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Autobiographie (L)

Objet d'étude :
Les Réécritures

Problématique : Dans quelle mesure réécrire c'est ''revoir'' ?


I - Plan de travail : rappel du corpus

Relectures et adaptationsParcours Groupement de textes
(lecture Analytique)
Iconographie et représentation
études complémentaires
Prolongement
(lecture cursive)

Dom Juan

Dom Juan de Mesguish

Dom Juan (Weber, ''Vous avez...'')

Adaptations
(Dom Juan)

Les Châtiments, ''La nuit du 4'' en prose (V. Hugo)

Les Liaisons Dangereuses

Les Liaisons Dangereuses de Frears

Dom Juan (Acte I scène 0 - ''Prologue'' à la manière d'Anouilh - travail d'élève)

Dom Juan (Weber)

Les Châtiments ''La nuit du 4'' poème (V. Hugo)

le texte poétique ou romanesque...

La Condition Humaine

L'Affiche Rouge (Aragon, ''..'')

Adaptations cinématographiques Liaisons, Stupeur et...

Témoignages : (prose et poème) L'Affiche Rouge)

...

 

Pollen (Wintrebert) l'incipit // Malraux

Pastiches (La Joconde)

Brouillons (Mme Bovary, Flaubert)

 

 

La Condition H. la scène de rupture adaptée au théâtre (travail d'élève)

 

La Passion considérée... (Jarry)

II- Analyse des 5 textes :

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Texte 1 : In Les Châtiments, Jersey, 2 décembre 1852.

Lecture cursive

Victor HUGO
(1802 - 1885)

L'enfant --> de sept ans


[En 1853, Victor Hugo publie Les Châtiments, recueil de poèmes consacré à la dénonciation de celui qu’il considère comme un usurpateur.]
Souvenir de la nuit du 4

E.P… s’arrêta devant une maison haute et noire. Il poussa une porte d’allée qui n’était pas fermée, puis une autre porte, et nous entrâmes dans une salle basse, toute paisible, éclairée d’une lampe.
Cette chambre semblait attenante à une boutique. Au fond, on entrevoyait deux lits côte à côte, un grand et un petit. Il y avait au-dessus du petit lit un portrait de femme, et, au-dessus du portrait, un rameau de buis bénit.
La lampe était posée sur une cheminée où brûlait un petit feu.
Près de la lampe, sur une chaise, il y avait une vieille femme, penchée, courbée, pliée en deux, comme cassée, sur une chose qui était dans l’ombre et qu’elle avait dans les bras. Je m’approchai. Ce qu’elle avait dans les bras, c’était un enfant mort.
La pauvre femme sanglotait silencieusement.
E.P…, qui était de la maison, lui toucha l’épaule et lui dit :
- Laissez voir.
La vieille femme leva la tête, et je vis sur ses genoux un petit garçon, pâle, à demi déshabillé, joli, avec deux trous rouges au front.
