bien quelconque que advenir jamais luy povoit. Et, à ceste cause, tant continua son
pourchas,
que sa dame luy dist :
« Je ne suis pas moins
desplaisante
que vous, par ma foy, que je ne vous puis faire aultre
chiere :
mais vous scavez, tant que mon mary soit céans, force est qu'il soit
entretenu.
- Helas ! dist-il, et n'est-il moyen qui se puisse trouver d'abréger mon dur et cruel martyre ? »
Elle, qui, comme dessus est dit, n'estoit pas en moindre désir de soy
trouver à part
avec son serviteur, que luy-mesmes, si luy dist :
« Venez
anuyt,
à telle heure, heurter à ma chambre : je vous feray mettre dedans ; et trouveray façon d'estre délivré de mon mary, se Fortune ne destourne mon entreprinse. »
Le serviteur ne ouyt jamais chose qui mieulx luy pleust ;
et après les remercimens gracieux et deuz en ce cas, dont il estoit bon maistre et ouvrier, se part d'elle,
attendant et désirant son heure assignée. Or devez-vous scavoir que environ une bonne heure, ou plus ou moins,
devant l'heure assignée dessusdicte, nostre gentille
damoiselle,
avec ses femmes et son mary qui va derrière, pour ceste heure estoit en sa chambre
retraicte
puis le souper ;
et n'estoit pas, croiez son
engin
oyseux,
mais
labourait
à toute force pour fournir la promesse à son serviteur ; maintenant pensoit d'ung, puis maintenant d'ung autre, mais riens ne luy venoit à son entendement, qui peust
eslongier
ce mauldit mary ; et toutesfoys approchoit fort l'heure très désirée. Comme elle estoit en ce
parfond
penser, Fortune luy fut si très amye, que mesmes son mary donna le très doulx advertissement de sa dure chance et mal adventure,
convertie, en la personne de son adversaire, c'est assavoir du serviteur dessusdit, en joye non pareille de
deduit,
solaz et
lyesse
tres accomplie. Regardant par la chambre, tant regarda qu'il apperceut d'adventure aux piedz de la couchette ung bahu qui estoit à sa femme.
Et, affin de la faire parler et l'oster de son
penser,
demanda de quoy servoit ce bahu en la chambre, et à quel propos on ne le portoit point à la garderobe ou en quelque autre lieu, sans en faire
leans
parement ?
« Il n'y a point de péril. Monseigneur, ce dist
ma damoiselle ;
ame ne vient icy que nous ; aussi, je l'y ay fait laissier tout à propos, pource que encores sont aucunes de mes robes dedans ;
mais n'en soyez jà mal content, mon amy ; ces femmes l'osteront tantost.
- Mal content ? dist-il. Nenny, par ma foy ; je l'ayme autant icy que ailleurs, puis qu'il vous plaist,
mais il me semble bien petit pour y mettre vos robes bien à l'aise, sans les froisser, attendu les grandes et longues
traynées
qu'on fait aujourd'huy.
- Par ma foy, Monseigneur, dist-elle ; il est assez grant.
- Il ne le me peut sembler, dist-il ; vraiement, et le regarde bien ?
- Or ça, Monseigneur, dist-elle, voulez-vous faire un
gaige à moy ?
- Ouy, vraiement, dist-il : quel seroit-il ?
- Je gaigeray,
s'il vous plaist, pour demye douzaine de bien fines chemises encontre le satin d'une
Cote simple,
que nous vous
bouterons
bien dedans tout ainsy que vous estes ?
- Par ma foy, dist-il, je
gaige
que non.
- Et je
gaige
que si.
- Or avant ! ce dirent les femmes : nous verrons qui le gaignera.
- À l'esprouver le scaura-t-on, » dist Monseigneur.
Et lors s'avance et fist
tirer
du bahu les robes qui estoient dedans ; et, quant il fut vuide,
ma damoiselle
et ses femmes, à quelque
meschief
que ce feust, firent tant, que Monseigneur fut dedans tout à son aise. Et a cest coup fut grande la
noise,
et autant joyeuse, et
ma damoiselle
alla dire :
« Or, Monseigneur, vous avez perdu la
gaigeure ?
Vous le congnoissez bien, faictes pas ?
- Ouy, dist-il, c'est raison. »
Et, en disant ces parolles, le bahu fut fermé, et tout jouant, riant et esbatant, prinrent toutes ensemble et homme et bahu, et l'emportèrent en une petite garderobe assez loing de la chambre. Et il crie et se demaine, faisant grant bruit et grant noise, mais c'est pour néant, car il fut là laissé toute la belle nuit. Pense, dorme, face du mieulx qu'il peut ! car il est ordonné, par ma damoiselle et son estroit conseil, qu'il n'en partirait meshuy, pource qu'il a tant empesché le lieu.
Pour retourner à la matière de nostre propos encommencé, nous laisserons nostre homme et nostre bahu, et dirons de
ma damoiselle,
qui attendoit son serviteur avec ses femmes, qui estoient telles et si bonnes et si secrètes, que riens ne leurs estoit
celé
de ses affaires. Lesquelles scavoient bien que le bien aymé serviteur, se à luy ne tenoit, tiendroit, la nuyt, le lieu de celuy qui au bahu fait sa pénitence.
Ne demoura gueres que le bon serviteur, sans faire effroy ne bruit, vint heurter à la porte ; et, au heurter qu'il fist,
on le congneut tantost, et là estoit celle qui le
bouta
dedans. Il fut receu joyeusement et
lyement, et
entretenu
doulcement de
ma damoiselle
et de sa compaignie. Et ne se donna garde qu'il se trouva tout seul avecques sa dame, qui luy compta
bien au long
la bonne fortune que Dieu leur a donnée, c'est assavoir comment elle fist la
gaigeure
à son mary d'entrer au bahu, comment il y entra, et comment elle et ses femmes l'ont porté en une garderobe :
« Comment ! ce dist le serviteur, je ne
cuidoye
point qu'il fust céans ? Par ma foy, je pensoye, moy, que vous eussiez trouvé aucune façon de l'envoyer ou faire aller dehors, et que j'eusse icy tenu
meshuy
son lieu.
- Vous n'en yrez pas pourtant, dist-elle ; il n'a garde de
yssir
dont il est, et si a beau crier, il n'est ame de
nulz sens
qui le puist ouyr, et croyez qu'il demourra
meshuy
par moy ; se vous le voulez
desprisonner,
je m'en rapporte à vous ?
- Nostre Dame ! dist-il, s'il n'en
sailloit
tant que je l'en feisse oster, il auroit bel attendre !
- Or faisons donc bonne
chiere,
dist-elle, et n'y pensons plus. »
Pour abregier, chascun se depouilla, et se couchèrent les amans dedans le beau lit, ensemble, bras à bras,
et firent ce pourquoy ilz estoient assemblez, que mieulx vault estre pensé des lisans qu'estre noté de l'escripvant.
Quant vint au point du jour, le gentil serviteur se partit de la dame le plus secrètement qu'il peu !,
et vint à son logis dormir, comme j'espoire, ou desjeuner, car de tous deux avoit besoin.
ma damoiselle,
qui n'estoit pas moins subtille que saige et bonne, quant il fut heure, se leva et dist à ses femmes :
« Il serait désormais heure de oster nostre prisonnier ; je voys veoir qu'il dira et s'il se vouldra mettre à finance.
- Mettez tout sur nous, dirent-elles : nous l'appaiserons bien.
- Croiez que si feray-je, » dist-elle.
Et, à ces motz, se
seigne
et s'en va ; et, comme non pensant à ce qu'elle faisoit,
tout d'aguet
et à propos, entra dedans en la garderobe où son mary encores estoit dedans le bahu clos. Et quant il ouyt, il commença à faire grant
noise
et crier à la volée :
« Qu'est-ce cy ? Me laissera-on cy dedans ? »
Et sa bonne femme, qui l'ouyt ainsi démener, respondit
effreement,
et comme craintivement, faisant l'ignorante :
« Hemy !
qui est ce là que j'ay ouy crier ?
- C'est moy, de par Dieu, c'est moy ! dist le mary.
- C'est vous ? dist-elle. Et dont venez-vous à ceste heure ?
- Dont je viens ? dist-il ; et vous le scavez bien,
ma damoiselle !
Il ne fault jà qu'on le vous dye ; mais se vous faictes de moy,
au fort,
je feray quelque jour de vous ! »
Et, s'il eust enduré ou osé, il se feust voulentiers courroucé et eust dit vilennie à sa bonne femme.
Et, elle, qui le congnoissoit, luy coupa la parolle et dist :
« Monseigneur, pour Dieu, je vous
crie mercy !
Par mon serment, je vous asseure que je ne vous
cuidoie
pas icy à ceste heure : et croiez que je ne vous y eusse pas
quis,
et ne me scay assez esmerveiller dont vous venez à y estre encores, car je chargay hier au soir à ces femmes,
qu'elles vous missent dehors, tandis que je disoye mes
heures,
et elles me dirent que si feroient-elles. Et, de fait, l'une me vint dire que vous estiez dehors et desjà allé en la ville, et que ne reviendriez
meshuy.
Et, à ceste cause, je me couchay assez tost après, sans vous attendre.
- Sainct Jehan ! dist-il, vous voyez que c'est ! Or vous
advancez
de moy tirer
d'icy, car je suis tant las, que je n'en puis plus.
- Cela feroye bien, Monseigneur, dist-elle, mais ce ne sera pas, devant que vous n'ayez promis de moy payer de la
gaigeure
que avez perdue ; et pardonnez-moy toutesfoys, car aultrement ne le puis faire.
- Et
advancez-vous,
de par Dieu ! je le paieray vraiement.
- Et ainsi vous le promettez ?
- Ouy, par ma foy. »
Et ce
Procès fine,
ma damoiselle
defferma
le bahu, et Monseigneur
yssit
dehors, lassé, froissé et
travaillé.
Et elle le prent à bras, et
baisa,
et accolle tant doulcement, que on ne pourroit plus, en luy priant pour Dieu qu'il ne soit point mal content. Adonc le povre
coquart
dist que non estoit-il, puisqu'elle n'en scavoit riens, mais il punira trop bien ses femmes, s'il y scait advenir.
« Par ma foy, Monseigneur, dist-elle, elles s'en sent ores bien vengées de vous ; je ne doubte point que vous ne leur ayez fait quelque chose.
- Non ay, certes, que je saiche, mais croiez-que le tour qu'elles m'ont joué leur sera
chier vendu. »
Il n'eut pas finé ce propos, que toutes ses femmes entrerent dedans, qui si très fort rioient, et de si grant cueur, qu'elles ne sceurent mot dire, grant pièce après. Et Monseigneur qui devoit faire merveilles, quant il les vit rire en ce point, ne se peust tenir de les contrefaire. Et ma damoiselle, pour luy faire compaignie, ne s'y faignit point. Là veissiez-vous une merveilleuse risée, et d'ung costé et d'autre, mais celuy, qui en avoit le moins cause, ne s'en pouvoit ravoir.
Après certaine
pièce,
ce passetemps cessa, et dist Monseigneur :
« mes damoiselles,
je vous mercye beaucoup de la
courtoisie
que m'avez
annuyt
faicte !
- À vostre commandement, Monseigneur, respondit l'une ; encores, n'estes-vous pas quitte : vous nous avez fait et faictes toujours tant de peine et
de meschief,
que nous vous avons gardé ceste pensée ; et n'avons aultre regret, que plus vous n'y avez esté. Et se n'eussions sceu de vray, qu'il n'eust pas bien pleu à
ma damoiselle,
encores y fussiez-vous, et prenez-en gré.
- Est-ce là ? dist-il. Or bien, bien : vous verrez comment il vous en prendra ; et par ma foy, je suis bien
gouverné,
quant, avec tout le mal que j'ay eu l'on ne me fait que
farcer,
et encores, qui pis est, il me faut payer la
Cote simple
de satin ! Et vraiment, je ne puis, à moins que d'avoir les chemises de la
gaigeure,
en recompensacion de la peine qu'on m'a faicte.
- Il n'y a, par Dieu, que raison, dirent les
damoiselles :
nous voulons à ceste heure estre pour vous, Monseigneur, et vous les aurez ; n'aura pas,
ma damoiselle ?
- Et à quel propos ? dist-elle. Il a perdu la
gaigeure.
- Dea,
nous scavons trop bien cela, il ne les peut avoir de droit ; aussi ne les demande-il pas à ceste intention, mais il les a bien
desservies
en aultre manière.
- À cela ne tiendra-il pas, dist-elle ; je feray voulentiers finance de la toille,
pour l'amour de vous, mes
damoiselles,
qui tant, bien
procurez
pour luy, et vous prendrez bien la peine de les
coustre.
- Ouy, vraiement,
ma damoiselle. »
Comme celuy qui ne fait que escourre la teste, au matin, quant il se lieve, qu'il ne soit prest, ainsi estoit Monseigneur, car il ne luy faillit que une secousse de, verge à nettoyer sa robe et ses chausses, qu'il ne fut prest. Et ainsi à la messe s'en va, et ma damoiselle et ses femmes le suyvent ; qu'ilz faisoient de luy, je vous asseure, grans risées. Et croyez que la messe ne se passa pas sans foison de ris soudains, quant il leur souvient du giste que Monseigneur a fait au bahu, lequel ne le scait encores, qui fut cette nuyt enregistré ou livre qui n'a point de nom. Et se n'est que d'adventure ceste ystoire vienne entre ses mains, jamais n'en aura, se Dieu plaist, congnoissance : ce que pour riens je ne vouldroye. Si prie aux lisans qui les congnoissent, que bien se gardent de luy monstrer.
Se au temps du très renommé et éloquent Boccace l'adventure, dont je vueil fournir ma nouvelle, fut advenue à son audience, et congnoissance parvenue, je ne doubte point, qu'il ne l'eust adjoustée et mise on renc des Nobles hommes mal fortunez. Car je ne pense pas que noble homme, jamais, pour ung coup, eust gueres fortune plus dure à porter, que le bon seigneur, que Dieu pardoint, dont je vous compteray l'adventure. Et se sa male fortune n'est digne d'estre oudit livre de Bocace, j'en fais juge tous ceulx qui l'orront racompter.
Le bon seigneur, dont je vous parle, en son temps estoit ung des beaulx princes de ce royaulme, garny et
adressié
de tout ce qu'on scauroit louer et priser en ung noble homme. Et, entre aultres ses propriétez, il estoit tel destiné,
qu'entre les dames jamais homme ne le passa de gracieuseté. Or, luy advint que, au temps que ceste renommée et destinée florissoit, et qu'il n'estoit
bruit
que de luy, Amours, qui seme ses vertus où mieulx luy plaist et bon luy semble, fist aliance à une belle fille, jeune, gente, gracieuse et
en bon point
en sa façon, ayant
bruit
autant et plus que nulle de son temps, tant par sa grant et non pareille beauté, comme par ses très belles meurs et vertus :
et, qui pas ne nuysoit au jeu, tant estoit en la grâce de la royne du pays, qu'elle estoit son
demy lit,
les nuytz que ladicte royne point ne couchoit avec le roy. Ces amours, que je vous dis, furent si avant conduictes,
qu'il ne restoit que temps et lieu pour dire et faire, chascun à sa partie, la chose au monde que plus luy pourrait plaire.
Ilz ne furent pas peu de jours, pour adviser lieu et place convenable à ce faire ; mais, en la fin,
celle qui ne désirait pas moins le bien de son serviteur que la
salvacion
de son ame, s'advisa d'ung bon tour, dont tantost l'avertit, disant ce qui s'ensuit :
« Mon très loyal amy, vous scavez comment, je couche avec la royne, et que nullement ne m'est possible,
se je ne vouloye tout gaster, d'abandonner cest honneur et advancement, dont la plus femme de bien de ce royaulme se tiendrait pour bien heureuse et honnorée ;
combien que,
par ma foy, je vous vouldroye complaire, et faire vostre plaisir et d'aussi bon cueur comme à elle.
Et qu'il soit vray, je le vous monstreray de fait, sans abandonner toutesfoys celle qui me fait et peut faire tout le bien et l'honneur du monde.
Je ne pense pas aussi, que vous voulsissiez que autrement je fisse ?
- Non, par ma foy, m'amye, respondit le bon seigneur ; mais toutesfoys,
je vous prie qu'en servant vostre maistresse vostre leal serviteur ne soit point arrière du bien que faire luy povez,
qui ne luy est pas moindre chose de à vostre grâce et amour parvenir, que de gaigner le surplus du monde.
- Vecy
que je vous feray, Monseigneur, dist-elle : la royne a une
levriere,
comme vous scavez, dont elle est beaucoup
assotée,
et la fait couchier en sa chambre ; je trouveray façon
anuyt
de l'enclore hors de la chambre, sans qu'elle en saiche rien ; et quant chascun sera retrait, je feray ung sault jusques en
la chambre de parement,
et
deffermeray
l'huys
et le laisseray entreouvert. Et quant vous penserez que la royne pourra estre an lit,
vous viendrez tout secrètement, et entrerez en ladicte chambre et fermerez
l'huys ;
vous y trouverez la
levriere,
qui vous congnoist assez : si se laissera bien approuchier de vous ; vous la prendrez par les oreilles et la ferez bien hault crier ; et quant la royne
l'orra,
elle la congnoistra tantost : je ne doubte point qu'elle ne me fasse lever
incontinent
pour la mettre dedans. Et,
en ce point,
viendray-je vers vous. Et ne faillez point, se jamais vous voulez
parler à moy.
- Ha ! ma très chiere et loyale amye, dist Monseigneur, je vous mercye tant que je puis ! Pensez que je n'y fauldray pas. »
Et à tant se part et s'en va, et sa dame aussi, chascun pensant et désirant d'achever ce qui est proposé.
Qu'en vauldroit le long compte ? La
levriere
se
cuida
rendre, quand il fut heure, en la chambre de sa maistresse, comme elle avoit accoustumé ; mais celle, qui l'avoit condamnée, dehors la fist
retraire
en la chambre, au plus près. Et la royne se coucha, sans qu'elle s'en donnast de garde ; et, assez tost après, luy vint faire compaignie la bonne
damoiselle,
qui n'attendoit que l'heure d'ouyr crier la
levriere
et la
semonce
de
Bataille.
Ne demoura gueres que le gentil seigneur se mist sur les rens, et tant fit, qu'il se trouva en la chambre où la
levriere
se dormoit ; il la
quist
tant, au pié que à la main, qu'il la trouva, et puis la print par les oreilles,
et la fist hault crier deux ou trois fois. Et la royne, qui l'oyoit, congneust
tantost que
c'estoit sa
levriere,
et pensoit qu'elle vouloit estre dedans. Si appella sa
damoiselle
et luy dist :
« M'amye, vela ma
levriere,
qui se plaint là dehors ? Levez-vous ; si la mettez dedans.
- Voulentiers, ma dame, » dist la
damoiselle.
Et, jà soit qu'elle
attendit la
Bataille
dont elle-mesmes avoit l'heure et le jour assigné, si ne s'arma-elle que de sa chemise ; et
en ce point, en vint à
l'huys
et l'ouvrit, où tantost luy vint à rencontre celuy qui l'attendoit. Il fut tant joyeux et tant surprins, quant il vit sa dame si belle et
en si bon point,
qu'il perdit force, sens et advis ; et ne fut en sa puissance adoncques
tirer
sa dague,
pour esprouver s'elle pourrait prendre sur ses cuyrasses. Trop bien de
baiser,
d'accoler, de manier le tetin, et
du surplus, il
faisoit assez diligence,
mais du parfait,
nichil.
Si fut force à la gente
damoiselle,
qu'elle retournast, sans luy laisser ce qu'avoir ne povoit, se par force d'armes ne le conquérait. Et,
ainsi qu'elle
se voulut partir, il la
cuidoit
retenir par force et par doulces parolles, mais elle n'osoit demourer : si luy ferma
l'huys
au visaige et s'en revint par devers la royne, qui luy demanda s'elle avoit mis sa
levriere
dedans. Et elle dist que, non, car
oncques puis
ne l'avoit sceu trouver, et si avoit beaucoup regardé.
« Or bien, dist la royne, couchez-vous ? Tousjours l'aura-on bien. »
Le povre amoureux estoit à cette heure bien mal content, qui se veoit ainsi deshonnorer et anéantir : et si cuidoit auparavant, et bien tant en sa force se fioit, qu'en moins d'heure qu'il n'avoit esté avec sa dame, il en eust bien combatu, telles trois, et venu au-dessus d'elles à son honneur. Au fort, il reprint couraige et dist bien en soy-mesmes : S'il est jamais si heureux que de trouver sa dame en si belle, elle ne partira pas comme elle a fait l'aultre fois. Ainsi animé et esguillonné de honte et de désir, il reprent la levriere par les oreilles, et la tira si rudement, tout courroucé qu'il estoit, qu'il la fist crier beaucoup plus hault qu'elle n'avoit devant. Si hucha arrière, à ce cry, la royne sa demoiselle, qui revint ouvrir l'huys, comme devant, mais elle s'en retourna devers sa maistresse, sans conquester, ne plus ne moins qu'elle fit à l'aultre fois.
Or revint la tierce fois que ce povre gentil homme faisoit tout son pouvoir de
besoigner
comme il avoit le désir, mais au Dyable de l'homme, s'il peust
oncques
trouver manière de fournir une povre lance à celle qui ne demandoit aultre chose, et qui l'attendoit tout
de pié quoy !
Et quant elle vit qu'elle n'auroit pas son panier percié, et qu'il n'estoit pas en l'aultre
mettre
seulement sa lance en son arrest, quelque advantaige qu'elle luy fist, tantost congneut qu'elle avoit à la
jouste
failly, dont elle tint beaucoup moins de compte du jousteur. Elle ne voulut l'a plus demourer, pour
conqueste
qu'elle y fist. Si voulut rentrer en la chambre, et son amy la retirait à force et disoit :
« Helas ! m'amye, demeurez encores ung peu, je vous en prie !
- Je ne puis, dist-elle, laissez moy aller ; je n'ay que trop demeuré, pour chose que j'aye prouffité ! »
Et à tant se tourne vers la chambre, et l'aultre la suyvoit, qui la
cuidoit
retenir. Et, quant elle vit ce, pour le bien payer, et la royne
contenter,
alla dire tout en hault :
« Passez, passez,
orde caigne
que vous estes ! Par Dieu, vous n'y entrerez
meshuy,
meschante beste que vous estes ! »
Et, en ce disant, ferma
l'huys.
Et la royne, qui l'ouyt, demanda :
« À qui parlez-vous, m'amye ?
- C'est à ce
paillard
chien, madame, qui m'a fait tant de peine de le quérir ; il s'estoit
bouté
soubz ung bang là dedans et cachié tout de plat le museau sur la terre, si ne le scavoye trouver. Et quant je l'ay eu trouvé, il ne s'est
oncques
daingné lever,
pour quelque chose que
je luy aye fait. Je l'eusse très voulentiers bouté dedans, mais il n'a
oncques
daigné lever la teste : si l'ay laissé là dehors, et, à son visaige, tout par despit, ay fermé
l'huys.
- C'est très bien fait, m'amye, dist la royne, couchez-vous ; si dormirons. »
Ainsi que vous avez ouy, fut mal fortuné ce gentil seigneur ; et, pource qu'il ne peust, quant sa dame voulut, je tien moy, quant il eust bien depuis la puissance à commandement, le vouloir de sa dame fust hors de la ville.
N'a pas cent ans du jour d'huy, que ung gentil homme de ce royaulme voulut scavoir et esprouver l'aise qu'on a en mariage ;
et, pour abregier, fist tant, que le très désiré jour de ses nopces fut venu. Après les très bonnes
chieres
et aultres passetemps accoustumez, l'espousée fut couchée, et une certaine
pièce
après, la suyvit et se coucha au plus près d'elle, et sans delay
incontinent
bailla
l'assault à sa forteresse. À quelque
meschief
que ce feust, il entra dedans et la gaigna ; mais vous devez entendre qu'il ne fist pas ceste
conqueste,
sans faire foison
d'armes
qui longues seraient à racompter ; car,
ainçois que
venist
au donjon du chasteau, force luy fut de gaigner et emporter
bellevres,
[bannieres] baublieres
et plusieurs aultres forts dont la place estoit bien
garnie,
comme celle qui jamais n'avoit esté prinse, au moins dont fut encores grant nouvelle ; et que la nature avoit mis à deffence.
Quant il fut maistre de la place, il
rompit sa lance,
et lors cessa l'assault et ploya l'oeuvre. Or, ne fait pas à oublier que la bonne
damoiselle
qui se vit en la mercy de ce gentil homme son mary, qui desja avoit fourraigé la pluspart de son manoir,
luy voulut monstrer ung prisonnier qu'elle tenoit en ung secret lieu encloz et enfermé : et, pour parler plain, elle se délivra,
cy prins cy mis,
après ceste première course, d'ung très beau filz, dont son mary se trouva si très honteux et tant
esbahye,
qu'il
ne scavoit sa manière,
sinon de soy taire. Et, pour honnesteté et pitié qu'il eut de ce cas,
il servit la mère et l'enfant de ce qu'il scavoit faire. Mais créez que la povre gentil femme, à cest coup,
getta
un bien hault et dur cry, qui de plusieurs fut clerement ouy et entendu, qu'ilz
cuidoient,
à la vérité, qu'elle
gettast
ce cry à la despuceller, comme c'est la coustume en ce royaulme.
Pendant ce temps, les gentilz hommes de
l'ostel,
où ce nouveau marié demouroit, vindrent heurter à
l'huys
de ceste chambre et apportoient le
chaudeau ;
ils
heurtèrent beaucoup,
sans ce que ame respondist. L'espousée en estoit bien excusée, et l'espousé n'avoit pas cause de trop caqueter :
« Et qu'est-ce cy ? dirent-ilz. N'ouvrirez-vous pas
l'huys ?
Se vous ne vous hastez, nous le romprons ; le
chaudeau,
que nous vous apportons, sera tantost tout froid. »
Et lors recommencèrent à heurter de plus belle. Mais le nouveau marié ne eust pas dit ung mot pour
cent frans,
dont ceulx du dehors ne scavoient que penser, car il n'estoit pas muet de coustume.
Au fort,
il se leva, et print une longue robe qu'il avoit, et laissa ses compaignons entrer dedans, qui tantost demandèrent se le
chaudeau
estoit gaigné et qu'ilz l'apportoient à l'adventure. Et lors ung d'entre eulx couvrit la table et mist le banquet dessus,
car ilz estoient en lieu, pour ce faire, et où rien n'estoit espargné en telz cas et aultres semblables.
Ilz s'assirent tous au mengier, et bon mary print sa place en une chaire à doz, assez près de son lit, tant simple et tant piteux,
qu'on ne le vous scauroit dire. Et, quelque chose que les aultres dissent, il ne sonnoit pas ung mot,
mais se tenoit comme une droite statue ou une ydole
entaillie :
« Et qu'est-ce cy ? dist l'ung. Ne prenez-vous point garde à la bonne
chiere
que nous fait nostre oste ? Encores a-il à dire ung seul mot.
- Ha
dea,
dist l'aultre, ses
bourdes
sont rabaissiez.
- Par ma foy, dist le tiers, mariage est chose de grant vertu : regardez quant à une heure qu'il a esté marié,
il a jà perdu la force de sa langue. S'il est jamais longuement, je ne donneroye pas maille de tout le surplus ! »
Et, à la vérité dire, il estoit auparavant ung très gracieux farseur, et tant bien luy seoit que merveilles ; et ne disoit jamais une parolle, puis qu'il estoit en gogues, qu'elle n'apportast avec elle son ris. Mais il en estoit pour l'heure bien rebouté.
Ces gentilz hommes et ces gentilz compaignons beuvoient d'autant et d'autel, et à l'espousé et à l'espousée, mais au Dyable des deux, s'ilz avoient
faim
de boire : l'ung enraigeoit tout vif, et l'aultre n'estoit pas moins
malaisé :
« Je ne me congnois en ceste manière, dist ung gentil homme ; il nous fault festoier de nous-mesmes. Je ne vis jamais homme, de si hault
esternu,
si tost rassis pour une femme : j'ay veu que on n'eust ouy pas Dieu tonner en une compaignie où il feust ;
et il se tient plus quoy que ung feu couvert ! Ha
dea !
ses haultes parolles sont bien bas entonnées maintenant !
- Je boy a vous, noz amys ! » disoit l'aultre.
Mais il n'estoit pas
plege :
car il jeunoit de boire, de mengier, de bonne
chiere
faire, et de parler.
Non pourtant ;
assez bonne
pièce après,
quand il eust bien esté
reprouvé et
rigolé
de ses compaignons, et, comme un sanglier mis aux abois de tous coustez, il dist :
« Messeigneurs, quant je vous ay bien entendus, qui me sermonnez si très fort de parler ?
Je veuil bien que vous saichiez que j'ay bien cause de beaucoup penser, et de moy taire trestout
quoy ;
et si suis seur qu'il n'y a nul qui n'en fist autant, s'il en avoit le pourquoy comme j'ay. Et,
par la mort bieu,
se j'estoye aussi riche que le Roy, que
Monseigneur,
et que tous les princes chrestiens, si ne scauroye-je fournir ce qui m'est apparent d'avoir à entretenir.
Vecy,
pour ung povre
coup,
que j'ay accollé ma femme, elle m'a fait ung enfant ! Or regardez, se à chascune fois que je recommenceray,
elle en fait autant, de quoy je pourray nourrir le mesnage ?
- Comment, ung enfant ? dirent ses compaignons.
- Voire, voire,
vraiement, ung enfant !
Vecy
de quoy, regardez ! »
Et lors se tourne vers son lit et lieve la couverture et leur monstre :
« Tenez, dist-il, vela la vache et le veau ! Suis-je pas bien
party ? »
Plusieurs de la compaignie furent bien
esbahys
et pardonnèrent à leur oste sa simple
chiere,
et s'en allèrent
chascun en sa chascune.
Et le povre nouveau marié abandonna, ceste première nuyt, la nouvelle
accouchée,
et,
doubtant
que elle n'en fist une aultre fois autant,
oncques puis
ne s'y trouva.
IL est vray, comme l'Évangile, que trois bons marchans de Savoye se misdrent au chemin avec leurs femmes, pour aller en pelerinaige à Sainct-Anthoine de Viennois. Et pour y aller plus dévotement rendre à Dieu et à monseigneur sainct Anthoine leur voyaige plus agréable, ilz conclurent avec leurs femmes, dès le partir de leurs maisons, que, tout le voyaige, ilz ne coucheraient pas avecques elles, mais en continence, yront et viendront.
Ilz arrivèrent, ung soir, en la ville, à ung très bon logis, et firent au
souper
très bonne
chiere,
comme ceulx qui avoient très bien de quoy, et qui très bien le sceurent faire ; et croy et tiens fermement,
se ne feust la promesse du voyaige, que chascun eust couché avec sa chascune. Toutesfoys ainsi n'en advint pas, car, quant il fut heure de soy
retraire,
les femmes donnèrent la bonne nuyt à leurs marys et les laissèrent ; et se
boutèrent
en une chambre, au plus près, où elles avoient fait couvrir chascune son lit. Or devez-vous scavoir que, ce soir propre, arrivèrent
leans
trois
cordeliers
qui s'en alloient à Genesve, qui furent ordonnez à coucher en une chambre non pas trop loingtaine de la chambre aux marchandes.
Lesquelles, puis qu'elles furent entre, elles, commencèrent à
deviser
de cent mille propos, et sembloit, pour trois qu'il y en avoit, qu'on en oyoit la
noise
qu'il suffirait ouyr d'un
quarteron.
Ces bons
cordeliers,
oyans ce bruit de femmes,
saillirent
de leurs chambres, sans faire effroy ne bruyt, et tant approchèrent de
l'huys,
sans estre ouys, qu'ilz apperceurent ces trois belles
damoiselles
qui estoient chascune à part elles, en ung beau lit assez grant et large pour le deuxiesme recepvoir d'aultre
cousté ;
puis, se revirerent, et entendirent les marys qui se couchoient en l'aultre chambre,
et puis dirent que fortune et honneur à ceste heure leur court sus, et qu'ilz ne sont pas dignes d'avoir jamais nulle bonne adventure,
se ceste, qu'ilz n'ont pas à pourchasser, par lascheté leur eschapoit.
« Si, dist l'ung, il ne fault aultre délibération en nostre fait ; nous sommes trois, et elles, trois :
chascun prengne sa place, quant elles seront endormies. »
S'il fut dit, aussi fut-il fait : et si bien vint à ces bons frères
cordeliers,
qu'ilz trouvèrent la clef de la chambre aux femmes dedans
l'huys ;
si l'ouvrirent si très
souefvement,
qu'ilz ne furent d'ame ouys. Ilz ne furent pas si folz, quant ilz eurent gaigné ce premier fort, pour plus seurement assaillir l'aultre,
qu'ilz ne tirassent la clef par devers eulx et
resserrerent
très bien
l'huys ;
et puis après, sans plus
enquerre,
chascun print son quartier et commencèrent à besoignier chascun au mieulx qu'il peut. Mais le bon fut, que l'une,
cuidant
avoir son mary, parla, et dist :
« Que voulez-vous faire ? Ne vous souvient-il de vostre veu ? »
Et le bon cordeliers ne disoit mot, mais faisoit ce pour quoy il estoit venu, de si grant cueur, qu'elle ne se peut tenir de luy ayder à parfournir. Les aultres deux, d'aultre part, n'estoient pas oyseux ; et ne scavoient ces bonnes femmes, qui menoit leurs marys de si tost rompre et casser leur promesse. Neantmoins, toutefois, elles, qui doibvent obeyr, le prindrent bien en patience, sans dire mot, chascune doubtant d'estre ouye de sa compaignie, car n'y avoit celle qui, à la vérité, ne cuidast avoir seule et emporter ce bien.
Quant ces bons
cordeliers
eurent tant fait que plus ne povoyent, ilz se partirent sans dire mot, et retournerent en leur chambre, chascun comptant son adventure.
L'ung avoit rompu trois lances ; l'aultre, quatre ; l'aultre, six. Ilz se leverent matin, pour toute seurté, et
tirerent pays.
Et ces bonnes femmes, qui n'avoient pas toute la nuyt dormy, ne se levèrent pas trop matin, car sur le jour sommeil les print, qui les fist lever tart.
D'autre costé, leurs marys, qui avoient assez bien beu le soir, et qui se attendoient à
l'appeau
de leurs femmes, dormoient au plus fort, à l'heure, car ès autres jours avoient jà cheminé
deux lieues.
Au fort,
elles se levèrent après le repos du matin, et s'babillerent le plus
roide
qu'elles peurent, non pas sans parler. Et, entre elles, celle qui avoit la langue plus preste, alla dire :
« Entre vous, mes
damoiselles,
comment avez-vous passé la nuyt ? Voz marys vous ont-ilz resveillées, comme a fait-le mien ? Il ne cessa
annuyt
de faire la
besoigne.
- Saint Jehan ! dirent-elles, si vostre mary a bien besoignié ceste nuyt, les nostres n'ont pas esté
oyseux ;
ilz ont tantost oublié ce qu'ilz promirent au partir, et croyez que on ne leur oubliera pas à dire.
- J'en advertis trop bien le mien, dist l'une, quant il commença, mais il n'en cessa pourtant
oncques
l'oeuvre ; et comme ung homme affamé, pour deux nuytz qu'il a couchié sans moy, il a
fait raige de diligence. »
Quant elles furent prestes, elles vindrent trouver leurs marys qui desjà estoient tous prestz et en
pourpoint :
« Bon jour, bon jour à ces dormeurs ! dirent-elles.
- Vostre mercy, dirent-ilz, qui nous avez si bien
huchiez !
- Ma foy, dist l'une, nous avions plus de regret de vous appeler matin, que vous n'ayez fait
annuyt
de conscience de rompre et casser vostre veu.
- Quel veu ? dist l'ung.
- Le veu, dist-elle, que vous fistes au partir : c'est de non couchier avec vostre femme.
- Et qui y a couchié ? dist-il.
- Vous le scavez bien, dist-elle, et aussi fais-je.
- Et moy aussi, dist sa compaigne. Vela mon mary, qui ne fut
pieça si
roide,
qu'il fut la nuyt passée ; et, s'il n'eust si bienfait son devoir, je ne seroye pas si
contente
de la
rompeure
de son veu ; mais,
au fort,
je le passe, car il a fait comme les jeunes enfans
qui veulent emploier leur basture, quand ilz ont desservy le pugair.
- Sainct-Jehan ! si a fait le mien, dist la tierce ; mais,
au fort,
je n'en feray jà
Procès ;
se mal y a-il, en est cause.
- Et je tiens, par ma foy, dist l'ung, que vous resvez et que vous estes yvres de dormir. Quant est de moy, j'ay icy couchié tout seul et n'en partis
annuyt.
- Non ay-je moy, dist l'aultre.
- Ne moy, par ma foy ! dist le tiers ; je ne vouldroye pour rien avoir enfraint mon veu.
Et si
cuide
estre seur de mon compère, qui est cy, et de mon voisin, qu'ilz ne l'eussent pas promis pour si tost l'oublier. »
Ces femmes commencèrent à changier de couleur, et se doubtèrent de tromperie, dont l'ung des marys d'elle tantost se
donna garde,
et luy
jugea le cueur,
de la vérité du fait. Si ne leur
bailla
pas induce
de respondre ;
ainçois,
faisant signe à ses compaignons, dist en riant :
« Par ma foy,
ma damoiselle,
le bon vin de ceans et la bonne
chiere
du soir passé nous ont fait oublier nostre promesse ; si n'en soyez jà mal contentes à l'adventure : se Dieu plaist, nous avons fait
annuyt,
à vostre ayde, chascun ung bel enfant, qui est chose de si hault mérite, qu'elle sera suffisante d'effacer la faulte du cassement de nostre veu.
- Or, Dieu le vueille ! dirent-elles. Mais ce que si affermeement disiez que n'aviez pas esté vers nous, nous a fait ung
petit
doubter ?
- Nous l'avons fait tout à propos, dist l'aultre, affin d'ouyr que vous diriez.
- Et vous aviez fait double péché, comme de faulcer vostre veu et de mentir
à escient,
et nous-mesmes aussi aviez beaucoup troublées.
- Ne vous chaille non,
dist-il, c'est peu de choses, mais allez à la messe et nous vous suyverons. »
Elles se misdrent à chemin devers l'église. Et leurs marys demeurèrent ung peu, sans les suyvir trop
roide,
puis dirent tous ensemble, sans en mentir de mot :
« Nous sommes
trompez !
ces dyables de
cordeliers
nous ont
deceuz ;
ilz se sont mis en nostre place et nous ont monstré nostre follie, car, se nous ne voulions pas coucher avec noz femmes, il n'estoit
jà mestier
de les faire coucher hors de nostre chambre, et, s'il y avoit danger de litz, la belle
paillade
est en saison.
- Dea,
dist l'ung d'eulx, nous en sommes chastiez pour une aultre fois ; et
au fort,
il vault mieulx que la tromperie soit seulement sceue de nous, que de nous et de elles, car le dangier est bien grant, s'il venoit à leur congnoissance.
Vous oyez, par leur confession, que ces
ribaulx
moynes ont fait
merveilles d'armes,
et
espoir
plus et mieulx que nous ne scavons faire ? Et se elles le scavoient, elles ne se passeroient pas pour cette fois seulement.
C'en est mon conseil, que nous l'avalons sans mâcher ?
- Ainsi me aist Dieu ! ce dist le tiers ; mon compère dist très bien ; quant-à moy, je
rappelle
mon veu, car ce n'est pas mon entention de plus moy mettre en ce dangier.
- Puis que vous le voulez, dirent les deux aultres, et nous vous ensuyvrons. »
Ainsi couchèrent tout le voyage et femmes et marys tout ensemble, dont ilz se gardèrent trop bien de dire la cause qui à ce les mouvoit. Et quant les femmes virent ; ce, si ne fut pas sans demander la cause de ceste reherse. Et ilz respondirent, par couverture, puis qu'ilz avoient commencé de leur veu entrerompre, il ne restoit que du parfaire.
Ainsi furent les trois bons marchans, des trois bons cordeliers trompez, sans qu'il venist jamais à la congnoissance de celles, qui bien en fussent mortes de deul, s'elles en eussent sceu la vérité, comme on voit tous les jours mourir femmes de moindre cas et à moins d'occasion.
Un gentil escuier de ce royaulme, bien renommé et de grant
bruit,
devint amoureux, a
Rohan,
d'une très belle
damoiselle,
et fist toutes
ses diligences de
parvenir a sa grâce. Mais fortune luy fut si contraire, et sa dame si peu gracieuse,
qu'enfin il abandonna sa queste comme par desespoir. Il n'eut pas trop grant tort de ce faire, car elle estoit ailleurs pourveue,
non pas qu'il en sceust rien, combien qu'il s'en doubtast. Toutesfoys, celuy qui en jouyssoit, qui chevalier et homme de grant auctorité estoit,
n'estoit pas si peu
privé
de luy, qu'il n'estoit gueres chose au monde, dont il ne se feust bien à luy descouvert, sinon de ce cas. Trop bien luy disoit-il souvent :
« Par ma foy, mon amy, je vueil bien que tu saiches que j'ay un
retour
en cette ville, dont je suis beaucoup
assoté ;
car, quant je n'y suis, je suis tant
parforcé
de travail et si
rebouté,
qu'on ne tirerait point de moy une lieuette de chemin ; et, se je me treuve vers elle, je suis homme, pour en faire trois ou quatre,
voire
les deux tout d'une alaine.
- Et n'est-il requeste, ne prière, disoit l'escuier, que je vous sceusse faire, que je sceusse tant seulement le nom de celle ?
- Nenny, par ma foy ! dist l'aultre : tu n'en scauras plus avant.
- Or bien, dist l'escuier, quant je seray si heureux que d'avoir riens de beau, je vous seray aussy peu
privé,
que vous m'estes
estrange.
Advint, ce temps pendant, que ce bon chevalier le pria de
souper
au chasteau de Rohan, où il estoit logié. Et il y vint, et firent très bonne
chiere .
Et quant le souper
fut passé et aucun peu de
devises
après, le gentil chevalier, qui avoit heure assignée d'aller vers sa dame, donna congé à l'escuier, et dist :
« Vous scavez que nous avons demain beaucoup
à besoigner,
et qu'il nous fault lever matin pour telle matière, et pour telle, qu'il faut expédier ; c'est bon de nous coucher de bonne heure, et, pour ce,
je vous donne la bonne nuyt. »
L'escuier, qui estoit subtil, en ce voyant, doubta
tantost que
ce bon chevalier vouloit aller coucher, et qu'il se
couvrait,
pour luy donner congié, des
besoignes
de lendemain ; mais il n'en fist quelque semblant ; ainçoys dist, en prenant congié et donnant la bonne nuyt :
« Monseigneur, vous dictes bien ; levez-vous matin, et aussi feray-je. »
Quant ce bon escuier fut en bas descendu, il trouva une petite
mullette
au pié du chasteau, et ne vit ame qui la gardast ; si pensa
tantost que
le
paige
qu'il avoit rencontré, en descendant, alloit quérir la
housse
de son maistre, et aussi faisoit-il :
« Ha ! dist-il en soy-mesmes, mon oste ne m'a pas donné, congié de si haulte heure sans cause ;
vecy
sa mullette qui n'attent aultre chose, que je soye en voye,
pour aller où on ne veult pas que je soye. Ha !
mullette,
dist-il, se tu scavois parler, tu dirais de bonnes choses ; je te prie que tu me
maines
où ton maistre veult estre ? »
Et, à ce coup, il se fist tenir l'estrief par son
paige
et monta dessus ; et luy mist la resne sur le col, et la laissa aller où bon luy sembla, tout le beau pas. Et la bonne
mullette
le mena par rues et ruettes, deçà et delà, tant qu'elle vint arrester au devant d'ung petit
guichet
qui estoit en une rue
oblique,
où son maistre avoit accoustumé de venir. Et estoit
l'huys
du jardin de la
damoiselle
qu'il avoit tant aymée et par desespoir abandonnée. Il mist pié à terre et puis heurta ung petit coup au
guichet,
et une
damoiselle,
qui faisoit le guet par une faulce
treille,
cuidant
que ce fust le chevalier, s'en vint en bas et ouvrit
l'huys,
et dist :
« Monseigneur, vous soyez le très bien venu ; vela
ma damoiselle
en sa chambre, qui vous attent. »
Elle ne le congneut point, pource qu'il estoit tard, et avoit une
cornette
de veloux devant son visaige. Adonc l'escuier respondit :
« Je voys vers elle ! »
Et puis dist à son
paige
tout bas en l'oreille :
« Va t'en bien à haste, et
remaine la
mullette où je l'ay prinse, et puis t'en va couchier.
- Si feray-je, » dist-il.
La
damoiselle
resserra le
guichet,
et s'en retourna en sa chambre. Et nostre bon escuier, très fort pensant à sa besoigne, marcha très
serreement
vers la chambre où sa dame estoit, laquelle il trouva desjà mise en sa
cotte simple,
la grosse chaîne d'or au col. Et comme il estoit gracieux, courtois et bien
emparlé,
la salua bien honnorablement. Et elle, qui fut tant
esbahye
que se cornes luy fussent venues,
de prinsault
ne sceut que respondre, sinon à une
pièce
après, qu'elle luy demanda qu'il queroit
leans,
et dont il venoit à ceste heure, et qui l'avoit
bouté dedans :
« ma damoiselle,
dist-il, vous povez assez penser que, se je n'eusse eu aultre ayde que moy-mesmes, que je ne fusse pas
lez ;
mais, la Dieu mercy, ung qui a plus grant pitié de moy que vous n'avez encores eu, m'a fait cest avantaige.
- Et qui vous a amené, sire ? dist-elle.
- Par ma foy,
ma damoiselle,
je ne le vous quiers jà
celer ;
ung tel seigneur (c'est assavoir son oste du
souper)
m'y a envoié.
- Ha ! dist- elle, le traistre et desloyal chevalier qu'il est,
se trompe-il
en ce point
de moy ? Or bien, bien, j'en seray vengée quelque jour !
- Ha !
ma damoiselle,
dist l'escuier, ce n'est pas bien dit à vous, car ce n'est pas traïson de faire plaisir a son amy, et luy faire secours et
service,
quant on le peut faire. Vous scavez bien la grant amitié qui est
de pieça
entre luy et moy, et qu'il n'y a celuy qui ne die à son compaignon tout ce qu'il a sur le cueur ?
Or est ainsi, qu'il n'y a pas longtemps que je luy comptay et confessay tout le long de la grant amour que je vous porte,
et que à ceste cause je n'avoye nul bien en ce monde ; et, se par aucune façon je ne parvenoye en vostre bonne grâce,
il ne m'estoit pas possible de longuement vivre en ce douloureux martyre.
Quant le bon seigneur a congneu à la vérité, que mes parolles n'estoient pas faintes,
doubtant
le grant inconvénient qui en pourrait
sourdre,
a fait bien de me dire ce qui est entre vous deux ; et ayme mieulx vous abandonner, en moy saulvant la vie,
que, en moy perdant, maleureusement vous entretenir. Et se vous eussiez esté telle que vous deveriez, vous n'eussiez pas tant attendu de
bailler
confort
ou guerison à moy vostre obeyssant serviteur : qui scavez certainement que je vous ay loyaulment servie et obeye.
- Je vous requiers, dist-elle, que vous ne me parlez plus de cela, et vous en allez hors d'icy ? Mauldit soit celuy qui vous y fist venir !
- Scavez-vous qu'il y a,
ma damoiselle ?
Ce n'est, dist-il, pas mon intention de partir d'icy, qu'il ne soit demain.
- Par ma foy, dist-elle, si ferez, tout maintenant !
