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Objet d'étude : Le texte théâtral et sa représentation (du XVIIe siècle à nos jours)
Problématique : Comment au théâtre se dit l'idée de changement ? |
Dom Juan et ses mises en scène :
intentions de metteurs en scène ?
(Capsule ⊲ voir le document de travail pour la classe ⊳)
- Molière (dimanche 15 février 1665, Théâtre du Palais Royal, Paris) :
Don Juan (joué par La Grange) est vu comme l'instrument de vengeance contre la "rage dévote", une machine de guerre contre les tartufes, soutenue par le Roi.
Molière prête sa voix et ses talents de mime à Sganarelle.
- Escande (1925, Comédie Française, Paris) :
Don Juan est un séducteur, une "nature emportée par un déchaînement violent de sensualité" et non plus un raisonneur profond, "pas un artiste subtil de la séduction".
- Meyerhold (1932, Théâtre de la Révolution en URSS) :
Don Juan représente le symbole d'une aristocratie décadente condamnée par l'Histoire : Dom Juan est un témoignage sur la lutte des classes.
Sganarelle incarne alors la "bonne santé du peuple", sa sagesse, son humour
- Jouvet (1947, Théâtre de l'Athénée, Paris) :
Jouvet en Don Juan est un hidalgo inaccessible, cynique, impénétrable, solitaire et glacé, dénué de toute sensualité, défiant le destin : "C'est de salut et de damnation dont il est question dans le Dom Juan de Molière" dit-il.
Sganarelle est écrasé par la stature de Don Juan.
- Vilar (1953, TNP, Paris) :
le monde est pour Don Juan l'espace d'une liberté à exercer, absolue, une "liberté sadienne" (Barthes) privée de Dieu par détermination profonde, seul, mais libre : "un mousquetaire cartésien et athée" (Sandier).
Sganarelle (D. Sorano), aussi important que son maître, devient ici véritablement son double.
- Bluwal (1965, pièce filmée) :
Michel Piccoli y incarne un Don Juan télégénique, voluptueux, sensuel, à tout moment sincère dans ses conquêtes multipliées, orgueilleux, "grand seigneur méchant homme", mais jamais odieux.
Sganarelle (Claude Brasseur), fasciné par la beauté de ce diable amoureux, réprouve par bon sens et tente, en bon disciple, de se calquer sur l'élégance de son maître.
- Chéreau (1969, Théâtre du VIIIe, Lyon) : un monde agressif, décadent, où le baiser est morsure, une accolade bourrade, l'autre une occasion de violents conflits.
Don Juan (sadien, joué par G. Guillaumat) s'attaque à la société morale du XVIIe mais il devient la victime d'une "machine à tuer les libertins" qui trahissent leur classe.
Sganarelle (M. Maréchal) est une sorte de SDF lyrique, singeant le pantin de maître qu'il accompagne dans leur errance : pantins manipulés (actionnés) par un peuple de bêtes brutes et de paysannes en chaleur, tous esclaves et victimes du pouvoir, Sganarelle "est encore des vaincus"...
- Planchon (1980, Comédie Française, Paris) :
Desarthe y incarne un Don Juan qui est une sorte de "vampire désinvolte et orgueilleux, damné et fier de l'être, un militant du blasphème, imprécateur cruel en cuir noir. [...] Il y a du Faust dans Don Juan".
- Maréchal (?, Comédie Française, Paris) :
avec Pierre Arditi interprétant en Don Juan l'histoire d'un personnage blessé, "l'histoire d'un assassin poète, porteur de rêves et de douleur. [...] Je me suis engouffré dans ses blessures" dans une "sorte de marécage de perversité".
Sganarelle (M. Maréchal) partage alors les convictions et la sympathie du public
- Mnouchkine (1985, Théâtre de la Cartoucherie, Vincennes) :
Don Juan et Sganarelle sont deux comparses qui dialoguent mais ne sauraient entendre "les faiseurs de remontrances" : le discours de Don Louis (A.4 sc.4), pris dans le jeu de la "bouteille saoule", devient, par exemple, justement incompréhensible pour tous.
