Théâtre
Mvt littéraire
Argumenter
Poésie
Roman
Réécritures (L)
Autobiographie (L)

Objet d'étude :
L'Autobiographie

Problématique : Récits de vie, comment dire une réalité par la fiction ?


I - Plan de travail : rappel du corpus

Étude d'une œuvre intégraleParcours Groupement de textes
(lecture cursive)
(Iconographie)
(''lecture cursive'')
Prolongement
(lecture cursive)
Stupeur et tremblements de A. Nothomb
Incipit, du début à ''Adam Johnson''
Histoire de ma vie (Sand, ''J'étais fortement...'')
Autoportrait en homme jeune (Rembrandt)
Histoire de ma vie (G. Sand)
 
De ''je rentrai...'' à ''..les couloirs'' ( p. 90 )
Les Confessions (Rousseau, ''Je forme...'')
Autoportrait (Rembrandt)
Thérèse philosophe (Argens)
 
De ''Ces pages...'' à ''..ville entière'' ( p. 161 )
Le Silence de chacun (Glycos, ''Il a ramené...'')
Autoportrait à l'oreille bandée (V. Gogh)
Métamorphose (Kafka)
 
De ''Décembre...'' à ''..être satisfaite'' ( p. 164 )
Biographie véridique (JN Blanc, ''Annie Saumont est...'')
Autoportrait (V. Gogh)
Paroles de poilus (Maurice)
 
Excipit, de ''Le matin...'' à la fin ( p. 184 )
Thérèse philosophe (Argens, ''Quoi monsieur...'')
 
Biographie véridique (Blanc)

II- Analyse des 5 textes :

flèche vers haut de page

Texte 1 : Histoire de ma vie (1854)

Lecture cursive

George Sand
(1804 - 1876)

''Je souffre --> ...d'apprécier nos qualités''


George Sand dans cette Histoire de ma vie dit ses passions intellectuelles : jamais elle ne se justifie.
Ainsi peut-être s'explique son désaccord profond avec la démarche de J.J. Rousseau…


    Je souffre mortellement quand je vois le grand Rousseau s'humilier ainsi et s'imaginer qu'en exagérant, peut-être en inventant ces péchés-là, il se disculpe (les vices de cœur que ses ennemis lui attribuaient. Il ne les désarma certainement pas par ses Confessions ; et ne suffit-il pas, pour le croire pur et bon, de lire les parties de sa vie où il oublie de s'accuser ? Ce n'est que là qu'il est naïf, on le sent bien.
    Qu'on soit pur ou impur, petit ou grand, il y a toujours vanité, vanité puérile et malheureuse, à entreprendre sa propre justification. Je n'ai jamais compris qu'un accusé pût répondre quelque chose sur les bancs du crime. S'il est coupable, il le devient encore plus par le mensonge, et son mensonge dévoilé ajoute l'humiliation et la honte à la rigueur du châtiment. S'il est innocent, comment peut-il s'abaisser jusqu'à vouloir le prouver ?
    Et encore là il s'agit de l'honneur et de la vie ! Dans le cours ordinaire de l'existence il faut, ou s'aimer tendrement soi-même, ou avoir quelque projet sérieux à faire réussir, pour s'attacher passionnément à repousser la calomnie qui atteint tous les hommes, même les meilleurs et pour vouloir absolument prouver l'excellence de soi. C'est parfois une nécessité de la vie publique, mais dans la vie privée on ne prouve point sa loyauté par des discours et, comme nul ne peut prouver qu'il ait atteint à la perfection, il faut laisser à ceux qui nous connaissent le soin de nous absoudre de nos travers et d'apprécier nos qualités.





01



05




10






Étude menée par : 1 S

Problématique

Situation

ConclusionRemarques

 

 

Ouverture sur les autres textes

 

flèche vers haut de page

Texte 2 : Thérèse philosophe (1748) ; l'histoire de Mme Bois-Laurier

Lecture analytique

Boyer d'Argens
(1704-1771)

'Tu vois en moi, ma chère Thérèse...' --> '...et le doux nom de mère.'