- Par la mort bieu,
non feray, car je coucheray avecques vous. »
Quant elle vit que c'estoit
à bon escient
et qu'il n'estoit pas homme pour
enchacier
par rudes parolles, elle luy
cuida
donner congié par doulceur, et dist :
« Je vous prie tant que je puis, allez-vous-en pour
meshuy ;
et par ma foy, je feray une aultre fois ce que vous vouldrez.
- Dea,
dist-il, n'en parlez plus, car je coucheray
annuyt
avecques vous. »
Et lors commence à soy despouiller, et prent la damoiselle et la maine banqueter. Et fist tant, pour abregier, qu'elle se coucha et luy emprès elle.
Ilz n'eurent gueres esté couchiez, ne plus couru d'une lance, que
vecy
bon chevalier, qui va venir sur sa
mullette,
et vint heurter au
guichet.
Et le bon escuier, qui l'ouyt, le congneut tantost ; si commença à glappir, contrefaisant le chien très fierement.
Le chevalier, quant il ouyt, il fut bien
esbahy
et autant courroucé. Si reheurte de plus belle très rudement au
guichet,
et l'aultre, de recommencer à glappir plus fièrement que devant :
« Qui est-ce là qui grongne ? dist celuy de dehors. Par
la mort bieu,
je le scauray ! Ouvrez
l'huys,
ou je le porteray en la place ! »
Et la bonne gentil femme, qui enraigeoit
toute vive,
saillit
à la fenestre, en sa
cotte simple,
et dist :
« Estes-vous faulx et desloyal chevalier ! Vous avez beau heurter, vous n'y entrerez pas !
- Pourquoy n'y entreray-je pas ? dist-il.
- Pource, dist-elle ; que vous estes le plus desloyal qui jamais femme
accointast ;
et n'estes pas digne de vous trouver avecques gens de bien.
- Ma damoiselle,
dist-il,
vous blasonnez très bien mes armes !
Je ne scay qui vous meut, car je ne vous ay pas fait desloyauté, que je saiche.
- Si avez, dist-elle, et la plus grande que jamais homme fist à femme.
- Non ay, par ma foy ! Mais dictes-moy qui est là dedans ?
- Vous le scavez bien, dist-elle, traistre mauvais que vous estes ! »
Et, à ceste foys, bon escuier, qui estoit ou lit, commença à glappir, contrefaisant le chien, comme paravant :
« À
dea !
dist celuy de dehors, je n'entens point cecy ; et ne scauray-je point qui est ce grongneur ?
- Sainct Jehan ! si ferez, » dist l'escuier.
Et il sault sus et vint à la fenestre d'emprès sa dame, et dist :
« Que vous plaist-il, Monseigneur ? Vous avez tort de nous ainsi resveiller. »
Le bon chevalier, quant il congneut qu'il parloit à luy, fut tant,
esbahy
que merveilles.
Et quant il parla, il dist :
« Et dont viens-tu cy ?
- Je viens de
souper
de vostre maison, pour coucher ceans.
- À male faulte ! » dist-il.
Et puis adreça sa parolle à la
damoiselle
et dist :
« Ma damoiselle,
hebergez-vous telz ostes ceans ?
- Nenny, Monseigneur, dist-elle ; la vostre mercy, qui me l'avez envoyé.
- Moy ! dist-il, Sainct Jehan ! non ay ! Je suis mesmes venu pour y trouver ma place, mais c'est trop tart !
Et, au moins, je vous prie, puis que je n'en puis avoir aucune chose, ouvrez moy
l'huys ?
Si boiray une fois.
- Vous n'y entrerez, par Dieu ! jà ! dist-elle.
- Sainct Jehan ! si fera, » dist l'escuier.
Lors descendit et ouvrit
l'huys,
et s'en vint recouchier, et elle aussi, Dieu scait bien honteuse et bien mal contente. Quant le bon seigneur fut dedans,
et il eut alumé de la chandelle, il regarde la belle compaignie dedans le lit, et dist :
« Bon preu vous fasse,
ma damoiselle,
et à vous aussi, mon escuier !
- Bien grant merci, Monseigneur ! » dist-il.
Mais la
damoiselle
qui plus ne povoit se le cueur ne luy
sailloit
dehors du ventre, ne peut
oncques
dire ung seul mot. Et
cuidoit
tout certainement, que l'escuier fut
leans
arrivé par l'advertissement et conduicte du chevalier ; si luy en vouloit tant de mal, que on ne vous le seauroit dire.
« Et qui vous a enseigné la voye de céans, mon escuier ? dist le chevalier.
- Vostre mullette, Monseigneur, dist-il, que je trouvay en bas, ou chasteau,
quant j'eus soupé avec vous ; elle estoit là, seule et esgarée : si luy demanday qu'elle attendoit,
et elle me respont qu'elle n'attendoit que sa
housse
et vous.
« Et pour où aller ? dis-je.
- Où avons de coustume, dist-elle.
- Je scay bien, dis-je, que ton maistre ne ira
meshuy
dehors, car il se va couchier ; mais
maine-moy
là où tu scais qu'il va de coustume et je t'en prie. Elle en fut
contente ;
si montay sur elle, et elle m'adreça ceans, la sienne bonne mercy !
- Dieu mette en mal an
l'orde
beste, dist le bon seigneur, qui m'a
encusé !
- Ha ! que vous le valez loyaulment, monseigneur ! dist la
damoiselle
quant elle peut prendre la peine de parler. Je voy bien que vous
trompez de moy,
mais je vueil bien que vous saichez que vous n'y aurez gueres d'honneur. Il n'estoit
jà mestier,
se vous n'y vouliez plus venir, de y envoyer aultruy
soubz umbre de vous.
Mal vous congnoist, qui
oncques ne
vous vit !
- Par la mort bieu !
je ne luy ay pas envoyé, dist-il ; mais, puis qu'il y est, je ne l'en chaceray pas ; et aussi il y en a assez pour nous deux ;
n'a pas, mon compaignon ?
- Ouy, Monseigneur, dist-il, tout au butin, et je le vueil ; si nous fault
boire du marché. »
Et lors se tourna vers le dressoir, et versa du vin en une grant tasse que y estoit, et dist :
« Je boy à vous, mon compaignon !
- Je vous plege, dit l'autre, mon compaignon. »
Et puis fist verser de l'aultre vin, et le
bailla
à la
damoiselle
qui ne vouloit nullement boire ; mais, en la fin,
voulsist ou non, elle
baisa la tasse.
« Or ça, dist le gentil chevalier, mon compaignon, je vous laisseray icy ;
besoignez bien
vostre tour aujourd'hui, le mien sera demain, se Dieu plaist ; si vous prie que vous me soyez aussi gracieux,
quant vous m'y trouverez, que je vous suis maintenant.
- Nostre Dame ! mon compaignon, aussi seray-je, ne vous doubtez. »
Ainsi s'en alla le bon chevalier et laissa l'escuier, qui fist au mieulx qu'il peut ceste première nuyt ; et advertit la damoiselle de tous pointz de la vérité de son adventure, dont elle fut ung peu plus contente que se l'aultre luy eust envoyé.
Ainsi fut la belle damoiselle deceue par la mullette et contrainte d'obeyr et au chevalier et à l'escuier, chascun à son tour : dont en la fin elle s'accoustuma et très bien le print en patience. Mais tant de bien y eut, que, se le chevalier et l'escuier s'entraymoient bien par avant ceste adventure, l'amour d'entre eulx à ceste occasion fut redoublée, qui, entre aucuns mal conseilliez, eust engendré discort et mortelle haine.
Affin que je ne soye seclus du très heureux et haut mérite deu à ceux qui travaillent et labeurent à l'augmentation des histoires de ce present livre, je vous racompteray en brief une adventure nouvelle, par laquelle on me tiendra excusé d'avoir fourny la nouvelle dont j'ay nagueres esté sommé.
Il est notoire vérité qu'en la ville de
Hostellerie,
en Castelongne, arrivèrent plusieurs
frères mineurs,
qu'on dit de
l'Observance,
enchacés et déboutés par leur mauvais gouvernement et faincte dévotion du royaulme d'Espaigne.
Et trouvèrent façon d'avoir entrée devers lé seigneur de la ville, qui desjà estoit
ancien ;
et tant firent, pour abregier, qu'il leur fonda une belle église et beau couvent, et les maintint et entretint toute sa vie le mieulx qu'il sceut.
Et après regna son filz aisné, qui ne leur fist pas moins de bien que son bon père. Et, de fait, ilz prospererent, en peu de ans,
si bien, qu'ilz avoient suffisamment tout ce que on scauroit demander en ung couvent de mendians.
Et, affin que vous saichiez qu'ilz ne furent pas
oyseux,
durant le temps qu'ilz acquirent ces biens, ilz se misrent au prescher, tant en la ville que par les villaiges voisins et gaignerent tout le peuple,
et tant firent, qu'il n'estoit pas bon chrestien, qui ne s'estoit à eulx confessé, tant avoient grant
bruit et bon
los
de bien remonstrer aux pécheurs leurs defaultes. Mais qui les louast et eust bien en grâce, les femmes estoient du tout données,
tant les avoient trouvez sainctes gens, de grant charité et de
parfonde
dévotion. Or entendez la
mauvaistié,
déception
et horrible trayson, que ces faulx ypocrites
pourchasserent
à ceulx et celles qui tant de biens de jour en jour leur faisoient : ilz
baillerent
entendre generalement à toutes les femmes de la ville, qu'elles estoient tenues de rendre à Dieu la disme de tous leurs biens :
« Comme au seigneur, de telle chose et de telle, à vostre paroisse et curé, de telle chose et telle ;
et à nous, vous devez rendre et livrer la disme du nombre des fois que vous couchiez charnellement avec vostre mary.
Nous ne prenons sur vous aultre disme, car, comme vous scavez, nous ne portons point d'argent ;
car il ne nous est rien des biens temporelz et transitoires de ce monde. Nous querons et demandons seulement les biens espirituelz.
Les dismes que nous demandons et que vous nous devez n'est pas des biens temporelz : c'est à cause du Sainct Sacrement que vous avez receu,
qui est une chose divine et espirituelle ; et de celuy n'appartient à nul recepvoir la disme,
que nous seulement, qui sommes religieux de l'Observance. »
Les povres simples femmes, qui mieulx cuidoient ces bons frères estre anges que hommes terriens, ne refusèrent pas ce disme à payer. Il n'y eust celle qui ne la payast à son tour, de la plus haulte jusques à la moindre ; mesmes la femme du seigneur n'en fut pas excusée. Ainsi furent toutes les femmes de la ville appaties à ces vaillans moynes ; et n'y avoit celuy d'eulx, qui n'eust à sa part de quinze à seize femmes la disme a recepvoir ; et, à ceste occasion, Dieu scait les presens qu'ilz avoient d'elles tout soubz umbre de devocion. Ceste manière de faire dura longuement, sans ce qu'elle vint à la congnoissance de ceulx qui se fussent bien passez de ce nouveau disme. Il fut toutesfois descouvert en la façon qui s'ensuit.
Ung jeune homme, nouvellement marié, fut prié de
souper
a
l'ostel
d'ung de ses parens, luy et sa femme ; et, comme ilz retournoient, en passant par devant l'église des bons
cordeliers
dessusditz, la cloche de l'Ave Maria sonna tout à ce coup, et le bon homme s'enclina sur la terre pour faire ses dévotions.
Sa femme luy dist :
« Je entreroye voulentiers dedans ceste église ?
- Et que ferez-vous là dedans à ceste heure ? dist le mary : vous y reviendrez bien, quant il sera jour demain ou une aultre fois ?
- Je vous requiers, dist elle, que je y aille, et je reviendray tantost.
- Nostre Dame ! dist-il : vous n'y entrerez jà maintenant !
- Par ma foy, dist-elle, c'est force ; il m'y convient aller ; je ne demoureray
riens :
si vous avez haste d'estre
a l'ostel,
allez toujours devant, je vous suivra y tout à ceste heure.
- Piquez,
piquez devant, dist-il ; vous n'y avez pas tant à faire. Si vous voulez dire vostre Pater noster ou vostre Ave Maria,
il y a assez place à
l'ostel,
et vous vauldra autant là le dire, que en ce monastère, où l'on ne voit maintenant
goutte.
- Ha
dea,
dist-elle, vous direz ce qu'il vous plaira, mais, par ma foy, il fault nécessairement que j'entre ung peu dedans.
- Et pourquoy ? dist-il. Voulez-vous aller couchier avec les frères de
leans ? »
Elle, qui
cuidoit,
à la vérité, que son mary sceust bien qu'elle payast la disme, luy respondit :
« Nenny, je n'y vueil pas couchier ; je vouloie aller payer.
- Quoy payer ? dist-il.
- Vous le scavez bien ? dist-elle : et si le demandez ?
- Que scay-je bien ? dist-il ; je ne me mesle pas de voz debtes.
- Au moins, dist-elle, scavez-vous bien qu'il me fault payer la disme ?
- Quelle disme ?
- Ha hay, dist-elle,
c'est un jamés ;
et le disme de nuyt de vous et de moy ? Vous avez bon temps ; il fault que je paye pour nous deux.
- Et à qui le payez-vous ? dist-il.
- À frère Eustace, dist-elle. Allez tousjours à
l'ostel !
Si m'y laissez aler, que j'en soye quitte. C'est si grant pechié de ne la point payer, que je ne suis jamais aise, quant je luy dois
riens.
- Il est
meshuy
trop tart, dist-il ; il est couchié passé à une heure.
- Ma foy, dist-elle, je y ay esté ceste année beaucoup plus tart ; puis que on veult payer, on y entre à toute heure.
- Allons, allons, dist-il, une nuyt n'y fait rien. »
Ainsi s'en retournèrent le mary et la femme, mal contens tous deux, la femme, pource qu'on ne l'a pas laissée paier son disme,
et le mary, pource qu'il se veoit ainsi
deceu,
estoit tout
esprins
d'yre et de
mal talent :
qui encores redoubloit sa peine, qui ne l'osoit monstrer. À certaine
pièce après,
toutesfoys, ilz se couchèrent, et le mary, qui estoit assez subtil, interrogua sa femme
de longue main,
se les aultres femmes de la ville ne paient pas aussi ceste disme qu'elle fait ?
« Quoy, donc ! dist-elle : par ma foy, si font : quel previlege auroient-elles plus que moy ?
Nous sommes encores seize ou vingt, qui le paions à frère Eustace. Ha ! il est tant dévot !
Et croyez que ce luy est une grande pacience. Frère
Berthelemieu
en a autant ou plus, et,
entre les aultres,
ma Dame
est de son nombre. Frère Jacques en a aussi beaucoup, frère Anthoine aussi : il n'y a celuy d'eulx qui n'ait son nombre.
- Sainct Jehan ! dist le mary,
ilz n'ont pas oeuvre laissée !
Or congnois-je bien qu'ilz sont beaucoup plus devotz qu'il ne semble ;
et vrayement je les vueil avoir ceans tous l'ung après l'autre, pour les festoier et ouyr leurs bonnes
devises !
Et pource que frère Eustace reçoit la disme de ceans, ce sera le premier. Faictes que nous ayons demain bien à
disner,
car je le ameneray.
- Très voulentiers, dist-elle ; au moins, ne me fauldra-il pas aller en sa chambre, pour le payer : il le recepvera bien céans.
- Vous dictes bien, dist-il ; or dormons, »
Mais créez qu'il n'en avoit garde ; et, en lieu de dormir, il pensa tout à son aise ce qu'il vouloit à lendemain excecuter.
Ce disner vint, et frère Eustace, qui ne scavoit pas l'intention de son oste, fist assez bonne chiere soubz son chaperon. Et quant il veoit son point, il prestoit ses yeulx à l'ostesse, sans espargner par dessoubz la table le gracieux jeu des piez : de quoy s'appercevoit bien l'oste sans en faire semblant, combien que ce feust à son préjudice.
Apres les grâces, il apela frère Eustace, et luy dist qu'il luy vouloit monstrer une ymaige de Nostre Dame,
et une très belle oraison qu'il avoit en sa chambre ; et il respondit qu'il le voirroit voulentiers.
Adonc ilz entrèrent dedans la chambre, et puis l'oste ferma
l'huys
dessus eulx, que il ne peust sortir ; et puis empoigna une grande hache, et dist à nostre
cordelier :
« Par la mort bieu,
beau père, vous ne partirez jamais d'icy, sinon les piez devant, se vous ne confessez vérité !
- Helas ! mon oste, je vous
crie mercy !
Que me demandez-vous ?
- Je vous demande, dist-il, le disme du disme que vous avez prins sur ma femme. »
Quant le
cordelier
ouyt parler de ce disme, il pensoit bien que ses
besoignes
n'estoient pas bonnes ; si né sceust que respondre, sinon de
crier mercy,
et de soy excuser le plus beau qu'il povoit :
« Or me dictes, dist l'oste, quelle disme est-ce que vous prenez sur ma femme et sur les aultres ? »
Le povre
cordelier
estoit tant effroyé, qu'il ne povoit parler, et ne respondoit mot.
« Dictes-moy, dist l'oste, la chose comment elle va ; et, par ma foy, je vous lairray aller,
et ne vous feray jà mal, ou si non, je vous
tueray tout roide. »
Quant l'aultre se ouyt asseurer, il ayma mieulx confesser son peché et celuy de ses compaignons et eschapper, que le
celer
et tenir cloz et estre en dangier de perdre sa vie ; si dist :
« Mon oste je vous
crie mercy !
je vous diray vérité. Il est vray que mes compaignons et moy avons fait accroire à toutes les femmes de ceste ville
qu'elles doibvent la disme des foys que vous couchiez avec elles ; elles nous ont creu : si les payent et jeunes et vieilles,
puis qu'elles sont mariées ; il n'en y a pas une qui en soit excusée ; ma
Dame
mesmes la paye comme les aultres, ses deux niepces aussi, et généralement nulle n'en est exemptée.
- Ha
dea,
dist l'aultre, puis que Monseigneur et tant de gens de bien la payent, je n'en dois pas estre quitte,
combien que je m'en passasse bien ! Or vous en allez, beau père,
par tel si
que vous me
quitterez
la disme que ma femme vous doit. »
L'aultre ne fut oncques si joyeux, quant il se fut saulvé dehors ; si dist que jamais n'en demanderait rien : aussi ne fist-il, comme vous orrez.
Quant l'oste du
cordelier
fut bien informé de sa femme et de ceste nouvelle disme, il s'en vint à son seigneur et luy compta
tout du long
le cas du disme, comme il est touché ci dessus. Pensez qu'il fut bien
esbahy
et dist :
« Oncques
ne me
pleurent
ces
papelars,
et me
jugeoit bien le cueur
qu'ilz n'estoient pas telz par dedans comme ilz se monstrent par dehors. Ha ! mauldictes gens qu'ilz sont ! mauldicte soit
l'heure qu'oncques
Monseigneur mon père, à qui Dieu pardoint, les
accointa !
Or sommes-nous par eulx gastez et deshonnourez ! Et encores feront-ilz pis, s'ils durent, longuement. Qu'est-il de faire ?
- Par ma foy, Monseigneur, dist l'aultre, s'il vous plaist et semble bon, vous assemblerez tous voz subjetz de ceste Ville :
la chose leur touche comme à vous : si leur declairez ceste adventure, et puis aurez advis avec eulx d'y pourveoir et remédier, avant qu'il soit plus tart. »
Monseigneur le voulut ; si manda tous ses subjetz mariez tant seulement, et ilz vindrent vers luy ; et en la grant sale de son
ostel
il leur déclaira
quittance
la cause pourquoy il les avoit assemblez. Se Monseigneur fut bien
esbahy
de prinsault,
quant il sceust
premier
ces nouvelles, aussi furent toutes bonnes gens qui là estoient. Adoncques les ungs disoient :
« Il les fault tuer ! » les aultres :
« Il les fault pendre ! » les aultres :
« Noyer ! »
Les aultres disoient qu'ilz ne pourraient croire que ce feust vérité, et qu'ilz sont trop devotz et de trop saincte vie.
Ainsi dirent les ungs d'ung, et les aultres d'aultre.
« Je vous diray, dist le seigneur : nous manderons icy noz femmes, et ung tel maistre Jehan, etc., fera une petite
colacion,
laquelle enfin
cherra
de parler des dismes, et leur demandera, au nom de nous tous, s'elles s'en acquittent, car nous voulons qu'elles soyent payées : nous
orrons
leur response. »
Et, après advis sur cela, ilz s'accordèrent tous au conseil et à l'opinion de Monseigneur.
Si furent toutes les femmes mariées de la ville mandées ; et vindrent en la salle où tous leurs marys estaient.
Monseigneur mesmes fist venir madame, qui fust toute
esbahye
de veoir
l'assemblée
de ce peuple. Puis après, ung sergent commanda, de par Monseigneur, faire silence.
Et maistre Jehan se mist un peu au dessus des aultres et commença sa petite
colacion,
comme il s'ensuit :
« Mes dames et mes
damoiselles,
j'ay la
charge
de par Monseigneur qui cy est et ceulx de son Conseil, vous dire en brief la cause pourquoy estes icy mandées :
Il est vray que Monseigneur, et son Conseil, et son peuple qui cy est, ont tenu, à ceste heure,
ung chapitre du fait de leurs consciences : la cause si est qu'ilz ont voulenté, devant Dieu,
dedans brief temps, faire une belle procession et dévote à la louenge de Nostre Seigneur Jesu Christ, et de sa glorieuse Mère,
et, à iceluy jour, se mettre tous en bon estât,
affin qu'ilz soyent mieulx exaulsez en leurs plus dévotes prières et que les oeuvres qu'ilz feront soyent à iceluy nostre Dieu plus agréables.
Vous scavez que, la mercy Dieu, nous n'avons eu nulles guerres de nostre temps, et noz voisins en ont esté terriblement persécutez, et de
pestillences
et de famines. Quant les aultres en ont esté ainsi
examinez,
nous avons peu dire et encores faisons que Dieu nous a préservez. C'est bien raison que nous congnoissons que ce vient,
non pas de noz propres vertuz, mais de la seule large et libérale grace de nostre benoist Créateur et Rédempteur,
qui buche et appelle et invite au son des devotes prieres qui se font en nostre église,
et où nous adjoustons très grant foy et tenons en fermes dévotions. Aussi, le dévot couvent des
cordeliers
de ceste ville nous a beaucoup valu et vault à la conservation des biens dessusditz.
Au surplus, nous voulons scavoir se vous acquittez à faire ce à quoy vous estes tenues ; et,
combien que
nous tenons assez estre en vostre mémoire l'obligation qu'avez à l'église, il ne vous d'esplaira pas se je vous en touche
aucuns
des plus grans pointz : Quatre fois l'an, c'est assavoir aux quatre
nataulx,
vous vous devez confesser à vostre curé, ou à quelque religieux ayant sa puissance ; et se receviez vostre Créateur à chaque fois,
vous feriez bien ; à tout le moins le devez-vous faire une fois l'an.
Allez à l'offrande tous les dimanches, et payez leaulment les dismes à Dieu, comme de fruitz, de poulailles,
aigneaulx, et aultres telz usaiges acoustumez. Vous devez aussi une aultre disme aux devotz religieux du couvent de Sainct-François,
que nous voulons expressément qu'elle soit payée : c'est celle qui plus nous touche au cueur, et dont nous désirons plus ,
l'entretenance
et pourtant, s'il y a nulle de vous qui n'en ait fait son devoir aucunement, que ce soit par sa négligence ou par faulte de le demander,
ou aultrement, si
s'advance
de le dire. Vous scavez que ces bons religieux ne peuvent venir
aux ostelz
quérir leur disme : ce leur serait trop grant peine et trop grant
destourbier ;
il doit bien suffire s'ilz prennent la peine de le recepvoir en leur couvent. Vela partie de ce que je vous ay à dire :
reste à scavoir celles qui ont payé et celles qui doibvent ? »
Maistre Jehan n'eust pas finé son dire, que plus de vingt femmes commencerent à crier toutes d'une voix :
« J'ay payé, moy ! j'ay payé, moy ! je n'en dois rien ! Ne moy, ne moy ! »
D'aultre
cousté,
dirent ung cent d'aultres, et généralement, qu'elles ne dévoient rien ; mesmes
saillirent.
avant quatre eu six belles jeunes femmes, qui dirent qu'elles avoient si bien payé, qu'on leur devoit sur le temps advenir,
à l'une quatre fois, à l'aultre six fois, à l'aultre dix fois. Il y avoit aussi, d'aultre
cousté,
je no scay
quantes
vieilles qui ne disoient mot ; et maistre. Jehan leur demanda s'elles avoient bien payé leur disme ?
Et elles respondirent qu'elles avoient faict traictié avec les
cordeliers :
« Comment ! dist-il :
ne paiez-vous pas ! Vous devez
semondre
et contraindre les aultres de ce faire, et vous-mesmes faictes la faulte !
- Dea,
dist l'une, ce n'est pas moy ; je me suis présentée plusieurs fois de faire mon devoir,
mais mon confesseur n'y veult jamais entendre ; il dit tousjours qu'il n'a loisir.
- Sainct Jehan ! dirent les aultres vieilles ; nous composons, par traictié fait avecques eulx la disme que devons, en toille, en
draps,
en coussins, en
bancquiers,
en orilliers, et en aultres telles
bagues ;
et ce, par leur conseil et advertissement, car nous aymerions mieulx la payer comme les aultres.
- Nostre Dame ! dist maistre Jehan, il n'y a point de mal ; c'est très bien fait.
- Elles s'en peuvent doncques bien aller ? dist Monseigneur à maistre Jehan.
- Ouy, dist-il, mais, quoy que ce soit, que ces dismes ne soyent pas oubliées. »
Quant elles furent toutes hors de la salle,
l'huys fut
serré ;
si n'y eust celuy des demourez, qui ne regardast son compaignon :
« Or ça, dist Monseigneur, qu'est-il de faire ? Nous sommes
acertez
de la trayson que ces
ribaulx
moynes nous ont fait, par la deposition de l'ung d'eulx et par noz femmes ;
il ne nous fault plus de tesmoings.»
Après plusieurs et diverses opinions, la finale et dernière resolucion si fut, qu'ilz yront
bouter
le feu ou couvent, et brusleront et moynes et
moustier.
Si descendirent en bas en la ville, et vindrent au monastère ; et osterent hors le Corpus Domini, et
aucun
aultre reliquaire qui là estoit, et l'envoierent en la paroisse ; et puis, sans plus enquérir, boutèrent le feu en divers lieux
leans,
et ne s'en partirent tant que tout fut consumé, et moynes, et couvent, et eglise, et dortoir, et
le surplus
des ediffices, dont il y avoit foison
leans.
Ainsi achetèrent bien chierement lés povres
cordeliers
la disme non accoustumée qu'ilz midrent sus. Dieu, qui n'en povoit mais, en eut bien sa maison bruslée.
Ung gentil chevalier des marches de Bourgoigne, saige, vaillant, et très bien adrecié, digne d'avoir bruit et los, comme il eust tout son temps entre les plus renommez, se trouva tant et si bien en la grâce d'une si belle damoiselle, qu'il en fut retenu serviteur, et d'elle obtint, à petit de pièce, tout ce que par honneur elle donner luy povoit ; et, au surplus, par force d'armes, à ce la mena, que refuser ne luy peut nullement ce que par devant et après ne peust obtenir. Et de ce se print et très bien donna garde ung très grant et gentil seigneur, très clervoyant, dont je passe le nom et les vertus, lesquelles, se en moy estoit de les scavoir racompter, il n'y a celuy de vous, qui tantost ne congneust de quoy ce compte se ferait :ce que pas ne vouldroye.
Ce gentil seigneur, que je vous dist, qui se apperceut des amours du vaillant homme dessusdit, quant il vit
son point,
si luy demanda
s'il n'estoit point en grâce d'une telle
damoiselle
c'est assavoir de celle dessusdicte. Et il luy respondit que non ; et l'aultre, qui bien scavoit le contraire, luy dist qu'il congnoissoit très bien que si :
« Neantmoins, quelque chose qu'il luy dist ou remontrast, il ne luy devoit pas
celer
ung tel cas, et que se il luy en estoit advenu ung semblable, ou beaucoup plus grant, il ne luy
celeroit jà. »
Si ne luy voulut-il
oncques
dire ce qu'il scavoit certainement. Adonc se pensa, en lieu d'aultre chose faire,
et pour passer temps, s'il scait trouver voye ne façon, que, en lieu de celuy qui luy est tant
estrange,
et prent si peu de fiance en luy, il s'acointera de sa dame et se fera privé d'elle.
À quoy il ne faillit pas, car, en peu d'heure, il fut vers elle si très bien venu, comme celuy qui le valoit,
qu'il se povoit vanter d'en avoir autant obtenu, sans faire gueres grant queste ne poursuite,
que celuy qui mainte peine et foison de travaulx en avoit soustenu ; et si avoit ung
bon point,
qu'il n'en estoit en rien
féru.
Et l'aultre, qui ne pensoit point avoir compaignon, en avoit
quittance
du bras et autant que on en pourrait entasser, à toute force,
au cueur d'ung amoureux. Et ne vous fault pas penser qu'il ne fust
entretenu,
de la bonne
gouge,
autant et mieulx que par avant : qui luy faisoit plus avant
bouter
et entretenir en sa fole amour. Et, affin que vous saichiez que ceste vaillante
gouge
n'estoit pas
oyseuse,
qui en avoit à entretenir deux du moins, lesquelz elle eust à grant regret perduz, et especialement le dernier venu,
car il estoit de plus hault estoffe et trop mieulx garny au
pongnet,
que le premier venu. Et elle leur bailloit et assignoit tousjours heure de venir l'ung après l'aultre,
comme l'ung aujourd'huy et l'aultre demain. Et, de ceste manière de faire, scavoit bien le dernier venu, mais il n'en faisoit nul semblant,
et aussi, à la vérité, il ne luy en
chailloit
gueres, sinon que ung peu luy desplaisoit la follie du premier venu, qui trop fort, à son gré, se
boutoit
en chose de petite
value.
Et, de fait, se pensa qu'il l'en advertiroit
tout du long,
ce qu'il fist. Or, scavoit-il bien que les jours que la
gouge
luy deffendoit de venir vers elle, dont il faisoit trop bien le mal content, estoient gardez pour son compaignon le premier venu.
Si fist le guet par plusieurs nuytz ; et le veoit entrer vers elle par le mesme lieu et à cette heure que ès autres jours faisoit. Si luy dist, ung jour
entre les aultres :
« Vous m'avez trop
celé
les amours d'une telle et de vous ; et n'est serment que vous ne m'ayez fait au contraire, dont je
m'esbahis
bien, que vous prenez si peu de fiance en moy,
voire
quant je scay davantaige et véritablement ce qui est entre vous et elle. Et, affin que vous saichiez que je scay qu'il en est,
je vous ay veu entrer vers elle à telle heure et à telle : et de fait, hier n'a pas plus loing, je tins l'oeil sur vous,
et, d'ung lieu là où j'estoye, je vous y vis arriver ; vous scavez bien se je dis vray ? »
Quant le premier venu ouyt si
vives
enseignes
tant notoires, il ne sceut que dire ; si luy fut force de confesser ce qu'il eust voulentiers
celé,
et qu'il
cuidoit
que ame ne le sceust que luy. Et dist à son compaignon le dernier venu, que vraiement il ne luy peut plus, ne veult
celer
qu'il en soit bien amoureux, mais il luy prie qu'il n'en soit nouvelle.
« Et que diriez-vous, dist l'aultre, se vous aviez compaignon ?
- Compaignon ! dist-il ; quel compaignon ? En amours ? Je ne le pense pas, dist-il.
- Sainct Jehan ! dist le dernier venu, et je le scay bien ;
il ne fault jà aller de deux en trois :
c'est moy. Et, pource que je vous voy plus
feru
que la chose ne vault, vous ay
pieça
voulu advertir, mais ne y avez voulu entendre ; et, se je n'avoye plus grant pitié de vous que vous-mesmes n'avez,
je vous lairroye en ceste follie, mais je ne pourroye souffrir que une telle
gouge
se trompast
et de vous et de moy si longuement. »
Qui fut bien
esbahy
de ces nouvelles, ce fut le premier venu, car il
cuidoit
tant estre en grace
que merveilles,
voire et
si croioit fermement que ladicte
gouge
n'aymoit aultre que luy. Si ne scavoit que dire ne penser, et fut longue
espace
sans mot dire.
Au fort,
quant il parla, il dist :
« Par Nostre Dame !
on m'a bien baillé de l'oignon,
et si ne m'en doubtoye gueres ! si en ay esté plus aisé à decepvoir ; le Dyable emporte la
gouge,
quant elle est telle !
- Je vous diray, dist le dernier venu, elle se
cuide
tromper
de nous, et, de fait, elle a desjà très bien commencé, mais il la nous fault mesmes tromper.
- Et je vous en prie, dist le premier venu.
Le feu Sainct Anthoine
l'arde,
quant oncques
je
l'accointay !
- Vous scavez, dist le dernier venu, que nous allons vers elle tour à tour ? Il fault qu'à la première fois que vous yrez ou moy,
que vous dictes que vous aviez bien congneu et apperceu que je suis amoureux d'elle, et que vous m'avez veu entrer vers elle,
à telle heure, et ainsi habillé, et que,
par la mort bieu,
se vous m'y trouvez plus, que vous me tuerez tout
roide,
quelque chose qui vous en doye advenir. Et je diray ainsi de vous, et nous verrons, sur ce, qu'elle fera et dira, et aurons advis du surplus.
- C'est très bien dit, et je le vueil, » dist le premier venu.
Comme il fut dit, il en fut fait, car, je ne scay
quans
jours après, le dernier venu eut son tour d'aller besoigner : si se mist au chemin et vint au lieu assigné. Quant il se trouva seul à seul avec la
gouge
qui le receut très doulcement et de grant cueur, comme il sembloit, il
faindit,
comme bien le savoit faire, une
mathe chiere
et monstra semblant de couroux. Et celle qui l'avoit acoustumé de veoir tout aultrement, ne sceut que penser ;
si luy demanda qu'il avoit et que sa manière monstroit que son cueur n'estoit pas à son aise.
« Vrayement,
ma damoiselle,
dist-il, vous dictes vray, que j'ay bien cause d'estre mal content et
desplaisant !
La vostre mercy, toutesfoys ; que le m'avez
pourchassé !
- Moy ! ce dist-elle. Helas ! dist-elle, non ay, que je saiche ; car vous estes le seul homme en ce monde
à qui je vouldroye faire le plus de plaisir, et de qui plus près me toucheroye l'ennuy et le
desplaisir.
- Il n'est pas damné qui ne le croit, dist-il, et pensez-vous que je ne me soye bien apperceu que vous avez tenu ung tel (c'est assavoir le premier venu) ?
Si fait, par ma foy, je l'ay trop bien veu parler à vous à part ; et, qui plus est, je l'ay espié et veu entrer ceans. Mais,
par la mort bieu !
se je l'y treuve
jamais,
son dernier jour sera venu, quelle chose qu'il en doye advenir. Que je souffre ne puisse veoir qu'il me fist ce
desplaisir,
j'aymeroye mieulx à mourir mille fois, s'il m'estoit possible ! Et vous estes aussi bien
desleale,
qui scaviez certainement et de vray, que, après Dieu, je n'ayme riens que vous, qui à mon très grant préjudice le voulez entretenir !
- Ha ! Monseigneur, dist-elle, et qui vous a fait ce rapport ? Par ma foy, je vueil bien que Dieu et vous saichez que la chose va tout aultrement,
et de ce je le prens à tesmoing que
oncques
jour de ma vie je ne tins
terme
à celuy dont vous parlez, ne à aultre, quel qu'il soit : par quoy vous ayez tant soit peu de cause d'en estre mal content de moy.
Je ne vueil pas nyer que je n'aye parlé et parle à luy tous les jours, et à plusieurs aultres ; mais qu'il y ait
entretenance,
riens ; ains tiens que soit le moindre de ses pensées, et aussi, par Dieu, il se abuserait.
Jà Dieu ne me laisse tant vivre, que aultruy que vous ait part ne demye en ce qui est entièrement vostre !
- Ma damoiselle,
dist-il, vous le scavez très bien dire, mais je ne suis pas si beste que de le croire. »
Quelque mal content qu'il y feust, il fist ce pour quoy il estoit venu, et, au
partir, luy dist :
« Je vous ay dit et
de rechief
vous fais scavoir que, se je me aperçois
jamais
que l'aultre vienne ceans, je le mettray ou feray mettre
en tel point
qu'il ne courroucera jamais, ne moy ne aultre.
- Ha, Monseigneur, dist-elle, par Dieu, vous avez tort de prendre vostre
ymaginacion
sur luy, et croyez que je suis seure qu'il n'y pense pas. »
Ainsi se partit nostre dernier venu. Et à lendemain, son compaignon le premier venu ne faillit pas à son lever, pour savoir des nouvelles ;
et il luy en compta largement et bien au long tout le
demené,
comment il fist le courroucé et comme il la menaça de tuer, et les responses de la
gouge.
« Par mon serment ! c'est bien joué ! dist-il. Or laissez moy avoir mon tour : se je ne fais bien mon personnaige, je ne fus
oncques
si
esbahy. »
Une certaine
pièce
après, son tour vint et se trouva vers la
gouge,
qui ne luy fist pas moins de
chiere
qu'elle avoit de coustume, et que le dernier venu en avoit emporté nagueres.
Se l'aultre son compaignon le dernier venu avoit bien fait du mauvais cheval et en maintien et en parolles,
encores en fist-il plus, et dist
en telle manière :
« Je dois bien mauldire l'heure et le jour qu'oncques j'euz vostre
accointance ;
car il n'est pas possible au monde d'amasser plus de douleurs, regretz et d'amers plaisirs au cueur d'ung povre amoureux, que j'en treuve aujourd'huy,
dont le mien est environné et assiégé. Helas, je vous avoye entre aultres choisie comme la non pareille de beaulté,
genteté,
et gracieuseté, et que je y trouveroye largement et à comble de loyaulté : et, à ceste cause, m'estoye de mon cueur deffait, et
du tout
mis l'avoye en vostre mercy,
cuidant, à la vérité, que plus noblement ne en meilleur lieu asseoir ne le pourroye ;
mesmes m'avez à ce mené, que j'estoye prest et délibéré d'attendre la mort ou plus, se possible eust esté, pour vostre honneur saulver. Et quant j'ay
cuidé
estre plus seur de vous, que je n'ay pas sceu seulement par estrange rapport, mais à mes yeulx aperceuz ung autre estre venu de costé, qui me
toult
et rompt tout l'espoir que j'avoye en vostre
service
d'estre de vous tout le plus
chier tenu !
- Mon amy, dist la
gouge,
je ne scay qui vous a troublé, mais vostre
manière
et voz parolles portent et jugent qu'il vous fault quelque chose,
que je ne scauroye penser que ce peut estre, se vous n'en dictes plus avant, si non ung peu de jalousie qui vous tourmente, ce me semble,
de laquelle, se vous estiez bien saige, n'auriez cause de vous
accointer.
Et là où je le scauroye, je ne vous en vouldroye pas
bailler
l'occasion ; toutesfoys, vous n'estes pas si peu
accoint
de moy, que je ne vous aye monstré la chose qui plus en peut baillier la cause d'asseurance :
à quoy vous me feriez tantost avoir regret, pour me servir de telles paroles.
- Je ne suis pas homme, dist le premier venu, que vous doyez contenter de parolles, car excusance n'y vault rien :
vous ne povez nyer que ung tel (c'est assavoir le dernier venu) ne soit de vous
entretenu ?
Je le scay bien, car je m'en suis
donné garde,
et si ay bien fait le guet, car je le vis hier venir vers vous à telle heure et à telle, et ainsi habillé. Mais je voue à Dieu,
qu'il en a prins ses caresmeaux,
car je tiendray sur luy ; et fust-il plus grant maistre cent fois, se je le y puis rencontrer,
je luy osteray la vie du corps, ou luy à moy : ce sera l'ung des deux ; car je ne pourroye vivre, voyant ung autre jouyr de vous.
Et vous estes bien faulse et desloyale, qui m'avez en ce point
deceu ;
et, non sans cause, mauldis-je l'heure que oncques vous
accointay,
car je scay tout certainement que c'est ma mort, se l'aultre scait ma voulenté, comme j'espère que ouy.
Et par vous je scay, de vray, que je suis mort ; et, s'il me laisse vivre, il aguise le cousteau,
qui sans mercy à ses derniers jours le mènera. Et s'ainsi est, le monde n'est pas assez grant, pour me saulver, que mourir ne me faille. »
La
gouge
n'avoit pas moyennement à penser pour trouver soudaine et suffisante excusance, pour contenter celuy qui est si mal content.
Toutesfoys, ne demoura pas qu'elle ne se mist en ses devoirs pour l'oster hors de ceste melencolie, et,
pour assiete en lieu de cresson, elle luy dist :
« Mon amy, j'ay bien au long entendu vostre grant
ratelée,
qui, à la verité dire, me
baille,
à congnoistre que je n'ay pas esté si saige comme je deusse, et que j'ay trop tost adjousté foy à voz semblans et
decevantes
parolles, car elles m'ont conclue et rendue en vostre obéissance ; vous en tenez à ceste heure trop moins de biens de moy. Aultre raison aussi vous meut,
car vous scavez assez que je suis prinse et que amours m'ont à ce menée que sans vostre présence je ne puis vivre ne durer.
Et, à ceste cause et plusieurs aultres qu'il ne fault jà dire, vous me voulez tenir vostre subgette en esclave, sans avoir loy de parler ne
deviser
à nul aultre que à vous. Puis qu'il vous plaist,
au fort,
j'en suis
contente,
mais vous n'avez nulle cause de moy souspeçonner en rien de personne qui vive, et si ne fault aussi jà que je m'en excuse :
Vérité, qui tous vainct, en fin m'en deffendra, s'il luy plaist.
- Par Dieu, m'amye, dist le premier venu, la vérité est telle que je vous ay dicte ; si vous en sera quelque jour prouvée et
chier vendue
pour aultruy et pour moy, se aultre provision de par vous n'y est mise. »
Après ces parolles et aultres trop longues à racompter, se partit le premier venu, qui pas n'oublia lendemain quittance raconter à son compaignon le dernier venu. Et Dieu scait les risées et joyeuses devises qu'ilz eurent entre eulx deux ! Et la gouge, en ce lieu, avoit des estouppes en sa quenoille, qui veoit et scavoit très bien que ceulx qu'elle entretenoit se doubtoient et apercevoient aucunement chascun de son compaignon, mais non pourtant ne laissa pas de leur baillier tousjours audience, chascun à sa foys, puis qu'ilz la requéraient, sans en donner à nul congié. Trop bien les advertissoit qu'ilz venissent, bien secrètement vers elle, affin qu'ilz ne fussent de nulz apperceuz. Mais vous devez scavoir, quant le premier venu avoit son tour, qu'il n'oublioit pas à faire sa plainte comme dessus ; et n'estoit rien de la vie de son compaignon, s'il le povoit rencontrer. Pareillement, le dernier jour de son audience, s'efforcoit de monstrer semblant plus desplaisant que le cueur ne luy donnoit ; et ne valoit son compaignon, qui oyoit son dire, gueres mieulx que mort, s'il le trouve en belles Et la subtille et double damoiselle les cuidoit abuser de parolles, qu'elle avoit tant à main et si prestes, que ses bourdes sembloient autant véritables que l'Évangile. Et si cuidoit bien que, quelque doubte ne suspicion qu'ilz eussent, jamais la chose ne serait plus avant enfonsée, et qu'elle estoit femme pour les fournir tous deux trop mieulx que l'ung d'eulx à part n'estoit pour la seule servir à gré.
La fin fut aultre, car le dernier venu qu'elle craignoit beaucoup à perdre, quelque chose que feust de l'autre,
luy dit ung jour trop bien sa leçon. Et, de fait, luy dit qu'il n'y retournerait plus ; et aussi, ne fist-il,
de grant pièce
après : dont elle fut très
desplaisante
et mal contente. Or, ne fait pas à oublier,
affin qu'elle eust encores mieulx le feu,
il envoya vers elle ung gentil homme de son estroit conseil, affin de luy remonstrer bien au long le
desplaisir
qu'il avoit d'avoir compaignon en son
service ;
et brief et court, s'elle ne luy donne congié, qu'il n'y reviendra, jour qu'il vive.
Comme vous avez ouy dessus, elle n'eust pas voulentiers perdu son
accointance :
si, n'estoit sainct ne saincte qu'elle ne parjurast, en soy excusant de
l'entretenance
du premier ; et en fin, comme toute forcenée, dist à l'escuier :
« Et je monstreray à vostre maistre que je l'aime ; et me baillez vostre cousteau ! »
Adonc, quant elle eut le cousteau, elle se
desatourna,
et si couppa tous ses cheveulx, de ce cousteau, non pas bien uniment. Toutesfoys, l'aultre print ce présent,
qui bien scavoit la vérité du cas, et se offrit du présent faire devoir,
ainsi qu'il
fist tantost après. Le dernier venu receut ce beau présent qu'il
destroussa
et trouva les cheveulx de sa dame, qui beaux estoient et beaucoup longz ; si ne fut puis gueres aise, tant qu'il trouvast son compaignon, à qui il ne cela pas
l'ambassade
que on lui a mise sus, et à luy envoyée, et les gros presens qu'on luy envoyé, qui n'est pas peu de chose ; et lors monstra les beaux cheveulx :
« Je croy, dist-il, que je suis bien en grâce ; vous n'avez garde qu'on vous en face autant ?
- Sainct Jehan ! dist l'aultre,
vecy
aultre nouvelle ; or voy-je bien que je suis frit. C'est fait, vous avez
bruit tout seul ;
sur ma foy, je croy fermement qu'il n'en est pas encore une pareille !
Je vous requiers, dist-il, pensons qu'il est de faire ? Il lui fault monstrer
à bon escient,
que nous la congnoissons telle qu'elle est.
- Et je le vueil ! » dist l'aultre.
Tant penserent et contrepenserent, qu'ilz s'arresterent de faire ce qui s'ensuit.
Le jour ensuyvant, ou tost après, les deux compaignons se trouvèrent en une chambre ensemble, où leur loyale dame avec plusieurs autres estoit ;
chascun saisit sa place au mieulx qu'il luy pleut, le premier venu auprès de la bonne
damoiselle
à laquelle, tantost après plusieurs
devises,
il monstra les cheveux qu'elle avoit envoyez à son compaignon. Quelque chose qu'elle en pensast, elle n'en monstra nul
semblant,
ne d'effroy ; mesmes disoit qu'elle ne les congnoissoit, et qu'ilz ne venoient point d'elle.
« Comment, dist-il, sont-ilz si tost changiez et descongneu,z ?
- Je ne scay qu'ilz sont, dist-elle, mais je ne les congnois. »
Et quant il vit ce, il se pensa qu'il estoit heure de jouer son jeu ; et fist manière de mettre son
chaperon,
qui sur son espaule estoit ; et, en faisant ce tour, à propos luy fist heurter si rudement à son
atour,
qu'il l'envoya par terre, dont elle fut bien honteuse et mal contente. Et ceulx qui là estoient apperceurent bien que ses cheveulx estoient couppez, et assez
lourdement.
Elle faillit sus en haste et reprint son
atour,
et s'en entra en une aultre chambre pour se
ratourner,
et il la suyvit. Si la trouva toute courroucée et
marrie,
voire
bien fort pleurant de
deul
qu'elle avoit d'avoir este
desatournée.
Si luy demanda qu'elle avoit à pleurer, et à quel jeu elle avoit perdu ses cheveulx ? Elle ne scavoit que respondre, tant estoit à cette heure
surprinse.
Et, luy, qui ne se peut plus tenir de excecuter la conclusion prinse entre son compaignon et luy, dist :
« Faulse et desloyale que vous estes, il n'a pas tenu à vous que ung tel et moy ne nous sommes entretuez et deshonnourez.
