Lorsqu'au roman de chevalerie a succédé le roman policier, on a parlé d'art des masses ; c'est-à-dire confondu l'art et les moyens de fiction. Il y a un roman des masses, pas de Stendhal des masses ; une musique des masses, pas de Bach - ni de Beethoven, quoi qu'on en dise ; une peinture des masses, pas de Piero della Francesca, ni de Michel-Ange.
(MALRAUX, les Voix du silence, p. 512.)

Il ne s'agit pas de raconter d'autres histoires, de les raconter autrement ; il s'agit de la découverte par le romancier, de son ubiquité, de son omniscience, de sa liberté, de l'autonomie de ses oeuvres qui ne se limitent plus aux histoires et aux contes. Peu à peu, il découvrira l'existence de tout ce qui, dans le roman, n'est pas l'histoire contée.
(MALRAUX, l'Homme précaire et la Littérature, p. 96.)

Le roman moderne est un combat entre l'auteur et la part du personnage qu'il poursuit toujours en vain, car cette part est le mystère de l'homme. [...] Isolde n'échappe pas à Thomas, à Béroul, à leurs rivaux, bien qu'ils la différencient : non parce qu'elle leur est soumise, mais parce qu'elle les domine.
(MALRAUX, l'Homme précaire et la Littérature, p. 197.)

Le roman appelle "caractère" un type humain animé par une passion majeure et constante : un masque de l'âme. [...] Ses actes, même difficilement prévisibles, ne doivent point surprendre. Il écarte l'irrationnel, auquel le personnage devra tant. La vie ne le modifie guère.
(MALRAUX, l'Homme précaire et la Littérature, p. 130.)

La création romanesque naît de l'intervalle que nous avons vu séparer le roman de l'histoire qu'il raconte - mais dont nous n'avons pas vu que s'y déroule le dialogue de l'auteur avec son imagination au moyen de l'écriture ; repentirs, adjonctions, liberté que ne limitent nul interprète, nulle narration orale, nulle mémoire, mais seulement la navette entre auteur et personnages, la marge où ceux-ci prolifèrent, inséparable de la conscience qu'a le romancier de ne s'adresser ni à un interlocuteur ni à un spectateur, mais à un lecteur.
(MALRAUX, l'Homme précaire et la Littérature, p. 180-181.)

Tout art véritable met ses moyens, même les plus brutaux, au service d'une part de l'homme obscurément ou véhémentement élue. Il n'y a pas plus dans le plus violent roman de gangsters que dans l'Orestie ou dans Oedipe-Roi ; mais le sang n'y a pas la même signification.
(MALRAUX, les Voix du silence, p. 523.)

Ce que nous appelons roman n'eût pas été concevable sans la diffusion de la lecture à voix basse. D'autant plus lente que l'écrivain reconnaît à peine ses droits : comme Boccace, comme Marguerite de Navarre, il se veut sténographe. Il découvrira tard l'autonomie de l'écrit narratif. On peut douter que la reine de Navarre ait eu pleinement conscience de raconter des entretiens (et non de les reproduire) comme elle racontait l'interruption du voyage.
(MALRAUX, l'Homme précaire et la Littérature, p. 93.)