Théâtre
Mvt littéraire (L)
Argumenter
Poésie
Roman
Réécritures (L)

Objet d'étude :
Les Réécritures

Problématique : Dans quelle mesure réécrire c'est ''revoir'' ?

I- À lire : 2 textes complémentaires et théoriques

Texte 1 - Texte 2 -

flèche vers haut de page

Texte 1 : Cent nouvelles nouvelles, vers 1456

Lecture cursive

Anonyme

De « Au bon pays... » à « ...de sa femme. »


La LXXVIIIe nouvelle
Par Jehan Martin


     Au bon pays de Braibant, qui est bonne marche et plaisante, fournie à droit et bien garnie de belles filles, et bien saiges coustumierement et le plus ; et des hommes, on veult dire, et se treuve assez véritable, que tant plus vivent, que tant plus sont sotz : nagueres advint que ung gentil homme, en ce point né et destiné, il luy print voulenté d'aller oultre mer voyager en divers lieux, comme en Cypre, en Rodes et es marches d'environ; et, au dernier, fut en Jherusalem où il recent l'ordre de chevalerie.
     Pendant lequel temps de son voyaige, sa bonne femme ne fut pas si oyseuse, qu'elle ne prestast son quoniam à trois compaignons, lesquelz, comme à court plusieurs servent par temps et termes, eurent audience. Et tout premier ung gentil escuier, frès et frisque et en bon point, qui tant rembourra son bas, à son chier coust et substance, tant de son corps comme en despence de pecune (car à la vérité elle tant bien le pluma, qu'il n'y failloit point renvoyer), qu'il s'ennuya et retira, et de tous poins l'abandonna. L'aultre après vint, qui chevalier estoit et homme de grand bruyt, qui bien joyeux fut d'avoir gaigné la place, et besoingna au mieulx qu'il peut comme dessus, moyennant de quibus, que la gouge tant bien seavoit avoir, que nul aultre ne la passoit. Et brief, se l'escuyer, qui auparavant avoit la place, avoit esté rongié, damp chevalier n'en eut pas moins. Si tourna bride et print congié et aux aultres abandonna la queste. Pour faire bonne, bouche, la bonne damoiselle, d'ung maistre prestre, s'acointa, et, quoy qu'il feust subtil et sur argent bien fort luxurieux, si fut-il rançonné de robes, de vaisselle, et de aultres bagues largement.
      Or advint, Dieu mercy, que le vaillant mary de ceste gouge fist scavoir sa venue, et comme en Jherusalem avoit esté fait chevalier : si fist sa bonne femme l'ostel aprester, tendre, parer et nettoyer au mieulx qu'il feust possible. Brief, tout estoit bien net et plaisant, fors elle seulement, car du plus et butin qu'elle avoit à force de rains gaigné, avoit acquis vaisselle, tapisserie, et d'autres meubles assez. A l'arriver que fist le doulx mary, Dieu scait la joye et la feste qu'on luy fist, celle en especial qui le moins en tenoit compte, c'est assavoir sa vaillante femme. Je passe tous ses biens vueillans et vien à ce que monseigneur son mary, quoy coquart qu'il feust, si se donna garde de foison de meubles, qui avant son parlement n'estoient pas leans. Vint aux coffres, aux bufetz et en assez d'aultres lieux, et trouve tout multiplié, dont le hutin luy monta en la teste, et, de prinsault, son cueur en voulut descharger ; si s'en vint, eschauffé et mal meu, devers sa bonne femme, et luy demanda tantost d'où sourdoient tant de biens comme ceulx que j'ay dessus nommez :
« Sainct Jehan ! monseigneur, ce dist ma dame, ce n'est pas mal demandé ; vous avez bien cause d'en tenir telle manière, et de vous eschauffer ainsi. Il semble que vous soyez courroucié, à vous veoir ?
- Je ne suis pas bien à mon aise, dist-il, car je ne vous laissay pas tant d'argent à mon partir, et sine povez pas tant avoir espargné, que, pour avoir tant de vaisselle, de tapisserie, et le surplus de bagues que j'ay trouvé par céans, il fault (et je n'en doubte point, car j'ay cause) que quelqu'un se soit de vous accointé, qui nostre mesnàige a ainsi renforcé ?
- Et par Dieu ! monseigneur, respond la simple femme, vous avez tort, qui, pour bien faire, me mettez sus telle vilennie ! Je vueil bien que vous saichez que je ne suis pas telle, mais meilleure en tous endroits, que à vous n'appartient, et n'esse pas raison que, avec tout le mal que j'ay eu d'amasser et espargner, pour acroistre et embellir vostre ostel et le mien, j'en soye reprouchée et tencée ? C'est bien loing de congnoistre ma peine, comme bon mary doibt faire à sa bonne preude femme ; telle l'avez-vous, meschant maleureux, dont c'est grand dommaige, par mon ame, se ce n'estoit pour mon honneur et pour mon ame ! »
Ce procès, quoy qu'il feust plus long, pour ung temps cessa, et s'advisa maistre mary, pour estre acertené de l'estât de sa femme, qu'il ferait tant avec son curé, qui son très grant ami estoit, que d'elle orroit la devote confession : ce qu'il fist au moyen du curé qui tout conduist ; car, ung bien matin, en la bonne sepmaine, que de son curé pour confesser approucha, en une chappelle devant il l'envoya, et à son mary vint : lequel il adouba de son habit et l'envoya devers sa femme. Se nostre mary fut joyeux, il ne le fault jà demander, quant en ce point il se trouva. Il vint en la chappelle, et, au siège du prestre, sans mot dire, entra ; et sa femme, d'approucher, qui à genoulx se mist devant ses piez, cuidant pour vray estre son curé, et sans tarder commença à dire Benedicite. Et nostre sire son mary respondit Dominus ; au mieulx qu'il sceut, comme le curé l'avoit aprins, acheva de dire ce qui affiert. Après que la bonne femme eust dit la générale confession, elle descendit au particulier et vint parler comment, durant le temps que son mary avoit esté dehors, ung escuier avoit esté son lieutenant, dont elle avoit, tant en or, en argent, que en bagues, beaucoup amendé. Et Dieu scait qu'en oyant ceste confession, se le mary estoit bien à son aise : s'il eust osé, voulentiers l'eust tuée, à ceste heure ; toutesfoys, affin de ouyr le surplus, il eust patience. Quant elle eut dit tout au long de ce bon escuier, du chevalier s'est accusée, qui comme l'aultre l'avoit bien baguée. Et bon mary, qui de deul se crieve, ne scait que faire de soy descouvrir et bailler l'absolution sans plus attendre; si n'en fist-il riens : neantmoins, print loisir d'escouter ce qu'il orra. Après le tour du chevalier, le prestre vint en jeu, mais, à cest coup, bon mary perdit patience et ne peut plus ouyr : si getta jus chapperon et surplis ; en soy monstrant luy dist :
« Faulce et desloyale, or voy-je et congnois vostre grant traïson ! Et ne vous suffisoit-il de l'escuyer et puis du chevalier, sans à ung prestre vous donner, qui plus me desplaist que tout ce que fait vous, avez ? »
Vous devez scavoir que de prinsault ceste vaillant femme fut esbabye ; mais le loisir qu'elle eust de respondre très bien l'asseura, et sa contenance si bien ordonna, de manière qu'à l'ouyr à sa response, plus asseurée estoit que la plus juste de ce monde, disant à Dieu son oraison ; si respondit tantost après, comme le Saint Esperit l'inspira, et dist bien froidement : coquart, qui ainsi vous tourmentez, scavez-vous bien pourquoy ? Or, oyez-moy, s'il vous plaist : et pensez-vous que je ne sceusse bien que c'estiez vous à qui me confessoye ? Si vous ay servy comme le cas le requeroit, et sans mentir de mot, vous ay tout confessé mon cas. Vecy comment : de l'escuyer me suis accusée, et c'estes vous ; quant vous m'eustes à mariage vous estiez escuyer, et lors fistes de moy ce qu'il vous pleust; le chevalier aussi dont j'ay touché, c'estes vous, car, à vostre retour, vous m'avez fait dame; et vous estes le prestre aussi, car nul, se prestre n'est, ne peut ouyr confession.
- Par ma foy! m'amye, dist-il, or m'avez-vous vaincu, et bien monstrez que sage vous estes, et à tort vous ay chargée, dont je me repens et vous en crye mercy, promettant de l'amender à vostre dit.
- Legierement il vous est pardonné, ce dist sa femme, puis que le cas vous congnoissez. »
     Ainsi que avez ouy, fut le bon chevalier deceu par le subtil engin de sa femme.