Et je tiens, moy, que vous l'eussiez bien voulu, à ce que vous avez monstré, pour en
racointer
deux aultres nouveaulx ; mais, Dieu mercy ! nous n'en avons garde. Et, affin que vous saichiez son
cas
et le mien,
vecy
vos cheveulx, que luy avez envoyez, dont il m'a fait présent ; et ne pensez pas que nous soyons si bestes, que nous avez tenuz jusques icy. »
Lors appella son compaignon, et il vint ; puis dist :
« J'ay rendu à ceste bonne
damoiselle
ses cheveulx et luy ay commencé à dire comment, de sa grace, elle nous a bien tous deux
entretenuz ;
et,
combien que,
à sa manière de faire, elle a bien monstré qu'il ne luy
challoit,
se nous deshonnourions l'ung l'aultre, Dieu nous en a gardez.
- Sainct Jehan !
ça mon ! » dist-il.
Et lors mesmes adreça sa parolle à la gouge ; et Dieu scait s'il parla bien à elle, en luy remonstrant sa très grant lacheté et desloyaulté de cueur. Et ne pense pas que gueres oncques femme fut mieulx capitulée, qu'elle fut à l'heure, puis de l'ung, puis de l'aultre. À quoy elle ne scavoit en nulle manière que dire ne respondre, comme, surprinse en meffait évident, sinon de larmes qu'elle n'espargnoit pas. Et ne pense pas qu'elle eust gueres oncques plus de plaisir, en les entretenant tous deux, qu'elle avoit à ceste heure de desplaisir.
La conclusion fut telle toutesfois, qu'ilz ne l'abandonneront point, mais par acort doresnavant chascun aura son tour ; et, s'ilz y viennent tous deux ensemble, l'ung fera place à l'aultre et seront bons amys, comme par avant, sans plus jamais parler de tuer ne de batre. Ainsi en fut-il fait, et maintindrent assez longuement les deux compaignons ceste vie et plaisant passetemps, sans que la gouge les osast oncques desdire. Et, quant l'ung alloit à sa journée, il le disoit à l'aultre ; et, quant d'adventure l'ung eslongeoit le marchié, le lieu à l'aultre demeurait. Très bon faisoit ouyr les recommandations qu'ilz faisoient au departir ; mesmement ilz firent de très bons rondeaux, et plusieurs chansonnettes, qu'ilz manderent et envoyerent l'ung à l'aultre, dont il est aujourd'hui grant bruit, servans au propos de leur matière dessusdicte, dont je cesseray de parler, et si donneray fin au compte.
J'ay congneu en mon temps une notable femme et digne de mémoire, car les vertuz ne doivent estre celées ne estainctes, mais en commune audience publiquement blasonnées. Vous orrez, s'il vous plaist, en ceste nouvelle, la chose de quoy j'entens parler : c'est d'acroistre sa très heureuse renommée.
Ceste vaillant preude femme mariée à ung, tout, oultre nozamys, avoit plusieurs serviteurs en amours, pourchassans, et desirans sa grâce, qui n'estoit pas trop difficile de conquerre, tant estoit doulce et piteable celle qui la povoit et vouloit departir largement par tout où bon et mieulx luy sembloit.
Advint ung jour que les deux vindrent vers elle, comme ilz avoient de coustume, non saichans l'ung de l'aultre, demandans lieu de cuire et leur tour d'audience. Elle, qui pour deux ne pour trois n'eust jà reculé ne desmarchié, leur bailla jour et heure de se rendre vers elle, comme à lendemain, l'ung à huit heures du matin, et l'aultre à neuf ensuyvant, chargeant à chascun par exprès et bien acertes qu'il ne faille pas à son heure assignée. Ilz promirent sur leur foy et sur leur honneur, s'ilz n'ont mortel exsoine, qu'ilz se rendront au lieu et terme limité.
Quant vient à lendemain, environ cinq heures du matin, le mary de ceste vaillante femme se lieve et se habille, et
se met en point ;
et puis la
huche
et appelle pour se lever, mais il ne luy fut pas accordé, ains reffusé tout plainement :
« Ma foy, dist-elle, il m'est prins un tel mal de teste, que je ne me scauroye tenir en piez ; sine me pourroye encores lever, pour mourir, tant suis foible et
travaillée ;
et que vous le saichiez, je ne dormis
annuyt.
Si vous prie que me laissiez icy, et j'espoire que, quant je seray seule, je prendra ; quelque peu de repos. »
L'aultre, combien qu'il se doubtast, n'osa contredire ne répliquer, mais s'en alla, comme, il avoit de coustume, besoignier en la ville.
Tandiz sa femme ne fut pas
oyseuse
à
l'ostel,
car huit heures ne furent pas si tost sonnées, que
vecy
bon compaignon, du jour de devant
en ce point
assigné, qui vient heurter à
l'ostel ;
et elle le
bouta
dedans. Il eut tantost despouillié sa
robbe,
longue et
le surplus
de ses habillemens, et puis vint faire compaignie à
ma damoiselle,
affin qu'elle ne s'espoventast. Et furent eulx deux tant et si longuement bras à bras, qu'ilz ouyrent assez rudement heurter à
l'huys.
« Ha, dist-elle, par ma foy,
vecy
mon mary !
advancez-vous
prenez vostre
robbe !
- Vostre mary ? dist-il, et le congnoissez-vous à heurter ?
- Ouy, dist-elle, je scay bien que c'est-il.
Abregez-vous,
qu'il ne vous treuve icy !
- Il le fault bien, se c'est-il, qu'il me voye ; je ne me scauroye où saulver.
- Qu'il vous voye ? dist-elle ; non fera, se Dieu plaist, car vous seriez mort, et moy aussi ; il est trop
merveilleux !
Montez en hault, en ce petit grenier, et vous tenez tout
quoy,
sans mouvoir, qu'il ne vous
oye. »
L'aultre monta, comme elle luy dit, en ce petit grenier qui estoit d'ancien édifice, tout desplanché, deslaté et
pertuisé
en plusieurs lieux. Et
ma damoiselle,
le sentant là dessus, fait ung sault jusques à
l'huys,
très bien saichant que ce n'estoit pas son mary ; et mit dedans celuy qui avoit à neuf heures promis devers elle se rendre.
Ilz vindrent en la chambre, où pas ne furent longuement debout,
mais tout de plat s'entre-accolerent et embrasserent en la mesme ou semblable façon que celuy du grenier avoit fait ; lequel par ung
pertuis
veoit à l'oeil la compaignie, dont il n'estoit pas trop content ; et fist grant
procès
en son
couraige,
assavoir se bon estoit qu'il parlast ou se mieulx luy valoit se taire.
Il conclud toutesfoys tenir silence et nul mot dire jusques à ce qu'il verra trop mieulx son heure et
son point ;
et pensez qu'il avoit belle pacience. Tant attendit, tant regarda sa dame avec le survenu, que bon mary vint à
l'ostel,
pour savoir de l'estat et santé de sa très bonne femme : ce qu'il estoit très bien tenu de faire.
Elle l'ouyt tantost ; si n'eust aultre loisir, que de faire subit lever sa compaignie ;
et elle ne le scavoit où saulver, pource que ou grenier ne l'eust jamais envoié : et elle le fit
bouter
en la
ruelle
du lit, et puis le couvrit de ses
robbes,
et luy dist :
« Je ne vous scauroye ou mieulx logier, prenez en pacience ! »
Elle n'eut pas achevé son dire, que son mary entra dedans, qui
aucunement
si luy sembloit avoir
noise entreouye ;
si trouva le lit tout defroissié et despouillié,
la couverture mal
honnye
et d'estrange biays ; et sembloit mieulx le lit d'une espousée, que la couche d'une femme malade.
La doubte
qu'il avoit auparavant, avec l'apparence de présent, luy fist sa femme appeller par son nom, et luy dist :
« Paillarde
meschante que vous estes, je n'en pensoye pas moins
huy matin,
quant vous contrefistes la malade ! Où est vostre
houlier ?
Je voue à Dieu, si je le treuve, qu'il aura mal fine, et vous aussi. »
Et lors mist la main à la couverture, et dist :
Vecy
bel appareil ! Il semble que les pourceaulx y ayent couchié.
- Et qu'avez-vous, ce dist-elle, meschant yvroigne ? Fault-il que je
compare
le trop de vin que vostre gorge a entonné ? Est-ce la belle salutation que vous me faictes de m'appeller
paillarde ?
Je vueil bien que vous saichiez que je ne suis pas telle ; mais suis trop bonne et trop leale pour ung tel
paillard
que vous estes ;
et n'ay aultre regret, sinon de quoy je vous ay esté si bonne et si loyale, car vous ne le valez pas.
Et ne scay qui me tient que je ne me lieve et vous esgratine le visaige par telle façon, qu'à tousjours-mais ayez mémoire de m'avoir ainsi
villenée. »
Et qui me demanderait comment elle osoit en ce point respondre, et à son mary parler, je y treuve deux raisons : La première si est qu'elle avoit bon droit en sa querelle, et l'aultre, qu'elle se sentoit la plus forte en la place. Et fait assez à penser, se la chose fust venue jusques aux horions, celuy du grenier et l'aultre l'eussent servie et secourue.
Le povre mary ne scavoit que dire, qui oyoit le dyable sa femme ainsi tonner ; et, pource qu'il veoit que hault parler et fort
tencer
n'avoit pas lors son lieu, il print le
procès
tout en Dieu, qui est juste et droiturier. Et,
à chief
de sa méditacion, entre aultres parolles, il dist :
« Vous vous excusez beaucoup de ce dont je scay tout le vray ;
au fort,
il ne m'en chault pas tant qu'on pourroit bien dire ; je n'en quiers
jamais
faire
noise :
Celuy de là hault paiera tout. »
Et, par celuy d'en hault, il entendoit Dieu. Mais le
galant,
qui estoit ou grenier, qui oyoit ces parolles,
cuidoit
à bon escient
que l'aultre l'eust dit pour luy, et qu'il feust menacé de
porter la paste au four,
pour le
meffait
d'aultruy ; si respondit tout en hault :
« Comment, sire ? Il suffit bien que j'en paye la moitié ; celuy qui est en la
ruelle
du lit peut bien payer l'aultre moitié, car certainement je croy qu'il y est autant tenu que moy. »
Qui fut bien esbahy, ce fut l'aultre, car il cuidoit que Dieu parlast à luy, et celuy de la ruelle ne scavoit que penser, car il ne scavoit rien de l'aultre. Il se leva toutesfoys, et l'aultre se descendit, qui le congneut. Si se partirent ensemble et laissèrent la compaignie bien troublée et mal contente, dont il ne leur chaloit gueres et à bonne cause.
Ung gentil homme de ce royaulme, très vertueux et de grant renommée, grant voiagier et aux
armes
très preux et vaillant, devint amoureux d'une très belle et gente
damoiselle ;
et, en brief temps, fut si bien en sa grâce, que riens ne luy fut
escondit
de ce qu'il osa demander. Advint, ne scay combien après ceste aliance, que ce bon chevalier, pour mieulx valoir et honneur
acquerre,
se partit de ses
marches,
très
bien en point
et accompaigné, portant entreprinse d'armes, du congié de son maistre. Et s'en alla ès Espaignes et en divers lieux,
où il se conduisit tellement, que à son retour il fut receu à grant triumphe.
Pendant ce temps, sa dame fut mariée à ung ancien chevalier, qui gracieux et
saichant homme
estoit, qui tout son temps avoit hanté la court et estoit, au vray dire, le registre d'honneur. Et n'estoit pas ung petit dommaige,
qu'il ne fut mieulx allié, combien toutesfoys que encores n'estoit pas descouverte
l'embusche
de son infortune, si avant, ne si commune, comme elle fut
depuis,
ainsi comme vous
orrez.
Car ce bon chevalier aventureux dessusdit retourna d'accomplir ses armes.
Et, comme il passoit par le pays, il arriva d'adventure, à ung soir, au chasteau où sa dame demouroit. Et Dieu scait la bonne
chiere
que Monseigneur son mary et elle luy firent, car il y avoit
de pieça
grant
acointance
et amitié entre eulx. Mais vous debvez savoir que, tandis que le seigneur de
leans
pensoit et s'efforçoit de
faire finance
de plusieurs choses pour
festoyer
son oste, l'oste se devisoit avec celle qui fut sa dame, et s'efforçoit de trouver
manière
de la
festoyer
comme il avoit fait, avant que Monseigneur feust son mary. Elle, qui ne demandoit aultre chose, ne se excusoit en riens, sinon du lieu :
« Mais il n'est pas possible, dist-elle, de le povoir trouver ?
- Ah, dist le bon chevalier, ma chiere dame, par ma foy, si vous le voulez bien, il n'est
manière
qu'on ne treuve. Et que scaura vostre mary, quand il sera couchié et endormy, si vous me venez veoir jusques eu ma chambre ?
Ou, se mieulx vous plaist et bon vous semble, je viendray bien vers vous.
- Il ne se peut ainsi faire, ce dist-elle, car le dangier y est trop grant : car Monseigneur est de legier somme,
et jamais ne s'esveille, qu'il ne taste après moy ; et, s'il ne me trouvoit point, pensez que ce serait !
- Et
quant il s'est en ce point trouvé,
que vous fait-il ?
- Aultre chose, dist-elle : il se vire d'ung et revire d'aultre.
- Ma foy, dist-il, c'est ung très mauvais
mesnagier !
Il vous est bien venu que je suis venu pour vous secourir, et luy ayder et
parfaire
ce qui n'est pas bien en sa puissance d'achever.
- Si m'aist Dieu, dist-elle, quant il
besoigne une fois le mois, c'est au mieulx venir ;
il ne faut jà que j'en fasse la petite bouche ; croyez fermement que je prendroye bien mieulx.
- Ce n'est pas merveilles,
dist-il. Mais regardez comment nous ferons, car c'est force que je couche avec vous.
- Il n'est tour ne
manière
que je voye, dist-elle, comment il se puisse faire.
- Et comment ? dist-il : n'avez-vous point ceans femme en quoy, vous osissiez fier de luy desceler vostre
cas ?
- J'en ay, par Dieu, une dist-elle, en qui j'ay bien tant de fiance, que de luy dire la chose en ce monde, que plus vouldroye estre
celée,
sans avoir suspicion ne
doubte
que jamais par elle fut descouverte.
- Que nous fault-il donc plus ? dist-il. Regardez, vous et elle, du surplus. »
La bonne dame, qui vous avoit la chose à cueur, appella ceste
damoiselle
et luy dist :
« M'amye, c'est force
annuit
que tu me serves, et que tu me aydes à achever une des choses en ce monde, qui plus au cueur me touche.
- Ma dame, dist la
damoiselle
je suis preste et
contente
comme je dois, de vous servir et obeyr en tout ce qu'il me sera possible ;
commandez, je suis celle qui accompliray vostre commandement.
- Et je te mercye, m'amye, dist la dame, et soyes seure que tu n'y perdras rien.
Vecy
le cas : ce chevalier qui ceans est, c'est l'homme au monde que j'ayme le plus ; et ne vouldroye pour riens, qu'il se partist de moy sans
aucunement
avoir parlé à luy. Or, ne me peut-il bonnement dire ce qu'il a sur le cueur, sinon entre nous deux et à part ;
et je ne m'y puis trouver, si tu ne vas tenir ma place devers Monseigneur. Il a de coustume, comme tu scais,
de soy virer par nuyt vers moy ; et me taste ung peu, et puis me laisse et se rendort.
- Je suis
contente
de faire vostre plaisir, ma dame ; il n'est riens qu'à vostre commandement je ne feisse.
- Or bien, m'amye, dist-elle, tu te coucheras comme je fais, assez loing de Monseigneur ; et garde bien,
quelque chose qu'il face, que tu ne die ung seul mot ; et, quelque chose qu'il vouldra faire, seuffre tout.
- À vostre plaisir, ma dame, et je le feray. »
L'heure du souper vint, et n'est ja mestier de vous compter du service. Ce seullement vous souffise que on y fist très bonne chiere, et il y avoit bien de quoy. Après souper, la compaignie s'en alla à l'esbat ; le chevalier estrange tenant ma dame par le bras, et aucuns aultres gentilz hommes tenans le surplus des damoiselle de leans. Et le seigneur de l'ostel venoit derrière ; et enqueroit des voyaiges de son oste à ung ancien gentil homme qui avoit conduit le fait de sa despence en son voyaige. Ma dame n'oublya pas de dire à son amy, que une telle de ses femmes tiendra annuyt sa place et son lieu, et qu'elle viendra vers luy. Il fut très joyeux, et largement l'en mercya, desirant que l'heure feust venue. Ilz se mirent au retour et vindrent jusques en la chambre de parement, où Monseigneur donna la bonne nuyt à son oste et ma dame aussi. Et le chevalier estrange s'en vint en sa chambre, qui estoit belle à bon escient, bien mise à point ; et estoit le beau buffet garny d'espices, de confitures et de bon vin de plusieurs façons. Il se fit tantost desabillier ; et beut une fois, puis fist boire ses gens et les envoya couchier. Et demoura tout seul, attendant sa dame, laquelle estoit avec son mary, qui tous deux se despouilloient et se mettoyent en point pour entrer ou lit. La damoiselle qui estoit en la ruelle du lit, tantost que Monseigneur fut couchié, se vint mettre en la place de sa maistresse ; et, elle, qui aultre part avoit le cueur, ne fist que ung sault jusques à la chambre de celuy qui l'attendoit de pié quoy. Or est chascun logié, Monseigneur avec sa chamberiere, et son oste avec ma dame.
Et scait assez à penser qu'ilz ne passèrent pas toute la nuyt à dormir. Monseigneur, comme il avoit de
coustume, environ une heure devant jour, se resveilla, et vers sa
chamberiere,
cuidant
estre sa femme, se vira ; et, au taster qu'il fist, heurta sa main à son tetin, qu'il sentit très dur et
poignant ;
et tantost congneut que ce n'estoit point celuy de sa femme, car il n'estoit point si bien
troussé :
« Ha ! dist-il en soy-mesmes, je vois bien que c'est, et j'en
bailler
ung aultre. »
Il se vire vers cette belle fille, et, à quelque
meschief
que ce fut, il rompit une lance, mais elle le laissa faire, sans
oncques
dire ung seul mot, ne demy. Quant il eut fait, il commence à appeller tant qu'il peut celuy qui couchoit avec sa femme :
« Hau ! Monseigneur de tel lieu, où ostes-vous ? Parlez à moy ? »
L'aultre, qui se ouyt appeller, fut beaucoup
esbahy
et la dame fut toute esperdue. Et bon mary recommence
rehuchier :
« Hau ! Monseigneur mon oste, parlez à moy ? »
Et l'aultre s'adventura de respondre et dist :
« Que vous plaist-il, Monseigneur ?
- Je vous feray tousjours ce change, quant vous vouldrez.
- Quel change ? dist-il.
- D'une vieille jà toute passée et desloyale à une belle et bonne et fresche jeune fille ; ainsi m'avez-vous
party,
la vostre mercy ! »
La compaignie ne sceut que respondre ; mesmes la povre chamberiere estoit tant surprinse, que s'elle fut à la mort condamnée, tant pour le deshonneur et desplaisir de sa maistresse, comme pour le sien mesmes qu'elle avoit meschamment perdu. Le chevalier estrange se partit de sa dame au plus tost qu'il sceust, sans mercier son oste, et sans dire adieu. Et oncques puis ne s'y trouva, car il ne scait encores comme elle se conduit depuis avec son mary. Ainsi, plus avant ne vous en puis dire.
Ung très gracieux gentilhomme, désirant d'emploier son service et son temps en la très noble court d'Amours, soy sentant de dame impourveu, pour bien choisir et son temps employer, donna cueur, corps et biens a une belle damoiselle et bonne, que mieulx vault ; laquelle, faite et duite de façonner gens, l'entretint bel et bien longuement. Et trop bien luy sembloit qu'il estoit bien avant en sa grâce ; et, à dire la vérité, si estoit-il comme les aultres, dont elle avoit plusieurs.
Advint ung jour que ce bon gentil homme trouva sa dame d'adventure à la fenestre d'une chambre, ou millieu d'ung chevalier et d'ung escuier, ausquelz elle se devisoit par devises communes. Aucunes fois parloit à l'ung à part, sans ce que l'aultre en ouyst riens ; d'aultre costé, faisoit à l'aultre la pareille, pour chascun contenter, mais que fut bien à son aise. Le povre amoureux enrageoit tout vif, qui n'osoit approuchier de la compaignie. Et si n'estoit en luy d'eslongnier, tant fort désirait la présence de celle qu'il aymoit mieulx que le surplus des aultres. Trop bien luy jugeoit le cueur, que ceste assemblée ne se departiroit point, sans conclure ou procurer aucune chose à son préjudice ; dont il n'avoit pas tort de ce penser et dire. Et, s'il n'eust eu les yeux bandez et couverts, il povoit voir appertement ce dont ung aultre à qui riens ne touchoit, s'apperceust à l'oeil. Et, de fait, luy monstra et vecy comment. <
p>Quant il congneut et apperceut à la lectre que sa dame n'avoit loisir ne voulenté de l'entretenir, il se bouta sur une couche et se coucha ; mais il n'avoit garde de dormir, tant estoient ses yeulx empeschez de veoir son contraire. Et, comme il estoit en ce point, survint ung gentil chevalier qui salua la, compaignie, lequel, voiant que la damoiselle avoit sa charge, se tira devers l'escuier, qui sur la couche n'estoit pas pour dormir. Et, entre aultres devises, luy dist l'escuier :Et pensez qu'il n'estoit pas bien aise.
« Ne te chaille ! dist le chevalier ; porte ton mal le plus bel que tu peuz ; ce n'est pas icy que tu dois dire ton
couraige :
force est que tu fasses de nécessité vertuz. »
Aussi fist-il, et
vecy
bon chevalier, qui s'approuchoit de la fenestre où la
galée
estoit : si aperceut d'adventure, que le chevalier à la resne gauche se lieve en piez, et regardoit que faisoient et disoient la
damoiselle
gracieuse et l'escuier son compaignon. Si vint à luy, en luy donnant ung petit coup sur le chapeau :
« Entendez à vostre besoigne, de par le Dyable ! Ne vous soulciez des aultres. »
L'aultre se retira et commença de rire ; et la damoiselle qui n'estoit point à effrayer de legier, ne se mua oncques ; trop bien tout doulcement laissa sa prinse, sans rougir, ne changier de couleur. Regret eut-elle en soy-mesmes d'abandonner de la main ce que aultre part luy eust bien servi.
Et fait assez à croire que par avant et depuis n'avoit celuy des deulx, qui ne luy fist très voulentiers service ; aussi, eust bien fait, qui eust voulu, le dolent amoureux malade qui fut contraint d'estre notaire du plus grant desplaisir qu'au monde advenir luy pourrait, et dont la seule pensée en son povre cueur rongé estoit assez et trop puissant de le mettre en desespoir, se raison ne l'eust à ce besoing secouru : qui luy fist tout abandonner sa queste en amours, car de ceste-cy il ne pourrait ung seul bon mot à son avantaige compter.
Tandis que les aultres penseront et à leur mémoire ramèneront aucuns cas advenuz et perpétrez, habilles et suffisans d'estre adjoustez à l'histoire présente, je vous compteray, en briefz termes, en quelle façon fut deceu le plus jaloux de ce royaulme pour son temps. Je croy assez qu'il n'a pas esté seul entaiché de ce mal, mais toutesfoys, pour ce qu'il le fut oultre l'enseignes, je ne me scauroye passer sans faire scavoir le gracieux tour qu'on luy fist.
Ce bon jaloux, que je vous compte, estoit très grant historien et avoit veu et beaucoup leu et releu de diverses histoires, mais, en la fin, la principale, à quoy tendoit son exercice et toute son estude, estoit de scavoir et congnoistre les façons et manières comment femmes peuvent decepvoir leurs mariz. Car, la Dieu mercy, les histoires anciennes, comme Matheolet, Juvenal, les Quinze Joyes de mariage et aultres plusieurs dont je ne scay le compte, font mention de diverses tromperies, cautelles, abusions, et deceptions en cet estat advenues. Nostre jaloux les avoit tousjours en ses mains, et n'en estoit pas moins assoté que ung fol de sa marote ; toujours lisoit, toujours estudioit, et d'iceulx livres fist ung petit extrait pour luy, auquel estoyent comprinses, descriptes et notées plusieurs manières de tromperies, au pourchas et entreprinses de femmes, et ès personnes de leurs maris excecutées. Et ce fist-il, tendant à la fin d'estre mieulx premuny sur sa garde de sa femme, s'elle luy en bailloit point de telles comme celles qui en son livret estoient chroniquées et registrées. Qu'il ne gardast sa femme d'aussi près que ung jaloux Ytalien, si faisoit, et si n'estoit pas bien asseuré, tant estoit feru du mauldit mal de jalousie. Et, en cest estat et aise delectable, fut ce bon homme trois ou quatre ans avec sa femme, laquelle pour passetemps n'avoit aultre loisir d'estre hors de sa presence infernale, sinon allant et retournant de la messe, en la compaignie d'une vieille serpente qui d'elle avoit la charge.
Ung gentil compaignon,
ouyant
la renommée de ce
gouvernement,
vint rencontrer ung jour ceste bonne
damoiselle,
qui belle, gracieuse et amoureuse
à bon escient
estoit ; et luy dist, le plus gracieusement que
oncques
sceust, le bon vouloir qu'il avoit de luy faire
service,
plaignant et souspirant pour l'amour d'elle sa mauldicte fortune d'estre aliée au plus jaloux que terre soustienne ;
et disant, au surplus, qu'elle estoit la seule en vie pour qui plus vouldroit faire :
« Et pource que je ne vous puis pas icy dire combien je suis à vous, et plusieurs aultres choses dont j'espoire que vous ne serez que
contente,
s'il vous plaist, je les mettray par escript, et demain je vous les
bailleray,
vous suppliant que mon petit
service,
partant de bon vouloir et entier, ne soit pas refusé. »
Elle l'escouta voulentiers, mais pour la présence du
Dangier
qui trop près estoit, gueres ne respondit : toutesfoys, elle fut contente de veoir ses lettres,
quant elles viendront. L'amoureux print congié assez joyeux et à bonne cause ; et la
damoiselle,
comme elle estoit doulce et gracieuse, le congié luy donna ;
mais la vieille qui la suyvoit ne faillit point à demander quel
parlement
avoit esté entre elle et celuy qui s'en va ?
« Il m'a, dist-elle, apporté nouvelle de ma mère, dont je suis bien joyeuse, car elle est en bon
point. »
La vieille n'enquist plus avant ; si vindrent à l'ostel.
À lendemain, l'aultre, garny d'unes lettres, Dieu scait comment dictées, vint rencontrer sa dame, et tant subitement et subtillement luy bailla ces lettres, que oncques le guet de la vielle serpente n'en eust congnoissance. Ces lettres furent ouvertes par celle qui voulentiers les vit, quand elle fut à part.
Le contenu en gros estoit comment il estoit esprins de l'amour d'elle, et que jamais ung seul jour de bien n'aurait,
se temps et loisir prestez ne luy sont, pour plus avant l'en advertir,
requérant en conclusion qu'elle luy vueille de sa grâce jour et lieu convenable assigner pour ce faire.
Elle fist unes lettres, par lesquelles très gracieusement s'excusoit de vouloir entretenir en amours aultre que celuy auquel elle doit foy et loyaulté ;
neantmoins, pource qu'il est tant fort esprins d'amour à cause d'elle, qu'elle ne vouldroit pour riens qu'il n'en feust
guerdonné :
elle serait très contente d'ouyr ce qu'il veult dire, se nullement povoit ou scavoit, mais certes nenny,
tant près la tient son mary qui ne la laisse d'ung pas, sinon à l'heure de la messe, qu'elle vient à l'église, gardée et plus que gardée par la plus
pute
vieille qui jamais aultruy
destourba.
Ce gentil compaignon, tout aultrement habillé et
en point
que le jour passé, vint rencontrer sa dame, qui très bien le congneut : et, au passer qu'il fist assez près d'elle,
receut de sa main sa lettre dessusdicte. S'il avoit
faim
de veoir le contenu,
ce n'estoit pas merveilles ;
il se trouva en ung destour, où, tout à son aise et beau loisir, vit et congneut l'estat de sa besoigne,
qui luy sembloit estre en bon train. Si regarda qu'il ne luy fault que lieu pour venir au dessus et
à chief
de sa bonne entreprinse, pour laquelle achever il ne
finoit
nuyt ne jour de s'adviser et penser comment il la pourrait conduire. Si advisa d'ung bon tour qui ne fait pas à oublier ;
car il s'en vint à une sienne bonne amye, qui demouroit entre l'église où sa dame alloit à la messe et
l'ostel
d'elle ; et luy compta, sans riens
celer,
le fait de ses amours, en priant très affectueusement qu'elle à ce besoing le
voulsist
ayder et secourir :
« Ce que je pourray faire pour vous, ne pensez pas que je ne m'y emploie de très bon cueur.
- Je vous mercye, dist-il, et seriez-vous
contente
qu'elle venist ceans parler à moi ?
- Ma foy ! dist-elle, il me plaist bien.
- Or bien, dist-il, s'il est en moy de vous faire autant de
service,
pensez que j'aray
congnoissance
de ceste
courtoisie. »
Il ne fut
oncques
si aise, ne jamais ne cessa, tant qu'il eut rescript et baillé ses lettres à sa dame,
qui contenoient qu'il avoit tant fait à une telle, qu'elle estoit sa très grande amye, femme de bien, loyale et secrète,
« et qui vous ayme et congnoist bien ; qu'elle nous
baillera
sa maison pour
deviser.
Et
vecy
que j'ay advisé :
Je seray demain en la chambre d'en hault, qui descouvre sur la rue et si auray auprès de moy un grant seau d'eaue et de cendres entremeslé, dont je vous
affubleray
tout à coup que vous passerez. Et si seray en habit si
descongneu,
que vostre vieille, ne ame du monde n'aura de moy congnoissance.
Quant vous serez en ce
point
atournée,
vous ferez bien l'esbabye et vous saulverez en ceste maison ; et, pour vostre
Dangier,
manderez quérir en vostre
ostel
une aultre
robbe.
Et, tandiz qu'elle sera en chemin, nous parlerons ensemble. »
Pour abregier, ces lettres furent escriptes et baillées, et la response fut rendue par elle, qu'elle estoit contente.
Or fut venu ce jour, et la
damoiselle
affublée par son serviteur d'ung seau d'eaue et de cendre,
voire
par telle façon que son
queuvrechief,
sa
robbe
et
le surplus
de ses habillemens furent tous gastez et
percez.
Et Dieu scait qu'elle fist bien l'esbabye et de la malcontente ; et comme elle estoit ainsi
atournée,
elle
se bouta
en
l'ostel,
ignorant d'y avoir
congnoissance.
Tantost qu'elle vit la dame, elle se plaingnit de son
meschief,
et n'est pas à vous dire le
deul
qu'elle menoit de ceste adventure : maintenant plaint sa
robbe,
maintenant son
queuvrechief,
et l'aultre fois son tixu ; brief, qui l'oyoit, il sembloit que
le monde fust finé.
Et
Dangier,
sa
meschine,
qui enraigeoit
d'engaigne,
avoit en sa main un cousteau dont elle nettoyoit sa
robbe,
le mieux qu'elle scavoit :
« Nenny, nenny, m'amye, dist-elle, vous perdez vostre peine ; ce n'est pas chose à nettoyer si en haste ;
vous n'y scauriez faire aultre chose maintenant, qui
vaulsit
riens : il fault que j'aye une aultre
robbe
et ung aultre
queuvrechief,
il n'y a point d'aultre remede ; allez à
l'ostel
et les me apportez et vous
advancez
de retourner, que nous ne perdons la messe avec tout nostre mal. »
La vieille, voyant la chose estre nécessaire, n'osa desdire sa maistresse ; si print et robbe et queuvrechief soubz son manteau, et à l'ostel s'en va. Elle n'eut pas si tost tourné les talons, que sa maistresse ne fut guydée en la chambre où son serviteur estoit, qui voulentiers la vit en cotte simple et en cheveux.
Et tandiz qu'ilz
se deviseront
nous retournerons à parler de la vieille qui revint à
l'ostel,
où elle trouva son maistre qui n'attendit pas qu'elle parlast, mais demanda
incontinent :
« Et qu'avez-vous fait de ma femme ? Et où est-elle ?
- Je l'ay laissée, dist-elle, chez une telle, et en tel lieu ?
- Et à quel propos ? » dist-il.
Lors elle luy monstra
robbe et
queuvrechief,
et luy compta l'adventure de la
tyne
d'eaue et des cendres, disant qu'elle vient querir d'aultres habillemens, car,
en ce point,
sa maistresse n'osoit partir dont elle estoit :
« Est-ce cela ? dist-il. Nostre dame ! ce tour n'estoit pas en mon livre ! Allez, allez, je vois bien que c'est. »
Il eust voulentiers dit qu'il estoit coux, et croyez que si estoit-il à ceste heure ; et ne l'en sceust oncques garder livre ne brief où plusieurs fins tours estoient registrez. Et fait assez à penser qu'il retint si bien ce dernier, que oncques puis de sa mémoire ne partit ; et ne luy fut nul besoing, à ceste cause, de l'escripre, tant en eut fresche souvenance le peu de bons jours qu'il vesquit.
N'a gueres
que ung marchant de Tours, pour festoier son curé et aultres gens de bien, acheta une grosse et belle lamproye ;si l'envoya à son
ostel,
et chargea très-bien à sa femme de la
mettre à point,
ainsi qu'elle,
scavoit bien faire :
« Et faictes, dist-il, que le
disner
soit prest à
douze heures, car je ameneray nostre curé et
aucuns aultres (qu'illuy nomma).
- Tout sera prest, dist-elle, amenez qui vous vouldrez. »
Elle
mist à point
ung grant tas de beau poisson ; et, quant vint à la lamproye, elle la
souhaita
aux
Cordeliers,
à son amy, et dist en soy-mesmes :
« Ha, frère Bernard, que n'estes-vous icy ! Par ma foy, vous n'en partiriez jamais, tant que eussiez tasté de la lamproye,
ou, se mieulx vous plaisoit, vous l'emporteriez en vostre chambre ; et je ne fauldroye pas de vous y faire compaignie. »
À très-grant regret mettoit ceste bonne femme la main à ceste lamproye,
voire
pour son mary, et ne faisoit que penser comment son
cordelier
la pourrait avoir. Tant pensa et advisa qu'elle conclud de luy envoyer par une vieille qui scavoit de son secret,
ce qu'elle fist et luy manda qu'elle viendra
annuyt
soupper
et couchier avec luy.
Quant maistre
cordelier
vit cette belle lamproye et entendit la venue de sa dame, pensez qu'il fut joyeux et bien aise ; et dist à la vieille que, s'il peut
finer
de bon vin, que la lamproye ne sera pas fraudée du droit qu'elle a, puis qu'on la
mengue.
La vieille retourna de son messaige et dist sa
charge.
Environ douze heures,
vecy
nostre marchant venir, le curé et plusieurs aultres bons compaignons, pour devourer ceste lamproye, qui estoit bien hors de leur commandement.
Quand ilz furent en
l'ostel
du marchant, il les mena trestous en la cuisine, pour veoir ceste grosse lamproye, dont il les vouloit
festoyer ; et
appella sa femme, et luy dist :
« Monstrez-nous nostre lamproye ? Je vueil scavoir à ces gens si j'en euz bon marchié.
- Quelle lamproye ? dist-elle.
- La lamproye que je vous fis baillier pour nostre
disner,
avec cest aultre poisson.
- Je n'ay poinct veu de lamproye, dist-elle ; je
cuide,
moy, que vous songiez.
Vecy
une carpe, deux brochetz et je ne scay quel aultre poisson ; mais je ne veis aujourd'huy lamproye.
- Comment ! dist-il, et pensez-vous que je soye yvre ?
- Ma foy, ouy, dirent lors le curé et les aultres ; vous n'en pensiez pas aujourd'huy moins !
Vous estes ung peu trop chiche pour acheter lamproye maintenant.
- Par Dieu, dist la femme, il se
farse
de vous, ou il a songé d'une lamproye, car seurement je ne veis de cest an lamproye. »
Et bon mary, de soy courroucer, qui dist :
« Vous avez menty,
paillarde !
vous l'avez mengée ou caichée quelque part ?
Je vous promez que oncques si chiere lamproye ne fut pour vous. »
Puis, se vira vers le curé et les aultres, et jurait
la mort bieu
et ung cent de sermens, qu'il avoit baillié à sa femme une lamproye, qui luy avoit cousté ung franc.
Et, eulx, pour encores plus le tourmenter et faire enraigier, faisoient semblant de le non croire,
et tenoient termes, comme s'ilz feussent mal contens, et disoient :
« Nous estions priez de
disner
chez ung tel, et si avons tout laissié pour venir icy,
cuidant
mengier de la lamproye, mais, à ce que nous voyons, elle ne nous fera jà mal. »
L'oste, qui enraigeoit tout vif, print ung baston, et marchoit vers sa femme pour la trop bien frotter, se les aultres ne l'eussent retenu, qui l'emmenèrent à force hors de son ostel, et misdrent peine de le rapaiser le mieulx qu'ils sceurent, quand ilz le virent ainsi troublé. Puis qu'ilz eurent failly à la lamproye, le curé mist la table, et firent la meilleure chiere qu'ilz sceurent.
La bonne
damoiselle
à la lamproye manda l'une de ses voisines, qui veufve estoit, mais belle femme et
en bon point
estoit-elle, et la fist
disner
avecques elle. Et, quant elle vit
son point,
elle dist :
« Ma bonne voisine, il seroit bien en vous de me faire ung
service
et un tressingulier plaisir ; et, se tant vous vouliez faire pour moy, il vous serait tellement
desservy,
que vous en devenez estre
contente.
- Et que vous plaist-il-que je face ? dist l'aultre.
- Je vous diray, dist-elle, mon mary est si très ardant de ses
besoignes,
que c'est une grant
merveille ;
et, de fait, la nuyt passée, il m'a tellement retournée, que, par ma foy, je ne l'oseroye bonnement
annuyt
attendre. Si vous prie que vous voulez tenir ma place, et, se jamais puis
rien
faire pour vous, vous me trouverez preste de corps et de biens. »
La bonne voisine, pour luy faire plaisir et service, fut contente de tenir son lieu, dont elle fut largement et beaucoup merciée.
p>Or devez-vous scavoir que nostre marchant à la lamproye, quand vint puis le disner, il fist tres-grosse et grande garnison de bonnes verges qu'il apporta secretement en sa maison, et, aux piez de son lit, il les caicha, pensant que sa femme annuyt en sera trop bien servie. Il ne sceut faire si secrètement, que sa femme ne s'en donnast très-bien garde, qui ne s'en pensa pas moins, congnoissant assez par experience la cruaulté de son mary, lequel ne soupa pas à l'ostel, mais tarda tant dehors, qu'il pensa bien qu'il la trouvera nue et couchée. Mais il faillit à son entreprise, car, quand vint sur le soir et tart, elle fist despouillier sa voisine et couchier en sa placé, en luy chargeant expressement que elle ne respondist mot à son mary, quand il viendra, mais contreface la muette et la malade. Et si fist encores plus, car elle estaignit le feu de leans, tant en la cuisine comme en la chambre. Et, ce fait, à sa voisine chargea que tantost que son mary sera levé matin, qu'elle s'en voise en sa maison. Elle luy promist que si feroit-elle. La voisine en ce point logée et couchée, la vaillante femme s'en va aux Cordeliers, pour mengier la lamproye et gaignier les pardons, comme assez avoit de coustume.Tandiz qu'elle se
festoya
leans,
nous dirons du marchant, qui après
souper
s'en vint en
son ostel, esprins de
yre
et de
mautalent
à cause de la lamproye. Et, pour excecuter ce
qu'en son par dedans
avoit conclud, il vint saisir ses
verges
et en sa main les tint, cherchant partout de la chandelle, dont il ne sceut
oncques
recouvrer ; mesmes en la cheminée faillit à feu trouver.
Quand il vit ce, il se coucha sans dire mot, et dormit jusques sur le jour, qu'il se leva et s'habilla, et print ses
verges
et bâtit la
lieutenante
de sa femme, en telle manière,
que à peu qu'il
ne l'accraventast,
en luy
ramentevant
la lamproye, et la mist en tel point, qu'elle saingnoit de tous coustez : mesmes les draps du lit estoient tant sanglans,
qu'il sembloit que ung beuf y fust mort ; mais la povre
martire
n'osoit pas dire ung mot, ne monstrer le visaige.
Ses
verges
luy faillirent, et fut lassé ; si s'en alla hors de
son ostel.
Et la povre femme, qui s'attendoit d'estre festoyée de l'amoureux jeu et gracieux passetemps,
s'en alla tost après, en sa maison, plaindre son mal et son
martire,
non pas sans menasser et bien mauldire sa voisine.
Tandiz que le mary estoit allé dehors, revint des
Cordeliers cordeliers
sa bonne femme, qui trouva sa chambre, de
verges
toute jonchée, son lit
desrompu,
et froissié et les draps tout ensanglantez. Si congneut bien
tantost que
sa voisine avoit eu affaire de son corps, comme elle pensoit bien ;
et, sans tarder ne faire arrest, refist son lit, et d'aultres beaulx draps et frez le rempara, et sa chambre nettoya.
Après, vers sa voisine, s'en alla qu'elle trouva en piteux point ; et ne fault pas dire qu'elle ne trouvast bien à qui parler.
Au plus tost qu'elle peut,
en son ostel
s'en retourna, et de tous points se deshabilla, et ou beau lit qu'elle avoit très-bien
mis à point,
se coucha et dormit très-bien jusques à ce que son mary retourna de la ville, comme changié de son courroux,
pource qu'il s'en estoit vengié, et vint à sa femme qu'il trouva ou lit, faisant la
dormeveille :
« Et qu'est cecy,
ma damoiselle ?
dist-il : n'est-il pas temps de lever ?
- Hemy,
- dist-elle, est-il jour ? Par mon serment ! je ne vous ay pas ouy lever. J'estoye entrée en ung songe qui m'a tenue ainsi longuement.
- Je croy, dist-il, que vous songiez de la lamproye ? ne faisiez pas ? Ce ne seroit
pas trop grant merveille, car je la vous ay bien
ramenteue
à ce matin.
- Par Dieu ! dist-elle, il ne me souvenoit de vous ne de vostre lamproye.
- Comment, dist-il, l'avez-vous si tost oublié ?
- Oublié ? dist-elle : ung songe ne me arreste riens.
- Et, à ce songe, dist-il, de ceste
poingnie de
verges
que j'ay usée sur vous n'a pas deux heures ?
- Sur moy ? dist-elle.
- Voire vraiement
sur vous, dist-il. Je scay bien qu'il y
pert
largement et aux draps de nostre lit avecques.
- Par ma foy, beaulx amys, dist-elle, je ne scay que vous avez fait ou songié ; mais, quant à moy,
il me souvient très-bien qu'aujourd'huy, au matin, vous me feistes de très-bon
appetit
le jeu d'amours ; aultre chose ne scay-je ! Aussi bien, povez-vous avoir songié de m'avoir fait aultre chose,
comme vous feistes hyer de m'avoir baillié la lamproye ?
- Ce serait une estrange chose ! dit-il. Monstrez ung peu, que je vous voye. »
Elle osta et si reversa la couverture, et toute nue se monstra, sans taiche ne blesseure quelconques.
Vit aussi les draps beaulx et blans sans soullieure ne taiche. Si fut plus
esbahy
que on ne vous scauroit dire, et se print à
muser
et largement penser ; et,
en ce point,
longuement se tint. Mais toutesfoys, assez bonne
pièce
après, il dist :
« Par mon serment, m'amye, je vous cudoie à ce matin avoir très-fort batue jusques au sang, mais maintenant je voy bien qu'il n'en est rien ;
si ne scay qu'il m'est advenu.
- Dea,
dist-elle, ostez-vous hors de ceste imaginacion de baterie, car vous ne me touchastes
oncques :
vous le povez bien presentement veoir et appercevoir. Faictes vostre compte, que vous l'avez songé comme vous feistes hier de la lamproye.
- Je congnois, dist-il lors, que vous dictes vray : si vous requiers qu'il me soit pardonné,
car je scay bien que j'euz hier tort de vous dire villennie devant les estrangiers que je amenay ceans.
- Il vous est
legierement
pardonné, dist-elle, mais toutesfoys advisez bien que vous ne soyez plus si legier ne si hastif en voz affaires, comme vous avez de coustume.
- Non seray-je, dist-il, m'amye. »
Ainsi qu'avez ouy, fut le marchant par sa femme trompé, cuidant avoir songié d'avoir acheté la lamproye et fait le surplus ou compte dessus escript et racompté.
Ung gentil chevalier des marches de Hainaut, riche, puissant, vaillant, et très beau compaignon, fut amoureux d'une très belle dame assez longuement, et aussi fut tant en sa grâce, et si privé d'elle, que, toutes foys que bon luy sembloit, il se trouvoit en ung lieu de son ostel à part et destourné, où elle luy venoit faire compaignie ; et là devisoient tout à leur beau loisir. Et n'estoit ame qui sceust riens de leur très plaisant passetemps, sinon une damoiselle qui servoit ceste dame, laquelle bonne bouche très longuement porta ; et tant les servoit à gré en tous leurs affaires, qu'elle estoit digne d'ung très grant guéridon en recevoir. Elle aussi avoit tant de vertu, que non pas seulement sa maistresse avoit gaignée par le service, comme dit est, et aultrement, mais encores le mary de sa dame ne l'aymoit pas moins que sa femme, tant la trouvoit loyale, bonne et diligente.
Advint ung jour que ceste dame, sentant son serviteur le chevalier dessusdit en son chastel,
devers lequel elle ne povoit aller si tost qu'elle eust bien voulu, à cause de son mary qui l'en destournoit, dont elle estoit bien
desplaisante,
se advisa de luy mander, par la
damoiselle,
qu'il eust encores un peu de patience, et que, au plus tost qu'elle scauroit se
desarmer
de son mary, qu'elle viendrait vers luy. Ceste
damoiselle
vint devers le chevalier qui sa dame attendoit, et dist sa
charge.
Et, luy, qui gracieux estoit, la mercia beaucoup de ce messaige, et la fist seoir auprès de luy, puis la
baisa
deux ou trois fois très doulcement ; elle l'endura voulentiers : qui
bailla
couraige
au chevalier de proceder
au surplus,
dont il ne fut pas reffusé. Cela fait, elle revint à sa maistresse, et luy dist que son amy n'attent qu'elle :
« Helas, dist-elle, je scay bien qu'il est vray, mais Monseigneur ne se veult couchier. Ilz sont cy je ne scay quelz gens que je ne puis laisser.
Dieu les mauldie ! J'aymasse mieulx estre vers luy ! Il luy ennuyé bien, ne fait pas, d'estre ainsi seul ?
- Par ma foy, croyez que ouy, dist-elle, mais l'espoir de vostre venue le conforte, et attent tant plus aise.
- Je vous en croy, mais toutesfoys il est là seul, sans chandelle, et sont plus de deux heures qu'il y est ;
il ne peut estre qu'il ne soit beaucoup ennuyé. Si vous prie, m'amye, que vous retournez vers luy encores une fois pour m'excuser, et luy faictes compaignie
une piece ;
et entretant, se Dieu plaist, le Dyable emportera ces gens qui nous tiennent icy.
- Je feray ce qu'il vous plaira, ma dame, dist-elle ; mais il me semble qu'il est si
content
de vous, qu'il ne vous fault jà excuser, et aussi, si je y aloye, vous demoureriez icy toute seule de femmes,
et pourrait adoncques demander Monseigneur après moy, et on ne me scauroit où trouver.
- ne vous chaille
de cela, dist-ellé, j'en feray bien, s'il vous demande. Il me desplaist que mon amy est seul ; allez veoir qu'il fait, je vous en prie.