La vieille femme me regarda, mais évidemment elle ne me voyait pas ; elle murmura, se parlant à elle-même :
- Et dire qu’il m’appelait bonne maman ce matin !
E.P… prit la main de l’enfant, cette main retomba.
- Sept ans, me dit-il.
Une cuvette était à terre. On avait lavé le visage de l’enfant ; deux filets de sang sortaient des deux trous.
Au fond de la chambre, près d’une armoire entr’ouverte où l’on apercevait du linge, se tenait
debout une femme d’une quarantaine d’années, grave, pauvre, propre, assez belle.
- Une voisine, me dit E.P…
Il m’expliqua qu’il y avait un médecin dans la maison, que ce médecin était descendu et avait dit : " Rien à faire ". L’enfant avait été frappé de deux balles à la tête en traversant la rue " pour se sauver ". On l’avait rapporté à sa grand-mère " qui n’avait que lui ".
Le portrait de la mère morte était au-dessus du petit lit.
L’enfant avait les yeux à demi ouverts, et cet inexprimable regard des morts où la perception du réel est remplacée par la vision de l’infini.
L’aïeule, à travers ses sanglots, parlait par instants : – Si c’est Dieu possible ! – A-t-on idée ! – Des brigands, quoi !
Elle s’écria :
- C’est donc ça le gouvernement !
- Oui, lui dis-je.
Nous achevâmes de déshabiller l’enfant. Il avait une toupie dans sa poche. Sa tête allait et venait d’une épaule à l’autre, je la soutins et je le baisai au front. Versigny et Bancel lui ôtèrent ses bas. La grand-mère eut tout à coup un mouvement.
- Ne lui faites pas de mal, dit-elle.
Elle prit les deux pieds glacés et blancs dans ses vieilles mains, tâchant de les réchauffer.
Quand le pauvre petit corps fut nu, on songea à l’ensevelir. On tira de l’armoire un drap.
Alors l’aïeule éclata en pleurs terribles.
Elle cria : – Je veux qu’on me le rende.
Elle se redressa et nous regarda ; elle se mit à dire des choses farouches, où Bonaparte était mêlé, et Dieu, et son petit, et l’école où il allait, et sa fille qu’elle avait perdue, et nous adressant à nous-mêmes des reproches, livide, hagarde, ayant comme un songe dans ses yeux, et plus fantôme que l’enfant mort.
Puis elle reprit sa tête dans ses mains, posa ses bras croisés sur son enfant, et se remit à sangloter.
La femme qui était là vint à moi et, sans dire une parole, m’essuya la bouche avec un mouchoir.
J’avais du sang aux lèvres.
Que faire, hélas ? Nous sortîmes accablés.
Il était tout à fait nuit. Bancel et Versigny me quittèrent.