01



05




10




15




20




25




30




35




40




45




50




55




60




65

flèche vers haut de page

Texte 2 : Contes et nouvelles, 1665

Lecture cursive

La Fontaine
(1621 - 1695)

De « Messire Artus... » à « ...l'avoir si mal pris. »


Le mari confesseur

"Messire Artus sous le grand roi François,
Alla servir aux guerres d'Italie ;
Tant qu'il se vit, après maints beaux exploits, 
Fait chevalier en grand' cérémonie. 
Son général lui chaussa l'éperon ; 
Dont il croyait que le plus haut baron 
Ne lui dût plus contester le passage. 
Si s'en revint tout fier en son village, 
Où ne surprit sa femme en oraison. 
Seule il l'avait laissée à la maison ; 
Il la retrouve en bonne compagnie, 
Dansant, sautant, menant joyeuse vie, 
Et des muguets avec elle à foison.
Messire Artus ne prit goût à l'affaire ; 
Et ruminant sur ce qu'il devait faire 
« Depuis que j'ai mon village quitté, 
Si j'étais crû, dit-il, en dignité 
De cocuage et de chevalerie ? 
C'est moitié trop : sachons la vérité. » 
Pour ce s'avise, un jour de confrérie, 
De se vêtir en prêtre, et confesser. 
Sa femme vient à ses pieds se placer. 
De prime abord sont par la bonne dame 
Expédiés tous les péchés menus ; 
Puis, à leur tour les gros étant venus, 
Force lui fut qu'elle changeât de gamme. 
« Père, dit-elle, en mon lit sont reçus
Un gentilhomme, un chevalier, un prêtre. » 
Si le mari ne se fût fait connaître, 
Elle en allait enfiler beaucoup plus ; 
Courte n'était, pour sûr, la kyrielle.
Son mari donc l'interrompt là-dessus, 
Dont bien lui prit : « Ah ! dit-il, infidèle ! 
Un prêtre même ! À qui crois-tu parler ? 
- À mon mari, dit la fausse femelle, 
Qui d'un tel pas se sut bien démêler, 
Je vous ai vu dans ce lieu vous couler, 
Ce qui m'a fait douter du badinage. 
C'est un grand cas qu'étant homme si sage 
Vous n'ayez su l'énigme débrouiller ! 
On vous a fait, dites-vous, chevalier ; 
Auparavant vous étiez gentilhomme ; 
Vous êtes prêtre avecque ces habits. 
- Béni soit Dieu ! dit alors le bon homme ; 
Je suis un sot de l'avoir si mal pris. »


01



05




10




15




20




25




30




35




30




45
Webdesigner
Flèche
Φ - Menu