- Je y voys, puis qu'il vous plaist ! » dist-elle.
S'elle fut bien joyeuse de ceste ambassade, il ne le fault jà demander ; mais, pour couvrir sa voulenté,
elle en fist l'excusance et le reffus à sa maistresse. Elle fut tantost vers le chevalier attendant, qui la receut joyeusement, et elle luy dist :
« Monseigneur, ma dame m'envoye encores icy se excuser devers vous, pource que tant vous fait, attendre,
et croyez quelle en est la plus courroucée.
- Vous luy direz, dist-il, qu'elle face tout à loisir, et qu'elle ne se haste rien pour moy, car vous tiendrez son lieu. »
Lors
de rechief
la baise
et acolle, et ne la souffrit partir tant, qu'il eust besoignié deux fois, qui gueres ne luy cousterent ;
car alors il estoit frez et jeune homme et fort à cela. Ceste
damoiselle
print bien en pacience sa bonne adventure, et eust bien voulu avoir souvent une telle rencontre, sauf le préjudice de sa maistresse.
Et quant vint au partir, elle pria au chevalier, que sa maistresse n'en sceust rien.
« Vous n'avez garde ! dist-il.
- Je vous en requiers » dist-elle.
Et puis s'en vint à sa maistresse, qui demanda
tantost que
fait son amy.
« Il est là, dist-elle, et vous attent.
- Voire,
dist-elle, et est-il point mal content ?
- Nenny, dist-elle, puis qu'il a eu compaignie ; il vous scait très bon gré que vous m'y ayez envoiée ;
et, se ceste attente estoit souvent à faire, il vouldroit bien m'avoir pour
deviser
et passer temps ; et, par ma foy, je y voys voulentiers, car c'est le plus plaisant homme de jamais ;
et Dieu scait qu'il fait bon ouyr mauldire ces gens qui vous retiennent, excepté Monseigneur ; à luy ne vouldroit-il touchier.
- Sainct Jehan ! je vouldroye, dist la dame, que luy et la compaignie feussent en la rivière, et je fusse là dont vous venez. »
Tant passa le temps que Monseigneur, Dieu mercy, se deffist de ses gens, et vint en sa chambre :
si se deshabilla et se coucha, et ma dame se mist en
cotte simple,
et print son
atour
de nuyt, et ses
heures
en sa main, et commence devotement, Dieu le scait, dire ses sept Pseaulmes et patenostres ;
mais Monseigneur, qui estoit plus esveillé que ung rat, avoit
grant faim
de
deviser :
si vouloit que ma dame laissast ses oraisons jusques à demain, et qu'elle parlast à luy :
« Ha ! Monseigneur, dist-elle, pardonnez moy, je ne puis vous entretenir maintenant ; Dieu va devant, vous le scavez. Je n'auroye
meshuy
bien, ne de sepmaine, se je n'avoie dit le tant pou de
service
que je luy scay faire ; et encores,
de mal venir,
je n'euz
pieça
tant à dire que j'ay maintenant.
- Ha hày ! dist Monseigneur, vous m'affolez bien de ceste bigoterie ? Et est-ce à faire à vous de dire tant
d'heures
que vous faictes ?
Ostez, Ostez,
laissez les dire aux prestres. Ne dis-je pas bien, hau, Jehannette ? dist-il à la damoiselle dessusdicte.
- Monseigneur, dist-elle, je n'en scay que dire, sinon, puis que ma dame a de coustume de servir Dieu, qu'elle
parface.
- Ha !
dea,
dist ma dame, Monseigneur, je voy bien que vous estes avoyé de
plaidier ;
et j'ay voulenté de dire mes
heures,
et ainsi nous ne sommes pas bien tous deux d'ung accord. Si vous lairay Jehannette, qui vous entretiendra, et je m'en iray en ma chambre là derrière
tenser
à Dieu. »
Monseigneur fut
content.
Si s'en alla ma dame les
grands galoz
devers le chevalier son amy, qui la receut Dieu scait à grant
lyesse
et à grant reverence, car l'honneur qu'il luy fist n'estoit pas moindre qu'à genoulz ploiez et enclinez jusques à terre.
Mais vous devez scavoir que, tandis que ma dame achevoit ses
heures
avec son amy, Monseigneur son mary, ne scay de quoy il luy sourvint, pria Jehannette, qui
luy faisoit compaignie, d'amours,
à bon escient.
Et, pour abregier, tant fist, par promesses et par beau langaige, qu'elle fut contente d'obeyr ;
mais le pis fut que ma dame, au retour qu'elle fist de son amy, lequel l'avoit acolée deux fois
à bon escient,
avant son partir, trouva Monseigneur son mary et Jehannette, sa
chamberiere,
en tout tel ouvraige qu'elle venoit de faire, dont elle fut bien
esbahye,
et encores plus Monseigneur et Jehannette qui se trouverent ainsi surprins.
Quant ma dame vit ce, Dieu scait comment elle salua la compaignie, jà soit qu'elle eust bien cause de soy taire ; et si se print à la povre Jehannette par si très grant courroux, qu'il sembloit qu'elle eust ung dyable ou ventre, tant luy disoit de villennes parolles. Encores fist-elle pis et plus, car elle print ung grant baston et l'en chargea trop bien le doz. Voyant ce, Monseigneur, qui en fut mal content et desplaisant, se leva sur piez et bâtit tant ma dame, qu'elle ne se povoit sourdre. Et quant elle vit qu'elle avoit puissance de sa langue, Dieu scait s'elle la mist en oeuvre, mais adreçoit la plus part de ses motz venimeux sur la povre Jehannette, qui n'en peut plus souffrir. Si dist à Monseigneur le gouvernement de ma dame, et dont elle venoit à ceste heure de dire ses oraisons et avecques qui. Si fut la compaignie bien troublée, Monseigneur tout le premier qui se doubtoit assez, et ma dame qui se treuve affolée et batue, et de sa chamberiere encusée.
Le surplus de ce mesnaige bien troublé demeure en la bouche de ceulx qui le scaivent ; si n'en fault jà plus avant enquérir.
Il advint nagueres à Lisle que ung grant clerc et prescheur de l'ordre de Sainct Dominique convertit, par sa saincte et doulce prédication, la femme d'ung bouchier, par telle et si bonne façon, que elle l'aymoit plus que tout le monde ; et n'avoit jamais au cueur bien, ne en soy parfaicte lyesse, s'elle n'estoit emprès luy. Mais maistre moyne, en la parfin, s'ennuya d'elle et tant, que plus nullement n'en vouloit, et eust très bien voulu qu'elle se feust déportée de si souvent le visiter ; dont elle estoit tant mal contente que plus ne povoit : mesmes le reboutement qu'il luy faisoit, trop plus avant en son amour l'enracinoit. Damp moyne, ce voyant, lui deffendit sa chambre, et chargea très expressement à son clerc, qu'il ne la souffrist plus. S'elle fut plus que par avant mal contente, ce ne fut pas de merveilles, car elle estoit ainsi que forcenée. Et, se vous me demandez à quel propos Damp moyne ce faisoit, je vous respons que ce n'estoit pas pour dévotion ne pour voulenté qu'il eust de devenir chaste ; mais la cause estoit qu'il en avoit racointée une plus belle et plus jeune beaucoup, et plus riche, qui desjà estoit tant privée, qu'elle avoit la clef de sa chambre. Tant fist toutesfoys, que la bouchiere ne venoit pas vers luy, comme elle avoit de coustume. Si avoit trop meilleur et plus seur loisir sa dame nouvelle de venir gaingnier les pardons en sa chambre et paier la disme, comme les femmes d'Hostellerie, dont cy dessus est touchié.
Ung jour fut prins de faire bonne
chiere
à ung
disner,
en la chambre de maistre moyne, où sa dame promist de comparoir et faire apporter sa porcion, tant de vin comme de viande. Et, pource que
aucuns
de ses frères de
leans
estoient assez de son mestier,
il en invita deux ou trois tout secretement ; et Dieu scait
la grant chiere
qu'on fist à ce
disner,
qui ne se passa point sans boire d'autant. Or devez-vous scavoir que nostre bouchiere congnoissoit assez les gens de ces prescheurs,
qu'elle veoit passer devant sa maison, lesquelz portoient puis du vin, puis des pastez, et puis des tartes, et tant de choses
que merveilles.
Si ne se peut tenir de demander quelle feste on fait à
leur ostel ?
Et il luy fut respondu que ces biens sont pour ung tel, c'est assavoir son moyne, qui a gens de bien au
disner :
« Et qui sont-ilz ? dist-elle.
- Ma foy, je ne scay, dist l'autre ; je porte mon vin jusques à
l'huys
tant seulement et là vient nostre maistre, qui me descharge ; je ne scay qui y est.
- Voire,
dist-elle, c'est la secrète compaignie. Or bien allez-vous-en et les servez bien. »
Tantost après passa ung aultre serviteur, qu'elle interrogua pareillement, qui luy dist comme son compaignon, et encores plus avant, car il dist :
« Je pense qu'il y a une
damoiselle
qui ne veult pas estre veue ne congneue. »
Elle pensa tantost ce qui estoit ; si cuidoit bien enragier tant estoit mal contente, et disoit en soy-mesmes qu'elle fera le guet sus celle qui luy faisoit tort de son amy, et qui luy a baillé le bont ; et, s'elle la peut rencontrer, ce ne sera pas sans luy dire et chanter sa leçon et esgratiner le visaige. Si se mist au chemin, en intention de exécuter ce qu'elle avoit conclud.
Quant elle fut venue au lieu de siré, moult luy tardoit de rencontrer celle qu'elle hayt plus que personne ; si n'eut pas tant de constance, que d'attendre qu'elle saillist de la chambre où elle avoit faicte mainte bonne chose ; mais s'advisa de prendre une eschielle, que ung couvreur de tuille avoit laissée près de son ouvraige, tandis qu'il estoit allé disner, et elle dreça ceste eschielle à l'endroit de la cheminée de la cuisine de l'ostel, où elle vouldroit bien estre pour saluer la compaignie, car bien scavoit que aultrement n'y pourrait entrer. Ceste eschielle mise à point comme elle la voulut avoir, si monta jusques à la cheminée, à l'entour de laquelle elle lia très bien une moyenne corde qu'elle trouva d'adventure. Et, cela fait, très bien comme il luy sembloit, elle se bouta dedans le bouhot de ladicte cheminée, et se commença à descendre et ung peu avaler ; mais le pis fut qu'elle demoura en chemin, sans soy pouvoir avoir, ne monter, ne avaler, quelque peine qu'elle y mist, et ce à l'occasion de son derrière qui estoit beaucoup gros et pesant ; et aussi sa corde qui rompit, pour quoy elle ne se povoit en nulle manière remonter ne resourdre à mont. Si estoit, Dieu le scait, en merveilleux desplaisir, et ne savoit que faire ne que dire. Si s'advisa qu'elle attendrait le couvreur, et qu'elle se mettra en sa mercy, et l'apellera, quant il viendra requerre son eschielle et sa corde.
Elle fut bien trompée, car le couvreur ne vint jusques à lendemain bien matin, pource qu'il fist trop grande pluye, dont elle eut bien sa part,
car elle fut percée et baignée jusques à la peau. Quant vint sur le soir, bien tart, nostre bouchiere, estant dans la cheminée, ouyt gens
deviser
en la cuisine ; si commença à
huchier,
dont ilz furent bien esbahiz et effrayez, et ne scavoient qui les
huchoit
ne où c'estoit. Toutesfois, quelque esbahyssement ne paour qu'ilz eussent, ilz escouterent encores ung peu : si ouyrent la
voix du par avant arrière
huchier
très aigrement. Si
cuiderent
que ce fut ung esprit, et le vindrent
incontinent
annuncer à leur maistre qui estoit en dortouer ; lequel ne fut pas si vaillant de venir veoir que c'estoit, mais il mist tout à demain.
Pensez la belle pacience que ceste bonne femme avoit, qui fut tout au long de la nuyt en ceste cheminée. Et, de sa bonne adventure,
il ne pleut, long temps a, si fort, ne si bien, qu'il fist ceste nuyt.
Lendemain, assez matin, nostre couvreur de tuille revint à l'oeuvre pour recouvrer la perte que la pluye luy avoit faicte le jour devant. Il fut
esbahy
de veoir son eschielle ailleurs qu'il ne l'avoit laissée, et la cheminée lyée de la corde : si ne scavoit qui ce avoit fait, ne à quel propoz.
Puis, s'advisa d'aller quérir sa corde, et monta à mont son eschielle, et vint jusques à la cheminée, et destaicha sa corde ; et, comme Dieu voulut,
bouta
sa teste dedans le
bouhot
de la cheminée, où il vit nostre bouchiere plus simple qu'ung chat baigné : dont il fut très
esbahy :
« Et que faictes-vous icy, dame ? dist-il. Voulez-vous desrober les povres religieux ?
- Helas ! mon amy, dist-elle, par ma foy, nenny. Je vous requiers, aidez-moy à
saillir
d'icy, et je vous donneray ce que me vouldrez demander.
- Dea,
je m'en garderay bien, dist le couvreur, si je ne scay pour quoy vous y venez.
- Je le vous diray, puis qu'il vous plaist, dist-elle ; mais je vous prie, qu'il n'en soit nouvelle. »
Lors luy compta tout du long les amours d'elle et du moyne, et la cause pourquoy elle venoit là. Le couvreur, ouyant ces parolles, eut pitié d'elle ; si fist tant, à quelque peine et quelque meschief que ce feust, moyennant sa corde, qu'il la tira dehors, et la mena en bas. Et elle luy promist que, si portoit bonne bouche, qu'elle luy donnerait de la chair et de beuf et de mouton assez pour fournir son mesnaige pour toute l'année ; ce qu'elle fist. Et l'aultre tint si secret son cas, que chascun en fut adverty.
Ung gentil chevalier de Haynault, saige, subtil et très grant voyagier, après la mort de sa très bonne et saige femme, pour les biens qu'il avoit veuz et trouvez en mariaige, ne sceust passer son temps, sans soy lyer comme il avoit esté par avant. Si espousa une très belle, jeune et gente damoiselle, non pas des plus subtilles du monde ; car, à la vérité dire, elle estoit ung peu lourde en la taille, et c'estoit ce en elle qui plus plaisoit à son mary, pource qu'il espérait par ce point la mieulx duire et tourner en la façon qu'avoir la vouldroit. Il mist sa cure et son estude à la façonner, et, de fait, elle lui obeissoit et complaisoit comme il le désirait, si bien qu'il n'eust sceu mieulx demander. Et, entre aultres choses, toutes fois qu'il luy vouloit faire l'amoureux jeu, qui n'estoit pas si souvent qu'elle eust bien voulu, il luy faisoit vestir ung très beau haubergon, dont elle estoit bien esbahye ; et, de prinsault, luy demanda bien à quel propos il la faisoit armer. Et il luy respondit qu'on ne se doit point trouver à l'assault amoureux sans armes . Elle fut contente de vestir ce haubergon ; et n'avoit autre regret, sinon que Monseigneur n'avoit l'assault plus à cueur, combien que ce luy estoit assez grant peine, se aucun plaisir n'en feust ensuy. Et, se vous demandez à quel propos son seigneur ainsi la gouvernoit, je vous respons que la cause qui a ce faire le mouvoit estoit affin que ma dame ne desirast pas tant l'assault amoureux pour la peine et empeschement de ce haubergon. Mais, combien qu'il feust bien saige, il s'abusa de trop ; car, se le haubergon à chascun assault lui eust cassé et doz et ventre, si ne eust-elle pas reffusé le vestir, tant estoit doulx et plaisant ce qui s'en ensuyvoit.
Ceste manière de faire dura beaucoup, et tant que Monseigneur fut mandé pour servir son prince en la guerre,
et en aultres assaulx qui ne sont pas semblables à celuy dessusdit. Si print congié de ma dame et s'en alla où il fut mandé,
et elle demoura à
l'ostel,
en la garde et
conduite
d'ung ancien gentil homme et
d'aucunes
damoiselles
qui la servoient. Or devez-vous scavoir que en cest
l'ostel
avoit ung gentil compaignon clerc qui très-bien chantoit et jouoit de la harpe,
et avoit la charge de la despense. Et, après le
disner,
s'esbatoit voulentiers de la harpe : à quoy ma dame prenoit très-grant plaisir, et souvent se rendoit vers luy au son de la harpe.
Tant y alla et tant s'y trouva, que le clerc la pria d'amours ; et elle,
désirant de vestir son haubergon,
ne
l'escondit
pas,
ainçois
luy dist :
« Venez vers moy à telle heure et en telle chambre, et je vous feray response telle, que vous serez content. »
Elle fut beaucoup mercyée, et, à l'heure assignée, nostre clerc ne faillit pas de venir heurter à la chambre où ma dame luy avoit dit, laquelle l'attendoit de pié quoy, le beau haubergon en son dos. Elle ouvrit la chambre, et le clerc la vit armée, si cuida que ce fust aucun qui fust embusché leans pour luy faire quelque desplaisir ; et, à ceste occasion, il fut si très subitement feru et espoventé, que, de la grant paour que il en eut, il cheut à la renverse, par telle manière, qu'il descompta ne scay quans degrez si très roidement, qu'à peu qu'il ne se rompit le col. Mais toutesfoys il n'eut garde, tant bien luy ayda Dieu et sa bonne querelle.
Ma dame, qui le vit en ce dangier, fut très
desplaisante
et mal contente, si vint en bas et luy ayda à
sourdre,
et luy demanda dont luy venoit ce paour. Et il la luy compta, et dist que vraiement il cuydoit estre
deceu.
« Vous n'avez garde, dist-elle : je ne suis pas armée pour vous faire mal. »
Et, en ce disant, monterent arriere les degrez, et entrerent en la chambre.
« Madame, dist le clerc, je vous requiers, dictes-moy, s'il vous plaist, qui vous meut de vestir ce
haubergon ? »
Et, elle, comme ung peu faisant la honteuse, luy respondist :
« Et vous le scavez bien !
- Par ma foy, saulve vostre grace, ma dame, dist-il, se je le sceusse, je ne le demandisse pas.
- Monseigneur, dist-elle, quant il me veult
baisier
et parler d'amours, il me fait
en ce point
habiller, et je scay bien que vous venez icy à ceste cause ; et, pour ce, je me suis mise
en ce point.
- Ma dame, dist-il, vous avez raison ; et aussi vous me faictes souvenir que c'est la maniere des chevaliers
d'en ce point
faire habiller leurs dames. Mais les clercs ont toute autre manière de faire, qui à mon advis est trop plus belle et plus aisée.
- Et quelle est-elle ? dist la dame : monstrez-la moy ?
- Et je la vous monstreray ! » dist-il.
Lors la fit despouiller de son
haubergon
et du
surplus
de ses habillemens jusques à la belle chemise, et luy pareillement se deshabilla et se despouilla,
et se misdrent dedans le beau lit paré qui là estoit ; et puis
se desarmerent
de leurs chemises et passerent temps deux ou trois heures bien plaisamment. Et, avant le departir,
le gentil clerc monstra bien à madame la coustume des clercs, laquelle beaucoup loua et prisa trop plus que celle des chevaliers.
Assez et souvent depuis se rencontrèrent en la façon dessusdicte, sans qu'il en fust nouvelle ; quoy que ma dame fust peu subtille.
À certain temps après, Monseigneur retourna de la guerre ; dont ma dame ne fut pas trop joyeuse
en son par dedans,
quelque
semblant
qu'elle monstra au par dehors. Et vint à l'heure de
disner ;
et, pource que on scavoit sa venue, il fut servy, Dieu scait comment. Ce
disner
se passa ; et, quant vint à dire grâces, Monseigneur se mist à son renc, et ma dame print son quartier.
tantost que
graces furent achevées et dictes, Monseigneur, pour faire du
mesnagier
et du gentil compaignon, dist à ma dame :
« Allez tost en vostre chambre et vestez vostre
haubergon ? »
Et elle,
se recordant
du bon temps qu'elle avoit eu avec son clerc, respondit tout subit :
« La coustume des clercs vault myeulx.
- La coustume des clercs ! dist-il. Et scavez-vous leur coustume ? »
Si commença à soy
fumer,
et couleur changier, et se doubta de ce qui estoit vray, combien qu'il n'en sceut
oncques
rien, car il fut tout à coup mis hors de son
doubte.
Ma dame ne fut pas si beste, qu'elle n'apperceust bien que Monseigneur n'estoit pas content de ce qu'elle avoit dit ; si s'advisa de changier
le vers,
et dist :
« Monseigneur, je vous ay dit que la coustume des clercs vault mieuLx ; et encores le dis-je.
- Et quelle est-elle ? dist-il.
- Ilz boivent après graces, dist-elle.
- Voire dea,
dist-il, sainct Jehan ! Vous dictes vray, c'est leur coustume vraiement, qui n'est pas mauvaise, et,
pource que vous la prisez tant, nous la tiendrons doresenavant. »
Si fist apporter du vin et beurent, et puis ma dame alla vestir son haubergon, dont elle se feust bien passé, car le gentil clerc luy avoit monstré aultre façon de faire qui trop mieulx luy plaisoit.
Comme vous avez ouy, fut Monseigneur, par ma dame, en sa response abusé. Ainsi fault dire que le sens subit qui luy vint en mémoire à ceste fois luy descendit de la vertu du clerc, qui depuis luy monstra la façon d'aultres tours : dont Monseigneur en la parfin en demoura nozamys.
L'an cinquantedernier passé, le clerc d'ung villaige du diocèse de Noyon, pour impetrer et gaignier les pardons qui furent à Romme, qui sont telz que chascun scait, se mist à chemin, en la compaignie de plusieurs gens de bien de Noyon, de Compiengne et des lieux voisins. Mais, avant son partement, disposa bien et seurement de ses besoingnes ; premièrement de sa femme et de son mesnaige, et le fait de sa coustrerie recommanda à ung jeune et gentil clerc, pour la desservir jusques à son retour.
En assez briefve
espace de temps,
luy et sa compaignie vindrent arriver à Romme, et feirent chascun leur devocion et pellerinaige le moins mal qu'ilz sceurent ;
mais vous debvez scavoir que nostre clerc trouva d'adventure à Romme ung de ses compaignons d'escole du temps passé,
qui estoit ou
service
d'ung gros cardinal, et en grant auctorité, qui fut très joyeux de l'avoir trouvé pour
l'accointance
qu'il avoit à luy, et luy demanda de son estat. Et l'aultre luy compta
tout du long,
tout premier
comment il estoit, helas ! marié, son nombre d'enfans, et comment aussi il estoit clerc d'une paroisse.
« Ha ! dist son compaignon, par mon serment ! il me desplaist bien que vous estes marié.
- Pourquoy ? dist l'aultre.
- Je vous diray, dist-il ; ung tel cardinal m'a chargié expressément que je lui treuve ung serviteur pour estre son
notaire,
qui soit de nostre
marche ;
et croyez que ce serait trop bien vostre fait, pour estre tost et largement pourveu, se ce ne fust vostre mariaige qui vous fera
rapatrier,
et, comme j'espoire, plus grans biens perdre, que vous n'y aurez.
- Par ma foy, dist le clerc, mon mariaige n'y fait rien, mon compaignon, car, à vous dire la vérité, je me suis party de nostre pays
soubz umbre
du pardon qui est à présent. Mais croyez que ce n'a pas esté ma principale intention, car j'ay conclud d'aller
jouer
deux ou trois ans par pays ; et ce pendant, se Dieu vouloit prendre ma femme, jamais je ne fuz si heureux.
Et pourtant je vous requiers et prie que vous songiez de moy et soyez mon
moyen
vers ce cardinal, que je le serve ; et, par ma foy, je feray tant, que vous n'aurez jà reprouche pour moy ;
et, se ainsi le faictes, vous me fairez le plus grant
service
que jamais compaignon fist a aultre.
- Puis que vous avez ceste voulenté, dist son compaignon, je vous serviray a ceste heure, et vous logeray pour avoir bon temps, se à vous ne tient.
- Et, mon amy, je vous mercye, » dist l'aultre.
Pour abregier, nostre clerc fut logié avec ce cardinal, laquelle chose il manda a sa femme,
et son intention, que n'est pas de retourner par delà si tost qu'il luy avoit dit au partir. Elle
se conforta,
et luy rescripvit qu'elle fera du mieulx qu'elle pourra.
Ou
service
de ce cardinal se maintint et conduisit gentement nostre bon clerc,
et fist tant que en peu de temps il gaingna de l'argent avec son maistre, lequel n'avoit pas peu de regret qu'il n'estoit
habille
à tenir bénéfices, car largement l'en eust pourveu.
Pendant le temps que nostredit clerc estoit ainsi en grâce, comme dit est, le curé de son villaige alla de vie à trespas,
et ainsi vaqua son bénéfice qui estoit ou
moys du pape,
dont le
coustre,
tenant le lieu de son compaignon estant à Romme, se pensa qu'au plus tost qu'il pourrait, qu'il courrait à Romme et ferait tant,
à l'ayde de son compaignon, qu'il auroit ceste cure. Il ne dormit pas, car, en peu de jours, après, maintes peines et
travaulx,
tant fist, qu'il se trouva à Romme, et n'eut
oncques
bien, tant qu'il eut trouvé son compaignon, lequel servoit ung cardinal. Après grosses
recongnoissances
d'ung
cousté
et d'aultre, le clerc
demande de sa femme,
et l'aultre luy
cuidant
faire ung singulier plaisir, et affin aussi que la besoingne, dont il le veult requerir
aucunement,
en vaille mieulx, luy respondit qu'elle estoit morte ; dont il mentoit, car je tiens qu'à ceste heure elle scauroit bien
tencier son mary :
« Dictes-vous donc que ma femme est morte ? dist le clerc ; et je prie à Dieu qu'il luy pardonne ses péchiez.
- Ouy vraiement, dist l'aultre, la
pestilence
de l'année passée, avecques aultres plusieurs, l'emporta. »
Or, faignit-il ceste
bourde,
qui
depuis
luy fut
chier vendue,
pource qu'il scavoit que le clerc n'estoit party de son pays, qu'à l'intencion de sa femme qui estoit trop peu paisible,
et que plus plaisantes nouvelles d'elle ne luy pourrait-on apporter que de sa mort.
Et, à la vérité, ainsi en estoit-il, mais le rapport fut faulx.
« Et qui vous amainé
en ce pays ? dist le clerc, après plusieurs et diverses parolles.
- Je le vous diray, mon compaignon et mon amy. Il est vray que le curé de nostre ville est trespassé ; si viens vers vous, affin que, par vostre
moyen,
je puisse
parvenir à son bénéfice.
Si vous prie, tant que plus ne puis, que me vueillez aider à ce besoing. Je scay bien qu'il est en vous de le me faire avoir,
à l'ayde de Monseigneur vostre maistre. »
Le clerc, pensant sa femme estre morte et la cure de sa ville vaquer, conclud en soy-mesmes que il happera ce benefice pour luy, et d'aultres encores, s'il y peut parvenir. Mais toutesfoys il ne le dist pas à son compaignon ; ainçois luy dit qu'il ne tiendra pas en luy qu'il ne soit curé de leur ville : dont il fut beaucoup mercié.
Tout aultrement en alla, car à lendemain nostre saint-pere, à la requeste du cardinal maistre de nostre clerc, luy donna ceste cure.
Si vint ce clerc à son compaignon, quand il sceut ces nouvelles et luy dist :
« Ha ! mon compaignon, vostre fait est rompu, dont me desplaist bien.
- Et comment ? dist l'aultre.
- La cure de nostre ville est donnée, dist-il, mais je ne scay à qui. Monseigneur mon maistre vous a
cuidé
ayder, mais il n'a pas esté en sa puissance de faire vostre fait. »
Qui fut bien mal content, ce fut celuy qui estoit venu de si loing perdre sa peine et despendre son argent, et dont ce ne fut pas dommaige. Si print congié piteusement de son compaignon et s'en retourna en son pays, sans soy vanter de la bourde qu'il a semée.
Or, retournons à nostre clerc, qui estoit plus gay que une mittaine de la mort de sa femme, et de la cure de leur ville, que nostre sainct-pere le pape, à la requeste de son maistre, luy avoit donnée pour recompense. Et disons comment il devint prestre à Romme, et y chanta sa bien devote premiere messe, et print congié de son maistre, pour une espace de temps à venir par deçà à leur ville prendre la possession de sa cure.
À ceste entrée qu'il fist à leur ville, de son bonheur la première personne qu'il rencontra, ce fut sa femme, dont il fut bien
esbahy,
je vous en asseure, et encores beaucoup plus courroucé :
« Et qu'est-cecy, dist-il, m'amye ! Et on m'avoit dit que vous estiez trespassée ?
- Je m'en suis bien gardée, dist-elle ; vous le dictes, ce croy-je, pource que l'eussiez bien voulu ;
et vous l'avez bien monstré, qui m'avez laissée l'espace de cinq ans,
à-tout
ung grant tas de petis enfans.
- M'amye, dist-il, je suis bien joieux de vous veoir en bon
point,
et en loue Dieu de tout mon cueur ; maudit soit celuy qui m'en raporta aultres nouvelles !
- Ainsi soit-il, dist-elle.
- Or je vous diray, m'amie, je ne puis arrester pour maintenant.
Force est que je m'en aille hastivement devers Monseigneur de Noyon, pour une besoingne qui luy touche, mais, au plus
brief
que je pourray, je retourneray. »
Il se partit de sa femme et prent son chemin devers Noyon, mais Dieu scait s'il pensa en chemin à son povre fait :
« Helas ! dist-il, or suis-je homme deffait et deshonnouré : prestre, clerc et marié tout ensemble ;
je croy que je suis le premier maleureux de cest estat. »
Il vint devers Monseigneur de Noyon, qui fut bien
esbahy
d'ouyr son cas ; et ne le sceut conseiller et l'envoya à Romme.
Quand il fut venu, il compta à son maistre,
tout du long et du lé,
la vérité de son adventure : qui en fut très amerement
desplaisant.
À lendemain il compta à nostre sainct-pere, en la presence du
colliege
des cardinaux et de tout le
conseil
l'adventure de son homme qu'il avoit fait curé. Si fut ordonné qu'il demourera prestre et marié et curé aussi.
Et demoura avec sa femme, en la façon que ung homme marié honnourablement et sans reprouche demeure, et seront ses enfans légitimez et non bastars,
jà soit ce que
le pere soit prestre. Mais, au
surplus, s'il est sceu ne trouvé qu'il aille aultre part que à sa femme,
il perdra son bénéfice.
Ainsi qu'avez ouy fut ce povre clerc pugny par la façon que dist est et par le faulx donner à entendre de son compaignon ; et fut content de venir demourer à son bénéfice ; et, qui plus est et pis, demourer avec sa femme, dont il se fust bien passé, se l'Église ne l'eust ordonné.
N'a gueres que ung bon homme, laboureur et marchant, et tenant sa résidence en ung bon villaige de la chastellenie de Lille, trouva la façon et maniere, au pourchas de ]uy et de ses bon amys, d'avoir a femme une très belle jeune fille qui n'estoit pas des plus riches ; et aussi n'estoit son mary, mais estoit homme de grant diligence, et qui fort tirait d'acquérir et gaingnier. Et elle, d'aultre part, mettoit peine d'accroistre le mesnaige, selon le désir de son mary, qui à ceste cause l'avoit beaucoup en grace, lequel, a moins de regret, alloit souvent cà et là ès affaires de ses marchandises, sans avoir doubte ne suspicion qu'elle fist aultre chose que bien. Mais le povre homme, sus ceste fiance, l'abandonna et tant la laissa seule, que ung gentil compaignon s'approucha d'elle, qui, pour abregier, fist tant à peu de jours, qu'il fut son lieutenant, dont gueres ne se doubtoit celuy qui cuidoit avoir du monde la meilleure femme, et qui plus pensoit à l'accroissement de son honneur et de sa chevance. Ainsi n'estoit pas, car elle abandonna tost l'amour qu'elle luy devoit, et ne luy chailloit du prouffit ne du dommaige ; ce seulement luy suffisoit, qu'elle se trouvast avec son amy : dont il advint ung jour ce qui s'ensuyt.
Nostre bon marchant dessusdit estant dehors, comme il avoit de coustume, sa femme le fist tantost savoir à son amy,
qui n'eust pas voulentiers failly en son mandement, mais y vint tout
incontinent.
Et, affin qu'il ne perdist temps, au plustost qu'il sceust, s'approucha de sa dame, et luy mist en termes plusieurs et divers propos ;
et, pour conclusion, le desiré plaisir ne luy fut pas
escondit,
non plus que ès aultres dont le nombre n'estoit pas petit.
De mal venir,
et pour une partie et pour l'aultre, tout à ceste belle heure que
ces armes
se faisoient,
vecy
bon mary d'arriver, qui treuve la compaignie en besoingne, dont il fut bien
esbahy,
car il n'eust pas pensé que sa femme feust telle :
« Qu'est-ce cy ? dist-il. Par
la mort bieu !
je vous tueray tout
roide ! »
Et l'aultre, qui se treuve surprins et
en meffait présent
achopé,
ne scavoit
sa contenance ;
mais, pource qu'il le sentoit
diseteux
et fort convoiteux, et luy dist tout subit :
« Ha Jehan, mon amy, je vous
crye mercy !
Pardonnez moy, se je vous ay
riens
meffait,
et, par ma foy, je vous donneray six
rasiers
de blé.
- Par Dieu, dist-il, je n'en feray rien, vous passerez par mes mains, et auray la vie de vostre corps, se je n'en ay douze,
rasiers. »
Et la bonne femme, qui
ouyoit
ce debat, pour y mettre le bien comme elle y estoit tenue, se advança de parler et dist à son mary :
« Et Jehan, beau sire, je vous requiers, laissez-le achever ce qu'il a commencé, et vous en aurez huit
rasiers.
N'aura pas ?
dist-elle, en se virant devers son amy.
- J'en suis
content,
dist-il, mais, par ma foy, à ce que le blé est chier, c'est trop.
- Est-ce trop ? dist le vaillant homme ; et, par
la mort bieu,
je me repens bien que
je n'ay dit plus hault,
car vous avez forfait une amende ; s'elle venoit à la
congnoissance
de la justice, elle vous seroit beaucoup plus hault tauxée ; pourtant faictes vostre compte, que j'en auray douze
rasiers,
ou vous passerez par là.
- Et vrayement, dist sa femme, Jehan, vous avez tort de me desdire ? Il me semble que vous devez, estre
content à
ces huit
rasiers,
et pensez que c'est ung grant tas de blé.
- Ne m'en parlez plus ! dist-il : j'en auray douze
rasiers,
ou je le tueray et vous aussi.
- Ha
dea,
dist le compaignon, vous estes ung fort marchant ; et, au moins, puis qu'il faut que vous ayez tout à vostre dit, j'auray terme de payer ?
- Cela veulz-je bien, dist-il, mais j'auray mes douze
rasiers. »
La noise
s'appaisa ; si fut prins jour de payer à deux termes, lès huit
rasiers
à lendemain, et le
surplus
à la Sainct Remy prouchainement venant, par tel
convenant
qu'il leur laissa achever ce qu'ilz avoient encommencé. Ainsi se partit ce vaillant homme de sa maison, joyeux en son
couraige,
pour ces douze
rasiers
de blé qu'il doit avoir. Et sa femme et son amy recommencerent de plus belle.
Du payer, c'est à l'adventure, combien toutesfoys qu'il me fut dit depuis que le blé fut payé au jour et terme dessusdit.
Comme il est largement aujourd'huy de prestres et curez, qui sont si gentilz compaignons, que nulles des follies que font les gens laiz ne leur sont impossibles ne difficiles, avoit, n'a gueres, en ung bon villaige de Picardie, ung maistre curé qui faisoit raige de aymer par amours. Et, entre les aultres femmes et belles filles, il choisit et chercha une très belle jeune et gente fille à marier ; et ne fut pas si peu hardy, qu'il ne luy comptast tout du long son cas.
De fait, son bel et asseuré langaige, cent mille promesses et autant de
bourdes
là menèrent à ce qu'elle estoit comme contente d'obeyr à ce curé ; qui n'eust pas esté pour luy ung petit dommaige, tant estoit belle, gente et de
plaisans manières ;
et n'avoit en elle que une faulte, c'estoit qu'elle n'estoit pas des plus subtilles du monde.
Toutesfoys, je ne scay dont luy vint cest advis, ne maniere de respondre ; elle dist ung jour à son curé, qui chauldement poursuivoit la
besoigne,
qu'elle n'estoit pas conseillée de faire ce qu'il requeroit, tant qu'elle feust mariée ; car, se d'aventure, comme il advient chascun jour,
elle faisoit ung enfant, elle serait à
toujours-mais
deshonnourée et reprouchée de son pere, de sa mere, de ses freres, et de tout son lignaige ; laquelle chose elle ne pourrait pour rien souffrir,
et n'a pas cueur de soustenir le
desplaisir
que porter luy fauldroit à ceste occasion :
« Et pourtant, hors de ce propos, si je suis quelque jour mariée, parlez à moy et je feray ce que je pourray pour vous et non aultrement,
je lé vous dis une foys pour toutes. »
Monseigneur le curé ne fut pas trop joyeux de ceste responce absolue ; et ne scait penser de quel
couraige,
ne à quel propos elle dist ces parolles ; toutesfoys, luy, qui estoit prins au
las
d'amour et
feru bien
à bon escient,
ne veult pas pourtant sa queste abandonner ; si dist à sa dame :
« Or çà, m'amye, estes-vous en ce
fermée et
conclue de riens ne faire pour moy, si vous n'estes mariée ?
- Certes ouy, dist-elle.
- Et se vous estiez mariée, dist-il, et j'en estoye le
moyen
et la cause, en auriez-vous après
congnoissance,
en me tenant loyaulment et, sans faulser, ce que m'avez promis ?
- Par ma foy, dist-elle, ouy, et
de rechief
le vous prometz.
- Or bien grant mercy, dist-il ; faictes bonne
chiere,
car je vous prometz seurement qu'il ne demourera pas à mon
pourchaz
ne à ma
chevance,
que vous ne le soyez, et
de brief,
car je suis seur que vous ne le desirez pas tant comme je fais ; et,
affin que vous voyez à l'oeil que je suis celuy qui vouldroye emploier et corps et biens en vostre
service,
vous verrez comment je me conduiray en ceste
besoigne.
- Or bien, dist-elle, monseigneur le curé, l'on verra comment vous ferez. »
Sur ce, fist la
departie ;
et bon curé, qui avoit le feu d'amours, ne fut depuis gueres aise, tant qu'il eust trouvé le pere de sa dame.
Et se mist en langaige avec luy de plusieurs et diverses matieres ; et, en la fin,
il vint à parler de sa fille, et luy va dire bon curé :
« Mon voisin,
je me donne grant merveille,
aussi font plusieurs voz voisins et amys, que vous ne mariez vostre fille ;
et à quel propos la tenez-vous tant d'emprès vous, et si scavez toutesfoys que la garde est perilleuse ?
Non pas, Dieu m'en vueille garder, que je dye ou vueille dire qu'elle ne soit toute bonne : mais vous en voyez tous les jours
mesvenir,
puis qu'on les tient oultre le terme deu. Pardonnez-moy toutesfoys que si feablement vous ouvre et descouvre mon
couraige ;
car l'amour que je vous porte, la foy aussi que je vous dois, en tant que je suis vostre pasteur indigne, me
semonnent
et obligent de ce faire.
- Par Dieu, monseigneur le curé, dist le bon homme, vous ne me dictes chose que je ne congnoisse estre vraie ;
et, tant que je puis, vous en mercye ; et ne pensez pas que, se je la tiens si longuement avec moy, c'est à regret ;
car quant son bien viendra, par ma foy, je me travailleray pour elle ayder comme je dois. Vous ne voulez pas (aussi, n'est-ce pas la coustume),
que je luy pourchasse ung mary ; mais, s'il en vient ung qui soit homme de bien, je feray comme un bon pere doit faire.
- Vous dictes très bien, dist le curé, et par ma foy, vous ne povez mieulx faire que de vous en
despeschier,
car c'est grant chose de veoir ses enfans aliez en la pleine vie. Et que diriez-vous d'ung tel, le filz d'ung tel vostre voisin ?
Par ma foy, il me semble bon homme, bon
mesnaigier
et ung grant
laboureur.
- Saint Jehan ! dist le bon homme, je n'en dis que tout bien ; quant à moy, je le congnois pour ung bon jeune homme et ung bon
laboureur.
Son père et sa mère et tous ses parens sont gens de bien ; et quant ilz feroient cest honneur à ma fille de la requerir à mariaige pour luy,
je leur respondroye tellement qu'ilz devroyent estre contens par raison.
- Ainsi
m'aïst
Dieu ! dist le curé, on ne peut jamais mieulx ; et pleust à Dieu, que la chose en feust ores bien faicte,
ainsi que
je le désire ; et, pource que je scay à la vérité que ceste aliance serait le bien des parties, je m'y vueil employer ; et, sur ce, adieu vous dis. »
Se ce maistre curé avoit bien fait son personnaige au père de sa dame, il ne le fist pas plus mal au père du jeune homme ;
et luy va faire un grant
premise,
que son filz estoit en aage de marier, et qu'il le deust
pieça
estre ; et cent mille raisons luy
amaine,
par lesquelles il dist et veult conclure que le monde est perdu, se son filz n'est hastivement marié :
« Monseigneur le curé, ce dist le second bon homme, je scay que vous dictes au plus près de mon
couraige ;
et, en ma conscience, se je
feusse aussi bien à l'avant,
comme j'ay esté puis ne scay
quans
ans, il ne feust pas à marier ; car c'est une des choses en ce monde que plus je désire, mais faulte d'argent l'en a retardé,
et c'est force qu'il ait pacience jusques à ce que Nostre Seineur nous envoye plus de bien que encores n'avons.
- Ha
dea,
dist le curé, je vous entens bien, il ne vous fault que de l'argent.
- Par ma foy, non, dist-il. Se j'en eusse comme autrefois j'ay eu, je luy querroye tantost femme.
- J'ay regardé en moy, dist le curé, pource que je vouldroye le bien et advancement de vostre filz, que la fille d'ung tel seroit trop bien
sa charge ;
elle est bonne fille, et a son père très bien de quoy, et tant en scay-je qu'il la veult très bien ayder ; et, qui n'est pas peu de chose,
c'est ung saige homme, et de bon conseil, et bon amy, et à qui vous et vostre filz aurez grant recours et très bon secours. Qu'en dictes-vous ?
- Certainement, dist le bon homme ; pleust à Dieu que mon filz feust si eureux que d'avoir aliance en si bon
ostel !
Et croyez que, se je sentoye en aucune façon qu'il y peust parvenir, et je feusse fourny d'argent aussi bien que je ne suis mie pour l'heure,
je y emploiroye tous mes amys, car je scay tout de vray qu'il ne pourroye en ceste
marche
mieulx trouver.
- Je n'ay pas donc, dist le curé, mal choisy. Et que diriez-vous se je parloye au pere de ceste
besoigne,
et je la conduisoye tellement qu'elle sortist à effect, ainsi que la chose le requiert, et vous faisoye encores, avec ce, le plaisir de vous prester
vingt frans
jusques à ung terme que nous adviserons ?
- Par ma foy, monseigneur le curé, vous me offrez mieulx que je ne vaulx, ne que en moy n'est de
desservir.
Mais, s'ainsi le faictes, vous me obligerez a tousjoursmés a vostre
service.
- Et vraiement, dist le curé, je ne vous ay dit chose que je ne face ; et faictes bonne
chiere,
car j'espère, comme je croy bien, ceste
besoigne
mener à fin.
Pour abregier, maistre curé, espérant de jouyr de sa dame, quant elle seroit mariée, conduisoit les
besoignes
en tel estat, que, par le moyen des
vingt frans
qu'il presta, ce mariage fut fait et passé, et vint le jour des nopces.
Or est-il de coustume que l'espousé et l'espousée se confessent à tel jour. Si vint l'espousé
premier,
et se confessa à ce curé ; et quant il eut fait, il se tira ung peu arrière de luy, disant ses oraisons et patenostres. Et
vecy
l'espousée qui se met à genoulx devant le curé et se confesse. Quant elle eut tout dit, il parla
voire
si hault, que l'espousé, lequel n'estoit pas loing, l'entendit tout du long, et dist :
« M'amye, je vous prie qu'il vous souvienne maintenant, car il est heure, de la promesse que me feistes nagueres ;
vous me promistes que quant vous seriez mariée, que je vous chevaulcheroye ; or l'estes-vous, Dieu mercy, par mon moyen et
pourchas,
et moyennant mon argent que j'ay presté.
- Monseigneur le curé, dist-elle, je vous tiendray ce que je vous ay promis, se Dieu plaist, n'en faictes nul
doubte.
- Je vous en mercie, » dist le curé.
Puis, luy bailla l'absolution, après ceste devote confession, et la laissa aller. Mais l'espousé, qui avoit ouy ces parolles, n'estoit pas bien à son aise. Toutesfoys, il n'estoit pas heure de faire le couroucié. Après que toutes les solemnités de l'église furent passées, et que tout fut retourné à l'ostel, et que l'heure de coucher aprouchoit, l'espousé vint à ung sien compaignon qu'il avoit, et luy pria très bien qu'il luy fist garnison d'une grosse poingnée de verges, et qu'il la mist secretement soubz le chevet de son lit.
Quant il fut heure, l'espousée fut couchée, comme il est de coustume, et tint le coing du lit, sans mot dire.
L'espousé vint assez tost après et se met à l'aultre bort du lit, sans l'approucher, ne mot dire ;
et à lendemain se lieve sans aultre chose faire, et cache ses
verges
dessoubz son lit. Quant il fut hors de la chambre,
vecy
bonnes matrones qui viennent, et ne fut pas sans demander comment s'est portée la nuyt, et qu'il luy semble de son mary :
« Ma foy, dist-elle, vela sa place, là loing (monstrant le bort du lit), et
vecy
la mienne ; il ne me approucha
annuyt
de plus près et aussi n'ay-je luy. »
Elles furent bien esbabyes et y penserent plus les unes que les aultres ; toutesfoys elles s'accorderent à ce qu'il l'a laissée par
devocion,
et n'en fut plus parlé pour ceste foiz. La seconde nuytée vint, et se coucha l'espousée en sa place du jour de devant,
et le mary arrière en la sienne, fourny de ses
verges
et ne luy fist aultre chose : dont elle n'estoit pas contente.
Et ne faillit pas à lendemain à le dire à ses matrones, lesquelles ne scavoient que penser. Les
aulcunes dient :
« J'espoire qu'il n'est pas homme ; si le fault esprouver, car jusques à la quatriesme nuyt il a continué ceste
manière.
Si fault dire qu'il y a à dire en son fait ;
pourtant, se, la nuyt qui vient, il ne vous fait aultre chose, dirent-elles à l'espousée, tirez-vous vers luy, si l'accolez et
baisez,
et luy demandez se on ne fait aultre chose en mariaige. Et, s'il vous demande quelle chose vous voulez qu'il vous fasse,
dictes-luy que vous voulez qu'il vous chevauche, et vous
orrez
qu'il vous dira.
- Je le feray, » dist-elle.
Elle ne faillit pas ; car, quant elle fut couchée en sa place de tousjours,
le mary reprint son quartier et ne s'advançoit aultrement qu'il avoit fait les nuytz passées.
Si se vira tost devers luy et le prent à bons bras de corps et luy commença à dire :
« Venez çà, mon mary ! Est-ce la bonne
chiere
que vous me faictes ?
Vecy
la cinquiesme nuyt que je suis avecques vous, et si ne m'avez daignié approuchier ; et, par ma foy, si j'eusse
cuidé
qu'on ne fist aultre chose en mariaige, je ne m'y feusse jà
boutée.
- Et quelle chose, dist-il lors, vous a-t'en dit qu'on fait en mariaige ?