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Étude menée par : 1 S

Problématique

Axes de résolution

ConclusionRemarque

 

 

 

A comparer avec le texte rimé

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Texte 2 : In Les Châtiments, Jersey, 2 décembre 1852.

Lecture cursive

Victor HUGO
(1802 - 1885)

L'enfant --> de sept ans

[En 1853, Victor Hugo publie Les Châtiments, recueil de poèmes consacré à la dénonciation de celui qu’il considère comme un usurpateur.]

Souvenir de la nuit du 4


L’enfant avait reçu deux balles dans la tête.
Le logis était propre, humble, paisible, honnête ;
On voyait un rameau bénit sur un portrait.
Une vieille grand-mère était là qui pleurait.
Nous le déshabillions en silence. Sa bouche,
Pâle, s’ouvrait ; la mort noyait son œil farouche ;
Ses bras pendants semblaient demander des appuis.
Il avait dans sa poche une toupie en buis.
On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies.
Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ?
Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend.
L’aïeule regarda déshabiller l’enfant,
Disant : – Comme il est blanc ! Approchez donc la lampe.
Dieu ! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe ! –
Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux.
La nuit était lugubre ; on entendait des coups
De fusil dans la rue où l’on en tuait d’autres.
– Il faut ensevelir l’enfant dirent les nôtres.
Et l’on prit un drap blanc dans l’armoire en noyer.
L’aïeule cependant l’approchait du foyer
Comme pour réchauffer ses membres déjà roides.
Hélas ! ce que la mort touche de ses mains froides
Ne se réchauffe plus aux foyers d’ici-bas !
Elle pencha la tête et lui tira ses bas,
Et dans ses vieilles mains prit les pieds du cadavre.
– Est-ce que ce n’est pas une chose qui navre !
Cria-t-elle. Monsieur, il n’avait pas huit ans !
Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents.
Monsieur, quand il fallait que je fisse une lettre,
C’est lui qui l’écrivait. Est-ce qu’on va se mettre
A tuer les enfants maintenant ? Ah ! mon Dieu !
On est donc des brigands ! Je vous demande un peu,
Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre !
Dire qu’ils m’ont tué ce pauvre petit être !
Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus.
Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus.
Moi je suis vieille, il est tout simple que je parte ;
Cela n’aurait rien fait à monsieur Bonaparte
De me tuer au lieu de tuer mon enfant ! –
Elle s’interrompit, les sanglots l’étouffant,
Puis elle dit, et tous pleuraient près de l’aïeule :
– Que vais-je devenir à présent toute seule ?
Expliquez moi cela, vous autres, aujourd’hui.
Hélas ! je n’avais plus de sa mère que lui.
Pourquoi l’a-t-on tué ? Je veux qu’on me l’explique.
L’enfant n’a pas crié vive la République. –
Nous nous taisions, debout et graves, chapeau bas,
Tremblant devant ce deuil qu’on ne console pas.
Vous ne compreniez point, mère, la politique.
Monsieur Napoléon, c’est son nom authentique,
Est pauvre et même prince ; il aime les palais ;
Il lui convient d’avoir des chevaux, des valets,
De l’argent pour son jeu, sa table, son alcôve,
Ses chasses ; par la même occasion, il sauve
La famille, l’église et la société ;
Il veut avoir Saint-Cloud, plein de roses l’été,
Où viendront l’adorer les préfets et les maires ;
C’est pour cela qu’il faut que les vieilles grands-mères,
De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps,
Cousent dans le linceul des enfants de sept ans.