Centre du roman


    Tu comprends donc que lorsque je t'ai dit que mes aventures t'instruiraient des caprices des hommes, je n'ai pas entendu parler des différentes attitudes que la volupté leur fait varier pour ainsi dire à l'infini dans leurs embrassements réels avec les femmes : toutes les nuances des attitudes galantes ont été traitées avec tant d'énergie par le célèbre Pierre Arétin - qui vivait dans le XVe siècle -, qu'il n'en reste rien à dire aujourd'hui. Il n'est donc question, dans ce que j'ai à t'apprendre, que de ces goûts de fantaisie, de ces complaisances bizarres, que quantité d'hommes exigent de nous et qui, par prédilection ou par certains défauts de conformation, leur tiennent lieu d'une jouissance parfaite. J'entre présentement en matière.
    Je n'ai jamais connu mon père ni ma mère. Une femme de Paris, nommée la Lefort, logée bourgeoisement, chez laquelle j'avais été élevée comme étant sa fille, me tira mystérieusement un jour en particulier pour me dire ce que tu vas entendre (j'avais alors quinze ans) : - Vous n'êtes point ma fille, me dit Madame Lefort, il est temps que je vous instruise de votre état. À l'âge de six ans, vous étiez égarée dans les rues de Paris, je vous ai retirée chez moi, nourrie et entretenue charitablement jusqu'à ce jour sans avoir jamais pu découvrir quels sont vos parents, quelque soin que je me sois donné pour cela. Vous avez dû vous apercevoir que je ne suis pas riche, quoique je n'aie rien négligé pour votre éducation. C'est à vous présentement à être vous-même l'instrument de votre fortune. Voici, ajouta-t-elle, ce qui me reste à vous proposer pour y parvenir : vous êtes bien faite, jolie, plus formée que ne l'est ordinairement une fille de votre âge : Monsieur le président de ***, mon protecteur et mon voisin, est amoureux de vous, et s'est déterminé à vous faire plaisir et à vous entretenir honnêtement pourvu que, de votre part, vous ayez pour lui toutes les complaisances qu'il exigera de vous. Voyez, Manon, ce que vous voulez que je lui dise. Mais, je ne dois pas vous taire que, si vous n'acceptez pas sans restriction les offres qu'il m'a chargée de vous faire, il faut vous déterminer à quitter ma maison dès aujourd'hui, parce que je suis hors d'état de vous nourrir et de vous habiller plus longtemps.
    Cette confidence accablante, et la conclusion de Madame Lefort qui l'accompagnait, me glacèrent d'effroi. J'eus recours aux larmes : point de quartier, il fallut me décider. Après quelques explications préliminaires, je promis de faire tout ce qu'on exigeait, au moyen de quoi Madame Lefort m'assura qu'elle me conserverait toujours les soins et le doux nom de mère.


Note : Pietro Aretino, dit l'Arétin (1492-1556), ''le Fléau des princes'' : libelliste féroce et surtout auteur des Ragionamenti et des Sonetti lussuriosi (tableaux de mœurs obscènes).




01



05




10




15




20




25




Étude menée par : 1 S

Problématique

Situation

ConclusionRemarques

 

 

Ouverture sur les autres textes

 

flèche vers haut de page

Texte 3 : La Métamorphose (1912) 3e partie

Lecture analytique

Kafka
(1883-1924)

'Ah ' s'écria le père...' --> '...la vie de Grégor.'


Texte situé au centre de la nouvelle.