- On m'a dit, dist-elle, qu'on y chevauche l'ung l'aultre ; si vous prie que me chevauchez.
- Chevauchier ? dist-il. Cela ne vouldroye-je pas faire encores, je ne suis pas si mal gracieux.
- Helas, dist-elle, je vous prie que si faciez, car on le fait en mariaige.
- Le voulez-vous ? dist-il.
- Je vous en requiers, » dist-elle.
Et, en le disant, le
baisa très doulcement.
« Par ma foy, dist-il, je le fais à grant regret, mais, puis que vous le voulez, je le feray,
combien que
vous ne vous en louerez jà. »
Lors prent, sans plus dire, ses
verges
de
garnison,
et descouvre
ma damoiselle,
et l'en bastit et dos et ventre, tant que le sang en sailloit de tous coustez. Elle crye, elle pleure, elle se demaine,
c'est grant pitié que de la veoir ; elle mauldit qui
oncques
luy fist requerra d'estre chevauchée :
« Je le vous disoye bien, dist lors, son mary. »
Après la prent entre ses bras, et la
roncina
très bien et luy fist oublier la douleur des
verges
« Et comment appelle-on, dist-elle, cela que vous m'avez maintenant fait ?
- On l'appelle, dist-il, souffle en cul.
- Souffle en cul ? dist-elle ; le nom n'est pas si beau que chevaucbier ; mais la manière de le faire vault trop mieulx que chevaucbier.
C'est assez ; puisque je le scay, je scauray bien doresenavant duquel je vous doy
requerre. »
Or devez-vous savoir que Monseigneur le curé tendoit tousjours l'oreille quant sa nouvelle mariée viendroit à l'église, pour luy
ramentevoir
ses
besoignes,
et luy faire souvenir de sa promesse. Le jour qu'elle y vint, Monseigneur le curé se pourmenoit et se tenoit près du
benoistier ;
et, quant elle fut près, il luy
bailla
de l'eaue benoiste, et luy dist assez bas :
« M'amye, vous m'avez promis que je vous chevaucheroye, quant vous seriez mariée ; vous l'estes, Dieu mercy,
voire et
par mon
moyen :
si seroye heure de penser quant ce pourroye estre.
-Chevauchier ? dist-elle. Par Dieu, j'aymeroye plus
chier
que vous fussiez noyé,
voire
pendu, ne me parlez plus de chevauchier, je vous prie. Mais je
suis contente
que vous soufflez ou cul, si vous voulez.
- Et je feray ! dist le curé. Voz fièvres
quartaines,
paillarde
que vous estes, qui tant estes et
orde
et sale et malhonneste ! Ay-je tant fait pour vous, pour estre
guéridonné
de vous souffler ou cul ? »
Ainsi mal content se partit monseigneur le curé, de la nouvelle mariée, laquelle s'en va mettre en son siège pour ouyr la devote messe que le bon curé vouloit dire.
En la façon qu'avez dessus ouy, perdit monseigneur le curé son adventure de jouyr de sa dame, dont il fut cause et nul aultre, pource qu'il parla trop hault à elle le jour qu'il la confessa ; car son mary, qui ce ouyoit, le empescha en la façon qu'est dit dessus, par faire acroire à sa femme que ronciner s'appelle souffle en cul.
Combien que nulles des nouvelles histoires précédentes n'ayent touché ou racompté aucun cas advenu ès marches d'Ytalie, mais seulement font mention des advenues en France, Allemaigne, Angleterre, Flandres, Braibant, etc., si se extenderont-elles toutesfoys, à cause de la fresche advenue, à ung cas à Romme advenu, qui fut tel.
À Romme avoit ung Escossois, de l'aage d'environ vingt à vingt et deux ans, lequel par l'espace de quatorze ans se maintint et conduisit en estat et habillement de femme, sans ce que en dedans le dit temps il fut venu à la congnoissance publique des hommes ; et se faisoit appeller done Marguerite, et n'y avoit gueres bon ostel à la ville de Romme où il n'eust son recours et congnoissance. Especialement il estoit bien venu des femmes comme entre les chamberieres, meschines, et aultres femmes de bas estat, et aussi des aucunes des plus grandes de Romme. Et, affin de vous descouvrir l'industrie de ce bon Escossois, il trouva façon d'aprendre à blanchir les draps linges, et s'appeloit la lavendiere ; et soubz cest umbre, hantoit, comme dessus est dit, ès bonnes maisons de Romme, car il n'y avoit femme qui sceust l'art de blanchir draps, comme il faisoit. Mais vous devez scavoir que encores scavoit-il bien plus ; car, puis qu'il se trouvoit quelque part à descouvert avec quelque belle fille, il luy monstroit qu'il estoit homme. Il demouroit bien souvent au coucher, à cause de faire la buyée, ung jour, deux jours, ès maisons dessusdictes ; et le faisoit-on coucher avec la chamberiere ou meschine, et aucunesfois avec la fille ; et bien souvent et le plus, la maistresse, se son mary n'y estoit, vouloit bien avoir sa compaignie. Et Dieu scait s'il avoit bien le temps, et, moyennant le labeur de son corps, il estoit bien venu par tout ; et n'y avoit bien souvent meschine ne chamberiere qui ne se combatist pour luy bailler la moitié de son lit. Les bourgeois mesmes de Romme, à la relation de leurs femmes, le veoient très voulentiers en leurs maisons ; et, s'ilz alloient quelque part dehors, très bien leur plaisoit que done Marguerite aydast à garder le mesnaige avec leurs femmes ; et, qui plus est, la faisoient mesmes coucher avecques elles, tant la sentoient bonne et honneste, comme dessus est dit. Par l'espace de XIV ans, continua done Marguerite sa manière de faire. Mais fortune bailla la congnoissance de l'embusche de son estat, par une jeune fille qui dist à son père, qu'elle avoit couché avecques elle et l'avoit assaillie, et lui dist véritablement qu'elle estoit homme. Ce père fist prendre, done Marguerite, à la relation de sa fille ; elle fut regardée par ceulx de la justice, qui trouvèrent qu'elle avoit tous telz membres et oustilz que les hommes portent, et que vrayement elle estoit homme et non pas femme. Si ordonnerent que on le mettrait sur ung chariot, et que on le meneroit par la ville de Romme, de carefourc en carefourc, et le monstreroit-on, voyant tout chascun ses genitoires.
Ainsi en fut fait, et Dieu scait que la povre done Marguerite estoit honteuse et
surprinse.
Mais vous devez scavoir que, comme le chariot vint en ung
carefourc
et qu'on faisoit ostencion des denrées de done Marguerite, ung Roumain, qui le vit, dist tout haut :
« Regardez quel
galioffe !
il a couché plus de vingt nuytz avec ma femme. »
Si le dirent aussi plusieurs aultres comme luy ; plusieurs ne le dirent poinct, qui bien le scavoient ; mais, pour leur honneur, ilz s'en turent en la façon que vous ouez. Ainsi fut pugny nostre povre Escossois, qui la femme contrefist ; et, après ceste pugnicion, il fut banny de Romme, dont les femmes furent bien desplaisantes : car oncques si bonne lavendiere ne fut, et avoient bien grant deul, que si meschanment perdu l'avoient.
Ce n'est pas chose estrange ne peu acoustumée que moynes hantent et frequentent voulentiers les nonnains.
À ce propos, il advint nagueres que ung maistre jacopin tant hanta et frequenta une bonne maison de dames de religion de ce royaulme, qu'il parvint à son intention, laquelle estoit de couchier avec une des dames de leans. Et puis qu'il eut ce bien, si estoit diligent et soigneux de soy trouver vers celle qu'il aymoit plus que tout le demeurant du monde ; et tant y continua sa hantise que l'abbesse de leans et plusieurs des religieuses se apperceurent de ce qui estoit, dont elles furent bien mal contentes. Mais, toutesfoys, affin de eviter esclandre, elles n'en dirent mot, voire au religieux, mais trop bien chantèrent la leçon à la nonnain, laquelle se sceut bien excuser ; mais l'abbesse, qui veoit clair et estoit bien appercevante, congneut tantost, à ses responses et excusances, aux manieres qu'elle tenoit et aux apparences qu'elle avoit veu, qu'elle estoit coulpable du fait ; si voulut Pourveoir de remède, car elle fist tenir bien court, à cause de cette religieuse, toutes les aultres, fermer les huys des clouoistres et des aultres lieux de leans, et tellement fist, que le povre jacopin ne povoit plus venir veoir sa dame. Si luy en desplaisoit et à elle aussi, il ne le fault pas demander. Et vous dis bien qu'ilz pensoyent et nuyt et jour par quelle façon et moyen ilz se pourroyent rencontrer, mais ilz n'y scavoient engin trouver, tant faisoit faire sus eulx le guet ma dame l'abbesse.
Or advint, ung jour, que une des niepces de ma dame l'abbesse se marioit, et faisoit sa feste en l'abbaye ;
et y avoit grosse assemblée des gens du pays : et estoit ma dame l'abbesse fort
empeschée
de
festoier
les gens de bien qui estoyent venus à la feste faire honneur à sa niepce. Si s'advisa bon
jacopin
de venir veoir sa dame, et que à l'adventure il pourroye estre si heureux que de la trouver
en belle ;
et il y vint, comme il proposa. Et de fait, trouva ce qu'il queroit ; et, à cause de la grosse assemblée, et de
l'empeschement
que l'abbesse et ses
guettes
avoient, il eust bien loisir de dire ses doléances et regreter le bon temps passé ; et, elle, qui beaucoup le aymoit,
le vit très voulentiers ; et,
se en elle eust esté,
aultre
chiere
luy eust fait. Entre aultres parolles, il luy dist :
« Helas, m'amye, vous scavez qu'il y a jà longtemps que point ne fumes
deviser
ainsi que
nous soulions ;
je vous prie, s'il est possible, tandis que
l'ostel
de ceans est fort donné à aultre chose que à nous guettier, que vous me
diez
où je pourray parler à vous
à part ?
-Ainsi m'aïst Dieu !
dist-elle : mon amy, je ne le desire pas moins que vous. Mais je ne scay penser lieu ne place où il se puisse faire ;
car tout le monde est tant par céans, qu'il ne seroit pas en moy d'entrer en ma chambre, tant y a d'estrangiers qui sont venuz à ceste feste ;
mais je vous diray que vous ferez. Vous scavez bien où est le grant jardin de céans ?
Ne faictes pas ?
- Saint Jehan ! ouy, dist-il, je scay bien où il est.
- Vous scavez que au coing de ce jardin, dist-elle, y a ung très beau
preau,
bien encloz de belles bayes fortes et espesses, et au millieu ung grant poirier, qui rendent le lieu umbrageux et couvert ?
Vous vous en yrez là et me attendrez ; et,
tantost que
je pourray eschapper je feray
diligence
de moy trouver bientost vers vous. »
Elle fut beaucoup mercyée, et dist maistre jacopin, qu'il s'y en alloit tout droit.
Or devez-vous scavoir que ung jeune galant, venu à la feste, n'estoit gueres loing de ces deux amans ; si ouyt et entendit toute leur conclusion, et, pource qu'il scavoit bien le lieu où estoit ledit preau, il s'advisa et proposa en soy de s'en aller embuscher pour veoir le déduit et les armes qu'ilz avoient entreprins de faire. Il se mist hors de la presse, et, tant que piez le peurent porter, il s'en court vers ce preau, et fist tant, qu'il s'y trouva avant le jacopin. Et, luy là venu, il monte sus le beau poirier qui estoit large et ramu, et très bien vestu de fueilles et de poires, et s'y embuscha si bien, qu'il n'estoit pas aisié à veoir. Il n'y eut gueres esté que vecy bon jacopin qui attrote, en regardant derrière luy se ame le suyvoit. Et Dieu scait qu'il fut bien joyeux de soy trouver en ce beau lieu ! Il se garda bien de lever les yeulx contremont ; car jamais ne se feust doubté qu'il y eust eu quelqu'un ; mais tousjours avoit l'oeil vers le chemin qu'il estoit venu.
Tant regarda, qu'il vit sa dame venir le grant pas, laquelle fust tost emprès lui ; si se firent grant feste, et bon
jacopin
d'oster son manteau et son
capullaire,
et commence à
baiser
et accoler bien
serreement
la belle. Si voulurent faire ce pour quoy ilz estoient venuz : et se met chascun
en point,
et, en ce faisant, commença à dire la nonnain :
« Par Dieu, mon amy frère Aubery,
je vueil bien que vous saichiez que vous avez aujourduy à dame et en vostre beau commandement l'ung des beaux corps de nostre religion ;
et je vous en fais juge, vous le voyez, regardez quel tetin, quel ventre, quelles cuisses, et du
surplus
il n'y a que dire ?
- Par ma foy, dist frere Aubery, seur Jehanne m'amye, je congnois ce que vous dictes ;
mais aussi vous povez dire que vous avez à serviteur ung des beaulx religieux de nostre ordre,
aussi bien fourny de ce que ung homme doit avoir que nul aultre. »
Et, à ces motz, mist la main au baston, dont il vouloit faire
ses armes,
et le braudissoit, voyant sa dame, en luy disant :
« Qu'en dictes-vous ? Que vous en semble ? N'est-il pas beau ? Ne vault-il pas bien une belle fille ?
- Certes ouy, dist-elle.
- Et aussi l'aurez-vous, dist le
jacopin.
- Et vous aurez, dist lors celuy qui estoit dedans le poirier dessus eulx, des meilleures poires du poirier. »
Lors prent à ses deux mains les
brances
du poirier, et fait tomber en bas sur eulx des poires très largement, dont frere Aubery fut tant effroyé,
qu'à peu qu'il
n'eust le sens de reprendre son manteau. Si
s'en picque
tant qu'il peut, sans arrester, et ne fut asseuré, tant qu'il fut dehors de
leans.
Et la nonnain, qui fut autant effroyée que luy, ne se sceust si tost mettre en chemin, que le
galant
du poirier ne feust descendu ; lequel la print par la main et luy deffendit
le partir,
et luy dist :
« M'amye, il vous fault payer le fruictier. »
Elle, qui estoit prinse et surprinse, veit bien que reffuz n'estoit pas de saison ; si fut contente que le fruictier fist ce que frere Aubery avoit laissé en train.
En Pourvence avoit nagueres un président, de haulte et bien heureuse renommée, qui très grant clerc et prudent estoit, vaillant aux armes, discret en conseil ; et, au brief dire, en luy estoient tous les biens de quoy on pourroye jamais louer homme. D'une chose tant seulement estoit noté, dont il n'estoit pas cause, mais estoit celuy à qui plus en desplaisoit ; aussi, la raison y estoit bonne. Et, pour dire la note que de luy estoit, c'estoit qu'il estoit coux, par faulte d'avoir femme aultre que bonne. Le bon seigneur veoit et congnoissoit la desloyaulté de sa femme et la trouvoit encline de tous poins à sa puterie ; et, quelque sens que Dieu luy eust donné, il ne scavoit remede à son cas, fors de soy taire et faire du mort ; car il n'avoit pas si peu leu en son temps, qu'il ne sceust vrayement que correction n'a point de lieu à femme de tel estat. Toutesfoys, vous povez penser que ung homme de couraige et vertueux, comme cestuy estoit, ne vivoit pas bien à son aise, mais fault dire et conclure que son dolent cueur portoit la paste au four de ceste mauldicte infortune ; et au par dehors avoit semblant et manière de rien scavoir et appercevoir le gouvernement de sa femme.
Ung de ses serviteurs le vint trouver, ung jour, en sa chambre, à part, et luy va dire par grant sens :
« Monseigneur, je suis celuy qui vous vouldroye advertir, comme je doy,
de tout ce qu'il vous peut touchier especialement de vostre honneur ; je me suis prins et donné garde du
gouvernement
de ma dame vostre femme, mais je vous asseure qu'elle vous garde très mal la loyaulté qu'elle vous a promise ;
car seurement ung tel (qu'il luy nomma) tient vostre lieu bien souvent. »
Le bon président, saichant bien l'estat de sa femme, luy respondit très fierement :
« Ha,
ribault,
je scay bien que vous mentez de tout ce que me dictes ! Je congnois trop ma femme :
elle n'est pas telle, non. Et vous ay-je nourry si longuement, pour me rapporter une telle
bourde,
voire
de celle qui tant est honneste, bonne et loyale ? Et vrayement, vous ne m'en ferez plus.
Dictes que je vous dois, et vous en allez bientost, et ne vous trouvez jamais devant moy, si
chier
que vous aymez vostre vie. »
Le povre serviteur, qui cuidoit faire grant plaisir à son maistre de son advertance, dist ce qu'il luy devoit. Le président luy baille, et il le receut et s'en alla.
Nostre bon président, voyant encores de plus en plus
refreschir
la desloyaulté de sa femme, estoit tant mal content et si très fort troublé, que on ne pourroit plus.
Si ne scavoit que penser ne ymaginer par quelle façon il s'en pourroit bonnestement deschargier.
Si advisa, comme j'espère que Dieu le voulut ou que fortune le consentit, que sa femme devoit aller à unes nopces assez tost.
Il vint à ung varlet, qui la garde de ses chevaulx avoit, et aussi d'une belle mulle qu'il avoit, et luy dist :
« Garde bien que tu ne bailles à boire à ma mulle de nuyt ne de jour, tant que je le te diray ;
et, à chascune fois que tu luy donneras son aveine, si luy metz parmy une bonne
poignie
de sel ; et gardes que tu n'en sonnes mot !
- Non feray-je, dist le varlet, et si feray ce que vous me commandez. »
Quant le jour des nopces de la cousine de ma dame la présidente approucha, elle dist au bon président :
« Monseigneur, si c'estoit vostre plaisir, je me trouveroye voulentiers aux nopces de ma cousine,
qui se feront dimenche prouchain, en ung tel lieu ?
- Vraiement, m'amye, dist-il, j'en suis très bien
content ;
allez, Dieu vous conduie !
- Je vous mercye, Monseigneur, dist-elle, mais je ne scay bonnement comment y aller :
je n'y menasse point voulentiers mon chariot, pour le tant peu que je y ay à estre ; vostre
haquenée
aussi est tant
desroyée,
que, par ma foy, je n'oseroye pas bien entreprendre le chemin sus elle.
- Et bien, m'amye, si prenez ma mulle ; elle est belle beste et si va bien doulx, et aussi seure du pié, que j'en trouvasse
oncques point.
- Et, par ma foy, Monseigneur, dist-elle, je vous en mercye, vous estes bon mary. »
Le jour de partir vint, et s'apresterent les serviteurs de ma dame la presidente et ses femmes qui la devoient servir et accompaigner ; pareillement vont venir à cheval, deux on trois gorgias qui la dévoient accompaignier, qui demandent se madame est preste, et elle leur fait scavoir qu'elle viendra maintenant. Elle fut preste et vint en bas, et luy fut amenée la belle mulle au montouer, qui n'avoit beu de VIII jours ; si enraigeoit de soif, tant avoit mengié de sel. Quant elle fut montée, les gorgias se misdrent devant elle, qui faisoient fringuier leurs chevaulx, et estoit raige qu'ilz sailloient bien et hault. Et se pourroit bien faire que aucuns de la compaignie scavoient bien que ma dame scavoit faire. En la compaignie de ces gentilz gorgias, avecques ses femmes et ses serviteurs, passa ma dame la présidente par la ville, et se vint trouver aux champs ; et tant alla, qu'elle vint arriver en ung très mauvais destroit, auprès duquel passe la grosse rivière du Rosne, qui en cest endroit est tant roide que merveilles. Et, comme ceste mulle, qui de VIII jours n'avoit beu, apperceut la riviere, courant sans demander pont ne passaige, elle, de plain vol, saillit dedans a tout sa charge qui estoit du précieux corps de ma dame. Ceulx qui le virent la regardèrent très bien ; mais aultre secours ne luy firent, car aussi il n'estoit pas en eulx ; si fut ma dame noyée ; dont ce fut grant dommaige. Et la mulle, quant elle eut beu son saoul, naigea tant par le Rosne, qu'elle trouva l'issue et saillit dehors.
La compaignie fut beaucoup troublée, qui a perdu ma dame ; si s'en retourna à la ville.
Et vint l'ung des serviteurs de monseigneur le président le trouver en sa chambre, qui n'attendoit aultre chose que les nouvelles,
qui luy va dire tout pleurant la piteuse adventure de ma dame sa maistresse. Le bon président, plus joyeux en cueur que
oncques
ne fut, se monstra très
desplaisant,
et, de fait, se laissa cheoir à terre du hault de luy, menant très piteux
deul,
en regretant sa bonne femme. Il mauldissoit sa mulle, les belles nopces qui firent sa femme partir ce jour :
« Et Dieu, dist-il, ce vous est grant reprouche, qui estes tant de gens et n'avez sceu
rescourre
la povre femme qui tant vous aymoit ; vous estes lasches et meschans, et l'avez bien monstre. »
Le serviteur et les aultres aussi s'excusèrent le moins mal qu'ilz sceurent ; et laisserent monseigneur le président, qui loua Dieu à joinctes mains de ce qu'il est si honnestement quitte de sa femme.
Quant il fut à point, luy fist faire ses funerailles comme il appartenoit ; mais croyez, combien qu'il feust encores en aage, il n'eust garde de soy rebouter en mariage, craignant le dangier où tant avoit esté.
Ung gentil compaignon devint amoureux d'une jeune
damoiselle,
qui nagueres s'estoit mariée ; et, le moins mal qu'il sceut, après qu'il eut trouvé façon d'avoir vers elle
accointance,
il luy
compta
son
cas.
Et, au rapport qu'il fist, il estoit fort malade ; et, à la vérité dire aussi, estoit-il bien
picqué.
Elle fut si doulce et gracieuse, qu'elle luy
bailla
bonne
audience,
et, pour la première fois, il se partit, très content de la response qu'il eut. S'il estoit bien
feru
auparavant, encores fut-il plus touchié au vif, quant il eut dit son fait ; si ne dormoit ne nuyt ne jour,
de force de penser à sa dame, et de trouver la façon et manière de parvenir à sa grâce. Il retourna à sa queste, quant il vit
son point ;
et Dieu scait, s'il avoit bien parlé la première foys, que encores fist-il mieulx son parsonnaige à la deuxiesme, et si trouva,
de son heur, sa dame assez encline à passer sa requeste, dont il ne fut pas moyennement joyeux.
Et, pource qu'il n'avoit pas tousjours le temps ne le loisir de soy tenir vers elle,
il dist à ceste fois la bonne voulenté qu'il avoit de luy faire
service
et en quelle façon. Il fut mercié de celle qui estoit tant gracieuse qu'on ne pourroye plus.
Brief, il trouva en elle tant de
courtoisie
en maintien et en parler qu'il n'en sceust plus demander par rairon ; si se
cuida
advancer
de la
baiser,
mais il en fut refusé de tous pointz ; mesmes, quant vint au partir, il n'en peut
oncques
finer,
dont il estoit très
esbahy.
Et, quant il fut dehors de chez elle, il se
doubta
beaucoup de non point parvenir à son intencion, veu qu'il ne povoit obtenir d'elle ung seul
baiser.
Il se conforte, d'aultre
cousté,
des gracieuses parolles qu'il avoit eues au dire adieu, et de l'espoir qu'elle luy avoit baillié.
Il revint, comme les aultres fois,
de rechief
à sa queste ; et, pour abregier, tant y alla et tant y vint, qu'il eut heure assignée de dire le
surplus
à sa dame, à part, de ce qu'il ne vouldroit desclairer, sinon entre eulx deux. Et, pource que temps estoit,
il print congié d'elle, si l'embrassa bien doulcement et la voulut
baiser ;
et elle s'en defend très bien, et luy dist assez rudement :
« Ostez, Ostez,
laissez-moy, je n'ay cure d'estre
baisée ! »
Il s'excusa le plus gracieusement
que oncques
sceut, et, sur ce, se partit :
« Et qu'est-ce cy ? dist-il en soy-mesmes : jamais je ne veis ceste manière en femme ; elle me fait la meilleure
chiere
du monde, et si m'a desjà accordé tout ce que je luy ay osé
requerre ;
mais encores n'ay-je peu
finer
d'ung povre
baisier. »
Quant il fut heure, il vint où sa dame luy avoit dist, et fist ce pour quoy il y vint tout à son beau loisir,
car il coucha entre ses bras toute la belle nuyt, et fist tout ce qu'il voulut, excepté seulement le
baiser,
pour laquelle cause il s'esmerveilloit moult en soy-mesmes :
« Et je n'entens point ceste manière de faire, disoit-il
en son par dedans :
ceste femme veult bien que je couche avecques elle et faire tout ce qu'il me plaist ; mais du
baiser,
je n'en
fineroye
non plus que de la vraye Croix ? Par
la mort bieu,
je ne scay entendre cecy ; il faut qu'il y ait
aucun
mistere ; il est force que je le saiche. »
Ung jour
entre les aultres,
qu'il estoit avecques sa dame à
goguettes,
et qu'ilz estoient beaucoup de
hait
tous deux, il luy dist :
« M'amye, je vous requiers, dictes-moy qui vous meut de me tenir si grant rigueur, quant je vous vueil
baiser ?
Vous m'avez baillié la joyssance de vostre gracieux et beau corps tout entièrement, et d'ung petit
baiser,
vous me faictes le reffuz ?
- Mon amy, dist-elle, vous dictes vray ; le
baisier
vous ay-je
voirement
reffusé, et ne vous y attendez point, vous n'en
finerez
jamais ; et la raison y est bonne : si la vous diray. Il est vray, quant j'espousay mon mary,
que je luy promis de la bouche tant seulement beaucoup de moult belles choses.
Et, pource que ma bouche est celle qui luy a promis de luy estre bonne et loyale, je suis celle qui l'y vueil entretenir ;
et ne souffreroye, pour mourir, qu'aultre que luy y touchast ; elle est sienne et à nul autre ; et ne vous attendez de riens y avoir.
Mais mon derrière ne luy a rien promis ne juré ; faictes de luy et du
surplus
de moy, ma bouche hors, ce qu'il vous plaira ; je le vous abandonne. »
L'aultre commença à rire très fort, et dist :
« M'amye, je vous mercye, vous dictes très bien, et si vous scay grant gré que vous avez la franchise de bien garder vostre promesse.
- Jà Dieu ne vueille, dist-elle, que je luy face faulte ! »
En la façon qu'avez ouy fut ceste femme obstinée : le mary avoit la bouche seulement, et son amy, le surplus ; et, se d'adventure le mary se servoit aucunes fois des aultres membres, ce n'estoit que par manière d'emprunt, car ilz estoient à son amy, par le don d'elle. Mais il avoit cest advantaige que sa femme estoit contente qu'il en prensist sur ce qu'elle avoit donné ; mais, pour riens, n'eust souffert que l'amy eust jouy de ce qu'à son mary avoit donné.
J'ay très bien sceu que nagueres, en la ville d'Arras, avoit ung bon marchant, auquel il mescheust d'avoir femme espousée, qui n'estoit pas des meilleures du monde ; car elle ne tenoit serre, qu'elle peut veoir son coup, et qu'elle trouvast à qui, non plus que une vieille arbalestre.
Ce bon marchant se donna garde du gouvernement de sa femme ; il en fut aussi adverty par aucuns ses plus privez amys et voisins. Si se bouta en une grant frenesie et bien parfonde melencolie, dont il ne valut pas mieulx. Puis, s'advisa qu'il esprouveroit s'il scavoit par aucune bonne façon se nullement il pourroit veoir ce qu'il scait que bien peu luy plaira ; c'estoit de veoir venir en son ostel et en son domicille, devers sa femme, ung ou plusieurs de ceulx que on dit qui sont ses lieutenans.
Nostre marchant faignit ung jour d'aller dehors, et s'embuscha en une chambre de son ostel, dont luy seul avoit la clef. Et veoit de ladicte chambre sus la rue et sus la court, et, par aucuns secretz pertuis, et plusieurs trilles regardoit en plusieurs aultres lieux et chambres de leans.
Tantost que
la bonne femme pensa que son mary estoit dehors, elle fist prestement scavoir à ung de ses amys, qu'il
vinsist
vers elle ; et il y obeyt comme il devoit, car il suivit pié à pié la
meschine
qui l'estoit allé quérir. Le mary, qui comme dist est, estoit cachié en sa chambre, vit très bien entrer celuy qui venoit
tenir son lieu ;
mais il ne dist mot, car il veult veoir plus avant, s'il peut.
Quant l'amoureux fut
leans,
la dame le mena par la main, tout
devisant
en sa chambre, et
serra
l'huys ;
et se commencerent à
baiser et à accoler, et faire
la plus grant chiere
de jamais ; et là bonne
damoiselle,
de despouiller sa
robbe,
et soy mettre en
cotte simple ;
et bon compaignon, de la prendre à bons bras de corps, et faire ce pour quoy il estoit venu. Et tout ce veoit à l'oeil le povre mary, par une petite
treille,
pensez s'il estoit à son aise ; mesmes il estoit si près d'eulx, qu'il entendoit pleinement tout ce qu'ilz disoient.
Quant les
armes
d'entre la bonne femme et son serviteur furent achevées, ilz se misdrent sus une couche qui estoit en la chambre, et se commencent à
deviser
de plusieurs choses. Et, comme le serviteur regardoit sa dame qui tant belle estoit
que merveilles,
il la commence à
rebaiser,
et dist, en cela faisant :
« M'amye, à qui est ceste belle bouche ?
-C'est à vous, mon amy, dist-elle.
- Et je vous en mercye, dist-il. Et ces beaulx yeulx ?
- À vous aussi, dist-elle.
- Et ce beau tetin qui est si bien
troussé,
n'est-il pas de mon compte ? dist-il.
- Ouy, par ma foy, mon amy, dist-elle, et non à aultre. »
Il met après la main au ventre et à son devant, où il n'y avoit que redire, si luy demanda :
« À qui est cecy, m'amye ?
- Il ne le fault jà demander, dist-elle, on scait bien que tout est vostre. »
Il vint après
getter
la main sur le gros derrière d'elle, et luy demanda, en
soubriant :
« À qui est cecy ?
- Il est à mon mary, dist-elle ; c'est sa part, mais tout le
demourant
est vostre.
- Et vraiement, dist-il, je vous en remercie beaucoup. Je ne me dois pas plaindre, vous m'avez très bien
party ;
et aussi, d'aultre costé, par ma foy, pensez que je suis tout entier vostre.
- Je le scay bien, » dist-elle.
Et, après ces beaux dons et offres qu'ilz firent l'ung à l'aultre, ilz recommencerent leurs armes de plus belle. Et, ce fait, le gentil serviteur partit de leans, et le povre mary, qui tout avoit veu et ouy, tant courroucé qu'il n'en povoit plus, enraigeoit tout vif ; toutesfoys, pour mieulx faire, il avala ceste première, et, à lendemain, fist très bien son personnaige, faisant semblant qu'il venoit de dehors. Et, quant vint sur le point du disner, il dist à sa femme, qu'il vouloit avoir dimenche prouchain son pere, sa mère, telz et telz de ses parens et cousins ; et qu'elle face garnison de vivres, et qu'ilz soient bien aises à ce jour. Elle se chargea de ce faire, et luy, de les inviter.
Ce dimenche vint, et le
disner
fut prest, et
tous ceulx qui mandez
y furent comparurent, et print chascun place comme leur oste l'ordonnoit, qui estoit debout,
et sa femme aussi, lesquelz servirent le premier mez. Quant le premier mez fut
assis,
l'oste qui avoit secretement fait faire une
robbe
pour sa femme, de gros
bureau de gris,
et, à l'endroit du derrière, avoit fait mettre une bonne
pièce d'escarlate,
en manière d'ung
tasseau,
si dist à sa femme :
« Venez jusques en la chambre ! »
Il se met devant, et elle le suyt.
Quant ils y furent, il luy fist despouiller sa
robbe
et va prendre celle du
bureau
dessusdict et luy dist :
« Or vestez ceste
robbe ! »
Elle la regarde et veoit qu'elle est de gros
bureau ;
si en est toute
esbahy
et ne scait penser qu'il fault à son mary, ne pourquoy il la veult ainsi habiller :
« Et à quel propos me voulez-vous ainsi
housser !
dist-elle.
- ne vous chaille,
dist-il, je vueil que la vestez.
- Ma foy, dist-elle, je n'en tiens compte, je ne la vestiray jamais. Faictes-vous du fol ? Vous voulez bien faire
farcer
les gens de vous et de moy encores devant tant de monde ?
- Il n'y a ne fol, ne saige, dist-il ; vous la vestirez.
- Au moins, dist-elle, que je saiche pourquoy vous le faictes.
- Vous le scaurez cy après. »
Pour abregier, force fut qu'elle endossast ceste robbe, qui estoit bien estrange à regarder. Et, en ce point, fut amenée à la table, où la pluspart de ses parens et amys estoient. Mais pensez qu'ilz furent bien esbahys de la veoir ainsi habillée ; et croyez qu'elle estoit bien honteuse, et, se la force eust esté sienne, elle ne feust pas là venue. Droit là avoit assez, qui demandoient que signifioit cest habillement ? Et le mary respondit qu'ilz pensassent tous de faire bonne chiere, et que après disner ilz le scauroient. Mais vous devez scavoir que la povre femme, houssée du bureau, ne mangea chose qui bien luy fist ; et luy jugeoit le cueur, que le mistere de sa housseure luy feroit ennuy. Et encores eust-elle esté trop plus troublée, s'elle eust sceu du tasseau d'escarlate, mais nenny.
Le
disner
se passa, et fut la table ostée, les graces dictes, et tout chascun debout. Lors le mary se met avant et commence à dire :
« Vous telz et telz, qui cy estes, s'il vous plaist, je vous diray en brief la cause pourquoy je vous ay icy assemblez,
et pourquoy j'ay vestu ma femme de cest habillement. Il est vray que
jà pieça
j'ay esté adverty que vostre parente, qui cy est, me gardoit très mal la loyaulté qu'elle me promist en la main du prestre ;
toutesfoys, quelque chose que l'on m'ait dit, je ne l'ay pas creu
de legier,
mais moy-mesmes l'ay voulu esprouver ;
et qu'il soit vray, il n'y a que six jours que je faigny d'aller dehors, et
m'embuschay
en ma chambre là hault. Je n'y euz gueres esté que
vecy
venir ung tel, que ma femme mena tantost en sa chambre où ilz firent ce que mieulx leur pleust.
Entre les aultres
devises,
l'homme luy demanda, de sa bouche, de ses yeulx, de ses mains, de son tetin, de son ventre, de son devant et de ses cuisses, à qui tout ce
baigaige
estoit. Et elle respondit : À vous, mon amy. Et quant vint à son derrière,
il luy dist : Et à qui est cecy, m'amye ?, À mon mary ! dist-elle. Lors, pource que je l'ay trouvée telle, je l'ay ainsi habillée :
elle a dit que d'elle il n'y a mien que le derrière, si l'ay
houssée,
comme il appartient à mon estât ;
le demourant
ay-je
houssé
de vesteure qui est deue à femme desloyale et deshonnourée, car elle est telle : pour ce, je la vous rends. »
La compaignie fut bien esbahye d'ouyr ce propos, et la povre femme bien honteuse. Mais toutesfoys, quoy que feust, oncques puis avec son mary ne se trouva, ains deshonnourée et reprouchée entre ses amys depuis demoura.
Comme jeunes gens se mettent voulentiers à voyagier, et prennent plaisir à veoir et chercher les adventures du monde, il y eut nagueres au païs de Lannois ung fils de laboureur, qui fut, depuis l'aage de dix ans jusques à l'aage de vingt et six, tousjours hors du pais : et, depuis son partement jusques à son retour, oncques son père ne sa mere n'en eurent une seule nouvelle, si pensèrent plusieurs fois qu'il fust mort. Il revint toutesfoys, et Dieu scait la joye qui fut en l'ostel, et comment il fut festoyé à son retour de tant peu de biens que Dieu leur avoit donné. Mais qui le vit voulentiers et en fist grant feste, ce fut sa grant mère, la mère de son père, qui lui faisoit plus grant chiere et estoit la plus joyeuse de son retour, que nul des aultres. Elle baisa plus de cinquante fois, et ne cessoit de louer Dieu qui leur avoit rendu leur beau filz, et retourné en si beau point.
Après ceste grande
chiere ,
l'heure vint de dormir, mais il n'y avoit à
l'ostel
que deux litz : l'ung estoit pour le pere et la mere, et l'aultre, pour la grant mère.
Si fut ordonné que leurdit filz coucheroit avec sa grant mere, dont elle fut bien joyeuse ; mais il s'en feust bien passé,
combien que
pour obeyr il fut
content
de prendre la patience pour ceste nuyt.
Comme il estoit couchié avec sa
taye,
ne scay de quoy il luy souvint, car il monta dessus :
« Et que veulx-tu faire ? dist-elle.
- ne vous chaille,
dist-il, ne dites mot ! »
Quant elle vit qu'il vouloit
besoingner
à bon escient,
elle commence de crier tant qu'elle peut, après son filz qui dormoit en la chambre au plus près. Si se leva de son lit et s'en alla
plaindre
à
l'huys
de son filz, en pleurant tendrement. Quant l'aultre ouyt la plaincte de sa mère, et la inhumanité de son filz, il se leva sur piez, très courroucé et
mal meu,,
et dist qu'il l'occira. Le filz ouyt ceste menace et sault sus, et s'enfuyt par derrière. Son père le suyt, mais c'est pour neant,
il n'estoit pas si legier du pié : il vit qu'il perdoit sa peine ; si revint à
l'ostel,
et trouva sa mère lamentant à cause de l'offense que son filz luy avoit faicte :
« ne vous chaille,
dist-il, ma mere je vous en vengeray bien. »
Ne scay
quans
jours après, ce père vint trouver son filz, qui jouoit à la paulme ; et tantost qu'il le vit, il tira bonne
dague,
et marche vers luy et l'en
cuida
ferir.
Le fils se destourna, et son père fut tenu.
Aucuns
qui là estoient sceurent bien que c'estoit le pere et le filz.
« Fy, dist l'ung au filz, et viens çà ; que as-tu
meffait
à ton pere qui te veult tuer ?
- Ma foy, dist-il, riens. Il a le plus grant tort de jamais ; il me veult tout le mal du monde, pour une povre fois que j'ay voulu
ronciner
sa mere ; il a bien
ronciné
la mienne plus de cinq cens fois, et je n'en parlay
oncques
un seul mot. »
Tous ceulx qui ouyrent ceste response commencerent à rire de grant cueur. Si s'emploierent à ceste occasion d'y mettre paix, et fut tout pardonné d'ung cousté et d'aultre.
À Paris, n'a gueres, vivoit une femme qui fut mariée à ung bon simple homme, qui tout son temps fut de noz amis, si très bien qu'on ne pourroit plus. Ceste femme, qui belle et gente et gracieuse estoit ou temps qu'elle fut neufve, pource qu'elle avoit l'oeil au vent, fut requise d'amours de plusieurs gens. Et, pour la grant courtoisie que Nature n'avoit pas oublié en elle, elle passa legierement les requestes de ceulx qui mieulx luy pleurent et joyrent d'elle. Et eut en son temps, tant d'eulx comme de son mary, XII ou XIIII enfans. Advint qu'elle fut malade et ou lit de la mort acouchée ; si eut tant de grace, qu'elle eut temps et loisir de soy confesser, penser de ses pechiez et disposer de sa conscience. Elle veoit, durant sa maladie, ses enfans troter devant elle, qui luy bailloient au cueur très grant regret de les laisser. Si se pensa que elle feroit mal de laisser son mary chargié de la pluspart, car il n'en estoit pas le pere, combien qu'il le cuidast, et la tenoit aussi bonne femme que nulle de Paris.
Elle fist tant, par le moyen d'une femme qui la gardoit, que vers elle vindrent deux hommes qui ou temps passé l'avoient en amours très bien servie.
Et vindrent de si bonne heure, que son mary estoit allé devers les médecins et appoticaires, pour avoir aucun bon remède pour elle et pour sa santé.
Quant elle vit ces deux hommes, elle fist tantost venir devant elle tous ses enfans ; si commença à dire :
« Vous, ung tel, vous scavez ce qui a esté entre vous et moy ou temps passé, et dont il me desplaist à ceste heure amerement ?
Et, se,ce n'est la misericorde de nostre Seigneur à qui je me recommande, il me sera en l'aultre monde bien
cherement vendu ;
toutesfoys, j'ay fait une follie, je le congnois ; mais de faire la seconde, ce seroit trop mal fait.
Vecy
telz et telz de mes enfans ; ilz sont vostres, et mon mary
cuide
à la vérité qu'ilz soyent siens. Si
feroye conscience
de les laisser en sa
charge ;
pourquoy je vous prie, tant que je puis, que après ma mort, qui sera
briefve,
que vous les prenez avec vous et les entretenez, nourissez et eslevez, et en faictes comme bon pere doit faire, car ilz sont vostres. »
Pareillement dist à l'aultre, et luy monstroit ses aultres enfans :
« Telz et telz sont à vous, je vous en asseure ; si les vous recommande, en vous priant que vous en acquittez ;
et, se ainsi le me voulez promettre, je mourray plus aise. »
Et comme elle faisoit ce partaige, son mary va venir à
l'ostel
et fut apperceu par un petit de ses filz, qui n'avoit environ que cinq ou six ans, qui vistement descendit en bas encontre luy
effreement,
et se hasta tant de devaler la montée, qu'il estoit près hors de alaine. Et comme il vit son pere, à quelque
meschief
que ce feust, il dit :
« Helas, mon pere,
advancez-vous
tost, pour Dieu !
- Quelle chose y a-il de nouveau ? dist le père : ta mere est-elle morte ?
- Nenny, nenny, dist l'enfant, mais
advancez-vous
d'aller en hault, ou il ne vous demourera ung seul enfant. Ilz sont venuz vers ma mère deux hommes,
mais elle leur donne tous mes frères ; se vous n'y allez bien tost, elle donnera tout. »
Le bon homme ne scait que son filz veult dire ; si monta en hault et trouva sa femme,
sa garde et deux de ses voisins et ses enfans ; si demanda que signifie ce que ung tel de ses filz luy a dist ?
« Vous le scaurez cy après ! » dist-elle.
Il n'en enquist plus pour l'heure, car il ne se doubta de rien. Ses voisins s'en allerent et commanderent la malade à Dieu et luy promirent de faire ce qu'elle leur avoit requis, dont elle les mercia.
Comme elle approuchast le pas de la mort, elle crye mercy à son mary, et luy dist la faulte qu'elle luy a faicte, durant qu'elle a esté aliée avec luy, comment telz et telz de ses enfans estoient à tel, et telz et telz à ung tel, c'est assavoir ceulx dont dessus est touchié, et que après sa mort ilz les prendront et n'en aura jamais charge. Il fut bien esbahy d'ouyr ceste nouvelle ; neantmoins il luy pardonna tout, et puis elle mourut ; et il envoya ses enfans à ceulx qu'elle avoit ordonné, qui les retindrent. Et, par ce poinct, il fut quitte de sa femme et de ses enfans ; et si eut beaucoup moins de regret de la perte de sa femme, que de celle de ses enfans.
N'a gueres
que ung grant gentil homme, saige, prudent et beaucoup vertueux, comme il estoit au lit de la mort,
et eust fait ses ordonnances et disposé de sa conscience au mieulx qu'il peut, il appella ung seul filz qu'il avoit,
auquel il laissoit foison de biens temporels. Et, après qu'il luy eut recommandé son ame,
celle de sa mere qui nagueres avoit terminé vie par mort, et généralement tout le
colliege
de purgatoire, il advisa trois choses pour la dernière doctrine que
jamais
luy vouloit
bailler,
en disant :
« Mon très chier filz, je vous advertiz que jamais vous ne hantez tant en
l'ostel
de vostre voisin, que l'en vous y serve de pain bis. Secondement, je vous enjointz que vous gardez de jamais
courir
vostre cheval en la valée. Tiercement, que vous ne prenez jamais femme
d'estrange
nacion. Or vous souviengne de ces trois pointz, et je ne doubte point que bien ne vous en vienne. Mais, se vous faictes le contraire,
soyez seur que vous trouverez que la doctrine de vostre père vous
vaulsist
mieulx avoir tenue. »
Le bon filz mercia son père de son bon advertissement, et luy promist escripre ses enseignemens au plus parfont de son cueur, et les mectre si très bien en son entendement et en sa mémoire, que jamais n'yra au contraire.
Tantost après, son père mourut, et furent faictes ses funérailles comme à son estast et à homme de tel lieu qu'il estoit appartenoit ; car son filz s'en voulut bien acquitter, comme celuy qui bien avoit de quoy.
Ung certain temps après, comme on prent accointance plus en ung lieu que en ung aultre, ce bon gentil homme qui estoit orphenin de père et de mère et à marier, et ne scavoit que c'estoit de mesnaige, s'accointa d'ung voisin qu'il avoit, et, de fait, la pluspart de ses jours beuvoit et mengeoit leans.
Son voisin, qui marié estoit, et avoit une très belle femme, se bouta en la doulce raige de jalousie, et luy vindrent faire raport ses yeulx soupeçonneux, que nostre gentil homme ne venoit en son ostel, fors à l'occasion de sa femme, et que vrayement il en estoit amoureux, et que à la longue il la pourroit emporter d'assault. Si n'estoit pas bien à son aise, et ne scavoit penser comment il se pourroit honnestement de luy desarmer, car luy dire la chose comme il la pense ne vauldroye riens ; si conclut de luy tenir telz termes petit à petit, qu'il se pourra assez appercevoir, s'il n'est trop beste, que sa hantise si continuelle ne luy plaist pas. Et, pour excecuter sa conclusion, en lieu qu'on le souloit servir de pain blanc, il fist mettre le bis. Et après je ne scay quans repas, nostre gentil homme s'en donne garde et luy souvint de la doctrine de son père ; si congneut qu'il avoit erré, si batit sa coulpe et bouta en sa manche tout secretement ung pain bis et l'apporta a son ostel. Et, en remembrance, le pendit a une corde dedans la grand sale, et ne retourna plus à la maison de son voisin comme il avoit fait au paravant.
Pareillement, ung jour
entre les aultres,
luy qui estoit homme de
deduit,
comme il estoit aux champs, et que ses levriers eussent mis ung lievre à chace, il
picque son cheval,
tant qu'il peult après, et vient rataindre le lievre et levriers en une grant valée,
où son cheval qui venoit de toute sa force faillit des quatre piez et tombe ; et ledit cheval se rompit le col, dont il fut très bien
esbahy.
Et fut bien heureux ledit gentil homme, quant il se vit ainsi gardé de mort et
d'affolure.
Il eut toutesfoys pour recompense le lièvre ; et, comme il le tint, il regarda son cheval, que tant il aymoit ;
si luy souvint du second enseignement que son pere luy avoit baillé, et que, s'il en eust eu bien memoire,
il ne eust pas ceste perte, ne passé le dangier qu'il a eu bien grant.
Quant il fut en sa maison, il mist auprès du pain bis, à une corde, en sa sale, la peau du cheval, affin qu'il eust mémoire et
remembrance
du second
advisement
que son père jadiz luy
bailla.
