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Objet d'étude :
Le personnage de roman
(du XVIIe siècle à nos jours)

Problématique : En quoi le personnage de roman donne-t-il à voir un monde ?

I- À lire : 2 textes complémentaires et théoriques

Texte 1 - Texte 2 -

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Texte 1 : Histoire de Gil Blas de Santillane, 1715

Lecture cursive

A-R. Lesage
(1668-1747)

de ''Blas de Santillane ...'' à ''...l'imaginaire sous le réel.''

Roman picaresque.



      Blas de Santillane, mon père, après avoir longtemps porté les armes pour le service de la monarchie espagnole, se retira dans la ville où il avait pris naissance. Il y épousa une petite bourgeoise qui n'était plus dans sa première jeunesse, et je vins au monde dix mois après leur mariage. Ils allèrent ensuite demeurer à Oviédo, où ma mère se mit femme de chambre, et mon père écuyer. Comme ils n'avaient pour tout bien que leurs gages, j'aurais couru risque d'être assez mal élevé, si je n'eusse pas eu dans la ville un oncle chanoine. Il se nommait Gil Perez. Il était frère aîné de ma mère et mon parrain. Représentez-vous un petit homme haut de trois pieds et demi, extraordinairement gros, avec une tête enfoncée entre les deux épaules : voilà mon oncle. Au reste, c'était ecclésiastique qui ne songeait qu à bien vivre, c'est-à-d're qu'à faire bonne chère ; et sa prébende', qui n'était pas mauvaise, lui en fournissait les moyens.

      Il me prit chez lui dès mon enfance, et se chargea de mon éducation. Je lui parus si éveillé, qu'il résolut de cultiver mon esprit. Il m'acheta un alphabet, et entreprit de m'apprendre lui-même à lire ; ce qui ne lui fut pas moins utile qu'à moi ; car, en me faisant connaître mes lettres, il se remit à la lecture, qu'il avait toujours fort négligée, et, à force de s'y appliquer, il parvint à lire couramment son bréviaire, ce qu'il n'avait jamais fait auparavant. Il aurait encore bien voulu m'enseigner la langue latine, c'eût été autant d'argent épargné pour lui ; mais, hélas ! le pauvre Gil Perez ! il n'en avait de sa vie su les premiers principes ; c'était peut-être (car je n'avance pas cela comme un fait certain) le chanoine du chapitre le plus ignorant.




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Texte 2 : Jacques le fataliste et son maître, 1765-1784

Lecture cursive

D. Diderot
(1713-1784)

De « Comment s'étaient-ils... Â» à « ...que celle du genou. Â»

Tradition romanesque ?.



      Comment s'étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s'appelaient-ils ? Que vous importe ? D'où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l'on sait où l'on va ? Que disaient-ils ? Le maître ne disait rien ; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut.
LE MAITRE. - C'est un grand mot que cela.
JACQUES. - Mon capitaine ajoutait que chaque balle qui partait d'un fusil avait son billet.
LE MAITRE. - Et il avait raison...
Après une courte pause, Jacques s'écria : « Que le diable emporte le cabaretier et son cabaret !
LE MAITRE. - Pourquoi donner au diable son prochain ? Cela n'est pas chrétien.
JACQUES. - C'est que, tandis que je m'enivre de son mauvais vin, j'oublie de mener nos chevaux à l'abreuvoir. Mon père s'en aperçoit ; il se fâche. Je hoche de la tête ; il prend un bâton et m'en frotte un peu durement les épaules. Un régiment passait pour aller au camp devant Fontenoy ; de dépit je m'enrôle. Nous arrivons ; la bataille se donne.
LE MAITRE. - Et tu reçois la balle à ton adresse.
JACQUES. - Vous l'avez deviné ; un coup de feu au genou ; et Dieu sait les bonnes et mauvaises aventures amenées par ce coup de feu. Elles se tiennent ni plus ni moins que les chaînons d'une gourmette. Sans ce coup de feu, par exemple, je crois que je n'aurais été amoureux de ma vie, ni boiteux.
LE MAITRE. - Tu as donc été amoureux ?
JACQUES. - Si je l'ai été !
LE MAITRE. - Et cela par un coup de feu ?
JACQUES. - Par un coup de feu.
LE MAITRE. - Tu ne m'en as jamais dit un mot.
JACQUES. - Je le crois bien.
LE MAITRE. - Et pourquoi cela ?
JACQUES. - C'est que cela ne pouvait être dit ni plus tôt ni plus tard.
LE MAITRE. - Et le moment d'apprendre ces amours est-il venu ?
JACQUES. - Qui le sait ?
LE MAITRE. - A tout hasard, commence toujours... »

      Jacques commença l'histoire de ses amours. C'était l'après-dînée : il faisait un temps lourd ; son maître s'endormit. La nuit les surprit au milieu des champs ; les voilà fourvoyés. Voilà le maître dans une colère terrible et tombant à grands coups de fouet sur son valet, et le pauvre diable disant à chaque coup : « Celui-là était apparemment encore écrit là-haut... »

      Vous voyez, lecteur, que je suis en beau chemin, et qu'il ne tiendrait qu'à moi de vous faire attendre un an, deux ans, trois ans, le récit des amours de Jacques, en le séparant de son maître et en leur faisant courir à chacun tous les hasards qu'il me plairait. Qu'est-ce qui m'empêcherait de marier le maître et de le faire cocu ? d'embarquer Jacques pour les îles ? d'y conduire son maître ? de les ramener tous les deux en France sur le même vaisseau ? Qu'il est facile de faire des contes ! Mais ils en seront quittes l'un et l'autre pour une mauvaise nuit, et vous pour ce délai.

     L'aube du jour parut. Les voilà remontés sur leurs bêtes et poursuivant leur chemin. - Et où allaient-ils ? - Voilà la seconde fois que vous me faites cette question, et la seconde fois que je vous réponds : Qu'est-ce que cela vous fait ? Si j'entame le sujet de leur voyage, adieu les amours de Jacques... Ils allèrent quelque temps en silence. Lorsque chacun fut un peu remis de son chagrin, le maître dit à son valet : « Eh bien, Jacques, où en étions-nous de tes amours ?
JACQUES. - Nous en étions, je crois, à la déroute de l'armée ennemie. On se sauve, on est poursuivi, chacun pense à soi. Je reste sur le champ de bataille, enseveli sous le nombre des morts et des blessés, qui fut prodigieux. Le lendemain on me jeta, avec une douzaine d'autres, sur une charrette, pour être conduit à un de nos hôpitaux. Ah ! monsieur, je ne crois pas qu'il y ait de blessures plus cruelles que celle du genou.




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