    Ah '' s'écria le père dès son entrée, sur un ton qui exprimait à la fois la fureur et la satisfaction. Gregor écarta la tête de la porte et la leva vers son père. Il n'avait vraiment pas imaginé son père tel qu'il le voyait là ; certes, ces derniers temps, à force de se livrer à ses évolutions rampantes d'un genre nouveau, il avait négligé de se préoccuper comme naguère de ce qui se passait dans le reste de l'appartement, et il aurait dû effectivement s'attendre à découvrir des faits nouveaux. Mais tout de même, tout de même, était-ce encore là son père ? Était-ce le même homme qui, naguère encore, était fatigué et enfoui dans son lit, quand Gregor partait pour une tournée ; qui, les soirs où Gregor rentrait, l'accueillait en robe de chambre dans son fauteuil ; qui n'était guère capable de se lever et se contentait de tendre les bras en signe de joie, et qui, lors des rares promenades communes que la famille faisait quelques dimanches par an et pour les jours fériés importants, marchant entre Gregor et sa mère qui allaient pourtant déjà lentement, les ralentissait encore un peu plus, emmitouflé dans son vieux manteau, tâtant laborieusement le sol d'une béquille précautionneuse et, quand il voulait dire quelque chose, s'arrêtant presque à chaque fois pour rameuter autour de lui son escorte ? Mais à présent, il se tenait tout ce qu'il y a de plus droit ; revêtu d'un uniforme strict, bleu à boutons dorés, comme en portent les employés des banques, il déployait son puissant double menton sur le col haut et raide de sa vareuse ; sous ses sourcils broussailleux, ses yeux noirs lançaient des regards vifs et vigilants ; ses cheveux blancs, naguère en bataille, étaient soigneusement lissés et séparés par une raie impeccable. Sa casquette, ornée d'un monogramme doré, sans doute celui d'une banque, décrivit une courbe à travers toute la pièce pour atterrir sur le canapé ; puis, les mains dans les poches de son pantalon et retroussant ainsi les pans de sa longue vareuse, il marcha vers Gregor avec un air d'irritation contenue. Il ne savait sans doute pas lui-même ce qu'il projetait de faire ; mais toujours est-il qu'il levait les pieds exceptionnellement haut, et Gregor s'étonna de la taille gigantesque qu'avaient les semelles de ses bottes. Mais il ne s'attarda pas là-dessus, sachant bien depuis le premier jour de sa nouvelle vie que son père considérait qu'il convenait d'user à son égard de la plus grande sévérité. Aussi se mit-il à courir devant son père, s'arrêtant quand son père s'immobilisait, et filant à nouveau dès que son père faisait un mouvement. Ils firent ainsi plusieurs fois le tour de la pièce, sans qu'il se passât rien de décisif, et même sans que cela eût l'air d'une poursuite, tant tout cela se déroulait sur un rythme lent. C'est d'ailleurs pourquoi Gregor restait pour le moment sur le plancher, d'autant qu'il craignait, s'il se réfugiait sur les murs ou le plafond, que son père ne voie là de sa part une malice particulière. Encore Gregor était-il obligé de se dire qu'il ne tiendrait pas longtemps, même à ce régime, car pendant que son père faisait un pas, il devait exécuter, lui, quantité de petits mouvements.
    L'essoufflement commençait déjà à se manifester ; aussi bien n'avait-il pas le poumon bien robuste, même dans sa vie antérieure. Tandis qu'ainsi il titubait, ouvrant à peine les yeux pour mieux concentrer ses énergies sur sa course, et que dans son hébétude il n'avait pas idée de s'en tirer autrement qu'en courant, et qu'il avait déjà presque oublié qu'il disposait des murs - en l'occurrence encombrés de meubles délicatement sculptés, tout en pointes et en créneaux -, voilà que, lancé avec légèreté, quelque chose vint atterrir tout à côté de lui et rouler sous son nez. C'était une pomme ; une seconde la suivit aussitôt. Terrifié, Grégor s'immobilisa ; c'était inutile de continuer à courir, car le père avait décidé de le bombarder. Il avait rempli ses poches au compotier sur la desserte et à présent, sans ajuster encore le tir, il lançait ses pommes l'une après l'autre. Les petites pommes rouges roulaient çà et là, sur le plancher, et s'entrechoquaient, comme électrisées. L'une d'elles, lancée mollement, toucha Grégor au dos, mais glissa sans lui faire de mal. Une autre, en revanche, arriva juste après et vint se ficher en plein dans le dos de Grégor. Il essaya de se traâner plus loin, comme si cette douleur fulgurante et incroyable pouvait passer, s'il changeait d'endroit ; mais il se sentait pour ainsi dire cloué sur place, le corps écartelé, dans la confusion complète de tous ses sens. Jetant un dernier regard, il aperçut encore que l'on ouvrait brutalement la porte de sa chambre : devant la sœur qui poussait des cris, la mère surgit tout à coup, en chemise, car la sœur l'avait dévêtue pour l'aider à respirer lors de son évanouissement ; la mère courut alors vers le père, perdit en route ses jupes délacées qui glissèrent par terre l'une après l'autre ; en trébuchant sur ses vêtements, elle se précipita sur le père, l'étreignit, ne faisant plus qu'un avec lui - mais alors Grégor cessa de voir - et, les mains sur la nuque du père, elle l'implora d'épargner la vie de Grégor.

<


01



05




10




15




20




25




30




35




40





Étude menée par : 1 S

Problématique

Situation

ConclusionRemarques

 

 

Ouverture sur les autres textes

 

flèche vers haut de page

Texte 4 : Paroles de Poilus (texte complet in Librio p.24

Lecture analytique

Maurice Antoine Martin-Laval
(1915)

'Ne crois-tu pas...' --> '...il est excellent...'