Ung certain temps après, il luy print voulenté d'aller voyagier et veoir païs ; si disposa ses
besoingnes
à ce,
et print de la finance dont il avoit largement ; et chercha maintes contrées, et se trouva en diverses régions et places,
dont en la fin il fist résidence en l'ostel d'un grant seigneur, d'une longtaine et bien
estrange
marche ;
et se
gouverna
si haultement et si bien
leans,
que le seigneur fut bien content de luy
bailler
sa fille en mariaige,
jà soit qu'il
n'eust seulement
congnoissance
de luy,
fors de
ses louables meurs et vertuz. Pour abregier, il fiança la fille de ce seigneur et vint le jour des nopces. Et quant il cuida
cuida
la nuyt couchier avecques elle, on lui dist que la coustume du païs estoit de point coucher la premiere nuyt avecques sa femme,
et qu'il eust patience jusques à lendemain :
« Puis que c'est la coustume, dist-il, je ne quiers jà qu'on la rompe pour moy. »
Son espousée fut menée couchier en une chambre, et luy en une aultre, après les dances ; et,
de bien venir,
il n'y avoit que une paroy entre ces deux chambres, qui n'estoit que de terre. Si s'advisa, pour veoir
la contenance,
de faire ung
pertuys
de son espée, par dedans la paroy, et vit très bien et à son aise son espousée
se bouter
ou lit ; et vit aussi (ne demoura gueres après) le
chapellain
de
leans,
qui se vint
bouter
auprès d'elle pour luy faire compagnie, affin qu'elle n'eust paour ; ou, comme j'espère, pour faire l'essay ou prendre la disme des
cordeliers,
comme dessus est touchié.
Nostre bon gentil homme, quant il vit cet appareil, pensez qu'il eut bien
des estouppes en sa quenoille ;
et luy vint tantost en memoire le troisiesme
advisement
que son pere luy donna avant son trespas. lequel il avoit mal retenu. Toutesfoys, il se reconforta et print
couraige,
et dist bien en soy-mesmes que la chose n'est pas si avant, qu'il n'en
saille bien.
À lendemain, le bon
chapellain,
son
lieutenant
pour la nuyt, et son predecesseur, se leva de bon matin, et d'adventure il oublia ses
brayes
soubz le chevet du lit à l'espousée. Et nostre bon gentil homme, sans faire semblant de rien, vint au lit d'elle et la salua gracieusement,
comme il scavoit bien faire, et trouva façon de prendre les
brayes
du prestre, sans qu'il fust apperceu d'ame.
On fist grant
chiere
tout ce jour ; et quant vint au soir, le lit de l'espousée fut paré et ordonné tant richement
qu'à merveilles,
et elle y fut couchée. Si dist-on au sire des nopces, que
meshuy,
quant il luy plaira, il pourra bien coucher avec sa femme. Il estoit fourny de responce et dist au père et à la mère et aux parens,
qu'ilz le voulsissent ouyr :
« Vous ne scavez, dist-il, qui je suis, ne à qui vous avez donné vostre fille,
et en ce m'avez fait le plus grant honneur que jamais fut fait à jeune gentil homme estrangier ; dont je ne vous scauroye assez mercier.
Neantmoins, toutesfoys, j'ay conclud en moy-rnesmes, et suis à ce resolu de jamais couchier avecques elle,
tant que je luy auray monstré et à vous aussi qui je suis, quelle chose j'ay, et comment je suis logié. »
Le pere print tantost la parolle et dist :
« Nous scavons très bien que vous estes noble homme et de hault lieu, et n'a pas mis Dieu en vous tant de belles vertuz,
sans les accompaignier d'amys et de richesses. Nous sommes contens de vous, ne laissez jà à
parfaire
et à accomplir vostre mariaige ; tout à temps scaurons-nous plus avant de vostre estat, quant il vous plaira. »
Pour abregier, il voua et jura de non jamais couchier avecques elle, se n'estoit en
l'ostel,
et lui ameneront son pere et sa mere, et plusieurs de ses parens et amys. Il fit mettre son ostel
à point
pour les recevoir, et y vint ung jour devant eulx. Et, tantost qu'il fut descendu, il print les
brayes
du prestre qu'il avoit et les pendit en sa sale auprès du pain bis et de la peau de cheval.
Très grandement furent receuz et festoyez les parens et amys de nostre bonne espousée ; et furent bien
esbahys
de veoir
l'ostel
d'ung si jeune gentil homme, si bien fourny de vaisselle, do tapisserie, et de tout aultre meuble ; et
se reputoient
bien heureux d'avoir si bien aliée leur belle fille. Comme ilz regardoient par
leans,
ilz vindrent en la grant sale qui estoit tendue de belle tapisserie, et aperceurent au milieu le pain bis, la peau de cheval et unes
brayes
qui pendoient ; dont ilz furent moult
esbahys ,
et en demanderent la signifiance à leur oste. Le sire des nopces leur dist que voulentiers il leur dira la cause et tout ce qui en est,
quant ilz auront mengié. Le
disner
fut prest et Dieu scait qu'ilz furent bien serviz. Ils n'eurent pas si tost disné, qu'ilz ne demanderent l'interprétation,
et la signifiance et le mistere du pain bis et de la peau du cheval, etc. Et le bon gentil homme leur compta
bien au long
et dist que son pere estant au lit de la mort, comme dessus est narré, luy avoit
baillié
trois enseignemens.
« Le premier fut que je ne me trouvasse jamais tant en lieu, que on me servist de pain bis.
Je ne retins pas bien ceste doctrine ; car, puis sa mort, je bantay tant ung mien voisin, qu'il se
bouta
en jalousie pour sa femme, et, en lieu de pain blanc de quoy je fuz servi long temps, ou me servit de bis ; et, en mémoire et
approbacion
de la vérité de cest enseignement, j'ay là fait mettre ce pain bis. Le deuxiesme enseignement que mon père me
bailla,
fut que jamais je ne courusse mon cheval en la valée. Je ne le retins pas bien, ung jour qui passa, si m'en print mal,
car, en courant en une valée, après le lièvre et mes chiens, mon cheval cheut et se rompit le col, et
à peu que
je ne fuz très bien blessé. Si, eschappé de belle mort, et en memoire de ce, est là pendue la peau du cheval qu'alors je perdis.
Le troisiesme enseignement et
advisement
que mon père, dont Dieu ait l'ame, me
bailla
si fut que jamais je ne espousasse femme
d'estrange
région. Or ay-je failly et vous diray comment il m'en est prins. Il est bien vray que, la première nuyt,
que vous me refusastes le couchier avecques vostre fille qui cy est, je fuz logié en une chambre au plus près de la sienne :
et, pource que la paroy qui estoit entre elle et moy n'estoit pas trop forte, je la
pertuisay
de mon espée ; et veis venir coucher avecques elle le
chapellain
de vostre
ostel,
qui soubz le chevet du lit oublia ses
brayes,
le matin, quant il se leva ; lesquelles je recouvray, et sont celles que veez là pendues, qui tesmoignent et appreuvent la
cronique
vérité du troisiesme enseignement que mon feu père jadis me
bailla,
lequel je n'ay pas bien retenu ne mis en ma memoire ; mais, affin que plus en la faulte des trois advis precedens ne
renchoie,
ces trois
bagues
que voyez me feront doresenavant saige. Et, pource que, la Dieu mercy, je ne suis pas tant
obligé
à vostre fille qu'elle ne me puisse bien quitter, je vous prie que la remenez et retournez en vostre
marche,
car, jour que je vive, ne me sera de plus près ;
mais, pource que je vous ay fait venir de loing et vous ay bien voulu monstrer que je ne suis pas homme pour avoir le
remenant
d'ung prestre, je suis
content de
paier voz despens. »
Les aultres ne sceurent que dire, qui se voyent concluz en leur tort, voiant aussi qu'ilz sont moult loing de leur marche et de leurs pays, et que la force n'est pas leur en ce lieu, si furent contens de prendre de l'argent pour leurs despens et eulx en retourner, dont ilz vindrent, et qui plus y a mis, plus y a perdu.
Par ce compte, avez ouy que les trois advis que le bon père bailla à son fils ne sont pas de oublier : si les retienne chascun, pour autant qu'il sent qu'ilz luy peuvent touchier.
N'a gueres
que en l'église de
saincte Goule
à Brucelles, estoient en ung matin plusieurs hommes et femmes qui devoient espouser à la premiere messe,
qui se dit entre quatre et cinq heures ; et,
entre les aultres
choses, ilz dévoient entreprendre ce doulx et bon estat de mariaige,
et promettre en la main du prestre ce que pour rien no vouldroient
trespasser.
Il y avoit ung jeune homme et une jeune fille, qui n'estoient pas des plus riches, mais bonne voulenté avoient,
qui estoient auprès l'ung de l'autre, et n'attendoient
fors que
le curé les appellast pour espouser. Auprès d'eulx aussi y avoit ung homme ancien et une femme vieille, qui grant
chevance
et foison de richesses avoient, et, par convoitise et grant desir de plus avoir, avoient promis foy et loyaulté l'ung vers l'aultre,
et pareillement attendoient à espouser à ceste première messe. Le curé vint et chanta ceste messe très desirée ;
et, en la fin, comme il est de coustume, devant luy se misdrent ceulx qui espouser devoient, dont il y avoit plusieurs aultres,
sans les quatre dont je vous ay compté.
Or devez-vous scavoir que ce bon curé qui tout prest estoit devant l'autel pour faire et acomplir le mistere des espousailles estoit borgne,
et avoit par ne scay quel
meschief,
puis pou de temps en çà, perdu ung oeil. Et n'y avoit aussi gueres grant luminaire en la chapelle ne sur l'autel ;
c'estoit en yver et faisoit brun et noir. Si
faillit
à
choisir,
car, quant vint à
besoingnier
et à espouser, il print le vieil homme riche et la jeune fille povre, et les joignit par l'anneau du
moustier
ensemble. D'aultre costé, il print aussi le jeune homme povre et l'espousa à la vieille femme, et ne s'en
donnerent oncques garde
en l'église, ne les hommes ne les femmes, dont ce fut grant
merveille,
par especial des hommes, car ilz osent mieulx lever l'oeil et la teste, quant ils sont devant le curé à genoulz, que les femmes qui sont à ce coup simples et
coyes,
et n'ont le regard fiché qu'en terre. Il est de coustume que, au
saillir
des espousailles, les amys de l'espousé prennent l'espousée et
l'emmainent.
Si fut la povre jeune fille à l'ostel du riche homme menée,
et pareillement la vieille riche fut amenée en la povre maisonnette du jeune gentil compaignon.
Quant la jeune espousée se trouva en la court et en la grant sale de l'homme qu'elle avoit par mesprinse espousé,
elle fut bien esbabye et congneut bien tantost qu'elle n'estoit pas partie de
leans
ce jour. Quant elle fut arrière en la chambre à parer, qui estoit bien tendue de belle tapisserie, elle vit le beau grant feu,
la table couverte où le beau desjeuner estoit tout prest ; elle vit le beau buffet bien fourny et garny de vaisselle, si fut plus
esbahye
que par avant, et de ce se donne plus grant
merveille,
qu'elle ne congnoist ame de ceulx qu'elle ouyoit parler. Si fut tantost
desarmée
de ses aournemens où elle estoit bien enfermée et bien
embrunchée.
Et, comme son espousé la vit au descouvert et les aultres qui là estoient, croyez qu'ilz furent autant surprins que se cornes leur fussent venues :
« Comment, dist l'espousé, est-ce cy ma femme ? Nostre Dame ! je suis bien eureux ! Elle est bien changée depuis hier ;
je croy qu'elle a esté à la fontaine de Jouvence.
- Nous ne scavons, dirent ceulx qui l'avoient amenée, dont elle vient, ne que on luy a fait ;
mais nous scavons certainement que c'est celle que vous avez
huy
espousée, et que nous prismes à l'autel ; car
oncques puis
ne nous partit des bras. »
La compaignie fut bien
esbahye,
et longuement, sans mot dire. Mais qui fut simple et
esbahye ?
La povre espousée estoit toute desconfortée, et plouroit des yeulx tendrement, et ne scavoit
sa contenance ;
elle aymast trop mieulx se trouver avec son amy qu'elle
cuidoit
bien avoir espousé à ce jour. L'espousé, la voyant se desconforter, en eut pitié, et luy dist :
« M'amye, ne vous desconfortez jà ? Vous estes arrivée en bon
l'ostel,
se Dieu plaist, et n'ayez doubte, on ne vous y fera jà mal ne
desplaisir ;
mais, dictes-moy, s'il vous plaist, qui vous estes, et, à vostre advis, dont vous venez icy ? »
Quant elle l'ouyt si courtoisement parler, elle s'asseura ung peu, et luy nomma son père et sa mère,
et luy dist qu'elle estoit de Brucelles, et avoit fiancé ung tel, qu'elle luy nomma, et elle le
cuidoit
bien avoir espousé. L'espousé et tous ceulx qui là estoient commencerent bien fort à rire, et dirent que le curé leur a fait ce tour,
« Or, loué soit Dieu, dist l'espousé, de ce change ! je n'en voulsisse pas tenir bien grant chose.
Dieu vous a envoiée à moy, et je vous prometz, par ma foy, de vous tenir bonne et loyale compaignie.
- Nenny, ce dist-elle en pleurant moult tendrement, vous ne estes pas mon mary.
Je vueil retourner devers celuy à qui mon pere m'avoit donnée.
- Et ainsi ne fera pas, dist-il ; je vous ay espousée en saincte église, vous n'y pouvez contredire ne aller en l'encontre ;
vous estes et demourerez ma femme, et soyez
contente,
vous estes bien heureuse. J'ay, la Dieu merey, de biens et des richesses assez,
dont vous serez dame et maistresse, et vous feray bien jolye. »
Il la prescha tant, et ceulx qui là estoient, qu'elle fut contente d'obeyr à son commandement. Si desjeunerent legierement et puis se coucherent ; et fist le vieil homme du mieulx qu'il sceust.
Or, retournons à nostre vieille femme et au jeune compaignon. Pour abregier, elle fut menée
l'ostel
du père à la fille qui à ceste heure est couchée avecques le vieil homme. Quant elle se trouva
leans,
elle
cuida
bien enraigier de dueil, et dist tout hault :
« Et que fais-je céans ? Que ne me
maine-l'en
à ma maison, ou à
l'ostel
de mon mary ? »
L'espousé, qui vit ceste vieille et l'ouyt parler, fut bien
esbahy ;
ne doubtez si furent son pere et sa mere, et tous ceulx de l'assemblée. Si
saillit avant
le père à la fille de
leans,
qui congneut la vieille, et scavoit très bien parler de son mariaige, et dist :
« Mon filz, on vous a
baillié
la femme d'ung tel, et croyez qu'il a la vostre ; et ceste faulte vient par nostre curé, qui voit si mal ; et ainsi m'aist Dieu,
jà soit ce que
je feusse loing de vous, quant vous espousastes, si me
cuiday-je
apercevoir de ce change.
- Et qu'en dois-je faire ? dist l'espousé.
- Par ma foy, dist son pere, je ne m'y congnois pas bien, mais je fais grant
doubte
que vous ne puissiez avoir aultre femme.
- Sainct Jehan ! dist la vieille, je n'ay cure d'ung tel cbetif ! Je seroye bien heureuse d'avoir ung tel jeune
galant,
qui n'auroit cure de moy, et me
despendroit
tout le mien, et se j'en sonnoye mot, encores auroye-je la
torche !
Ostez, Ostez,
mandez vostre femme et me laissez aller où je dois estre !
- Nostre Dame ! dist l'espousé, se je la puis recouvrer, je l'ayme trop mieulx que vous,
quelque povre qu'elle soit, mais vous ne vous en yrez pas, se je ne la puis
finer. »
Son père et
aucuns
de ses parens vindrent à
l'ostel,
où la vieille
voulsist
bien estre ; et vindrent trouver la compaignie qui desjeunoit au plus tort, et faisoient le
chaudeau
pour porter à l'espousé et à l'espousée. Ilz comptèrent tout leur
cas,
et on leur respondit :
« Vous venez trop tart ! Chascun se tienne à ce qu'il a ; le seigneur de céans est
content
de la femme que Dieu luy a donnée ; il l'a espousée et n'en veult point d'aultre. Et ne vous en doubtez jà,
vous ne fustes jamais si heureux que d'avoir fille alyée en si haut lieu, ny en si hault endroit ; vous en serez une fois tous riches. »
Ce bon pere retourne à son
son ostel,
et vient faire son rapport. La vieille femme
cuida
bien enraiger de
dueil
et dist :
« Par Dieu ! la chose ne demourera pas ainsi, ou la justice me
fauldra. »
Se la vieille estoit bien mal contente, encores l'estoit bien autant ou plus le jeune espousé, qui se veoit frustré de ses amours ; et encores l'eust-il legierement passé, s'il eust peu finer de la vieille à-tout son argent, mais il convint la laisser aller en sa maison.
Si fut conseillé de la faire citer par devant, monseigneur de Cambray, et elle pareillement fist citer le vieil homme qui la jeune femme avoit ; et ont commencé ung très gros procès, dont le jugement n'est pas encores rendu ; si ne vous en scay que dire plus avant.
Ung gentil chevalier de la conté de Flandres, jeune, bruiant, jousteur, danceur et bien chantant, se trouva ou pays de Haynault, en la compaignie d'ung aultre chevalier de sa sorte, et demeurant oudit pays, qui le hantoit trop plus que la marche de Flandres où il avoit sa résidence belle et bonne. Mais, comme souvent il advient, amours estoient cause, de sa retenance, car il estoit feru très bien attaint bien au vif d'une très belle damoiselle de Maubeuge ; et, à ceste occasion, Dieu scait qu'il faisoit trop souvent joustes, mommeries et banquetz ; et généralement tout ce qu'il scavoit qui peust plaire à sa dame, à luy possible, il le faisoit.
Il fut assez en graces pour ung temps, mais non pas si avant, qu'il eust bien voulu. Son compaignon le chevalier de Haynault, qui scavoit tout son cas, le servoit au mieulx qu'il povoit, et ne tenoit pas à sa diligence, que ses besoingnes ne feussent bien bonnes et meilleures qu'elles ne furent. Qu'en vauldroit le long compte ? Le bon chevalier de Flandres ne sceut oncques tant faire, ne son compaignon aussi, qu'il peust obtenir de sa dame le gracieux don de mercy. Ainçoys la trouva en tout temps rigoureuse, puis qu'il luy tenoit langaige sus ces termes ; et force luy fut toutesfoys, ses besoingnes estantes comme vous ouyez, de retourner en Flandres. Si print ung gracieux congié de sa dame et luy laissa son compaignon ; luy promist aussi, s'il ne retournoit de brief , luy de souvent escripre, et mander de son estat. Et elle luy promist de sa part luy faire scavoir de ses nouvelles.
Advint, certain jour après, que nostre chevalier fut retourné en Flandres, que sa dame eut voulenté d'aller en pellerinaige, et
disposa
ses
besoingnes
à ce. Et, comme le chariot estoit devant son ostel, et le
charreton
dedans, qui estoit ung beau compaignon et fort, et qui viste
l'adouboit,
elle luy
getta
ung coussin sur la teste, et le fist
cheoir à pates,
et puis commença à rire très fort et bien hault. Le
charreton
se sourdit
et la regarda rire, et puis dist :
« Par Dieu,
ma damoiselle,
vous m'avez fait cheoir, mais croyez que je m'en vengeray bien, car, avant qu'il soit nuyt, je vous feray tumber.
- Vous n'estes pas si mal gracieux ? » dist-elle.
Et, en ce disant, elle prent ung aultre coussin, que le
charreton
ne
s'en donnoit de garde,
et le fait arrière cheoir comme devant ; et s'elle rioit fort par avant,
elle ne s'en faignoit pas
à ceste heure :
« Et qu'est-ce cy ? dist le
charreton ;
ma damoiselle,
vous en voulez à moy ? Faictes ; par ma foy, se je fusse emprès vous, je n'attendroye pas de moy vengier aux champs.
- Et que feriez-vous ? dist-elle.
- Se j'estoye en hault, je le vous diroye, dist-il.
- Vous feriez
merveilles,
dist-elle, à vous ouyr parler ; mais vous ne vous y oseriez trouver.
- Non, dist-il, et vous le verrez ! »
Adonc il saillit jus du cbariot et entra dedans l'ostel, et monta en hault où ma damoiselle estoit en cotte simple, tant joyeuse qu'on ne pourroye plus ; il la commença d'assaillir, et, pour abregier le conte, elle fut contente qu'il luy tollist ce que par honneur donner ne luy povoit.
Cela se passa, et, au terme acoustumé, elle fist ung très beau petit
charreton,
ou, pour mieulx dire, ung très beau petit filz. La
chose ne fut pas si secrete, que le chevalier de Haynault ne le sceust tantost, dont il fut bien
esbahy ;
il escripvit bien en haste, par ung propre messagier, à son compaignon en Flandres, comment sa dame avoit fait ung enfant à l'ayde d'ung
charreton.
Pensez que l'aultre fut bien
esbahy
d'ouyr ces nouvelles. Si ne demoura gueres qu'il vint en Haynault, devers son compaignon,
et luy pria qu'ilz allassent veoir sa dame, et qu'il la veult trop bien
tensier
et luy dire la lascheté et
neanteté
de son cueur,
combien que,
pour son
meschief
advenu, elle ne se montrast encores gueres a ce temps. Si trouverent façon ces deux gentilz chevaliers,
par moyens subtilz, qu'ilz vindrent ou lieu et en la place où elle estoit. Elle fut bien honteuse et
desplaisante
de leur venue, comme celle qui bien scait qu'elle n'aura d'eulx aultre chose qui luy plaise ;
au fort,
elle se asseura, et les receut comme sa
contenance
et sa manière luy apporta. Ilz commencerent à
deviser
d'unes et d'aultres matières ; et nostre bon chevalier de Flandres va commencer son
service
et luy dist tant de villennie qu'on ne pourroit plus :
« Or estes-vous. bien, dist-il, la femme du monde la plus reprouchée et moins honnourée ; et avez monstré la grant lacheté de vostre
cueur, qui vous estes abandonnée à ung grant
villain
charreton !
Tant de gens de bien vous ont offert leurs
services
et vous les avez tous
reboutez !
Et, pour ma part, vous scavez que j'ay fait, pour vostre grace acquerir ?
Et n'estoye-je pas homme pour avoir ce butin aussi bien ou mieulx que ung
paillart
charreton
qui ne fist
oncques
riens pour vous ?
- Je vous requiers et prie, dist-elle, Monseigneur, ne m'en parlez plus : ce qui est fait ne peut aultrement estre ;
mais je vous dis bien que, si vous fussiez venu à l'heure du
charreton,
que autant eussé-je fait pour vous que je feiz pour luy.
-Est-ce cela ? dist-il. Sainct Jehan ! il vint à bonne heure ! Le Dyable y ait part, quant je ne fus si heureux que de scavoir vostre heure !
- Vraiement, dist-elle, il vint à l'heure qu'il falloit venir.
- Au Dyable, dist-il, de l'heure, de vous aussi, et de vostre
charreton ! »
Et à tant se part et son compaignon le suyt, et oncques puis n'en tint compte et à bonne cause.
L 'année du pardon de Rome
derrain
passé, estoit ou Daulphiné la
pestillence
si grande et si horrible et si espouventable, que la pluspart des gens de bien habandonnerent et laisserent le pays. Durant ceste
persecution, une belle, gente et jeune fille se sentit
ferue
de la maladie : et
incontinent
se vint rendre à une sienne voisine, femme de bien et de grant façon, et desjà sur l'aage, et luy
compta
son piteux
cas.
La voisine, qui estoit femme saige et asseurée, ne s'effroia de rien que l'aultre luy comptast : mesmes eut bien tant de
couraige
et d'asseurance, et de hardiesse en elle, qu'elle la conforta de parolle et de tant peu de médecine qu'elle scavoit :
« Helas, ce dit la jeune fille malade, ma belle voisine,
j'ay grant regret que force m'est aujourd'huy d'abandonner et laisser ce monde et les beaulx et bons passe-temps que j'ay euz assez longuement ;
mais encores, par mon serment, a dire entre vous et moy, mon plus grant regret est qu'il fault que je meure
sans coup frapper,
et sans scavoir et sentir des biens de ce monde ; telz et telz m'ont maintesfois priée,
et si les ay refusez tout plainement, de quoy il me desplaist ; et croyez, se j'en peusse
finer
d'ung à ceste heure, il ne m'eschapperoit jamais, devant qu'il m'eust monstre comment je fuz
gaingnée.
L'on me fait entendant que la façon du faire est tant plaisante et tant bonne, que je plains et
complains mon gent et jeune corps, qu'il fault pourrir, sans avoir eu ce désiré plaisir. Et, à la vérité dire, ma bonne voisine, il me semble,
se je peusse quelque peu sentir avant ma mort, ma fin en seroit plus aisée et plus legiere à passer, et à moins de regret. Et, qui plus est,
je croy que ce me pourroit estre medecine et cause de guerison.
- Pleust à Dieu, dist la vieille, qu'il ne tenist à aultre chose ! Vous seriez tost guérie, ce me semble ; car, Dieu mercy,
nostre ville n'est pas encores si desgarnie de gens, que on n'y trouvast ung gentil compaignon pour vous servir à ce besoing.
- Ma bonne voisine, dist la jeune fille, je vous requiers que vous alliez devers ung tel (qu'elle luy nomma, qui estoit ung très beau gentil homme,
et qui autresfois avoit esté amoureux d'elle), et faictes tant qu'il vienne icy parler à moy. »
La vieille se mist au chemin, et fist tant, qu'elle trouva ce gentilhomme, et l'envoya en sa maison. Tantost qu'il fut
leans,
la jeune fille, à cause de la maladie plus et mieulx
coulourée,
luy
saillit au col
et le
baisa
plus de vingt fois. Le jeune filz, plus joyeux
qu'oncques mais,
de veoir celle que tant avoit aymée ainsi vers luy abandonnée, la saisit
sans demeure,
et luy monstra ce que tant desiroit. Assavoir s'elle fut honteuse de luy
requerre
et prier de continuer ce qu'il avoit commencé ; et pour abregier, tant luy fist-elle recommencer, qu'il n'en peut plus.
Quant elle vit ce, comme celle
qui n'en avoit pas son saoul, elle luy osa bien dire :
« Mon amy, vous m'avez maintesfois priée de ce dont je vous requiers aujourd'huy : vous avez fait ce qu'en vous est, je le scay bien.
Toutesfoys, je ne scay que j'ay, ne qu'il me fault, mais je congnois que je ne puis vivre,
se quelqu'un ne me fait compaignie en la façon que m'avez fait ; et pourtant je vous prie que vueilliez aller vers ung tel et l'amenez icy, si
chier
que vous avez ma vie.
- Il est bien vray, m'amye, je le scay bien, qu'il fera ce que vous vouldrez. »
Ce gentil homme fut bien esbahy de ceste requeste ; toutesfoys, pource qu'il avoit tant labouré que plus n'en povoit, il fut content d'aller querir son compaignon et l'amena devers celle, qui tantost le mist en besoingne, et le laissa ainsi que l'aultre. Quant elle l'eut matté comme son compaignon, elle ne fut pas moins privée de luy dire son couraige, mais luy pria, comme elle avoit fait l'aultre, d'amener vers elle ung aultre gentil homme : il le fist. Or sont jà trois quelle a lassez et desconfiz par force d'armes.
Mais vous devez scavoir que le premier gentil homme se sentit malade et
feru
de l'espidimie ; tantost qu'il eut mys son compaignon en son lieu, et s'en alla hastivement vers le curé, et tout le mieulx qu'il sceut se confessa,
et puis mourut entre les bras du curé. Son compaignon, le deuxiesme venu, tantost aussi que au tiers il eut baillié sa place,
il se sentit très malade, et demanda partout après celuy qui estoit jà mort ; et vint rencontrer le curé pleurant et demenant grant
deul
qui luy compta la mort de son bon compaignon :
« Ah ! monseigneur le curé, dist-il, je suis
feru
tout comme luy, confessez-moy ! »
Le curé, en grant crainte, se despescha de le confesser. Et quant ce fut fait, ce gentil homme malade, à deux heures près de sa fin,
s'en vint à celle qui luy avoit baillé le coup de la mort, et à son compaignon aussi, et là trouva celuy qu'il y avoit mené, et luy dist :
« Mauldicte femme, vous m'avez baillé la mort et pareillement à mon compaignon ! Vous estes digne de estre brulée et
arse
et mise en cendres. Toutesfoys, je le vous pardonne, priant à Dieu qu'il le vous vueille pardonner.
Vous avez l'espidimie et l'avez baillée à mon compaignon qui en est mort entre les bras du prestre, et je n'en ay pas moins. »
Il se partit à tant et s'en alla mourir, une heure après, en sa maison. Le troisiesme gentil homme, qui se veoit en l'espreuve où ses deux compaignons estoient mors, n'estoit pas des plus asseurez. Toutesfoys, il print couraige en soy-mesmes et mist paour et crainte arrière ; et s'asseura, comme celuy qui en beaucoup de perilz et de mortelz assaultz s'estoit trouvé ; et vint au père et à la mère de celle qui avoit deceu ses deux compaignons, et leur compta la maladie de leur fille et qu'on y print garde. Cela fait, il se conduisit tellement, qu'il eschappa du grant peril où ses deux compaignons estoient mors.
Or, devez-vous scavoir que, quant ceste ouvriere de tuer gens, fut ramenée en l'ostel de son père, tandis qu'on luy faisoit ung lit pour reposer et la faire suer, elle manda secretement le filz d'ung cordonnier son voisin, et le fist venir en l'estable des chevaulx de son père et le mist en oeuvre comme les aultres, mais il ne vesquist pas quatre heures après. Elle fut couchée en ung lit, et la fist-on beaucoup suer. Et tantost luy vindrent quatre boces dont elle fut très bien guerie, et tiens qui en auroit à faire, qu'on la trouveroit aujourd'huy ou renc de noz cousines, en Avignon, à Beaucaire, ou aultre part. Et disent les maistres qu'elle eschappa de mort a cause d'avoir senty des biens de ce monde : qui est notable et véritable exemple à plusieurs jeunes filles de point refuser ung bien, quant il leur vient.
N'a gueres qu'en ung bourg de ce royaulme, en la duchié d'Auvergne, demouroit ung gentil homme ; et, de son malheur, avoit une très belle jeune femme ; et de sa bonté devisera mon compte. Ceste bonne damoiselle s'accointa d'ung curé qui estoit son voisin de demie lieue, et furent tant voisins et tant privez l'ung de l'aultre, que le bon curé tenoit le lieu du gentil homme toutes les foys qu'il estoit dehors.
Et avoit ceste damoiselle une chamberiere qui estoit secrétaire de leur fait, laquelle, portoit souvent nouvelles au curé et l'advisoit du lieu et de l'heure, pour comparoir seurement devers sa maistresse. La chose ne fut pas en la parfin, si bien celée, que mestier eust esté à la compaignie ; car ung gentil homme, parent de celuy à qui ce deshonneur ce faisoit, fut adverty du cas, et en advertit celuy à qui plus il touchoit, en la meilleure façon et manière qu'il sceust et peut. Pensez que ce bon gentilhomme, quant il entendit que a son absence sa femme se aydoit de ce curé, qu'il n'en fut pas content, et, se n'eust esté son cousin, il en eust prins vengenee criminelle et de main mise, si tost qu'il en fut adverty. Toutesfoys, il fut content de différer sa voulenté jusques à tant qu'il l'eut prins au fait et l'ung et l'aultre. Si conclurent, luy et son cousin, d'aller en pellerinaige à quatre ou six lieues de son ostel, et de y mener ce curé, pour mieulx soy donner garde des manières qu'ilz tiendroient l'ung vers l'aultre.
Au retourner qu'ilz firent de ce voyaige où monseigneur le curé servit amours de ce qu'il peut, c'est assavoir de oeillades, et d'aultres telles menues entretenances, le mary se fist mander querir par ung messagier affaictié, pour aller vers ung seigneur du pays ; il fist semblant d'en estre mal content et de soy partir à regret ; neantmoins, puisque le bon seigneur le mande, il n'oseroit desobeyr. Si part et s'en va, et son cousin, l'aultre gentil homme, dist qu'il luy feroit compaignie, car c'est assez son chemin pour retourner en son ostel. Monseigneur le curé et ma damoiselle ne furent jamais plus joyeux que d'ouyr ceste nouvelle : si prindrent conseil et conclusion ensemble, que le curé se partira de leans et prendra son congié, affin que nul de leans n'ait suspicion sur luy, et, environ la mynuyt, il retournera et entrera vers sa dame par le lieu acoustumé. Et ne demoura gueres, puis ceste conclusion prinse, que nostre curé se partit de leans, et dist adieu.
Or devez-vous scavoir que le mary et le gentil homme son parent estoient en embusche, en ung destroit par où nostre curé devoit passer ; et ne povoit aller ne venir par aultre lieu, sans soy trop destourner de son droit chemin. Ilz virent passer nostre curé et leur jugeoit le cueur qu'il retournerait, la nuyt, dont il estoit party ; et aussi c'estoit son intention. Ilz le laisserent passer, sans arrester ne dire mot, et s'adviserent de faire en ce destroit ung très beau piège, à l'ayde d'aucuns paysans qui les servirent à ce besoing. Ce piège fut en haste bel et bien fait ; et ne demoura gueres que ung loup, passant pays, ne s'attrappast leans.
Tantost après, vecy maistre curé qui vient, la robe courte vestue et portant le bel espieu à son col. Et quant vint à l'endroit du piège, il tumba là dedans, avecques le loup, dont il fut bien esbahy . Et le loup, qui avoit fait l'essay, n'avoit pas moins de paour du curé, que le curé avoit de luy.
Quant noz deux gentilz hommes virent que maistre curé estoit avec le loup logié, ilz en firent joye merveilleuse ; et dist bien celuy à qui le fait plus touchoit que jamais ne partira en vie, et qu'il l'occira leans. L'aultre le blasma de ceste voulenté, et ne se veult accorder qu'il meure, mais trop bien est-il content qu'on luy trenche ses genitoires. Le mary, toutesfoys, le veult avoir mort. En cest estrif demourerent longuement, attendant le jour et qu'il fist cler.
Tandiz que cest
estrif
se faisoit,
ma damoiselle,
qui attendoit son curé, ne scavoit que penser de quoy il tardoit tant ; si se pensa d'y envoier sa
chamberiere,
affin de le faire
advancier.
La
chamberiere,
tirant son chemin vers
l'ostel
du curé, trouva le piège et tumba dedans avecques le loup et le curé :
« Ha ! dist le curé, je suis perdu, mon fait est descouvert ; quelqu'ung nous a
pourchacié
ce passaige. »
Le mary et le gentil homme son cousin, qui tout entendoyent et veoient, estoient tant aises, qu'on ne pourroye plus ; et se penserent, comme se le Sainct Esperit leur eust revelé, que la maistresse pourroit bien suyr la chamberiere, à ce qu'ilz entendirent d'elle, que sa maistresse l'envoyoit devers le curé pour scavoir qui le tardoit tant de venir, oultre l'heure prinse entre eulx deux.
La maistresse, voyant que le curé et la chamberiere ne retournoient point, et, de paour que la chamberiere et le curé ne feissent quelque chose à son prejudice, et qu'ilz se pourroyent rencontrer ou petit boys qui estoit à l'endroit où le piège estoit fait, si conclut qu'elle yra veoir s'elle en orra nulles nouvelles. Et tira pays vers l'ostel du curé, et elle est venue, à l'endroit du piège, tumba dedans la fosse avecques les aultres. Il ne fault jà demander, quant ceste compaignie se vit ensemble, qui fut le plus esbahy, et se chascun faisoit sa puissance de soy tirer de la fosse ; mais c'est pour neant, chascun d'eulx se repute mort et deshonnouré. Et les deux ouvriers, c'est assavoir le mary de la damoiselle et le gentil homme son cousin, vindrent au dessus de la fosse saluer la compaignie, en leur disant qu'ilz feissent bonne chiere, et qu'ilz apresteroient leur desjeuner. Le mary, qui mouroit et enrageoit de faire ung coup de sa main, trouva façon par ung subtil moyen d'envoier son cousin veoir que faisoient leurs chevaulx qui estoient en ung ostel assez près ; et, tandis qu'il se trouva descombré de luy, il fist tant, à a quelque meschief que ce feust, qu'il eut de l'estrain largement, qu'il avala dedens la fosse, et y bouta le feu ; et là dedans brusla la compaignie, c'est assavoir la femme, le curé, la chamberiere et le loup. Après ce, il se partit du païs et manda vers le roy querir sa remission, laquelle il obtint de legier. Et disoient aucuns que le roy deust dire qu'il n'y avoit dommaige que du povre loup, qui fut bruslé, qui ne povoit mais du meffait des aultres.
Tandis que l'on me preste audience et que ame ne s'avance, quant à présent, de parfournir ceste glorieuse et édifiante oeuvre de Cent Nouvelles, je vous compteray ung cas qui puis nagueres est advenu ou Daulphiné, pour estre mis au renc et ou nombre desdictes Cent Nouvelles.
Il est vray que ung gentil homme dudit Daulphiné avoit en son ostel une sienne seur, environ de l'aage de dix-huit à vingt ans ; et faisoit compaignie à sa femme qui beaucoup l'aymoit et tenoit chiere ; et comme deux seurs se doivent contenir et maintenir ensemble, elles se conduisoient. Advint que ce gentil homme fut semons d'un sien voisin, lequel demouroit à deux petites lieues de luy, de le venir veoir, luy et sa femme et sa seur. Ilz y allerent, et Dieu scait la chere qu'ilz firent. Et, comme la femme de celuy qui festoioit la compaignie menoit à à l'esbat la seur et la femme de nostre gentil homme, après soupper, devisant de plusieurs choses, elles se vindrent rendre à la maisonnette d'ung bergier de leans, qui estoit auprès d'ung large et grant parc à mettre les brebis, et trouverent là le maistre bergier qui besoingnoit entour de ce parc. Et, comme femmes scavent enquerir de maintes et diverses choses, luy demanderent s'il avoit point froit leans. Il respondit que non et qu'il estoit plus aise que ceulx qui ont leurs belles chambres verrées, nattées et pavées. Et tant vindrent d'unes parolles à aultre par motz couvers, que leurs devises vindrent à toucher du train de derrière. Et le bon bergier, qui n'estoit ne fol ne esperdu, leur dist que par la mort bieu il oseroye bien entreprendre de faire la besoingne huit ou neuf fois par nuyt. Et la seur de nostre gentil homme, qui ouyt ce propos, gettoit l'oeil souvent et menu sur ce bergier ; et, de fait, jamais ne cessa, tant qu'elle vit son coup de luy dire qu'il ne laissast pour rien, qu'il ne la vint veoir à l'ostel de son frère, et qu'elle luy feroye bonne chiere.
Le bergier, qui la vit belle fille, ne fut pas moyennement joyeux de ces nouvelles et promist de la venir veoir. Et, brief , il fist ce qu'il avoit promis, et, à l'heure prinse entre sa dame et luy, se vint rendre à l'endroit d'une fenestre haulte et dangereuse à monter ; toutesfoys, à l'ayde d'une corde qu'elle luy devala, et d'une vigne qui là estoit, il fist tant, qu'il fut en la chambre, et ne fault pas dire s'il y fut voulentiers veu. Il monstra, de fait, ce dont il s'étoit vanté de bouche, car, avant que le jour vint, il fist tant, que le cerf eut huit cornes acomplies, laquelle chose la dame print bien en gré.
Mais vous devez scavoir et entendre que le bergier, avant qu'il peust parvenir à sa dame, luy failloit cheminer deux lieues de terre, et puis passer à nagier la grosse rivière du Rosne qui batoit à l'ostel où sa dame demouroit. Et quant le jour venoit, luy falloit arrière repasser le Rosne ; et ainsi s'en retournoit à sa bergerie, et continua ceste maniere et ceste façon de faire une grande espace de temps, sans qu'il feust descouvert.
Pendant ce temps, plusieurs gentilz hommes du pais demandoient ceste
damoiselle,
devenue bergiere, à mariaige ; mais nul ne venoit à son gré : dont son frere n'estoit pas trop
content,
et luy dist plusieurs fois. Mais elle estoit tousjours
garnie
d'excusations et de responces largement, dont elle advertissoit son amy le bergier, auquel ung soir elle promist que, s'il vouloit,
elle n'auroye jamais aultre mary que luy. Et il dist qu'il ne demandoit aultre bien :
« Mais la chose ne se pourroye conduire, dist-il, pour vostre frère et aultres voz amys ?
- Ne vous chaille,
dist-elle, laissez m'en faire, j'en
cheviray
bien. »
Ainsi promisrent l'ung à l'aultre. Neantmoins toutesfoys il vint ung gentil homme, qui fist arrière requerir nostre damoiselle bergiere,
et la vouloit avoir seulement vestue et habillée, comme à son estat appartenoit, sans aultre chose.
À laquelle chose le frère d'elle eust voulentiers entendu et besoingnié, et
cuida
mener sa seur à ce qu'elle se y consentist, luy remonstrant ce que on scait faire en tel cas ; mais il n'enpeut
venir à chief,
dont il fut bien mal content. Quant elle vit son frere indigné sur elle, elle le tire d'une part et luy dist :
« Mon frere, vous m'avez beaucoup parlé de moy marier à telz et à telz, et je ne me y suis voulu consentir ;
dont je vous requiers que vous ne m'en scachiez nul
mal gré,
et me vueillez pardonner le
mautalent
que avez sus moy, et je vous diray aultrement la raison qui à ce me
meut
et contraint en ce cas ;
mais que
me vueillez asseurer que ne m'en ferez ne vouldrez pis ? »
Son frere luy promist voulentiers. Quant elle se vit asseurée, elle luy dist qu'elle estoit mariée autant vault,
et que, jour de sa vie, aultre homme n'auroit à mary que celuy qu'elle luy monstrera
annuyt,
s'il veult :
« Je le vueil bien veoir, dist-il, mais qui est-il ?
- Vous le verrez par temps ! » dist-elle.
Quant vint à l'heure acoustumée,
vecy
bon bergier, qui se vient rendre en la chambre de sa dame. Dieu scait comment mouillié d'avoir passé la rivière ;
et le frère d'elle le regarde et veoit que c'est le bergier de son voisin ; si ne fut pas peu
esbahy ,
et le bergier encores plus, qui s'en cuida
fuyr, quant il le vit.
« Demeure, demeure, dist-il,
tu n'as garde.
Est-ce, dist-il à sa seur, celuy-là dont vous m'avez parlé ?
- Ouy, vrayement, mon frere, dist-elle.
- Or luy faictes, dist-il, bon feu, pour soy seichier, car il en a bon
mestier ;
et
en pensez comme du vostre ;
et vrayement vous n'avez pas tort, se vous luy voulez du bien, car il se met en grant dangier pour l'amour de vous. Et, puis que voz
besoingnes
sont en telz termes, et que vostre
couraige
est à cela que d'en faire vostre mary, à moy ne tiendra-il pas ; et mauldit soit qui ne s'en
despeschera.
- Amen, dist-elle. À demain qui vouldra !
- Et je le vueil, dist-il. Et vous, bergier, dist-il, qu'en dictes vous ?
- Tout ce qu'on veult.
- Il n'y a remede, dist-il, vous estes et serez mon frère ; aussi,
suis-je pieça de la houlette,
si dois bien avoir ung bergier à frère. »
Pour abregier le compte du bergier, le gentil homme consentit le mariaige de sa seur et du bergier, et fut fait, et les tint tous deux en son'ostel, combien qu'on en parlast assez par le pais. Et, quant il estoit en lieu que on luy disoit que c'estoit merveille qu'il n'avoit fait batre ou tuer le bergier, il respondoit que jamais il ne pourroye vouloir mal à riens que sa seur aymast, et que trop mieulx vouloit avoir le bergier à beau-frere, au gré de sa seur, que ung aultre bien grant maistre, au desplaisir d'elle. Et tout ce disoit par farce et esbatement, car il estoit et est toujours très gracieux et nouveau et bien plaisant gentil homme ; et le faisoit bon ouyr deviser de sa seur, voire entre ses amys et privez compaignons.
Je congneuz au temps de ma verde et plus vertueuse jeunesse deux gentilz hommes, beaulx compaignons, bien assouvis et adreciez de tout ce que on doit louer en ung gentil homme vertueux. Ces deux estoient tant amys, alyez et donnez l'ung à l'autre, que d'habillemens, tant pour leurs corps que leurs gens et chevaulx, tousjours estoient pareilz.
Advint qu'ilz devindrent amoureux de deux belles jeunes filles, gentes et gracieuses. Et le moins mal qu'ilz sceurent, firent tant qu'elles furent adverties de leur nouvelle entreprinse, du bien, du service, de cent mille choses que pour elles faire vouldroient. Ilz furent escoutez, mais aultre chose ne s'en ensuyvit. J'espère, pour ce qu'elles estoient de serviteurs pourveues, ou que d'amours ne se vouloient entremettre ; car, à la vérité dire, ilz estoient beaulx compaignons tous deux, et valoient bien d'estre retenus serviteurs d'aussi femmes de bien qu'elles estoient. Quoy qu'il feust toutes fois, ilz ne sceurent oncques tant faire, qu'ilz feussent en grace, dont ilz passerent maintes nuytz, Dieu scait à quelle peine ; mauldisans puis fortune, maintenant amours, et très souvent leurs dames qu'ilz trouvoient tant rigoureuses.
Eulx estans en ceste raige et desmesurée langueur ; l'ung dist à son compaignon :
« Nous voyons à l'oeil, que noz dames ne tiennent compte de nous, et toutesfoys, nous enraigeons après,
et tant plus nous monstrent de fierté et de rigueur, tant plus que les desirons complaire, servir et obeyr :
laquelle chose est une haulte follie. Je vous
requiers
et prie que nous ne tenons compte d'elles en plus qu'elles font de nous, et vous verrez,
s'elles peuvent congnoistre que nous soyons à cela, qu'elles enraigeront après nous, comme nous faisons maintenant après elles.
- Helas ! dist l'aultre, c'est bon conseil, qui en pourroye
venir à chief.
- J'ay trouvé
la manière,
dist le premier ; j'ay toujours ouy dire, et Ovide le met en son livre du Remede d'amours,
que beaucoup et souvent faire la chose que scavez fait oublier et peut tenir compte de celle qu'on ayme,
et dont on est fort féru. Si vous diray que nous ferons ! Faisons venir à nostre logis deux jeunes filles de noz
cousines,
et couchons avecques elles, et leurs faisons tant la follie, que nous ne puissons les rains traîner, et puis venons devant noz dames ;
au Dyable dé l'homme qui en tiendra compte ! »
L'aultre s'y accorda, et comme il fut proposé et délibéré il fut fait et accomply, car ilz eurent chascun une belle fille.
Après ce, ilz s'en vindrent trouver devant leurs dames, en une feste où elles estoient, et faisoient en bons compaignons la
roe
et du fier, et se pourmenoient par devant elles, et devisoient d'ung
cousté
et d'aultre, et faisoient cent mille manières, pour dire :
« Nous ne tenons compte de vous ! »
Cuidans,
comme ilz avoient proposé, que leurs dames en deussent estre mal contentes, et qu'elles les deussent rappeler maintenant ou aultrefois ;
mais aultrement en alla, car, s'ilz monstroient
semblant
de tenir peu compte d'elles, elles monstroient tout
appertement
de riens y encompter, dont ilz se apperceurent très bien et ne s'en scavoient assez
esbahyr .
Si dist l'ung à son compaignon :
« Scez-tu comment il est ? Par
la mort bieu !
noz dames ont fait la follie comme nous, et ne vois-tu comment elles sont fieres : elles tiennent toutes telles manières que nous faisons ;
si ne me croy jamais, s'elles n'ont fait comme nous ! Elles ont prins chascun ung compaignon et ont fait jusques à oultrance la follie. Au Dyable les
crapaudailles !
Laissons-les là.
- Par ma foy ! dist l'aultre, je le croy comme vous : je n'ay pas aprins de les veoir telles. »
Ainsi penserent-les compaignons, que leurs dames eussent fait comme eulx, pource qu'il leur sembla à l'heure qu'elles n'en tenissent compte, comme ilz ne tenoient compte d'elles, mais il n'en fut riens, et est assez legier à croire.