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Étude menée par : 1 S

Problématique

Axes de résolution

ConclusionRemarque

 

 

 

A comparer avec le texte en prose

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Texte 3 : Pollen (2002) - Incipit

Lecture analytique

Wintrebert J.
(1949-...)

de ''Tu ne tueras...'' à ''...les combattre. '' (avec l'aimable autorisation de l'auteure)

Partie 1


          «Tu ne tueras pas.
          «Tu ne porteras pas la main sur autrui dans l'intention de le blesser.
          «Tu ne verseras pas le sang.»
   C'était la loi de Pollen.
   Sandre regardait le stylet. Une arme affilée, coupante. Il l'avait affûtée avec soin.
   Tu ne tueras pas.
   Il scruta la Citadelle. La porte qui donnait sur les jardins s'ouvrit enfin. Un guerrier en sortit et se mit à courir. Ses pas lourds creusaient le sable des allées. Il ne s'arrêterait qu'à bout de souffle. Sandre frapperait à cet instant.
   Le guerrier pénétra dans le jardin Rouge. Sandre le guettait depuis deux jours. Le cycle de ses foulées était immuable. Bientôt il atteindrait le Jardin Bleu, il s'arrêterait devant la fontaine, épuisé.
   Caché derrière la statue des Mères, Sandre attendait, ses doigts moites sur le stylet. Un tic agitait sa paupière. Tu ne tueras pas. La peur lui serrait la gorge mais sa résolution n'avait pas faibli. Et si mon corps me trahit ? Et si mon bras manque de puissance ? C'est un guerrier que je vais attaquer. Un être d'exception, entraîné au combat.
   Sandre suffoqua. L'odeur des violanthes était insupportable, ce soir. L'antidote de Moray le protégeait-il encore contre les effluves empoisonnés des fleurs-gardiennes ? Sa salive lui semblait un bloc étrange arrêté dans sa gorge. Ses mains fourmillaient. Et s'il tombait, comme tous ceux qui s'approchaient trop près de la Citadelle ?
   Les pas du guerrier sonnèrent sur les dalles mélodiques de l'atrium, enrayés de fatigue. Sandre respirait à petits coups. Ce n'était pas le moment de flancher. Précédée par son lumen qui l'éclairait à pleine puissance, sa proie approchait.
   Tapi dans l'ombre des Mères, Sandre vit le guerrier s'arrêter à l'endroit prévu, prendre appui sur ses genoux pliés, haleter comme s'il était pris de malaise.
   Le premier soir de sa traque, Sandre avait pensé que le guerrier lui échappait, tué par les fleurs censées le protéger. Les guerriers sont immunisés contre les violanthes. En voyant l'athlète s'éloigner d'un pas égal, Sandre avait compris son erreur.
   À l'instant où le guerrier s'arrêta, Sandre se jeta sur lui, perçant tel un guêpion, à l'endroit du coeur. Le guerrier s'effondra. Il râlait.
   Sandre sauta en arrière pour éviter la chute de sa victime. En même temps, il arracha le lumen. Privé de son symbiote, l'animal devint obscur. D'un coup de pied, Sandre l'écarta. Le lumen s'éteignit tout à fait.
   Le guerrier gisait devant la fontaine. Un soupir étrange quitta sa bouche, puis son corps se figea. Sur sa tunique s'élargit une tache, distincte à la faible clarté des étoiles. Sandre se mit à trembler. Figé, l'esprit gourd, la mémoire obscurcie, il essayait de se rappeler les consignes.
   « Assure-toi qu'il est mort, avait dit Moray. Surtout, n'oublie pas le stylet. »
   Sandre gémit. Le stylet! Il s'en était aussitôt débarrassé. Un geste irrépressible. Comment retrouver l'arme, la signature de son crime ?
   Fébriles, ses mains exploraient la terre entre les fleurs. Son coeur battait entre ses lèvres, il allait étouffer.
   « Panique, avait dit Moray, et ce sera comme si tu avais retourné le stylet contre toi. On t'a dressé à ne pas tuer. Après, chacun de nous a voulu se punir. Résiste. Prends le temps de respirer.»
   Sandre s'assit sur ses talons, inspira, expira, et s'aperçut aussitôt que ce n'était pas une bonne idée : l'odeur des violanthes l'accablait, écoeurante, musquée. Il se sentit devenir moite et froid, il s'éloignait de lui-même, au-dessus de lui les étoiles s'éteignirent.
   Il vomit en reprenant conscience, trois longs jets brûlants. Les yeux mouillés de larmes, il s'aperçut qu'il avait déjà commencé à se rendre. On avait inscrit en lui l'horreur de la violence. Il ne parvenait pas à la dominer. Il se souvint des exhortations de Moray.
   « Tu as été conditionné, Sandy. Frappe, et tu seras délivré. Ne laisse pas le doute t'empoisonner. Les scrupules sont stériles. Les guerriers nous volent nos soeurs et nos amies. Nous devons les combattre.»