- Manuel (1986 ?, ? , Paris) : dans la tradition comique,
Don Juan y joue le rôle d'un don juan (théâtre dans le théâtre ?) qui se moque du monde et des "personnages théâtraux" qui l'entourent. Les conventions théâtrales sont lisibles et contribuent au comique.
Même Sganarelle joue à se croire irrésistiblement intelligent...
- Huster (1995, ?) :
avec J. Weber dans le rôle d'un "Don Juan en marche vers l'anéantissement. Qui a perdu sa guerre avec le paraître, distant, détaché, étranger, provocateur calme, avec la mort pour seule compagne".
Sganarelle (Francis Huster) est un complice ?
- Lassalle (1993, Festival d'Avignon) :
Don Juan, incarné par Andrezev Seweryn, est un homme simple, un personnage sincère qui "n'a pas de projet révolutionnaire, il ne veut pas bouleverser la société, [...] un esprit simple qui refuse l'hypocrisie, [...] un homme capable d'aimer deux femmes en même temps, avec légèreté, émotion, sensualité." (Seweryn)
Sganarelle était joué par Roland Bertin.
- Weber (1997, pour le cinéma) ne respecte pas la construction dramatique de Molière, ni le texte.
Weber en
Don Juan demeure plein de morgue, mais il est (comme chez Chéreau) en fuite continuelle : usé, dépenaillé, "à la recherche de certitudes", il va d'échecs en échecs et à la mort, mais sans le savoir.
Même Sganarelle (étonnant Boujenah) ne croit pas en lui : il est le témoin des singeries de son maître, mais jamais dupe : il sait qu'on lui a tout volé et semble même savoir ou tout cela les mènera...
- Mesguich (1997, Athénée-Jouvet, Paris) :
Don Juan (D. Mesguich), l'homme révolté qui clame, en plus de ses révoltes traditionnelles dans le texte de Molière, son antisémitisme dans l'acte IV.
Sganarelle (Christian Hecq), clownesque, ose toutes les excentricités et fait rire le spectateur..
- Delcampe (1999, abbaye de Villers-la-Ville, en extérieur) :
Don Juan (D. Colfs), comique, un peu poseur, est une sorte de grand enfant, un grand gamin un peu efféminé qui veut tout : intelligent mais irresponsable ("aveugle jeunesse"), joueur et non coupable, il ne comprend pas bien pourquoi ses jouets sont cassés.
Sganarelle (Léonil Mac Cormick), valet et confident, ami de Don Juan, "le regard du peuple"(Colfs), est lui aussi "un cœur sincère". Il ne partage pas les raisonnements de son maître mais s'étonne toujours de voir la "mécanique Don Juan" fonctionner... Ni l'un ni l'autre ne semblent concernés par les dégâts que Don Juan occasionne.
Pourquoi la scène avec Monsieur Dimanche est-elle absente ?
- L. Rogero (2004, Scène Nationale de Bayonne et du Sud Aquitain, ) :
"Le comédien et metteur en scène bordelais, Laurent Rogero, a pris le parti d'un Dom Juan en solo. [...] Laurent Rogero interprète Don Juan à visage découvert, Sganarelle masqué ; tous les autres personnages deviennent des excroissances de son corps : deux bras, une cape, deux boules d'argile hâtivement modelées et les paysannes se crêpent le chignon ; un socle rouge et la statue du commandeur s'ébranle... (Catalogue TNBA 2004-2005)
« Ce qui me frappe dans la lecture de ce texte, c'est le mouvement qui le traverse : la fuite en avant. Ce mouvement passionné autant que mortifère me rappelle un type d'homme moderne : libéral, pressé, à l'affût de la satisfaction immédiate de ses pulsions dominatrices, fuyant toute responsabilité des conséquences de ses actes. » (Laurent Rogero)
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(Synthèse à faire, par exemple, sur l'interprétation de la variété du personnage de Don Juan dans ces adaptations... ou sur la relation maître valet...)