Objet d'étude :
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On dit aussi qu'au delà de la présence des géants (personnages de Gargantua, Pantagruel...) les vrais géants de l’œuvre de Rabelais ce sont la parole, le rire, voire, par la démesure, l'énorme dénonciation de l'arrogance des ambitions humaines. Et, par ce dernier point, on fait de Alcofibras Nasier (narrateur de Gargantua) un Humaniste (mot attesté en 1765) porte-parole des préceptes des Évangélistes (mot attesté en 1190) et de Rabelais.
Loin de cette métaphore, revenons-en à la tradition narrative (religieuse ou romanesque) qui ne manque pas de croiser des géants.
« En gros », ces géants sont la représentation des forces et dérèglements de la nature (tempêtes et volcans ?) à travers nombre de récits anthropomorphes :
- la personnification de la force brutale dans la mythologie
(les fils de Gaïa et Ouranos ? ou fils du seul Tartare ? selon la tradition) dans l'épisode de la
Gigantomachie - Wikipédia : Alcyoneus, Borée, Éphialtès, Porphyrion, Typheeus...)
- Nefîlîm, Rephaïm et Gibborim dans la bible (Adam, et des anges déchus, condamnés lors du Déluge : Éléazar, Goliath, Og)
- toujours des personnages robustes et souvent hideux parfois sympathiques dans le conte populaire nordique, russe, celte ou européen
(Trolls, géants :
Asouras, Barbe d'or, le roi de Basan, Ferragut, Goliath avant Gulliver, Lydéric, Rannou et autres
ogres)
- Et chez Rabelais, un géant est avant tout un énorme consommateur de mets (« grand planté de tripes »
chap. VI), de mots et de pélerins (« mangea en sallade six pelerins »
chap. XXXVIII)
De l'idéologie au plaisir du mot :
Dans cette tradition narrative « De Janotus à Alcofrybas il n'existe pas, tout bien considéré, de différence majeure,
l'un et l'autre étant à leur façon de grands jaseurs et beaux bailleurs de balivernes. »
(Alain Trouvé, réf. citée)
« Pourquoi ne pas faire l'hypothèse que le champ d'investigation privilégié du Gargantua serait, en définitive, les formes et les usages de la parole ? » : Gargantua nait en criant « à boire », il est prit d'une véritable logorrhée / diarrhée avec le « torchecul » (systématisation de la catachrèse) et après la guerre picrocholine il maîtrise le monde par sa parole (Chap. XLVIII).
En guise de conclusion :
— Gargantua est-il le modèle par excellence de l'œuvre humaniste ?
« Oui et non. En fait Gargantua met en cause les certitudes établies. Il nous rappelle que l'Humanisme, cet idéal de mesure,
n'est pas un héritage acquis, mais un horizon à conquérir. En ce sens, Rabelais affiche sa modernité.
La paix, la culture, ces valeurs sont toujours à construire ; on le sait mieux encore après la Shoah. Dans Gargantua,
le sens est marqué par l'ambivalence. Ainsi l'utopie de Thélème reflète un idéal inquiétant ;
utile leçon face à des discours d'ordre qui prétendent encadrer le festif et le carnavalesque. »
(Alain Trouvé, réf. citée)
En cinq temps
"Libertin" et "libertinage" furent longtemps des termes uniquement polémiques destinés à condamner toutes opinions ou conduites qui s’écartaient de la norme sociale dominante. Il a fallu l’effervescence sociale, politique et littéraire du XVIIIe siècle pour que ces termes soient assumés puis revendiqués, et qu'ils deviennent finalement des catégories de l’histoire des idées et des lettres européennes.
"Libertinus" |
Esclave affranchi (libéré) |
XVI et XVIIe siècle : on trouve dans le Dictionnaire de Richelet (1680), cette défnition du libertin : " Qui hait la contrainte, qui suit sa pente naturelle sans s'écarter de l'honnêteté". |
On distingue ainsi traditionnellement un libertinage de pensée (s'opposer à tous les dogmatismes : les alumbrados en Espagne au XVIe siècle), un libertinage de mœurs (vivre la débauche : Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII) et un libertinage érudit (Pierre Charron, Pierre Bayle) qui annonce les Lumières. |
Le XVIIe siècle est, dans l’ensemble de l’Europe, une époque de restauration des valeurs traditionnelles dans le domaine de la morale et de la religion. Mais, contre ce retour à l'ordre, se développe (Angleterre, Allemagne, France, Italie) un courant philosophique et littéraire qui revendique l’indépendance de la pensée hors des dogmes et une critique des religions positives : ce sont les libertins (La Mothe Le Vayer, Théophile de Viau, Gassendi, Cyrano de Bergerac,.). | Matérialisme : Lenclos Anne dite Ninon de Lenclos (1616-1706) |
Le libertinage du XVIIIe siècle reprend l'héritage libérateur des libertins du siècle précédent : | Crébillon fils (1707-1777) : est libertin, pour lui, l’homme qui se sert de l’amour pour assurer le triomphe de sa fantaisie aux dépens de sa partenaire, qui érige l’inconstance en principe et qui, ne cherchant que le plaisir de ses sens et la satisfaction de sa vanité, n'accorde rien au sentiment dans l’entreprise de la conquête amoureuse. |
I- Cadre :À peu près fixe : un champ clos (salon, boudoir, carrosse, maison de campagne ou chambre à coucher) II- Personnages :1- Schémas d’action typiques du libertinage :Le sujet veut faire une expérience ou démontrer une théorie psychologique mais toujours imposer sa loi aux événements et aux personnes : rendre réel l'impossible par… 2- Les hommes :- le séducteur, le héros, sans préjugés : celui qui sait lire dans les actions et les sentiments des autres 3- Quatre catégories de femmes :- les philosophes (sans préjugés, se veulent les égales des séducteurs - rarement au premier plan du récit, sauf Merteuil) III- Le triomphe du "roman d'analyse" :Tous les romanciers libertins du XVIIIe siècle ont en commun le goût de l’analyse psychologique : ils croient en une nature humaine codifiable par l’observation et l’expérience : il suffit d'étudier les ressorts qui font agir les hommes pour en déduire quelques certitudes… IV- Évolution et mort d’un genre :Lorsque Choderlos de Laclos, dans Les Liaisons dangereuses, récupère l’essentiel de l’apport de Crébillon fils (personnages, situations et méthodes d’analyse), il donne à son roman une ampleur tragique toute nouvelle : pour Valmont et Merteuil, il ne s’agit pas seulement de satisfaire un goût ou une fantaisie de l’amour-propre, mais surtout de réduire autrui en esclavage, de lui enlever toute autonomie et, finalement, de ne devoir qu’à soi-même sa force et son bonheur : |
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Rabelais (Parole mesurée et démesure de la parole dans Gargantua, Alain Trouvé)