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Étude menée par : 1

Problématique

Axes de résolution

ConclusionRemarque

En quoi ce texte est-il représentatif d'un incipit ?

 

Ouverture sur une question d'entretien

Penser au genre du roman...

 

 

 

Et si le féminin l'emportait sur...

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Texte 4 : La Condition humaine (1933) - Incipit
(Présenté sous réserve des droits d'auteur)

Lecture analytique

A. Malraux.
(1901-1976)

de ''Tchen...'' à ''...Shanghaï...''


PREMIÈRE PARTIE

21 MARS 1927

Minuit et demi.           

     Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ? Frapperait-il au travers ? L'angoisse lui tordait l'estomac ; il connaissait sa propre fermeté, mais n'était capable en cet instant que d'y songer avec hébétude, fasciné par ce tas de mousseline blanche qui tombait du plafond sur un corps moins visible qu'une ombre, et d'où sortait seulement ce pied à demi incliné par le sommeil, vivant quand même — de la chair d'homme. La seule lumière venait du building voisin : un grand rectangle d'électricité pâle, coupé par les barreaux de la fenêtre dont l'un rayait le lit juste au-dessous du pied comme pour en accentuer le volume et la vie. Quatre ou cinq klaxons grincèrent à la fois. Découvert ? Combattre, combattre des ennemis qui se défendent, des ennemis éveillés !
     La vague de vacarme retomba : quelque embarras de voitures (il y avait encore des embarras de voitures, là-bas, dans le monde des hommes...). Il se retrouva en face de la tache molle de la mousseline et du rectangle de lumière, immobiles dans cette nuit où le temps n'existait plus.
     Il se répétait que cet homme devait mourir. Bêtement : car il savait qu'il le tuerait. Pris ou non, exécuté ou non, peu importait. Rien n'existait que ce pied, cet homme qu'il devait frapper sans qu'il se défendît, - car, s'il se défendait, il appellerait.
     Les paupières battantes, Tchen découvrait en lui, jusqu'à la nausée, non le combattant qu'il attendait, mais un sacrificateur. Et pas seulement aux dieux qu'il avait choisis : sous son sacrifice à la révolution, grouillait un monde de profondeurs auprès de quoi cette nuit écrasée d'angoisse n'était que clarté. « Assassiner n'est pas seulement tuer... » Dans ses poches, ses mains hésitantes tenaient, la droite un rasoir fermé, la gauche un court poignard. Il les enfonçait le plus possible, comme si la nuit n'eût pas suffi à cacher ses gestes. Le rasoir était plus sûr, mais Tchen sentait qu'il ne pourrait jamais s'en servir ; le poignard lui répugnait moins. Il lâcha le rasoir dont le dos pénétrait dans ses doigts crispés ; le poignard était nu dans sa poche, sans gaine. Il le fit passer dans sa main droite, la gauche retombant sur la laine de son chandail et y restant collée. Il éleva légèrement le bras droit, stupéfait du silence qui continuait à l'entourer, comme si son geste eût dû déclencher quelque chute. Mais non, il ne se passait rien : c'était toujours à lui d'agir.
     Ce pied vivait comme un animal endormi. Terminait-il un corps ? « Est-ce que je deviens imbécile ? » Il fallait voir ce corps. Le voir, voir cette tête ; pour cela, entrer dans la lumière, laisser passer sur le lit son ombre trapue. Quelle était la résistance de la chair ? Convulsivement, Tchen enfonça le poignard dans son bras gauche. La douleur (il n'était plus capable de songer que c'était son bras), l'idée du supplice certain si le dormeur s'éveillait le délivrèrent une seconde : le supplice valait mieux que cette atmosphère de folie. Il s'approcha : c'était bien l'homme qu'il avait vu. deux heures plus tôt, en pleine lumière. Le pied, qui touchait presque le pantalon de Tchen, tourna soudain comme une clef, revint à sa position dans la nuit tranquille. Peut-être le dormeur sentait-il une présence, mais pas assez pour s'éveiller... Tchen frissonna : un insecte courait sur sa peau. Non ; c'était le sang de son bras qui coulait goutte à goutte. Et toujours cette sensation de mal de mer.
