Acte I, scène 1 : PREMIERE JOURNEE

(Dans une salle du palais du Roi de Naples.
Nuit. Il n'y a pas de lumière.)
Entrent Don Juan Tenorio le visage caché jusqu'aux yeux et la duchesse Isabela..


L'abuseur de Séville
et l'invité de pierre (1630)

Tirso de Molina

 
ISABELA : Duc Octavio, par ici tu pourras sortir plus sûrement.
DON JUAN : Duchesse, je vous jure à nouveau de donner le doux consentement.
ISABELA : Ainsi je serai vraiment heureuse, tes offres et tes serments, tes attentions, tes présents, ton amour et ton affection seront une certitude.
DON JUAN : Oui, mon bien.
ISABELA : Je vais allumer un flambeau.
DON JUAN: Hé ! pourquoi ?
ISABEL : Pour que mon cœur fasse paraître la joie qui me possède.
DON JUAN : Je le soufflerai, ton flambeau !
ISABELA : Ah ! ciel ! Homme, qui es-tu ?
DON JUAN : Qui suis-je ? Un homme sans nom.
ISABELA : N’es-tu donc pas le duc ?
DON JUAN : Non.
SABELA : Ah ! Du palais !
DON JUAN : Arrête ! Donne-moi la main, duchesse.
ISABELA : Lâche-moi, vilain ! Holà ! De par le roi !... A la garde ! Quelqu’un ! Entre le roi de Naples, avec une bougie dans un chandelier.
LE ROI : Qu’y a-t-il ?
ISABELA : Le roi ! Ah Misère !
LE ROI : Qui est là ?
DON JUAN : Qui veux-tu que ce soit ? Un homme et une femme.
LE ROI, (à part) : Cette affaire demande prudence. (Haut.) Holà, ma garde ! Arrêtez cet homme !
ISABELA : Ah ! honneur perdu !
Entrent en scène Don Pedro Tenorio, ambassadeur d'Espagne, et des gardes.
DON PEDRO : Dans tes appartements, grand roi, ces cris ! Qui en est la cause ?
LE ROI : Don Pedro Tenorio, je vous charge de cette arrestation. En faisant vite, vous aurez une chance : voyez qui sont ces deux-là. Mais faites le en secret, car je crains une sombre histoire. Pour ma part, ce que j’ai vu m’a suffit. (Il s'en va,)
DON PEDRO : Arrêtez-le !
DON JUAN : Qui l'osera ? Je peux bien perdre la vie, mais elle sera si chèrement vendue que certains le regretteront.
DON PEDRO : Tuez-le !
DON JUAN : Qui vous aveugle ? Je suis prêt à mourir, car je suis gentilhomme de l'ambassadeur d'Espagne. Qu'il vienne ! Je ne me rendrai qu'à lui seul.
DON PEDRO : Écartez-vous. Retirez-vous tous dans cette salle avec cette femme. (Isabela et les gardes s'en vont.) Nous voilà seuls tous les deux. Montre ici ton courage et ta valeur.
DON JUAN : Je ne manque pas de courage, mais je n’en ai pas contre vous, mon oncle.
DON PEDRO : Dis moi qui tu es.
DON JUAN : Je te l'ai déjà dit : ton neveu.
DON PEDRO, (à part) : Ah ! je pressens ici quelque trahison ! (Haut. ) Mais qu'as-tu fait, démon ? Comment te trouves-tu dans cette situation ? Dis-moi vite ce qui est arrivé. Rebelle ! Effronté ! J'ai envie de te donner la mort. Parle.
DON JUAN : Mon oncle et seigneur, je suis jeune et tu l’as été aussi, et puisque tu as connu l'amour, pardonne le mien. Mais si tu m'obliges à dire la vérité, écoute et je te la dirai : j'ai dupé la duchesse Isabela, et je l’ai possédée…
DON PEDRO : Ne poursuis pas, arrête ! Comment l'as-tu dupée ? Parle bas, ou tais-toi.
DON JUAN : J'ai feint d'être le duc Octavio.
DON PEDRO : N’en dis pas plus, tais-toi, assez ! (A part.) Je suis perdu, si le roi apprend cela ! Que faire ? Dans une affaire aussi grave, il me faut ruser. (Haut.) Dis-moi, scélérat, n'était-ce pas assez de commettre en Espagne, avec une rage et une brutalité extrême, semblable traîtrise auprès d'une autre noble dame ? ...Non, il faut que tu recommences encore à Naples, et au palais royal, et envers une femme de si haut rang ! […]Que le Ciel te punisse, amen !... Ton père t’a envoyé de Castille à Naples, et sur son rivage, 1'écumeuse côte de la mer d'Italie t’a donné refuge, pensant que tu lui serais reconnaissant, et voici que tu offenses son honneur, sur une femme si noble ! !... Mais dans cette affaire, tout retard peut nous perdre. Dis moi ce que tu comptes faire. […]
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