En la ville de Sainct-Omer, avoit nagueres ung gentil compaignon, sergent de roy, lequel estoit marié à une bonne et loyale femme, qui aultrefois avoit esté mariée, et luy estoit demouré ung filz, qu'elle avoit adroicié en mariaige. Ce bon compaignon, jà soit ce qu'il eust bonne et preude femme, neantmoins il s'employoït très bien de jour et de nuyt à servir amours partout où il povoit, et tant que à luy estoit possible. Et, pour ce que, en temps d'yver, sourdent plusieurs fois les inconveniens plus de legier que en aultre temps à poursuir la queste loing, il s'advisa et delibera que il ne partiroye point de son ostel pour servir amours, car il avoit une très belle, gente et jeune fille, chamberiere de sa femme, avec laquelle il trouveroye maniere d'estre son serviteur.
Pour abregier, tant fist par dons et par promesses, qu'il eut octroy de faire tout ce qu'il luy plairoye,
jà soit que
à grant peine, pource que sa femme estoit tousjours sus eulx, qui congnoissoit la condition de son mary.
Ce nonobstant, Amours, qui veult tousjours secourir ses vrays serviteurs, inspira tellement l'entendement du bon et loyal servant,
qu'il trouva moyen d'accomplir son veu. Car il faignit estre très fort malade de
refroidement
et dist à sa femme :
« Très doulce
compaigne,
venez ! Je suis si très malade que plus ne puis ; il me fault aller couchier,
et vous prie, que vous faciez tous noz gens couchier, affin que nul ne face
noyse
ne bruit, et puis venez en nostre chambre. »
La bonne
damoiselle,
qui estoit très
desplaisante
du mal de son mary, fist ce qu'il commanda, et puis print beaulx
draps
et les chauffa et mist sus son mary, après qu'il fust couchié. Et quant il fut bien eschauffé par longue
espace,
il dist :
« M'amye, il suffîst ; je suis assez bien, Dieu mercy, et
la vostre,
qui en avez prins tant de peine ! Si vous prie que vous en venez couchier emprès moy. »
Elle, qui desiroit la santé de son mary, fist ce qu'il commandoit et s'endormit le plus tost qu'elle peut, et,
assez tost après que nostre bon mary apperceut qu'elle dormoit, se coula tout doulcement
jus
de son lit, et s'en alla combatre ou lit de sa dame la
chamberiere,
tout prest pour son veu acomplir, où il fut bien receu et rencontré. Et tant
rompirent de lances,
qu'ilz furent si las et si
recreans,
qu'il convint que en beaulx bras demeurassent endormis. Et, comme
aucunes fois advient que,
quant on s'endort en
aucun
desplaisir
ou melancolie, au resveiller, c'est ce qui vient
premier
à la personne, et est
aucunesfois
mesmes cause du réveil, comme à la
damoiselle
advint ; et,
jà soit ce que
grant
soing
eust de son mary, toutesfois elle ne le garda pas bien, car elle trouva qu'il s'estoit de son lit party.
Et, au taster qu'elle fist sus son orillier, et en sa place, trouva qu'il y faisoit tout froit et qu'il y avoit longtemps qu'il n'y avoit esté.
Adonc, comme toute desesperée,
saillit sus,
et, en vestant sa chemise et sa
cotte simple,
disoit à part elle :
« Las ! meschante, ores es-tu une femme perdue et gastée et qui fait bien à reprouchier,
quant par la négligence as laissié cest homme perdre ! Helas ! pourquoy me suis je
annuyt
couchée, pour ainsi m'abandonner au dormir ! vierge Marie, vueilliez mon cueur resjouyr, et que par ma cause il n'ait nul mal,
car je me tiendroye coulpable de sa mort ! »
Et, après ces regretz et lamentations, elle se partit hastivement, et alla querir de la lumiere ; et, affin que sa chamberiere luy tint compaignie à querir son mary, elle s'en alla en la chambre pour la faire lever, et là, en droit, trouva la doulce paire, dormant bras à bras, et luy sembla bien qu'ilz avoient ceste nuyt travaillié, car ilz dormoient si fort, qu'ilz ne s'esveillerent point pour personne qui y entrast, ne pour lumiere que on y portast. Et, de fait, pour la joye qu'elle eut de ce que son mary n'estoit point si mal ne si desvoyé qu'elle esperoit, ny que son cueur luy avoit jugié, elle s'en alla quérir ses enfans et les varlets de l'ostel et les mena veoir la belle compaignie, et leur enjoignit expressement qu'ilz n'en feissent quelque semblant ; et puis leur demanda, en basset, qui c'estoit ou lit de sa chamberiere, qui là dormoit avecques elle. Et ses enfans dirent que ce estoit leur père, et les varletz que ce estoit leur maistre. Adoncque elle les ramena dehors et les fist aller couchier, car il estoit trop matin pour eulx lever, et aussi, elle s'en alla en son lit, mais depuis ne dormit gueres, tant qu'il fut heure de lever. Toutesfoys, assez tost après, la compaignie des vrais amans s'esveilla et se departirent l'ung de l'aultre amoureusement. Si s'en retourna nostre maistre à son lit, emprès sa femme, sans dire mot ; et aussi ne fist-elle, et faignit de dormir, dont il fut moult joyeulx, pensant qu'elle ne sceust riens de sa bonne fortune ; car il la craignoit et doubtoit à merveilles, tant pour sa paix que pour l'honneur et le bien de la filles. Et, de fait, se reprint nostre maistre à dormir bien fort. Et la bonne et gente damoiselle, qui point ne dormoit, si tost qu'il fust heure de descouchier, se leva, et pour festoier son mary, et luy donna, aucune chose confortative, après la medecine laxative qu'il avoit prinse celle nuytée.
Puis après, la bonne damoiselle fist lever ses gens et appella sa chamberiere, et luy dist qu'elle print les deux plus gras chappons de la chapponniere, et que les appointast très bien, et puis, qu'elle allast à la boucherie querir la meilleure piece de beuf qu'elle pourroye trouver, et si cuist tout à une bonne eaue, pour humer, ainsi qu'elle le scauroye bien faire ; car elle estoit maistresse et ouvrière de faire bon brouet. Et la bonne fille, qui de tout son cueur desiroit complaire à sa damoiselle, et encores plus à son maistre, à l'ung par amours et à l'aultre par crainte, dist que très voulentiers le feroit. Cependant la damoiselle alla ouyr la messe, et, au retour, : passa par l'ostel de son filz, dont cy-dessus a esté parlé, et luy dist que venist disner avecques son mary, et si amenast avec luy trois ou quatre compaignons, qu'elle luy nomma, et que son mary et elle les prioient qu'ilz venissent disner avecques eulx. Quant elle eut ce dit, elle s'en retourna à l'ostel pour entendre à la cuisine, de paour que le humeau ne fut espandu, comme par male garde il avoit esté la nuytée précédente, mais nenny ; car nostre bon mary s'en estoit allé à l'église ouyr la messe. Et, tandis que le disner s'apprestoit, le filz à la damoiselle alla prier ceulx qu'elle luy avoit nommez, qui estoyent les plus grans farceurs de toute la ville de Sainct-Omer.
Or revint nostre maistre, de la messe, et fist une grande
brassie
à sa femme, et luy donna le bon jour ; et aussi fist-elle à luy. Mais toutesfoys elle n'en pensoit pas moins, et luy commença à dire
qu'elle estoit bien joyeuse de sa santé, dont il la remercia, et luy dist ?
« Vrayement, je suis assez
en bon point,
Dieu mercy, m'amye, veu que j'estoye hyer, à la
vesprée
si mal disposé, et me semble que j'ay très bon appétit ; si vouldroye bien aller
disner,
si vous voulez. »
Lors elle luy dist :
« J'en suis bien
contente ;
mais il fault ung peu attendre que le
disner
soit prest, et que telz et telz qui sont priez de
disner
avecques vous soyent venuz.
- Priez ? dist-il : et à quel propos ? Je n'en ay cure ; et aymasse mieulx qu'ilz demourassent ;
car ilz sont si grans farceurs, que, s'ilz scavoient que j'aye esté malade, ilz ne m'en feront que
farcer.
Au moins, belle dame, je vous prie qu'on ne leur en die riens ? Et encores aultre chose y a : que mengeront-ilz ? »
Et elle dist qu'il ne s'en souciast et qu'ilz auroyent assez à mengier, car elle avoit fait appointier et habiliter les deux meilleurs chappons de leans, et une très bonne pièce de beuf, pour l'amour de luy. De laquelle chose il fut bien joyeux, et dist que c'estoit bien fait. Et, tantost après, allerent venir ceulx que l'en avoit priez, avecques le filz à la damoiselle.
Et, quant tout fut prest, ilz s'en allerent seoir à table et firent très
bonne chiere,
et par especial l'oste, et buvoient souvent et d'autant l'ung à l'aultre. Et lors l'oste commença à dire à son beau filz :
« Jehan, mon amy, je vueil que vous buvez à vostre mère, et lui faictes
bonne chiere. »
Adoncques le filz respondit que très voulentiers le feroit. Et,
ainsi qu'il
eut beu à sa mère, la
chamberiere,
qui servoit, survint à la table pour servir les assistans,
ainsi qu'il
appartenoit, comme bien et honnestement le scavoit faire. Et, quant la
damoiselle
la vit, elle l'appella et luy dist. :
« Venez çà, ma doulce
compaigne ?
Buvez à moy et je vous
plegeray !
- compaigne,
dea ?
dist nostre amoureux : et dont vient maintenant celle grant amour ? Que male paix y puis mettre Dieu !
Vecy
grant nouvelleté !
- Voire vrayement,
c'est ma
compaigne
certaine et loiale. En avez-vous si grant
merveille ?
- He
dea,
dist l'oste, Jehanne, gardez que vous dictes ! On pourroit jà penser quelque chose entre elle et moy.
- Et pourquoy ne feroit-on ? dist-elle. Ne vous ay-je point
annuyt
trouvé couchié avecques elle, en son lit et dormant bras à bras ?
- Couchié ? dist-il.
- Voire vrayement
couchié, dist-elle.
- Et, par ma foy, beaulx seigneurs, dist-il, il n'en est riens, et ne le fait que pour me faire
despit,
et aussi pour donner à la povre fille blasme ; car je vous promelz que
oncques
ne m'y trouvay.
- Non
dea,
dist-elle, vous
l'orrez
tantost et le vous feray tout à ceste heure dire devant vous, par tous ceulx de ceans. »
Adonc appella ses enfans, et les varletz qui estoient devant la table,
et leur demanda se ils avoient point veu leur pere couchié avecques la
chamberiere ;
et ilz dirent que ouy. Adonc leur pere respondit :
« Vous mentez, mauvais garçons ! Vostre mere le vous fait dire.
- Saulve vostre grace, pere, nous vous y veismes couchié ! »
Aussi firent noz varletz :
« Qu'en dictes-vous ? dist la
damoiselle.
- Vrayement, il est vray ! » dirent-ilz.
Et lors il y eut grande risée de ceulx qui l'a estoient. Et le mary fut terriblement
abayé ;
car la
damoiselle
leur compta comment il s'estoit fait malade, et toute la manière de faire, ainsi qu'elle avoit esté ; et comment, pour les
festoyer,
elle avoit fait
appareillier
le
disner
et prier ses amys ; lesquelz de plus en plus renforçoient la chose, dont il estoit si honteux, qu'à peine scavoit-il
tenir manière
et ne se sceut aultrement sauver, que de dire.
« Or avant ! Puis que chascun est contre moy, il fault bien que je me taise, et que je accorde tout ce qu'on veult,
car je ne puis tout seul contre vous tous. »
Après, commanda que la table fust ostée, et
incontinent
graces rendues, appella son beau filz et luy dist :
« Jehan, mon amy, je vous prie que, se les aultres me accusent de cecy, que me excusez en gardant mon honneur,
et allez scavoir à ceste povre fille, que on luy doit, et la payez si largement, qu'elle n'ait cause de soy plaindre,
puis la faictes partir ; car je scay bien que vostre mere ne la souffreroit plus demourer ceans. »
Le beau filz alla
incontinent
faire ce qui luy estoit commandé, et puis retourna aux compaignons qu'il avoit amenez, lesquelz il trouva parlans à sa mère,
et la remercioient moult grandement de ses biens et de la bonne chere qu'elle leur avoit faicte, puis prindrent congié et s'en allerent.
Et les aultres demourerent à l'ostel ; et fait à supposer que
depuis
en eurent maintes
devises
ensemble. Et le gentil amoureux ne beut point tout l'amer
de son vaisseau,
à ce
disner.
À ce propos, peut-on dire de chiens, d'oyseaux, d'armes, d'amours : Pour ung plaisir, mille douleurs. Et pourtant nul ne s'y doit bouter, s'il n'en veult aucunesfois gouster. Et ainsi luy en advint et acheva ledit mary sa queste en ceste partie, par la manière que dit est.
N'a pas long temps que en la ville de Troye avoit trois
damoiselles,
lesquelles estoient femmes à trois bourgeois de la ville, riches, puissans, et bien aisiez ; lesquelles furent amoureuses de trois
Frères mineurs.
Et pour plus
celeement et
couvertement
leur fait conduire,
soubz umbre
de
devocion,
se levoient chascun jour une heure ou deux devant le jour. Et, quant il leur sembloit heure d'aller vers leurs amoureux,
elles disoient à leurs marys, qu'elles alloient à matines, à la première messe. Et pour le grant plaisir qu'elles y prenoient,
et les religieux aussi, souvent advenoit que le jour les surprenoit si largement, qu'elles ne scavoient comment
saillir
de l'ostel,
que les aultres religieux ne s'en apperceussent. Pourquoy,
doubtans
les grans perilz et inconveniens qui en povoient
sourdre,
fut prinse conclusion par eulx toutes ensemble, que chascune d'elles auroye habit de religieux,
et feroyent faire grant
couronne
sur leur teste, comme s'elles estoient du couvent de
leans,
jusques finablement à ung aultre certain jour qu'elles y retourneroyent après.
Tandis que leurs marys gueres n'y pensoyent, elles venues ès chambres de leurs amys, ung barbier secret fut mandé,
c'est assavoir des freres de
leans,
qui fist aux
damoiselles
chascune la
couronne
sur la teste. Et, quant vint au departir, elles vestirent leurs habitz qu'on leur avoit
appareillez,
et en cest estat s'en retournerent dever
leurs ostelz
et s'en allerent desvestir, et
mettre jus
leur habitz de devotion chez une certaine matrone
affaitée,
et puis retournerent emprès leurs marys. Et
en ce point
continuerent grant temps, sans que personne s'en apperceust.
Et, pource que dommaige eust esté que telle
devocion
et travail n'eust esté congneue, fortune voulut que, à certain jour que l'une de ces bourgeoises s'estoit mise au chemin pour aller au lieu acoustumé,
l'embusche
fut descouverte, et, de fait, fust prinse
à-tout
l'habit dissimulé,
par son mary, qui l'avoit poursuye ; si luy dist :
« Beau frère, vous soyez le très bien trouvé ! Je vous prie que retournez
à l'ostel,
car j'ay à parler à vous de conseil. »
Et, en cest estat, la ramena : dont elle ne fist jà feste. Or advint que, quant ilz furent
à l'ostel,
le mary commença à dire
en manière
de farce :
« Dictes-vous, par vostre foy, que la vraie
devocion,
dont ce temps d'yver avez esté esprinse, vous fait endosser l'habit de sainct Françoys, et porter
couronne
semblable auz bons frères ? Dictes-moy, je vous requiers, qui a esté vostre recteur, ou, par sainct Françoys, vous
l'amenderez ! »
Et fist semblant de
tirer
sa dague. Adoncques la povrette se
getta
à genoulx et s'escria à haulte voix :
« Ha, mon mary, je vous
crye mercy,
ayez pitié de moy, car j'ay esté seduite par mauvaise compaignie. Je scay bien que je suis morte, si vous voulez,
et que je n'ay pas fait comme je deusse ; mais je ne suis pas seule
deceue
en cette maniere, et, se vous me voulez promettre que ne me ferez riens, je vous diray tout. »
Adonc son mary s'y accorda. Lors elle luy dist comment plusieurs fois elle avoit esté oudit monastere avec deux de ses compaignes,
desquelles deux des religieux s'estoient
enamourez ;
et, en les
compaignant
aucunesfois
à faire
colacion,
en leurs chambres, le tiers fust esprins d'amours de moy, en me faisant tant de humbles et doulces requestes,
que nullement ne m'en suis peu excuser ; et mesmement, par l'instigation et
enhort
de mes dictes compaignes, je l'ay fait, disans que nous aurions bon temps ensemble, et si n'en scauroit-on riens.
Lors demanda lé mary qui estoient ses compaignes ; et elle les luy nomma. Adoncques sceut-il qui estoient leurs marys.
Et dit le compte qu'ilz buvoient souvent ensemble. Puis demanda qui estoit leur barbier, et les noms des trois religieux.
Le bon mary, consyderant toutes ces choses, avecques les douloureuses
admiracions
et piteux regretz de sa
femmelette,
dist :
« Or garde bien que tu ne dies à personne que je saiche parler de ceste matiere, et je te prometz que je ne te feray jà mal. »
La bonne damoiselle luy promist que tout à son plaisir elle feroye.
Adonc
incontinent
se part et alla prier au
disner
les deux marys et les deux
damoiselles,
les trois
cordeliers
et le barbier, et promisrent de venir. Lesquelz venuz le lendemain, et eulx assis à table, firent bonne
chiere
sans penser à leur male adventure. Et, après que la table fut ostée,
pour conclure de l'escot,
tirent plusieurs manières de faire mises avant joyeusement, susquoy
l'escot
seroye prins et soustenu ; ce toutesfoys qu'ilz ne sceurent trouver, ne estre d'acort, tant que l'oste dist :
« Puis que nous ne scavons trouver moyen de gaingnier nostre
escot
par ce qui est mis en termes, je vous diray que nous ferons : il fault que nous le facions paier à ceulx de la compaignie, qui la plus grant
couronne
portent, reservé ces bons religieux, car ilz ne paieront riens à présent, »
À quoy ilz s'accorderent tous et furent contens que ainsi en fust, et le barbier en fut le juge.
Et quant tous les hommes eurent monstre leurs
couronnes,
l'oste dist qu'il falloit veoir se les femmes en avoient nulles. Si ne fault pas demander s'il en y eut en la compaignie qui eurent leurs cueurs
estrains.
Et, sans plus attendre, l'oste print sa femme par la teste et la descouvrit. Et quant il vit ceste
couronne,
il fist une grande admiration, faignant que riens n'en sceust, et dist :
« Il fault veoir les aultres, s'elles sont
couronnées
aussi. »
Adonc leurs marys les firent deffubler, et pareillement furent trouvées comme la premiere, de laquelle chose ilz ne firent pas trop grant feste, nonobstant qu'ils en fissent grandes risées, et, tout en maniere de joyeuseté, dirent que vrayement l'escot estoit gaingné, et que leurs femmes le devoient. Mais il falloit scavoir à quel propos ces couronnes avoient esté enchargées, et l'oste, qui estoit assez joyeux, leur compta tout le demené de la chose, soubz telle protestation qu'ilz le pardonneroyent à leurs femmes pour ceste fois, parmy la penitence que les bons, religieux en porteroyent en leur presence ; laquelle chose les deux marys accorderent.
Et
incontinent
l'oste fist
saillir
quattre ou six
roiddes
galans
hors d'une chambre, tous, advertiz de leur fait, et prindrent beaulx moynes, et leur donnerent tant de biens de
leans,
qu'ilz en peurent entasser sus leur doz, puis les
bouterent
hors, et eurent les marys plusieurs
devises
qui longues seroient à racompter.
Ung jour advint que en une bonne ville dé Haynault avoit ung bon marchant, marié à une vaillante femme, lequel très souvent alloit en marchandise : qui estoit par adventure occasion à sa femme d'aymer aultre que luy, en laquelle chose elle continua et persevera moult longuement.
Neantmoins,
en la parfin,
l'embusche
fut descouverte par ung sien voisin, qui parent estoit audit marchant, et demouroit à l'opposite de
l'ostel
dudit marchant. Et, de sa maison, il vit et apperceut souventesfois ung gentil
galant
heurter et entrer de nuyt, et
saillir
hors de
l'ostel
dudit marchant. Laquelle chose venue à la congnoissance de celuy à qui le dommaige se faisoit, par l'advertissement du voisin, fut moult
desplaisant ;
et ; en remerciant son parent et voisin, dist que briefvement il y pourveoiroye, et qu'il
se bouteroye
du soir en sa maison, affin qu'il veist mieulx qui yroye et viendroye en son
ostel.
Et semblablement faignit d'aller dehors et dist à sa femme et à ses gens, qu'il ne scavoit quant il retourneroye ;
et luy, party au plus matin, ne demoura que jusques a la
vesprée ;
qu'il
bouta
son cheval quelque part et s'en vint
couvertement
chez son cousin. Et là regarda par une petite
treille,
attendant se il verroye ce que gueres ne luy plairoye. Et tant attendit que, environ neuf heures, en la nuyt, le
galant
à qui la
damoiselle
avoit fait scavoir que son mary estoit dehors, passa ung tour ou deux par devant
l'ostel
de la belle et regarda à
l'huys,
pour veoir s'il y pourroye entrer ; mais encores le trouva-il fermé. Si pensa bien qu'il n'estoit pas heure pour les
doubtes.
Et
ainsi qu'il
varioit
là entour,
le bon marchant, qui pensa bien que c'estoit son homme, descendit et vint à luy et luy dist :
« Mon amy, nostre
damoiselle
vous a bien apperceu, et, pource qu'il est encores temps assez, et qu'elle a
doubte
que nostre maistre ne retourne, elle m'a requis et prié que je vous mette dedans, s'il vous plaist. »
Le compaignon,
cuidant
que ce feust le varlet,
s'adventura
d'entrer
leans
avec luy, et tout doulcement
l'huys
fut ouvert, ci le mena tout derrière en une chambre, en laquelle avoit une moult grande
huche,
laquelle il
defferma
et le fist entrer dedans, affin que, se le marchant revenoit, qu'il ne le trouvast pas,
et que sa maistresse le viendroye assez tost mettre hors et parler à luy. Et tout ce souffrit le
gentil galant,
pour le mieulx, et aussi pource qu'il pensoit que l'aultre dist vérité. Et
incontinent
se partit le marchant le plus
celeement
qu'il peut, et s'en alla à son cousin et à sa femme, et leur dist :
« Je vous prometz que le rat est prins ; mais il nous fault adviser qu'il en est de faire. »
Et lors son cousin, et, par especial, la femme, qui n'aymoit point l'aultre, furent bien joyeux de la venue, et dirent qu'il seroye bon que l'en le monstrast aux parens et amys de la femme, affin qu'ilz veissent son gouvernement. Et, à ceste conclusion prinse, le marchant alla a l'ostel du père et de la mere de sa femme et leur dist qu'ilz s'en venissent moult hastivernent à son logis. Tantost saillirent sus, et tandis qu'ilz s'appointoient et appareilloient pour leur en aller chez leur fille, il alla pareillement querir deux des frères et deux des seurs d'elle, et leur dist comme il avoit fait au père, et à la mère. Et puis, quant il les eut tous assemblez, il les mena en la maison de son cousin, et illecques leur compta quittance la chose ainsi qu'elle estoit, et leur compta pareillement la prinse du rat.
Or convient-il scavoir comment le
gentil galant
pendant ce temps se
gouverna
en cette
huche,
de laquelle il fut gaillardement delivré, attendu l'adventure ; car la
damoiselle,
qui
se donnoit garde
souvent se son amy viendroye point, alloit devant et derrière, pour veoir s'elle en auroye point quelque nouvelle. Et ne tarda mie grant
piece
que le gentil compaignon, qui ouyoit bien que l'en passoit assez près du lieu où il estoit, et si le laissoit-on là,
il print à heurter du poing à ceste
huche,
tant que la dame l'ouyt, qui en fut moult
espantée.
Et neantmoins elle demanda qui c'estoit, et le compaignon luy respondit :
« Helas ! très doulce amye, ce suis-je qui me meurs de chault, et de
doubte
de ce que m'y avez fait
bouter,
et si n'y allez ne venez ! ».
Qui fut alors bien esmerveillée ? ce fut elle.
« Ha, vierge Marie, et pensez-vous, mon amy, que je vous y aye fait mettre ?
- Par ma foy, dist-il, je ne scay ; au moins, est venu vostre varlet à moy, et m'a dit que luy aviez requis qu'il me mist en
l'ostel,
et que je entrasse en ceste
huche,
affin que vostre mary ne m'y trouvast, se d'adventure il retournoit pour ceste nuyt.
- Ha ! dist-elle, sur ma vie, que ce a esté mon mary ! À ce coup, suis-je une femme perdue et est tout nostre fait descouvert.
- Scavez-voùs, dist-il, comment il va ? Il convient que me mettez dehors, ou je rompray tout, car je n'en puis plus endurer.
- Par ma foy, dist la
damoiselle,
je n'en ay point la clef, et, se vous le rompez, je seray deffaicte, et dira mon mary, que je l'auray fait pour vous saulver. »
Finablement, la
damoiselle
chercha tant, qu'elle trouva de vieilles clefz, entre lesquelles y en eut une qui délivra le povre prisonnier.
Et quant il fut hors, il
troussa
sa dame, et luy monstra le courroux qu'il avoit sus elle ; laquelle le print paciamment. Et à tant s'en voulut partir le gentil amoureux ; mais la
damoiselle
le print et accola, et luy dist que, s'il s'en aloit ainsi, elle estoit aussi bien deshonnourée que s'il eust rompu la
huche :
« Et qu'est-il doncques de faire ? dis ! le galant.
- Si nous ne mettons, dist-elle, quelque chose dedans et que mon mary le treuve ; je ne me pourroye excuser que je ne vous aye mis dehors.
- Et quelle chose y mettrons nous, dist le
galant,
affin que je me parte ? car il est heure.
- Nous avons, dist-elle, en cest estable ung asne que nous y mettrons, si vous me voulez aydier.
- Ouy, par ma foy, » dist-il.
Adonc fut cest asne
getté
dedans la
huche
et puis la refermerent. Lors le
galant
print congié d'ung doulx
baisier
et se partit
en ce point
par une yssue de derrière ; et la
damoiselle
s'en alla prestement couchier. Et après ne demoura pas longuement que le mary qui, tandis que ces choses se faisoient,
assembla ses gens et les amena tous chez son cousin, comme dit est, où il leur compta tout l'estat de ce qu'on luy avoit dit,
et aussi comment si avoit prins le
galant
à ses
barres.
« Et doncques à cette fin, dist-il, que vous ne dissiez point que je vueille à vostre fille imposer blasme sans cause,
je vous monstreray à l'oeil et au doy le
ribault,
qui cest deshonneur nous a fait, et prie que avant qu'il
saille hors,
qu'il soit tué. »
Adonc chascun dist que aussi seroit-il.
« Et aussi, dist le marchant, je vous rendray vostre fille pour telle qu'elle est. »
Et de là se partirent les aultres avecques luy, qui estoient moult dolens des nouvelles,
et avoient torches et flambeaulx pour mieulx cherchier partout, et que riens ne leur peust eschapper. Ilz heurterent a
l'huys
si rudement, que la
damoiselle
y vint
premier
que nulz de
leans,
et leur ouvrit
l'huys.
Et, quant ilz furent entrez, elle salua son mary, son père et sa mère, et les aultres,
monstrant qu'elle estoit bien esmerveillée quelle chose les amenoit là et à telle heure.
Et, à ces motz, son mary haulse le poing et luy donne une très grande
buffe
et dist :
« Tu le scauras tantost, faulse, telle et quelle que tu es !
- Ha ! regardez que vous dictes ! Amenez-vous, pour ce, mon père et ma mère icy ?
- Ouy, dist la-mère, faulse garce que tu es, on le monstrera ton
lourdier
prestement ! »
Et lors ses seurs vont dire :
« Et, par dieu, vous n'estes pas venue du lieu, pour vous
gouverner
ainsi !
- Mes seurs, dist-elle, par tous les saincts de Romme, je n'ay riens fait que une femme de bien ne doyve et puisse faire,
ne je ne doubte point qu'on doibve le contraire monstrer sus moy.
- Tu as menty ! dist son mary ; je le te monstreray
incontinent,
et sera le
ribault,
tué en ta presence. Sus, tost ouvrez ceste
huche !
- Moy ? dist-elle : et, en vérité, je croy que vous resvez, ou que vous estes hors du sens ! Car vous scavez bien que je n'en portay
oncques
la clef, mais pend avec les vostres, dès le temps que vous y mettiez vos
besoingnes.
Et pourtant, se vous la voulez ouvrir, ouvrez-la ! Mais je prie à Dieu que aussi vrayement que
oncques
je n'euz compaignie avec celuy que est là dedans enclos, qu'il m'en delivre
à joye
et à honneur, et que la mauvaise envie que l'en a sur moy puisse icy estre averée et desmonstrée ! Et aussi sera-elle, comme bien ay bon espoir.
- Je croy, dist le mary qui la voit à genoulx pleurant et gémissant, qu'elle scait bien faire la
chate mouilliée,
et qui la vouldroye croire, elle scauroye bien abuser les gens ; et ne doubtez, je me suis
pieça
apperceu de
la trainée.
Or sus, je voys ouvrir la
huche !
Si vous prie, mes seigneurs, que chascun mette la main à ce
ribault,
qu'il ne nous eschappe, car il est fort et
roide.
- N'ayez paour, dirent-ilz tous ensemble, nous en scaurons bien faire. »
Adonc
tirerent
leurs espées et prindrent leurs mailletz, pour assommer le povre amoureux, et luy dirent :
« Ores, te confesse, car jamais n'auras prestre de plus près ! »
La mere et les seurs, qui ne vouloient point veoir ceste occision, se tirerent d'une part ; et, aussitost qu'il eut ouvert la huche, et que cest asne vit la lumiere si très grande, il commença à hyngner si hydeusement, qu'il n'y eut si hardy leans qui ne perdist et sens et manière. Et quant ilz virent que c'estoit ung asne, et qu'il les avoit ainsi abusez, ilz se voulurent prendre au marchant, et dirent autant de honte, comme sainct Pierre eut oncques d'onneur, et mesmes les femmes luy vouloient courir sus. Et, de fait, s'il ne s'en fust fuy, les frères de la damoiselle l'eussent là tué, pour le grant blasme et deshonneur qu'il leur avoit fait et vouloit faire. Et finablement en eut tant à faire, qu'il convint que la paix et traictié en fussent refais par les notables de la ville. Et en furent les accuseurs tousjours en indignation du marchant.
Et dit le compte, que, à la paix faire, il y eut grande difficulté et plusieurs protestations des amys à la damoiselle ; et, d'aultre part, de bien estroictes promesses du marchant, qui depuis bien et gracieusement se gouverna et ne fut oncques homme meilleur à femme, qu'il fut toute sa vie ; et ainsi userent leur vie ensemble.
Environ le moys de juillet, alors que certaine convention et assemblée se tenoit, entre la ville de Calais et Gravelinghes, assez près du chastel d'Oye, à laquelle assemblée estoient plusieurs princes et grans seigneurs, tant de la partie de France comme d'Angleterre, pour adviser et traictier de la rançon de monseigneur d'Orléans, estant lors prisonnier du roy d'Angleterre ; entre lesquelz de ladicte partie d'Angleterre estoit le cardinal de Vicestre, qui à ladicte convention estoit venu en grant et noble estat, tant de chevaliers, escuiers, que d'aultres gens d'église. Et entre les aultres nobles hommes, avoit ung, qui se nommoit Jehan Stotton, escuier trenchant et Thomas Brampton, eschançon dudit cardinal : lesquelz Jehan et Thomas se entreaymoient autant que pourroyent faire deux freres germains ensemble ; car de vestures, habillemens et harnois, estoient tousjours d'une façon au plus près qu'ilz pouvoient ; et, la pluspart du temps, ne faisoient que ung lit et une chambre, et oncques n'avoit-on veu que entre eulx deux aucunement y eust quelque courroux, noyse ou mautalent . Et quant ledit cardinal fut arrivé audit lieu de Calais, on bailla, pour le logis desdits nobles hommes, l'ostel de Richart Fury, qui est le plus grant ostel de ladicte ville de Calais ; et ont de coustume les grans seigneurs, quant ilz arrivent audict lieu passans et repassans, d'y logier. Ledit Richart estoit marié, et estoit sa femme de la nation du pays de Hollande, qui estoit belle, gracieuse, et bien luy advenoit à recevoir gens. Et, durant ladicte convention, à laquelle on fut bien l'espace de deux mois, iceulx Jehan Stotton et Thomas Brampton, qui estoient si comme en l'aage de XVII à XXVIII ans, aiant leur couleur de cramoisy vive, et en point de faire armes par nuyf et par jour ; durant lequel temps, nonobstant les privalitez et amytiez qui estoient entre ces deux seconds et compaignons d'armes, ledit Jehan Stotton, au desceu dudit Thomas, trouva manière d'avoir entrée et faire le gracieux envers leurdicte ostesse, et y continuoit souvent en devises et semblables gracieusetez, que on a acoustumé de faire en la queste d'amours ; et, en la fin s'enhardit de demander à sadicte ostesse sa courtoisie, c'est assavoir qu'il peust estre son amy, et elle sa dame par amours : à quoy, comme faignant d'estre esbahye de telle requeste, luy respondit tout froidement que luy ne aultre elle ne hayoit, ne ne vouldroit hayr, et qu'elle aymoit chascun par bien et par honneur ; mais il povoit sembler, à la maniere de sadicte requeste, qu'elle ne pourroye icelle acomplir que ce ne fust grandement à son deshonneur et scandale et mesmement de sa vie, et que, pour chose du monde, à ce ne vouldroye consentir.
Adonc ledit Jehan repliqua, disant qu'elle luy povoit très bien accorder ;
car il estoit celuy qui luy vouloit garder son honneur jusques à la mort,
et aymeroye mieulx estre pery et
en l'aultre siècle tourmenté,
que, par sa
coulpe,
elle eust honte, et qu'elle ne doubtast en riens, que de sa part son honneur ne fust gardé ; luy suppliant
de rechief
que sa requeste luy
voulsist
accorder, et à tousjours-mais se
reputeroit
son serviteur et loyal amy. Et, à ce, elle respondit, faisant manière de trembler, disant que, de bonne foy,
il luy faisoit mouvoir le sang du corps, de crainte et de paour qu'elle avoit de luy accorder sa requeste.
Lors il s'approucha d'elle, et luy requist ung
baiser,
dont les dames et
damoiselles
dudit pays d'Angleterre sont assez liberales de l'accorder ; et, en la
baisant,
luy pria doulcement qu'elle ne feust paoureuse, et que, de ce qui seroye entre eulx deux, jamais nouvelle n'en seroye à personne vivant.
Lors elle luy dist :
« Je voy bien que je ne puis de vous eschapper, que ne face ce que vous voulez ; et puisqu'il fault que je face quelque chose pour vous,
sauf toutesvoies tousjours mon honneur. Vous scavez l'ordonnance qui est faicte de par les seigneurs estans en ceste ville de
Calais ;
comment il convient que chascun chief
d'ostel
face une fois la sepmaine, en personne, le guet par nuyt, sus la muraille de ladicte ville. Et, pource que les seigneurs, et nobles hommes de
l'ostel
de Monseigneur le cardinal, vostre maistre, sont ceans logiez, mon mary a tant fait, par le moyen
d'aucuns
de ses amys, envers mondit seigneur le cardinal, qu'il ne fera que demy guet ; et entens qu'il le doit faire jeudy prouchain,
depuis
la cloche du guet au soir jusques à mynuyt ; et, pour ce, tandis que mondit mary sera au guet, se vous me voulez dire aucunes choses, je les
orray
très voulentiers, et me trouverez en ma chambre, avecques ma
chamberiere. »
Laquelle estoit en grant vouloir de conduire et acomplir les voulentez et plaisirs de sa maistresse. Ledit Jehan Stotton fut de ceste response moult joyeux, et, en remerciant sadicte ostesse, luy dist que point n'y auroye de faulte, que audit jour il ne venist comme elle luy avoit dit.
Or se faisoient ces
devises
le lundy precedent, après
disner,
mais il ne fait pas à oublier de dire comment ledit Thomas Brampton avoit, au desceu de sondit compaignon Jehan Stotton,
fait pareilles
diligences
et requeste a leur hostesse, laquelle ne luy avoit
oncques
voulu quelconques chose accorder,
fors
luy
bailler
l'une fois espoir, et l'aultre doubte, en luy disant et remonstrant que il pensoit trop peu à l'honneur d'elle, car,
se elle faisoit ce qu'il requeroit, elle scavoit de vray que son mary Richard Fury et ses parens et amys luy osteroient la vie du corps.
Et à ce respondit ledit Thomas :
« Ma très doulce
damoiselle,
amye et ostesse, pensez que je suis noble homme, ne, pour chose qui me peust advenir,
ne vouldroye faire chose qui tournast à vostre deshonneur ne blasme ; car ce ne seroye point usé de noblesse.
Mais croyez fermement que vostre honneur vouldroye garder comme le mien ;
et si aymeroye mieulx a mourir, qu'il en feust nouvelle, et n'ay amy ne personne en ce monde, tant soit, mon privé,
à qui je voulsisse
en nulle maniere
descouvrir nostre fait. »
La bonne dame, voyant la singuliere affection et desir dudit Thomas, luy dist,
le mercredy ensuyvant que ledit Jehan avoit eu la gracieuse response cy-dessus de leurdicte ostesse, que,
puis qu'elle le veoit en si grant voulenté de luy faire
service
en tout bien et en tout honneur, qu'elle n'estoit point si ingrate qu'elle ne le
voulsist
bien recongnoistre. Et lors luy alla dire comment il convenoit que son mary lendemain au soir allast au guet comme les autres chefz d'ostel de la ville,
en entretenant l'ordonnance qui sur ce estoit faicte de par la seigneurie estant en la ville.
« Mais, la Dieu mercy, son mary avoit eu de bons amys autour de Monseigneur le cardinal, car ilz avoient tant fait envers luy,
qu'il ne feroit que demy guet, c'est assavoir
depuis
mynuyt jusques au matin seulement, et que, en cependant, s'il vouloit venir parler à elle, elle ouvreroit voulentiers ses doulces
devises ;
mais, pour Dieu, qu'il y en venist si secretement, qu'elle n'en peust avoir blasme. »
Et ledit Thomas luy sceut bien respondre que ainsi desiroit-il de faire. Et à tant se partit, en prenant congié.
Et le lendemain qui fut ledit jour de jeudy,
au vespre,
après ce que la cloche du guet fut sonnée, le devantdit Jehan Stotton n'oublia pas à aller à l'heure que sadicte ostesse luy avoit mise.
Et ainsi il vint vers la chambre d'icelle, et y entra, et la trouva seule ; laquelle le receut et luy fit très bonne
chiere ,
car la table y estoit mise. Adonc ledit Jehan requist que avec elle il peust couchier, affin de eulx mieulx ensemble
deviser,
ce qu'elle ne luy voult
de primeface
accorder, disant qu'elle pourroit avoir
charge
se on le trouvoit avec elle. Mais il requist tant et par si bonne maniere, qu'elle s'y accorda : et, le
soupper
fait qui sembla estre audit Jehan moult long, se coucha avec sadicte ostesse ; et après
s'esbatirent
ensemble nu à nu. Et, avant qu'il entrast en ladicte chambre, il avoit
bouté
en l'ung de ses doitz ung aneau d'or garny d'ung bon gros dyamant, qui bien povoit valoir la somme declare
XXX nobles.
Et comme ilz se delectoient ensemble, ledit aneau luy cheut de son doy dedans le lit, sans ce qu'il s'en apperceust. Et, quant ilz eurent
illec
ainsi esté ensemble jusques après la XI heure de la nuyt, ladicte
damoiselle
luy pria moult doulcement que en gré
voulsist
prendre le plaisir qu'elle luy avoit peut faire, et que à tant il
feust content de
soy habiller et partir de ladicte chambre,
affin qu'il n'y feust trouvé de son mary qu'elle attendoit, si tost que la mynuyt seroit venue, et qu'il luy
voulsist
garder son honneur, comme il luy avoit promis. Lors ledit Stotton, ayant
doubté
que ledit mary ne retouruast
incontinent,
se leva et se habilla, et partit de cette chambre,
ainsi que
douze heures estoient sonnées, sans avoir souvenance, de sondit dyamant qu'il avoit laissé oudit lit. Et, en yssant
hors de ladicte chambre et au plus près d'icelle, ledit Jehan Stotton encontra son compaignon Thomas Brampton,
cuidant
que ce feust son oste Richart. Et pareillement ledit Thomas, qui venoit à l'heure que sadicte ostesse luy avoit mise,
cuida
semblablement que ledit Jehan Stotton feust ledit Richart, et attendit ung peu pour veoir quel chemin il tiendrait.
Et puis s'en alla entrer en la chambre de ladicte ostesse, qu'il trouva comme entreouverte, laquelle
tint maniere
comme toute esperdue et effroyée, en demandant audit Thomas,
en maniere de
grand doubte
et paour, se il avoit point encontre son mary, qui se partoit
d'illec
pour aller au guet. Adonc ledit Thomas luy dist que trop bien avoit-il encontre ung homme ; mais il ne scavoit qui il estoit,
ou son mary ou aultre, et qu'il avoit ung peu attendu pour veoir quel chemin il tiendroit.
Et quant elle eut ce ouy, elle print hardiesse de le
baiser,
en luy disant qu'il feust le bien venu. Et, assez tost après, sans demander
qui l'a perdu ne gaigné, ledit Thomas
trousse
la
damoiselle
sur le lit, en faisant cela. Et puis après, quant elle vit que c'estoit
à certes
se despouillerent et entrèrent tous deux ou lit, car ilz firent
armes,
en sacrifiant au dieu d'amours, et rompirent plusieurs lances. Mais, en faisant lesdictes
armes,
il advint audit Thomas une adventure, car il sentît dessoubz sa cuisse le dyamant que ledit Jehan y avoit laissié ; et, comme non fol et non
esbahy ,
le print et le mist en l'ung de ses doitz. Et quant ilz eurent esté ensemble jusques à lendemain du matin,
que la cloche du guet estoit prochaine de sonner, à la requeste de ladicte
damoiselle,
il se leva, et, en partant, s'entreacollerent ensemble d'ung baiser amoureux. Ne demoura gueres après,
que ledit Richart retourna du guet où il avoit esté toute la nuit, en son ostel fort refroidy et chargié du fardeau de sommeil,
qui trouva sa femme qui se levoit ; laquelle luy fist faire du feu. Et quant il se fut chauffé, il s'en alla couchier et reposer, car il estoit
travaillé
de la nuyt. Et, fait à croire que aussi estoit sa femme ; car, pour la
doubte
qu'elle avoit eu du travail de son mary, elle avoit bien peu dormy toute la nuyt.
Environ deux jours après, toutes ces choses faictes, comme les Anglois ont de coustume, après ce qu'ilz ont ouy la messe, de aller desjeuner en la taverne, au meilleur vin, ledit Jehan et Thomas se trouverent en une compaignie d'autres gentilz hommes et marchans ; si allèrent desjeuner ensemble, et se assirent ledit Jehan Stotton et Thomas Brampton l'ung devant l'aultre. Et, en mengeant, ledit Jehan regarda sur les mains dudit Thomas, qui avoit en l'ung de ses doitz ledit dyamant. Et quant il eut longuement advisé et regardé ledit dyamant, il luy semblait vrayement que c'estoit celuy qu'il avoit perdu, ne scavoit en quel lieu ne quant. Et adonc ledit Jehan Stotton pria audit Thomas, qu'il luy voulsist monstrer ledit dyamant, lequel luy bailla voulentiers. Et quant il l'eut en sa main, il recongneut bien que c'estoit le sien et demanda audit Thomas dont il luy venoit, et que vrayement il estoit sien. À quoy ledit Thomas respondit, au contraire, que non estoit, mais que à luy appartenoit. Et ledit Stotton maintenoit que depuis peu de temps l'avoit perdu et que, s'il l'avoit trouvé en leur chambre où ilz couchoient, qu'il ne faisoit point bien de le retenir, attendu l'amour et fraternité qui tousjours avoit esté entre eulx deux, tellement que plusieurs aultres parolles s'en esmeurent, et fort se courroucerent ensemble l'ung contre l'aultre. Toutesvoies, ledit Thomas Brampton vouloit tousjours avoir ledit dyamant ; mais il n'en peut oncques finer. Et quant les aultres gentilz hommes et marchans virent ladicte noise, chascun s'employa à l'appaisement d'icelle, pour trouver quelque manière de les accorder ; mais riens n'y vault, car celuy qui perdu avoit ledit dyamant ne le voulut laisser partir de ses mains, et celuy qui l'avoit trouvé le vouloit ravoir, et le tenoit à belle adventure de l'avoir trouvé, et avoir jouy de l'amour de sa dame ; et ainsi estoit la chose difficile a appoincter. Finablement, l'ung desditz marchans, voyant que au demené de la matiere on n'y profitoit en riens, si dist qu'il luy sembloit qu'il avoit advisé ung aultre expédient, appointement dont lesditz Jehan et Thomas devroient estre contens ; mais il n'en diroit mot, se lesdictes parties ne se soubzmettoient, en paine de dix nobles. de tenir ce qu'il en diroit, dont chascun de ceulx qui estoient en ladicte compaignie respondirent que très bien avoit dit ledit marchant ; et inciterent ledit Jehan et Thomas de faire ladicte submission, et tant en furent requis et par telle manière, qu'ilz se y accordèrent. Adonc ledit marchant ordonna que ledit dyamant serait mis en ses mains, puis que tous ceulx, qui de ladicte différence avoient parlé et requis de l'appaiser, n'en avoient peu estre creuz : il ordonna que, après qu'ilz seraient partis de l'ostel où ilz estoient, au premier homme, de quelque estat ou condition qu'il feust, qu'ilz trouveraient à l'yssue dudit ostel, compteraient toute la manière de ladicte différence et noise, estant entre lesditz Jehan Stottou et Thomas Brampton ; et tout ce qu'il en diroit ou ordonnerait en seroit tenu ferme et estable par lesdictes deux parties.
Ne demoura gueres que dudit ostel se partit toute la belle compaignie, et le premier homme qu'ilz encontrerent au dehors dudit ostel, ce fut ledit Richart, ostedesdictes deux parties ; auquel par ledit marchant fut narré et racompté toute la manière de ladicte différence. Adonc ledit Richart, après ce qu'il eut tout ouy et qu'il eut demandé, à ceulx qui illec estoient presens, se ainsi en estoit allé, et que lesdictes parties ne s'estoient en nulle maniere voulu laisser appointer ne appaisier par tant de notables personnes, dist, par sentence deffinitive, que ledit dyamant luy demoureroit comme sien et que l'une ne l'aultre partie ne l'aurait. Et, quant ledit Thomas Brampton vit qu'il avoit perdu l'adventure de la treuve dudit dyamant, fut bien desplaisant. Et fait à croire que autant estoit ledit Jehan Stotton qui l'avoit perdu. Et lors requist ledit Thomas à tous ceulx qui estoient en la compaignie, réservé leurdit oste, qu'ilz voulsissent retourner en l'ostel où ilz avoient desjeuné, et qu'il leur donnerait à disner, affin qu'ilz fussent advertiz de la maniere et comment ledit dyamant estoit venu en ses mains, lesquelz d'ung accord luy accorderent voulentiers. Et, en attendant le disner qui s'appareilloit, il leur compta l'entrée et la maniere des devises qu'il avoit eues avecques son ostesse, femme dudit Richart Fury, et comment et à quelle heure elle luy avoit mis heure pour soy trouver avecques elle, tandis que son mary serait au guet, et le lieu où le dyamant avoit esté trouvé. Lors ledit Jehan Stotton, oyant ce, en fut moult esbahy , soy donnant de ce grant merveilles ; et, en soy seigne, dist que tout le semblable luy estoit advenu en cette propre nuyt, ainsy que cy devant est declairé, et qu'il tenoit et creoit fermement avoir laissé cheoir son dyamant où ledit Thomas l'avoit trouvé, et qu'il luy deveroit faire plus de mal de l'avoir perdu, qu'il ne faisoit audit Thomas, lequel n'y perdoit aucune chose, car il luy avoit chier cousté. Ledit Thomas respondit en cesté manière, et dist que vraiement il ne devoit point plaindre se leur dit oste l'avoit jugié estre sien, attendu que leur dicte ostesse en avoit eu beaucoup à souffrir, et aussi, pour ce qu'il avoit eu le pucellaige de la nuytée, et ledit Thomas avoit esté son paige en allant après luy. Et ces dictes choses contenterent assez bien ledit Jehan Stotton de la perte de sondit dyamant, pource que aultre chose n'eu pouvoit avoir, et le porta plus pacientement et plus legierement que s'il n'eust point sceu la vérité de la matière.