     Un seul geste, et l'homme serait mort. Le tuer n'était rien : c'était le toucher qui était impossible. Et il fallait frapper avec précision. Le dormeur, couché sur le dos, au milieu du lit à l'européenne, n'était habillé que d'un caleçon court, mais, sous la peau grasse, les côtes n'étaient pas visibles. Tchen devait prendre pour repères les pointes sombres des seins. Il savait combien il est difficile de frapper de haut en bas. Il tenait donc le poignard la lame en l'air, mais le sein gauche était le plus éloigné : à travers le filet de la moustiquaire, il eût dû frapper à longueur de bras, d'un mouvement courbe comme celui du swing. Il changea la position du poignard : la lame horizontale. Toucher ce corps immobile était aussi difficile que frapper un cadavre, peut-être pour les mêmes raisons. Comme appelé par cette idée de cadavre, un râle s'éleva. Tchen ne pouvait plus même reculer, jambes et bras devenus complètement mous. Mais le râle s'ordonna : l'homme ne râlait pas, il ronflait. Il redevint vivant, vulnérable ; et, en même temps, Tchen se sentit bafoué. Le corps glissa d'un léger mouvement vers la droite. Allait-il s'éveiller maintenant ! D'un coup à traverser une planche, Tchen l'arrêta dans un bruit de mousseline déchirée, mêlé à un choc sourd. Sensible jusqu'au bout de la lame, il sentit le corps rebondir vers lui, relancé par le sommier métallique. Il raidit rageusement son bras pour le maintenir ; les jambes revenaient ensemble vers la poitrine, comme attachées ; elles se détendirent d'un coup. Il eût fallu frapper de nouveau, mais comment retirer le poignard ? Le corps était toujours sur le côté, instable, et, malgré la convulsion qui venait de le secouer, Tchen avait l'impression de le tenir fixé au lit par son arme courte sur quoi pesait toute sa masse. Dans le grand trou de la moustiquaire, il le voyait fort bien : les paupières s'étaient ouvertes, — avait-il pu s'éveiller ? — les yeux étaient blancs. Le long du poignard le sang commençait à sourdre, noir dans cette fausse lumière. Dans son poids, le corps, prêt à retomber à droite ou à gauche, trouvait encore de la vie. Tchen ne pouvait lâcher le poignard. A travers l'arme, son bras raidi, son épaule douloureuse, un courant d'angoisse s'établissait entre le corps et lui jusqu'au fond de sa poitrine, jusqu'à son coeur convulsif, seule chose qui bougeât dans la pièce. II était absolument immobile ; le sang qui continuait à couler de son bras gauche lui semblait celui de l'homme couché ; sans que rien de nouveau fût survenu, il eut soudain la certitude que cet homme était mort. Respirant à peine, il continuait à le maintenir sur le côté, dans la lumière immobile et trouble, dans la solitude de la chambre. Rien n'y indiquait le combat, pas même la déchirure de la mousseline qui semblait séparée en deux pans : il n'y avait que le silence et une ivresse écrasante où il sombrait, séparé du monde des vivants, accroché à son arme. Ses doigts étaient de plus en plus serrés, mais les muscles du bras se relâchaient et le bras tout entier commença à trembler par secousses, comme une corde. Ce n'était pas la peur, c'était une épouvante à la fois atroce et solennelle qu'il ne connaissait plus depuis son enfance : il était seul avec la mort, seul dans un lieu sans hommes, mollementécrasé à la fois par l'horreur et par le goût du sang.
     Il parvint à ouvrir la main. Le corps s'inclina doucement sur le ventre : le manche du poignard ayant porté à faux, sur le drap une tache sombre commença à s'étendre, grandit comme un être vivant. Et à côté d'elle, grandissant comme elle, parut l'ombre de deux oreilles pointues.
     La porte était proche, le balcon plus éloigné : mais c'était du balcon que venait l'ombre. Bien que Tchen ne crût pas aux génies, il était paralysé, incapable de se retourner. Il sursauta : un miaulement. À demi délivré, il osa regarder. C'était un chat de gouttière qui entrait par la fenêtre sur ses pattes silencieuses, les yeux fixés sur lui. Une rage forcenée secouait Tchen à mesure qu'avançait l'ombre ; rien de vivant ne devait se glisser dans la farouche région où il était jeté ; ce qui l'avait vu tenir ce couteau l'empêchait de remonter chez les hommes. Il ouvrit le rasoir, fit un pas en avant : l'animal s'enfuit par le balcon. Tchen se trouva en face de Shanghaï.