Et de ceste adventure, tous ceulx qui estoient presens commencerent à rire et à mener grant joye. Adonc se mirent à table et disnèrent, mais vous povez penser que ce ne fut pas sans boire d'autant. Et, après qu'ilz eurent disné, ilz se departirent, et chascun s'en alla où bon luy sembla. Et ainsi fut tout le mautalent pardonné, et la paix faicte entre les parties, c'est assavoir entre ledit Jehan Stotton et ledit Thomas Brampton, et furent bons amys ensemble.
Montbleru se trouva ung jour qui passa à la foire d'Envers, en la compaignie de
monseigneur d'Estampes,
lequel le
deffraioit et paioit ses
despens,
qui est une chose qu'il print assez bien en gré.
Ung jour,
entre les aultres,
d'adventure, il rencontra maistre Himbert de Plaine, maistre Roulant Pipe, et Jehan Letourneur, qui luy firent grant
chiere.
Et, pour ce qu'il est plaisant et gracieux, comme chascun scait, ilz desirerent sa compaignie et luy prièrent de venir loger avec eulx,
et qu'ilz feraient la meilleure chere de jamais. Montbleru,
de prime face,
s'excusa sur monseigneur d'Estampes, qui l'avoit là amené et dist qu'il ne l'oseroit abandonner :
« et la raison y est bonne, dist-il, car il me
deffroye
de tous poins. »
Neantmoins, toutesfoys il fut content d'abandonner monseigneur d'Estampes, en cas que entre eulx le voulsissent deffroier ; et eulx qui ne desiroient que sa compaignie, accorderent legierement ce marchié.
Or escoutez comment il les paya. Ces trois bons seigneurs demourerent à Envers plus qu'ilz ne pensoient, quant ilz partirent de la court, et, soubz espérance
de brief
retourner, n'avoient apporté que chascun une chemise : si devindrent les leurs sales, ensemble leurs couvrechiefz et
petis draps ;
et à grant regret leur venoit de eulx trouver en ceste malaise, car il faisoit bien chault, comme en la saison de Penthecouste. Si les
baillerent
à blanchir à la
chamberiere
de leur logis, ung samedy au soir, quant ilz se coucherent ; et les devoient avoir blanches à lendemain, à leur lever.
Mais Montbleru les garda bien ; et, pour venir
au point,
la
chamberiere,
quant vint au matin qu'elle eut blanchy ces chemises et couvrechiefz et les eut séchiez, et bien et gentement ployés,
elle fut de sa maistresse appellée pour aller à la boucherie quérir de la provision pour le
disner.
Elle fist ce que sa maistresse commanda, et laissa, en la cuisine, sur une
escabelle,
tout ce
bagaige,
esperant à retour tout retrouver ; à quoy elle faillyt bien, car Montbleru,
quant il peut veoir du jour, il se leva de son lit et print une longue
robbe
sur sa chemise, et descendit eu bas pour faire cesser les chevaulx qui se combatoient,
ou pour aller au
retrait.
Et, luy, là venu, il vint veoir en la cuisine, qu'on y disoit, ou il ne trouva ame,
fors seulement ces chemises,
couvrechiefz, et
petis draps
qui ne demandoient que
marchant.
Montbleru congneut
tantost que
c'estoit sa
charge ;
si y mist la main, et fut en grand esmoy où il les pourroye saulver. Une fois pensoit de les
bouter
dedans les cbauldieres et grans potz de cuivre qui estoient en la cuisine : aultrefois de les
bouter
dedans sa manche ; briefvement il les
bouta
en l'estable des chevaulx, bien
enfardelées
dedans du foing, en ung gros monceau de
fiens ;
et, cela fait, il s'en vint couchier emprès Jehan Letourneur, dont il estoit party. Or
vecy
la
chamberiere
retournée de la boucherie, laquelle ne treuve pas ces chemises, qui ne fut pas bien contente de ce,
et commença à demander partout qui en scait nouvelle. Chascun à qui elle en demandoit disoit que n'en scavoit rien, et Dieu scait la vie qu'elle menoit. Et
vecy
les serviteurs de ces bons seigneurs qui attendoient après leurs chemises, qui n'osoient monter vers leurs maistres, et craingnoient moult ;
aussi faisoient l'oste et l'ostesse et la
chamberiere.
Quant vint environ neuf heures, ces bons seigneurs appellent leurs gens, mais nul ne vient, tant craingnent à dire les nouvelles de ceste perte à leurs maistres.
Toutesfoys, en la fin, qu'il estoit
entre XI et XII,
l'oste vint et les serviteurs ; et fut dit à ces seigneurs comment leurs chemises estoient desrobées, dont
les aucuns
perdirent pacience, comme maistre Himbert et maistre Roland. Mais Jehan Letourneur tint assez bonne manière, et n'en faisoit que rire ;
et appella Montbleru qui faisoit la
dormeveille,
qui scavoit et oyoit tout, et luy dist :
« Montbleru,
vecy
gens bien
en point !
On nous a derobé noz chemises.
- Saincte Marie ! que dictes-vous ? dist Montbleru, contrefaisant l'endormy :
vecy
bien mal venu. »
Quant on eut grant
pièce
tenu
parlement
de ces chemises qui estoient perdues, dont Montbleru congnoissoit bien le larron, ces bons seigneurs commencèrent à dire :
« Il est jà bien tart, et nous n'avons encores point ouy de messe, et si est dimenche ;
et toutesfoys nous ne povons bonnement aller dehors de ceans sans chemises ; qu'est-il de faire ?
- Par ma foy, dist l'oste, je n'y scauroye trouver d'autre remede, sinon que je vous preste à chascun une chemise des miennes, telle que elles sont,
combien que
elles ne sont pas pareilles aux vostres. Mais elles sont blanches, et si ne povez mieulx faire, ce me semble. »
Ilz furent contens de ces chemises de l'oste, qui estoient courtes et estroictes, et de bien dure et aspre toille,
et Dieu scait qui lesfaisoit bon veoir. Ilz furent pretz, Dieu mercy : mais il estoit si tart, que ilz ne scavoient où ilz pourroyent ouyr la messe.
Alors dist Montbleru qui tenoit trop bien
manière :
« Quant est de là messe, il est
dès meshuy
trop tart pour l'ouyr, mais je scay bien une église en ceste ville, où nous ne fauldrons point à tout le moins de veoir Dieu.
- Encores il vault mieux de le veoir que rien, dirent ces bons seigneurs, allons, allons et nous
advancons
vistement ; c'est trop tardé ; car, perdre noz chemises, et ne ouyr point aujourd'huy de messe, ce seroye mal sur mal ;
et pourtant il est temps d'aller à l'église, si
meshuy
nous voulons ouyr la messe. »
Montbleru
incontinent
les mena en la grant église d'Envers, où il y a
ung Dieu sur ung asne ;
et quant ilz eurent chascun dit leurs patenostres et leurs devotions, ilz, dirent à Montbleru :
« Où esse que nous verrons Dieu ?
- Je le vous monstreray, dist-il, tout maintenant. »
Alors il leur monstra ce Dieu sur l'asne, et puis il leur dist :
« Vela Dieu ! Vous ne fauldrez jamais de veoir Dieu céans, à quelque heure que ce soit. »
Adoncques ilz commencerent à rire, jà soit ce que la douleur de leurs chemises ne feust point encores appaisée. Et sur ce point, ilz s'en vindrent disner et furent depuis ne scay quans jours à Envers ; et après s'en partirent sans ravoir leurs chemises ; car Montbleru les mist en lieu seur, et les vendist depuis cinq escuz d'or.
Or advint, comme Dieu le voulut, que en la bonne sepmaine du caresme
ensuivant le mercredy,
Montbleru se trouva au
disner,
avec ces trois bons seigneurs dessus nommez ; et, entre aultres parolles, il leur
ramenteust
les chemises qu'ilz avoient perdues à Envers, et dist :
« Helas ! le povre larron qui vous desroba, il sera bien damné, se son
meffait
ne luy est pardonné de par vous ; et, par Dieu, vous ne le vouldriez pas ?
- Ha ! dist maistre Himbert, par Dieu, beau sire, il ne m'en souvenoit plus, je l'ay
pieça
oublié.
- Et au moins, dist Montbleru, vous luy pardonnez ? Ne faictes pas ?
- Saint Jehan ! ouy, dist-il ; je ne vouldroye pas qu'il feust damné pour moy.
- Et, par ma foy, c'est bien dit ! dist Montbleru. Et vous, maistre Rolant, ne luy pardonnez-vous point aussi ? »
À grant peine disoit-il le mot : toutesfoys, en la fin, il dist qu'il luy pardonnoit, mais, pource qu'il perdoit à regret, le mot plus luy coustoit à prononcer.
« Et vrayement, dist Montbleru, vous luy pardonnez aussi, maistre Rolant ? Qu'avez-vous gaigné de danmer ung povre larron,
pour une meschante chemise et ung couvrechief ?
- Et je luy pardonne vrayement, dist-il lors, et l'en
clame quicte,
puis que ainsi est que aultre chose n'en puis avoir.
- Et, par ma foy, vous estes bon homme. »
Or, vint Letourneur. Si luy dist Montbleru :
« Or ça, Jehan, vous ne ferez pas pis que les aultres ; tout est pardonné à ce povre larron des chemises, se à vous ne tient.
- À moy ne tiendra pas, dist-il ; je luy ay
pieça
pardonné, et luy en
baille
de rechief
tout maintenant devant vous l'absolution.
- On ne pourroit mieulx dire, dist Montbleru, et, par ma foy, je vous scay bon gré de la
quittance
que vous avez faicte au larron de voz chemises, et en tant qu'il me touche, je vous en remercye tous ;
car je suis le larron mesmes qui vous desroba à Envers. Je prens ceste
quictance
à mon
prouffit, et
de rechief
vous en remercye toutesfoys, car je le doy faire. »
Quant Montbleru eut confessé ce larrecin, et qu'il eut trouvé sa quictance par le party que avez ouy, ne fault pas demander se maistre Rolant et Jehan Letourneur furent bien esbahys , car ilz ne se feussent jamais doubtez qui leur eust fait ceste courtoisie. Et luy fut bien reprouché ce povre larrecin, voire en esbatant. Mais luy, qui scait son entregens, se desarmoit gracieusement de tout ce dont chargier le vouloient ; et leur disoit bien que c'estoit sa coustume que de gaignier et de prendre ce qu'il trouvoit sans garde, especialement à telz gens comme ilz estoient.
Ces trois bons seigneurs n'en firent que rire ; mais trop bien ilz luy demanderent comment il les avoit prinses, et aussi en quelle façon et manière il les desroba. Et il leur declaira tout au long, et dist aussi qu'il avoit eu de tout ce butin cinq escuz d'or, dont ilz n'eurent ne demandèrent oncques aultre chose.
IL est vray que nagueres, en ung lieu de ce pays que je ne puis nommer, et pour cause, mais, au fort, qui le scait, si s'en taise comme je fais ; en ce lieu là avoit ung maistre curé qui faisoit raige de bien confesser ses paroissiennes. Et, de fait, il n'en eschappoit nulles, qu'ilz ne passassent par là, voire des jeunes ; au regard des vieilles, il n'en tenoit compte. Quant il eut longuement maintenu ceste saincte vie et ce vertueux exercice, et que la renommée en fut espandue par tonte la marche et ès terres voisines, il fut pugny, ainsi que vous orrez, par l'industrie d'ung sien prouchain, à qui toutesfoys il n'avoit point encores riens meffait touchant sa femme.
Il estoit ung jour au
disner,
et faisoit bonne
chiere
en
l'ostel
d'ung sien paroissien que je vous ay dit. Et comme ilz estoient ou meilleur endroit de leur
disner
et qu'ilz faisoient la plus grant
chiere,
vecy
venir
leans
ung homme, qui s'appelle
Trenchecoille,
lequel se mesle de tailler gens, d'arracher dens, et d'ung grant tas de
brouilleries ;
et avoit ne scay quoy à besoingnier à l'oste de
leans.
L'oste le recueillit très bien et le fist seoir, et, sans se faire trop prier, il se fourre avec nostre curé et les aultres ;
et, s'il estoit venu tart, il mettoit paine
d'aconsuyr
les aultres qui le mieulx avoient
viandé.
Ce maistre curé, qui estoit un grant farceur et ung fin homme, commence à prendre la parolle à ce
trenchecoille,
et le
trenchecoille
luy respondit au propos de ce qu'il scavoit.
Certaine piece après,
maistre curé se vire vers l'oste et en l'oreille luy dist :
« Voulons-nous bien
tromper
ce
trenchecoille ?
- Ouy, je vous en prie, dist l'oste, mais en quelle manière le pourrons-nous faire ?
- Par ma foy, dist le curé, nous le
tromperons
trop bien, se me voulez
aucunement
ayder.
- Et, par ma foy, je ne demande
aultre chose,
dist l'oste.
- Je vous diray que nous ferons, dist le maistre curé : je faindray avoir grant mal en ung coillon, et puis je marchanderay à luy de le me oster,
et me mettray sus la table et tout
en point,
comme pour le trenchier. Et quant il viendra près et il voudra veoir que c'est et ouvrer de son
mestier,
je luy montreray le derrière.
- Et que c'est bien dit ! » respondit l'oste,
lequel à coup se, pensa ce qu'il vouloit faire :
« Vous ne fistes jamais mieulx ; laissez-nous faire entre nous aultres, nous vous ayderons bien à
parfaire
la farce.
- Je le vueil ! » dist le curé.
Après ces parolles, monseigneur le curé de plus belle rassaillit nostre taillecoille
d'unes et d'aultres,
et,
en la parfin,
luy commença à dire :
« Pardieu ! qu'il avoit bien
mestier
d'ung tel homme qu'il estoit, et que veritablement il avoit ung coillon pourry et gasté,
et vouldroit qu'il luy eust cousté bonne chose, et qu'il eust trouvé homme qui bien luy sceust oster. »
Et vous devez scavoir qu'il le disoit si froidement, que le
trenchecoille,
cuidoit
veritablement qu'il dist tout vray. Adonc il luy respondit :
« Monseigneur le curé, je vueil bien que vous saichiez, sans
nul despriser,
ne moy vanter de riens, qu'il n'y a homme en ce pays, qui mieulx de moy vous sceust aider ; et pour l'amour de l'oste de ceans, je vous feray de ma peine telle
courtoisie,
se vous vous voulez mettre en mes mains, que par droit vous en serez et deverez estre
content.
- Et vrayement, dist maistre curé, c'est très bien dit à vous. »
Conclusion, pour abregier, ilz furent d'acort. Et
incontinent
après, fut la table ostée, et commença nostre maistre
trenchecoille,
à faire ses
préparatoires
pour besoingnier ; et, d'aultre part, le bon curé se mettoit à point pour faire la farce qui ne luy tourna pas à jeu ;
et devisoit à l'oste et aux aultres, qui estoient presens, comment il devoit faire. Et cependant que ces
apprestes
se faisoient, d'ung
cousté et d'aultre,
l'oste de
leans
vint au
trenchecoille,
et luy dist :
« Garde bien, quelque chose que ce prestre te dye, quant tu le tiendras en tes mains, pour ouvrer à ses coillons,
que tu luy trenches tous deux rasibus, et garde bien que tu n'y failles point, si
chier
que tu aymes ton corps.
- Et, par saint Martin ! si feray-je, dist le
trenchecoille,
puis qu'il vous plaist. J'ay ung instrument qui est si prest et si bien trenebant, que je vous feray present de ses genitoires, avant qu'il ait loisir de riens me dire.
- Or, on verra que tu feras, dist l'oste, mais, se tu
faulx,
par ma foy, je ne te
fauldray
pas. »
Tout fut prest et la table
appointée,
et monseigneur le curé en
pourpoint,
qui contrefaisoit
l'ydole, et promettoit bon vin à ce
trenchecoille.
L'oste aussi et pareillement les serviteurs de
leans
dévoient tenir
Damp
curé : qui n'avoient garde de le laisser eschapper, ne remuer en quelque maniere que ce feust. Et, affin d'estre plus seur,
le lierent trop bien et
estroit,
et luy disoient que c'estoit pour mieux et plus
couvertement
faire la farce, et quant il voudroit, ilz le laisseroyent aller ; il les creut comme fol. Or vint ce vaillant
trenchecoille,
garny en sa
cornette
de son petit rasoir, et
incontinent
commença à vouloir mettre les mains aux coilles de monseigneur le curé :
« À ! dist monseigneur le curé,
faictes à trait
et tout beau ! Tastez-les le plus doulcement que vous pourrez, et puis après, je vous diray lequel je vueil avoir osté.
- Et bien ! » dist le trenchecoille.
Et lors tout
souef
lieve la chemise du maistre curé, et prent ses maistresses coilles, grosses et quarrées, et sans plus.enquérir, subitement, comme
l'eclipse,
les luy trencha tous deux d'ung seul coup. Et bon curé de crier, et de faire la plus male vie que jamais fist homme.
« Hola ! hola ! dist l'oste, pille pacience ! Ce qui est fait est fait ; laissez-vous
adouber
si vous voulez. »
Alors le trenchecoille le mist a point du surplus que en tel cas appartient, et puis part et s'en va, attendant de l'oste il savoit bien quoy.
Or ne fault-il pas demander se monseigneur le curé fut bien
camus
de se veoir ainsi desgarny de ses instrumens. Et
mettoit sus
à l'oste, qu'il estoit cause de son
meschief
et de son mal ; mais Dieu scait s'il s'en excusoit bien, et disoit que, se le
trenchecoille
ne se feust si tost saulvé, qu'il l'eust mis
en tel point
que jamais n'eust fait bien après.
« Pensez, dist-il, qu'il me desplaist bien de vostre ennuy, et plus beaucoup encores, de ce qu'il est advenu en mon ostel. »
Ces nouvelles furent tost volées et semées par tonte la ville ; et ne fault pas dire que aucunes
damoiselles
n'en fussent bien
marries
d'avoir perdu les instrumens de monseigneur le curé ; mais, aussi, d'aultre part, les dolens marys en furent tant joyeux qu'on ne vous scauroye dire,
ne escripre la dixiesme partie de leur
lyesse.
Ainsi que vous avez ouy, fut pugny maistre curé, qui tant en avoit d'aultres
trompez
et
deceuz ;
et
oncques
depuis ne se osa veoir ne trouver entre gens ; mais, comme reclus et plain de melencolie,
fina
bien tost après ses dolens jours.
Comme souvent l'en met en terme plusieurs choses dont en la fin on se repent,
advint nagueres que ung gentil compaignon demourant eu ung villaige assez près du Mont-Sainct-Michiel,
se devisoit,
à ung
soupper,
présent sa femme,
aucuns
estrangiers et plusieurs de ses voisins, d'ung ostellier dudit Mont-Sainct-Michiel, et disoit, affermoit et juroit sur son honneur,
qu'il portoit le plus beau membre, le plus gros et le plus quarré, qui feust en toute la
marche
d'environ ; et avec ce - et qui n'empiroit pas le jeu - il s'en
aydoit
tellement et si bien, que les quatre, les cinq, les six fois ne luy coustoient non plus que se on les prenoit en la
cornette
de son
chapperon.
Tous ceulx de la table ouyrent voulentiers le bon bruyt que on donnoit à cest ostellier du Mont-Sainct-Michiel,
et en parlerent chascun comme il l'entendoit. Mais qui y print garde, ce fut la femme du racompteur de l'histoire,
laquelle y presta très bien l'oreille, et luy sembla bien que la femme estoit heureuse et bien fortunée, qui de tel mary estoit douée.
Et pensa deslors en son cueur, que s'elle peut trouver honneste voye et subtille,
elle se trouvera quelque jour audit lieu de Sainct-Michiel, et à
l'ostel
de l'homme au gros membre se logera ; et ne tiendra que à luy qu'elle n'espreuve se le bruyt qu'on luy donne est vray.
Pour executer ce qu'elle avoit proposé et mettre
à fin
ce que en son
couraige
avoit délibéré, environ cinq ou six ou huit jours, elle print congié de son mary pour aller en pellerinaige au Mont-Sainct-Michiel.
Et, pour mieulx
coulourer
l'occasion de son voyaige, elle, comme femmes scaivent bien faire, trouva une
bourde
toute
affaitiée.
Et son mary ne luy refusa pas le congié, combien qu'il se doubtast tantost de ce qui estoit.
Avant qu'elle partist, son mary luy dist qu'elle fist son offrande à Sainct-Michiel, et qu'elle se logast à
l'ostel
dudit ostellier, et qu'elle le recommandast à luy beaucoup de fois. Elle promist de tout acomplir, et de faire son messaige,
ainsi qu'il luy avoit commandé. Et, sur ce, prent congié, s'en va, et Dieu scait, beaucoup desirant soy trouver au lieu de Sainct-Michiel.
Tantost qu'elle fut partie et bon mary de monter à cheval et par aultre chemin que celuy que sa femme tenoit,
picque
tant qu'il peut au Mont-Sainct-Michiel, et vint descendre tout secrètement, avant que sa femme, à
l'ostel
de l'ostellier dessusdit, lequel très
lyement
le receut, et luy fist grant
chiere.
Quant il fut en sa chambre, il dist à l'ostellier :
« Or ça, mon oste, je scay bien que vous estes mon amy
de pieça,
et je suis le vostre, s'il vous plaist, et, pource, je vous vueil bien dire qui me
amaine
maintenant en ceste ville. Il est vray que, environ a six ou huit jours, nous estions au
soupper,
en
mon ostel,
ung grant tas de bons compaignons et vrais
gaudisseurs
et frères de
l'ordre ;
et, comme vous scavez que on parle de plusieurs choses, en devisant les ungs aux aultres,
je commençay à parler et à compter comment on disoit en ce pays, qu'il n'y avoit homme mieulx
hostillé de vous. »
Et, au
surplus,
luy dist au plus près ce qu'il sceust. Brief, toutes parolles qui touchoient ce propos furent menées en jeu, ainsi comme dessus est touchié :
« Or est-il ainsi, dist-il, que ma femme,
entre les aultres,
reçut très bien mes parolles, et n'a jamais arresté tant qu'elle ait trouvé manière de
impetrer
son congié pour venir en ceste ville. Et, par ma foy, je me doubte fort et croy véritablement que sa principale intention est d'esprouver, s'elle peut,
se mes parolles sont vrayes que j'ay dictes touchant vostre gros membre. Elle sera tantost ceans,
je n'en doubte point, car il luy tarde de soy y trouver ; si vous prie, quant elle viendra, que la recevez
lyement
et luy faictes bonne
chiere,
et luy demandez la
courtoisie,
et faictes tant qu'elle le vous accorde. Mais, toutesfoys,
ne me trompez point,
gardez bien que vous n'y touchiez ; prenez terme d'aller vers elle, quant elle sera couchée, et je me mettray en vostre lieu, et vous
orrez
après bonne chose.
- Laissez-moy faire, dist l'ostellier, je vous prometz que je feray bien mon personnaige.
- Ha
dea,
toutesfoys, dist l'aultre, ne me faictes point de desloyaulté. Je scay bien qu'il ne tiendra point en elle que ne le faciez.
- Par ma foy, dist l'ostellier, je vous asseure que je n'y toucheray jà. » Et non fist-il.
Il ne demoura gueres que vecy venir nostre gouge et sa chamberiere, bien lassées Dieu le scet. Et bon oste, de saillir avant, et de recevoir la compaignie, comme il luy estoit enjoinct, et qu'il avoit promis. Il fist mener ma damoiselle en ung très beau lit, et luy fist faire de bon feu et fist apporter tout du meilleur vin de leans, et alla querir de belles cerises toutes fresches, et vint bancqueter avecques elle, en attendant le soupper. Il commença de faire ses approuches, quant il vit son point ; mais Dieu scait comment on le geta loing de prime face.
En la parfin toutesfoys, pour abregier, marchié fut fait qu'il viendrait couchier avecques elle environ la mynuyt tout secretement. Et, ce couchier accordé, il s'en vint devers le mary de la gouge et luy compta le cas, lequel, à l'heure prinse entre elle et l'ostellier, il s'en vint bouter en son lieu et besoingna la nuyt, le mieulx qu'il peut, et se leva sans mot dire avant le jour, et se vint remettre en son lit.
Quant le jour fut venu, nostre gouge, toute melencolieuse, pensive et despiteuse, pource que point n'avoit trouvé ce qu'elle cuidoit, appella sa chamberiere, et se leverent. Et, au plus hastivement qu'elles peurent, s'habillerent et voulurent paier leur escot ; mais l'oste dist que vrayement, pour l'amour de son mary, qu'il n'en prendroit riens d'elle. Et sur ce, elle dist adieu, et print congié de luy.
Or, s'en va
ma damoiselle
toute courroucée, sans ouyr messe, ne veoir Sainct-Michiel, ne desjeuner aussi, et sans ung seul mot dire, se mist à chemin,
et s'en vint en sa maison. Mais il fault dire que son mary y estoit jà arrivé, qui luy demanda qu'on disoit de bon à Sainct-Michiel. Elle, tant
marrie
qu'on ne pourroit plus,
à peu
s'elle daignoit respondre :
« Et quelle
chiere,
dist le mary, vous a fait vostre oste ? Par Dieu, il est bon compaignon.
- Bon compaignon ? dist-elle, il n'y a
riens d'oultraige,
je ne m'en scauroye louer que
tout a point.
- Non, dame, dist-il, et, par sainct Jehan ! je pensoye que, pour l'amour de moy, il vous deust festoier et faire bonne
chiere.
- Il ne me chault, dist-elle, de sa
chiere ,
je ne voys pas en pellerinaige pour l'amour de luy ne d'aultre : je ne pense que à ma
devocion.
- Dea,
dist-il, par Nostre-Dame ! vous y avez failly ! Je scay trop bien pourquoy vous estes tant
refrignée,
et pourquoy vous avez le cueur tant enflé ? Vous n'avez pas trouvé ce que vous
cuidiez,
il y a bien
à dire une once.
dea,
dea,
ma dame, j'ay bien sceu la cause de vostre pellerinaige ! Vous cuydiez taster et esprouver le grant
brichouard
de nostre oste de Sainct-Michiel ; mais, par sainct Jehan ! je vous en ay bien gardée, et garderay, si je puis.
Et, affin que vous ne pensez pas que je vous mentisse, quant je vous disoye qu'il l'avoit si grant, par Dieu,
je n'ay dit chose qui ne soit vraie : il n'est
jà mestier
que vous en saichiez plus avant que par ouy dire,
combien que,
s'il vous eust voulu croire, et je n'y eusse contredit, vous aviez bonne
devocion
d'essaier la puissance. Regardez comment je scay les choses ! Et, pour vous oster hors de
suspections
sachiez de vray que je vins à mynuyt, à l'heure que luy aviez assignée, et ay tenu son lieu ; si prenez en gré ce que j'ay peu faire, et
vous passez
doresenavant de ce que vous avez. Pour ceste fois, il vous est pardonné, mais de
recheoir,
gardez-vous-en, pour autant qu'il vous touche ! »
La damoiselle, toute confuse et esbahye, voyant son tort evident, quant elle peut parler, crya mercy, et promist de plus n'en faire. Et je tiens que non fist-elle de sa teste.
N'a gueres que j'estoye à Sainct-Omer, avec ung grant tas de gentilz compaignons, tant de céans comme de Boulongne et d'ailleurs ; et, après le jeu de paulme, nous alasmes soupper en l'ostel d'ung tavernier qui est homme de bien et beaucoup joyeux ; et a une très belle femme, et en bon poinct, dont il a eu ung très beau filz, de l'aage d'environ VI ans. Comme nous estions tous assis au soupper, le tavernier, sa femme et leur filz d'emprès elle, avecques nous, les aucuns commencèrent à deviser, les aultres à chanter et faisoient la plus grant chiere de jamais ; et nostre oste, pour l'amour de nous, ne s'y faignoit pas.
Or, avoit esté sa femme ce jour aux
estuves,
et son petit filz avecques elle. Si s'advisa nostre oste, pour faire rire la compaignie, de demander à son filz de l'estat et
gouvernement
de celles qui estoient aux
estuves
avecques sa mère ; si va dire :
« Vien
ça, nostre filz, dy moy, par ta foy, laquelle de toutes celles qui estoient aux
estuves
avoit le plus beau c et le plus gros ? »
L'enfant qui se ouyoit questionner devant sa mere, qu'il craignoit comme enfans font de coustume, regardoit vers elle et ne disoit mot.
Et le père, qui ne l'avoit pas aprins de le veoir si muet, luy dict
de rechief :
« Or me dy, mon filz, gui avoit le plus gros c. ! Dy hardiment ?
- Je ne scay, mon père ! dist l'enfant, tousjours virant le regard vers sa mere.
- Et par Dieu, tu as menty, ce dist son pere ; or le me dis, je le vueil scavoir.
- Je n'oseroye, dist l'enfant, pour ma mere, car elle me bateroit.
- Non fera, non, dist le pere, tu n'as garde, je t'asseure. »
Et nostre ostesse sa mere, non pensant que son fils deust tout dire (ce qu'il fist), luy dist :
« Dy hardyment ce que ton pere le demande ?
- Vous me battiez ! dist-il.
- Non feray, non, » dist-elle.
Et le pere, qui vit son filz avoir congié de
souldre
sa question, luy demanda
de rechief :
« Or ça, mon filz, par ta foy, as-tu regardé les c... des femmes qui estoient aux
estuves ?
- Sainct Jean ! ouy, mon père.
- Et y en avoit-il largement, dy, ne mens point ?
- Je n'en vy
oncques
tant : ce me sembloit une
droicte
garenne
de c...
- Or ça, dy-nous maintenant qui avoit le plus beau et le plus gros ?
- Vraiement, ce dist l'enfant, ma mere avoit le plus beau et le plus gros, mais il avoit si grant nez.
- Si grant nez ? dist le père. Va, va, tu es bon enfant. »
Et nous commençames tous à rire et à boire d'autant, et à parler de cest enfant qui caquetoit si bien. Mais sa mère ne scavoit sa contenance, tant estoit honteuse, pource que son filz avoit parlé du nez ; et croy bien qu'il en fut depuis trop bien torché, car il avoit encusé le secret de l'escole. Nostre oste fist du bon compaignon ; mais il se repentit assez depuis d'avoir fait la question, dont l'absolution le feist rougir, et puis c'est tout.
Maintenant a trois ans ou environ que une assez bonne adventure advint à ung chaperon fourré du parlement de Paris. Et, affin qu'il en soit mémoire, j'en fourniray ceste nouvelle ; non pas toutesfoys que je vueille dire que tous les chapperons fourrez soient bons et véritables ; mais, pource qu'il y eut non pas ung peu de desloyaulté au fait de cestuy-cy, mais largement, qui est chose bien estrange et non accoustumée, comme chascun scait.
Or, pour venir au fait, ce chaperon fourré, en lieu de dire ce seigneur de parlement, devint amoureux à Paris de la femme d'un cordouennier, qui estoit belle et bien enlangaigée à l'avenant et selon le terrouer. Ce maistre chapperon fourré fist tant, par moyens d'argent et aultrement, qu'il parla à la belle cordouenniere dessoubz sa robbe à part, et, s'il en avoit esté bien amoureux avant la jouyssance, encores l'en fut-il trop depuis, dont elle se appercevoit et donuoit trop bien garde, dont elle s'en tenoit plus fiere, et si se faisoit achapter. Luy, estant en ceste rage, pour mandement, prière, promesse, don, ne requeste qu'il sceust faire, elle se pensa de ne plus comparoir, affin de luy encores rengreger et plus acroistre sa maladie. Et vecy nostre chaperon fourré qui envoie ses ambassades devers sa dame la cordouenniere ; mais c'est pour neant : elle n'y viendroye pour mourir.
Finablement, pour abregier, affin qu'elle voulsist venir vers luy comme aultresfois, il luy promist, en la présence de trois ou de quatre qui estoient de son conseil quant à telles besoingnes, qu'il la prendrait à femme, se son mary le cordouennier terminoit vie par mort. Quant elle eut ouy ceste promesse, elle se laissa ferrer et vint, comme elle souloit, au coucher, au lever et aux autres heures qu'elle povoit eschapper, devers le chaperon fourré qui n'estoit pas moins féru, que l'aultre jadis, d'amours. Et, elle, sentant son mary desja vieil et ancien, et ayant la promesse desusdicte, se reputoit desja comme sa femme.
Peu de temps après, la mort de ce
cordouennier,
très désirée, fut sceue et publiée ; et bonne
cordouenniere
se vient
bouter
de plain sault
en la maison du
chaperon fourré,
qui joyeusement la receut ; promist aussi
de rechief
qu'il la prendroye à femme. Or sont maintenant ensemble, sans contredit, ces deux bonnes gens, le
chaperon fourré
et madame la
cordouenniere.
Mais, comme souvent advient que chose eue à danger est plus chiere tenue que celle dont on a le
bandon,
ainsi advint-il cy ? Car nostre
chaperon fourré
commença à soy ennuyer et laisser la
cordouenniere,
et de l'amour d'elle refroider. Et elle le pressoit tousjours de paracomplir le mariage dont il avoit fait la promesse, mais il luy dist :
« M'amye, par ma foy, je ne me puis jamais marier, car je suis homme d'église et tiens bénéfice comme vous scavez ;
la promesse que je vous fis jadis est nulle, et ce que j'en fis lors, c'estoit pour la grant amour que je vous portoye,
espérant aussi par ce moyen
plus legierement vous retraire. »
Elle, cuidant qu'il fust lyé à l'église, et soy voyant aussi bien maistresse de leans que s'elle fust sa femme espousée, ne parla plus de ce mariage, et alla son chemin acoustumé. Mais nostre chaperon fourré fist tant, par belles parolles et plusieurs remonstrances, qu'elle fut contente de soy partir de luy et espouser ung barbier, auquel il donna trois cens escus d'or. comptant ; et Dieu scait s'elle partit bien baguée.
Or devez-vous scavoir que nostre chaperon fourré ne fist pas legierement ceste departie ne ce mariage, et n'en fust point venu au bout, se n'eust esté qu'il disoit à sa dame qu'il vouloit doresenavant servir Dieu et vivre de ses bénéfices et soy du tout rendre à l'église.
Or fist-il tout le contraire, quant il se vit
desarmé
d'elle et elle alyée au barbier ; il fist secrètement traicter, environ ung an après, pour avoir par mariage la fille de ung notable bourgeois de Paris.
Et fut la chose faicte et passée, et jour assigné pour les nopces ; disposa aussi de ses bénéfices qui n'estoient que à simple tonsure.
Ces choses sceues parmy Paris et venues à la congnoissance de la
cordouenniere,
créez qu'elle fut bien esbaye :
« Voire,
dist-elle, le vray traistre, m'a-il ainsi
deceue !
Il m'a laissée,
soubz umbre
de aller servir Dieu, et m'a
baillée
à ung aultre. Et, par nostre Dame, la chose ne demourera pas ainsi ! »
Non, fist-elle, car elle fist comparoir nostre chaperon fourré devant l'evesque ; et illec son procureur remonstra bien et gentement sa Cause, disant comment le chaperon fourré avoit promis à la cordouenniere, en la présence de plusieurs, que se son mary mourait, qu'il la prendroye à femme. Son mari mort, il l'a tousjours tenue jusques environ à ung an, qu'il l'a baillée a ung barbier. Et, pour abréger, les tesmoings et la chose bien debatue, l'evèsque adnichila le mariage de la cordouenniere au barbier, et enjoignit au chaperon fourré, qu'il la print comme sa femme ; car elle estoit sienne à cause de la compaignie charnelle qu'il avoit eue à elle. Et, s'il estoit mal content de ravoir sa cordouenniere, le barbier estoit bien autant joyeux d'en estre despesché.
En la façon qu'avez ouy, s'est puis nagueres gouverné l'ung des chaperons fourrés du parlement de Paris.
Ce n'est pas chose peu acoustumée ne de nouveau mise sus que femmes ont fait leurs maris jaloux, voire, par Dieu, coux.
Si advint nagueres, à ce propos, en la ville d'Envers, que une femme mariée, qui n'estoit pas des plus seures du monde,
fut requise d'ung gentil compaignon de faire la chose que scavez. Et, elle, comme courtoise et telle qu'elle estoit, ne refusa pas le
service
que on luy présentait, mais debonnairement se laissa
ferrer,
et maintint ceste vie assez longuement.
En la parfin,
comme Fortune voulut, qui ennemye et
desplaisante
estoit de leur bonne
chevance,
fist tant, que le mary trouva la
brigade
en présent meffait,
dont en y eut de bien
esbahys .
Ne scay toutes foys lequel l'estoit le plus, de l'amant, de l'amye ou du mary ;
neantmoins, l'amant, à l'ayde d'une bonne espée qu'il avoit, se saulva, sans nul mal avoir.
Or demourerent le mary et la femme ; de quoy leurs propos furent, il se peult assez penser. Après toutesfoys aucunes parolles dictes ;
d'ung costé et d'aultre, le mary, pensant en soy-mesmes, puis qu'elle avoit commencé à faire la follye, que
fort
seroye de l'en retirer ; et, quant plus elle n'en ferait, si estoit tel le cas, qu'il estoit jà venu à la
congnoissance
du monde ; de quoy il en estoit noté, et quasi deshonnoré ; considéra aussi de la batre ou injurier de parolles ;
que c'estoit paine perdue ; si s'advisa après,
à chief,
qu'il la chasseroye paistre hors d'avecques luy, et ne sera jamais d'elle
ordoyée
sa maison ; si dist à sa femme :
« Or cà, je voy bien que vous ne m'estes pas telle que vous deussiez estre par raison ;
toutesfoys ; espérant que jamais ne vous adviendra de ce qui est fait, n'en soit plus parlé.
Mais
devisons d'ung aultre :
j'ay ung affaire qui me touche beaucoup, et à vous aussi ; si nous fault
engaiger
tous nos joyaulx, et, se vous avez quelque
mynot
d'argent à part, il le vous fault mettre avant ; car le cas le requiert.
- Par ma foy, dist la
gouge,
je le feray de bon cueur ;
mais que
me pardonnez vostre mal talent.
- N'en parlez, dist-il, non plus que moy. »
Elle,
cuidant
estre
absolue
et avoir remission de ses péchiez, pour complaire à son mary, après la
noyse
dessusdicte,
bailla
ce qu'elle avoit d'argent, ses
verges,
ses tissus, certaines bourses estoffées bien richement, ung grant tas de couvrechiefz bien fin, plusieurs
pennes
entieres et de bonne valeur ; brief, tout ce qu'elle avoit, et que son mary voulut demander, elle luy
bailla,
pour en faire son bon plaisir :
« En dea,
dist-il, encores ne ay-je pas assez ! »
Quant il eut tout jusques à la
robbe
et la
Cote simple,
qu'elle avoit sur elle :
« Il me fault avoir ceste
robbe ! dist-il.
- Voire,
dist-elle, si je n'ay aultre chose à vestir. Voulez-vous que je
voise
toute nue ?
- Force est, dist-il, que la me baillez et la
Cote simple
aussi, et
vous advancez
car, soit par amours ou par force, il la me fault avoir. »
Elle, voyant que la force n'estoit pas sienne, se
desarma
de sa robe et de sa
Cote simple,
et demoura en sa chemise :
« Tenez, dist-elle, fay-je bien ce qu'il vous plaist ?
- Vous ne l'avez pas tousjours fait, dist-il. Se à ceste heure vous me obeyssez, Dieu scait se c'est de bon cueur ; mais laissons cela et
parlons d'ung aultre.
Quant je vous prins à mariage à la male heure, vous n'aportastes gueres avecques vous,
et encores le tant peu que ce feust, si l'avez-vous
forfait
et coufisqué ; il n'est
jà mestier
qu'on vous dye vostre
gouvernement :
vous scavez mieulx quelle vous estes, que nul autre, et pour ce, telle que vous estes à ceste heure,
je vous baille le grant congié et vous dy le grant adieu.
Vela
l'huys,
prenez chemin, et, se vous faictes que saige, ne vous trouvez jamais devant moy. »
La povre gouge, plus esbabye que jamais, n'osa plus demourer, après ceste horrible leçon, ains se partit et s'en vint rendre, ce croy-je, à l'ostel de son amy par amours, pour ceste première nuyt, et fist mettre sus beaucoup d'embassadeurs pour ravoir ses bagues et ses habillemens de corps ; mais ce fut pour néant, car son mary, obstiné et endurcy en son propos, n'eu voulut oncques ouyr parler, et encores moins de la reprendre ; si en fut beaucoup pressé tant des amys de son costé comme de ceulx de la femme, toutesfoys elle fut contrainte de gaigner des aultres habillemens, et, en lieu de mary, user de amy, attendant le rapaisement de sondit mary, qui, à l'heure de ce compte, estoit encores mal content, et ne la vouloit veoir pour rien qui feust.
Il n'est pas seulement congneu de ceulx de la ville de Gand (où le cas, que je vous ay à descrire, est, n'a pas long temps, advenu), mais de la part de ceulx du pays de Flandres, et de plusieurs aultres, que, à la bataille qui fut entre le roy de Hongrie et le duc Jehan, lesquelz Dieu absolve, d'une part, et le grant Turc en son pays de Turquie d'aultre, où plusieurs notables chevaliers et escuiers françoys, flamens, alemans et picars furent prisonniers ès mains du Turc, les aucuns furent mors et persécutez, présent ledit Turc, les aultres furent enchartrés à perpétuité, les aultres condamnez à faire office de clerc d'esclave : du nombre des quelz fut ung gentil chevalier dudit pays de Flandres, nommé messire Clays Utenchonen. Et par plusieurs fois exerça ledit office d'esclave, qui ne luy estoit pas petit labeur, mais martire intollerable, attendu les délices où il avoit esté nourry et le lieu dont il estoit party.
Or, devez-vous scavoir qu'il estoit marié par deçà à Gand, et avoit espousé une très belle et bonne dame, qui de tout son cueur l'aymoit et le tenoit chier : laquelle pria Dieu journellement que brief le peust reveoir par deçà, se encores il estoit vif ; s'il estoit mort, que, par sa grâce, il luy voulsist ses péchez pardonner et le mettre au nombre des glorieux martirs, qui, pour le reboutement des infidèles, et l'exultacion de la saincte foy catholique, se sont voulentairement offers et abandonnez à mort corporelle. Ceste bonne dame, qui riche, belle et bien jeune estoit et bonne, estoit de grans amys continuellement pressée, et assaillie de ces amys, qu'elle se voulsist remarier ; lesquelz disoient et affermoyent que son mary estoit mort, et que, s'il feust vif, il feust retourné comme les aultres ; s'il feust aussi prisonnier, on eust eu nouvelle de faire sa finance. Quelque chose qu'on dist à ceste bonne dame, ne raison qu'on luy sceust amener d'apparence en cestuy fait, elle ne vouloit condescendre en cestuy mariage, et, au mieulx qu'elle scavoit, s'en excusoit. Mais que luy valut ceste excusance, certes pou ou rien ; car elle fut à ce menée de ses parens et amys, que elle fut contente d'obeyr. Mais Dieu scait que ce ne fut pas à peu de regret, et estoient environ neuf ans passez, qu'elle estoit privée de la présence de son bon et leal mary, lequel elle reputoit pieça mort ; aussi faisoient la plus part et presque tous ceulx qui le congnoissoient. Mais Dieu, qui ses serviteurs et champions préserve et garde, l'avoit aultrement disposé, car encores vivoit et faisoit son ennuyeux office d'esclave. Pour rentrer en matière, ceste bonne dame fut mariée à ung, aultre chevalier, et fut environ demy an en sa compaignie, sans ouyr aultres nouvelles de son bon mary que les précédentes, c'est assavoir qu'il estoit mort.
D'adventure, comme Dieu le voulut, ce bon et leal chevalier messire Clays estant encores en Turquie,
à l'heure que ma dame sa femme s'est ailleurs alyée, faisant le beau mestier d'esclave, fist tant par le moyen
d'aucuns
chrestiens gentilz hommes et autres qui arrivèrent où pays, qu'il fut délivré, et se mist en leur
galée,
et retourna par deça. Et comme il estoit sur son retour, il rencontra et trouva, en passant pays,
plusieurs de sa congnoissance qui très joyeux furent de sa délivrance ; car, à la vérité, il estoit très vaillant homme,
bien renommé et bien vertueux. Et tant se espandit ce très joyeux bruit de sa désirée délivrance, qu'il parvint en France,
au pays d'Artoys et en Picardie, où ses vertuz n'estoient pas moins congneues que en Flandres, dont il estoit natif.
Et, après ce, ne tarda gueres que ces nouvelles vindrent en Flandres jusques aux oreilles de sa très belle et bonne dame, qui fut bien
esbahye,
et de tous ses sens tant altérée et
surprinse
qu'elle ne scavoit
sa contenance :
« Ha ! dist-elle, après
certaine pièce,
quant elle peut parler, mon cueur ne fut
oncques
d'acord de faire ce que mes parens et amys m'ont à force contrainte de faire ! Helas ! et qu'en dira mon très loial seigneur et mary,
auquel je n'ay pas gardé loyaulté comme je deusse, mais comme femme legiere, fresle et muable de
couraige,
ay baillé part et porcion à aultruy de ce dont il estoit et devoit estre seigneur et maistre !
Je ne suis pas celle qui doye ne ose attendre sa présence ; je ne suis pas aussi digne qu'il me vueille ou doye regarder,
ne jamais veoir en sa compaignie. »
Et, ces parolles dictes, acompaignées de grosses larmes, son très honneste, très vertueux cueur s'esvanouyt ; et cheut à terre pasmée. Elle fut prinse et portée sur ung lit, et luy revint le cueur ; mais depuis ne fut en puissance de homme ne de femme de la faire menger ne dormir ; ainçois fut, trois jours continuelz, tousjours pleurant, en la plus grant tristesse de cueur de jamais. Pendant lequel temps elle se confessa et ordonna comme bonne chrestienne, criant mercy à tout le monde, especialement à monseigneur son mary. Et après elle mourut, dont ce fut grant dommaige ; et n'est point à dire le grant desplaisir qu'en print mondit seigneur son mary, quant il sceut la nouvelle ; et, à cause de son deul, fut en grant danger de suyr, par semblable accident, sa très loyale espousé ; mais Dieu, qui l'avoit saulvé d'aultres grans perilz, le préserva de ce danger.
Ung gentil chevalier d'Alemaigne, grant voyagier et aux armes preux et courtois, et de toutes bonnes vertuz largement doué, au retourner d'ung lointain voyaige, estant en ung sien chasteau, fut requis d'ung bourgeois, son subject, demourant en sa ville mesmes, d'estre parrain et tenir sus fons son enfant, de quoy la mère s'estoit délivrée droit à la venue du retour dudit chevalier. Laquelle requeste fut audit bourgeois libéralement accordée, et jà soit ce que ledit chevalier eust en sa vie tenuz plusieurs enfans sur fons, si n'avoit-il jamais donné son entente aux sainctes parolles par le prestre proférées au mistere de ce sainct et digne sacrement, comme il fist à ceste heure ; et luy sembloit, comme elles sont à la vérité, plaines dehau