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Étude menée par : 1

Problématique

Axes de résolution

ConclusionRemarque

Comparer avec l'incipit de Pollen

 

Ouverture sur une question d'entretien

Penser au genre du roman...

Un meurtre

 

 

Et si le féminin l'emportait sur...

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Texte 5 : La Passion considérée comme course de côte (1903) - Incipit
(Présenté sous réserve des droits d'auteur)

Lecture cursive

Alfred Jarry
(1873-1907)

de ''Barrabas...'' à ''...notre sujet.''



La Passion considérée comme course de côte



     

     Barrabas, engagé, déclara forfait.
     Le starter Pilate, tirant son chronomètre à eau ou clepsydre, ce qui lui mouilla les mains, à moins qu'il n'eût simplement craché dedans - donna le départ.
     Jésus démarra à toute allure.
     En ce temps-là, l'usage était, selon le bon rédacteur sportif saint Matthieu, de flageller au départ les sprinters cyclistes, comme font nos cochers à leurs hippomoteurs. Le fouet est à la fois un stimulant et un massage hygiénique. Donc, Jésus, très en forme, démarra, mais l'accident de pneu arriva tout de suite. Un semis d'épines cribla tout le pourtour de sa roue d'avant.
     On voit, de nos jours, la ressemblance exacte de cette véritable couronne d'épines aux devantures de fabricants de cycles, comme réclame à des pneus increvables. Celui de Jésus, un single-tube de piste ordinaire, ne l'était pas.
     Les deux larrons, qui s'entendaient comme en foire, prirent de l'avance.
     Il est faux qu'il y ait eu des clous. Les trois figurés dans des images sont le démonte-pneu dit « une minute ».
     Mais il convient que nous relations préalablement les pelles. Et d'abord décrivons en quelque sorte la machine.
     Le cadre est d'invention relativement récente. C'est en 1890 que l'on vit les premières bicyclettes à cadre. Auparavant, le corps de la machine se composait de deux tubes brasés perpendiculairement l'un sur l'autre. C'est ce qu'on appelait la bicyclette à corps droit ou à croix. Donc Jésus, après l'accident de pneumatiques, monta la côte à pied, prenant sur son épaule son cadre ou si l'on veut sa croix.
     Des gravures du temps reproduisent cette scène, d'après des photographies. Mais il semble que le sport du cycle, à la suite de l'accident bien connu quitermina si fâcheusement la course de la Passion et que rend d'actualité, presque à son anniversaire, l'accident similaire du comte Zborowski à la côte de la Turbie, il semble que ce sport fut interdit un certain temps, par arrêté préfectoral. Ce qui explique que les journaux illustrés, reproduisant la scène célèbre, figurèrent des bicyclettes plutôt fantaisistes. Ils confondirent la croix du corps de la machine avec cette autre croix, le guidon droit. Ils représentèrent Jésus les deux mains écartées sur son guidon, et notons à ce propos que Jésus cyclait couché sur le dos, ce qui avait pour but de diminuer la résistance de l'air.
     Notons aussi que le cadre ou la croix de la machine, comme certaines jantes actuelles, était en bois.
     D'aucuns ont insinué, à tort, que la machine de Jésus était une draisienne, instrument bien invraisemblable dans une course de côte, à la montée. D'après les vieux hagiographes cyclophiles sainte Brigitte, Grégoire de Tours et Irénée, la croix était munie d'un dispositif qu'ils appellent « suppedaneum ». Il n'est point nécessaire d'être grand clerc pour traduire : « pédale ».
     Juste Lipse, Justin, Bosius et Erycius Puteanus décrivent un autre accessoire que l'on retrouve encore, rapporte, en 1634, Cornelius Curtius, dans des croix du Japon : une saillie de la croix ou du cadre, en bois ou en cuir, sur quoi le cycliste se met à cheval : manifestement sa selle.
     Ces descriptions, d'ailleurs, ne sont pas plus infidèles que la défmition que donnent aujourd'hui les Chinois à la bicyclette : « Petit mulet que l'on conduit par les oreilles et que l'on fait avancer en le bourrant de coups de pied. »
     Nous abrégerons le récit de la course elle-même, racontée tout au long dans des ouvrages spéciaux, et exposée par la sculpture et la peinture dans des monuments ad hoc.
     Dans la côte assez dure du Golgotha, il y a quatorze virages. C'est au troisième que Jésus ramassa la première pelle. Sa mère, aux tribunes, s'alarma.
     Le bon entraîneur Simon de Cyrène, de qui la fonction eût été, sans l'accident des épines, de le « tirer » et lui couper le vent, porta sa machine.
     Jésus, quoique ne portant rien, transpira. Il n'est pas certain qu'une spectatrice lui essuya le visage, mais il est exact que la reporteresse Véronique, de son kodak, prit un instantané.
     La seconde pelle eut lieu au septième virage, sur du pavé gras. Jésus dérapa pour la troisième fois, sur un rail, au onzième.
     Les demi-mondaines d'Israël agitaient leurs mouchoirs au huitième.
     Le déplorable accident que l'on sait se place au douzième virage. Jésus était à ce moment dead-head avec les deux larrons. On sait aussi qu'il continua la course en aviateur... mais ceci sort de notre sujet.



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Étude menée par : 1

Problématique

Axes de résolution

ConclusionRemarque

Pastiche et parodie

 

Ouverture sur une question d'entretien

Pourquoi est-ce drôle ?

Désacralisation

 

 

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