Le 22 février 1915
Ma chère Marie,

[…] Ne crois-tu pas, chère Marie, que tous ces morts quels qu'ils soient doivent aller droit au ciel après de semblables actes d'héroïsme et ne crois-tu pas odieux, honteux, scandaleux, que Messieurs les Députés à la Chambre veuillent refuser ou même discuter l'attribution d'une " croix de guerre " à ces hommes, tous des héros, sous prétexte qu'il faut qu'ils soient cités à l'ordre de l'armée... Pour eux l'ordre du jour de la Division n'est pas suffisant. Ô injustice et ingratitude humaines ! Tandis que vous vous promenez dans les rues ou les lieux de plaisirs de Paris, tandis que, mollement assis dans un bon fauteuil de velours, au coin d'un bon feu, à l'abri de la pluie et scandalisés si un grain de poussière ou une goutte d'eau viennent ternir l'éclat de vos bottines, vous discutez pour savoir si l'absinthe est un poison ou si le mot " bar " est mieux que " débit de boissons " ou " établissement ", tandis que loin du danger vous vous demandez d'un air fâché et dédaigneux : " Qu'est-ce qu'ils font donc ? Pourquoi n'avancent-ils pas ? Si j'étais au feu je ferais cela... ", Pendant ce temps, Messieurs les Députés, vos concitoyens français, vos frères, les fantassins dont le nom seul évoque on ne sait pourquoi le mépris le plus grand, les soldats en général sont en train de recommander leur âme à Dieu avant d'accomplir " dans l'ombre " sans rien attendre de la postérité le plus grand des sacrifices, le sacrifice de leur vie... Et c'est vous qui êtes si prompts à vous décerner mutuellement des décorations plus ou moins méritées par quelque beau discours ou quelque puissant appui, c'est vous, dis-je, qui refusez d'accorder à nos soldats la petite " croix de guerre " si vaillamment méritée ; bien petit dédommagement, en vérité, pour une jambe ou un bras de moins, qu'un petit morceau de métal suspendu à un ruban quelconque, mais ce sera pourtant tout ce qui restera dans quelques années d'ici pour rappeler la conduite sublime de ces malheureux estropiés que le monde regardera d'un œil dédaigneux.
De plus, c'est si simple et ça ferait tant de plaisir à ces braves, ça stimulerait tant le courage des autres... Certes, ce n'est pas pour ça qu'ils se battraient, mais ce serait tout de même une juste récompense.
Alors que nos ennemis distribuent à tort et à travers des croix de fer de cuivre ou de bronze, nous nous montrerions si parcimonieux.
Excuse mon bavardage, ma chère Marie, mais je suis écœuré de toutes ces discussions à la Chambre.
Et que penser (tant pis si la censure arrête ma lettre), je ne cite d'ailleurs pas de noms, que penser de certains chefs qui lancent des hommes sur un obstacle insurmontable, les vouant ainsi à une mort presque certaine et qui semblent jouer avec eux, comme on joue aux échecs, avec comme enjeu de la patrie, s'ils gagnent, un galon de plus.
Ne te scandalise pas, ma chère Marie, je t'écris encore sous le, coup de l'émotion d'hier et de cette nuit et bien que je n'aie pas du tout pris part à cette lutte, j'ai été très touché ainsi que d'ailleurs tous les officiers même supérieurs qui sont ici ; l'un d'eux ce matin en pleurait de rage et de pitié. Ne crois pas d'ailleurs que mon moral soit atteint le moins du monde, il est excellent...



Maurice




01



05




10




15




20




25




30





Étude menée par : 1 S

Problématique

Situation

ConclusionRemarques

 

 

Ouverture sur les autres textes

 

flèche vers haut de page

Texte 5 : Biographie véridique (2002)
(Présentation sous réserve de droits d'auteurs)

Lecture cursive

JN Blanc
(1704 - 1771)

''Annie Saumont est nouvelliste --> ...pense pas moins.''


Biographie
véridique d'Annie Saumont

par Jean-Noël Blanc.



    Annie Saumont est nouvelliste. Cela veut dire qu'on ne lui demande jamais si ce qu'elle écrit est autobiographique. C'est là une grande différence entre nouvellistes et romanciers : la vie privée des nouvellistes n'intéresse personne.
    On a tort. L'existence d'Annie Saumont explique son œuvre.
    Il faut d'abord savoir qu'elle a dû travailler très jeune. Musicienne de rue pour commencer. L'état de sa fortune lui interdisant le piano, elle dut se contenter d'un " ruine-babines " comme disent les Canadiens. Jouer de l'harmonica fut sa première occupation.
    Cela ne l'empêchait pas de penser. Et beaucoup. Au point de devenir philosophe : elle avait compris qu'après avoir mis les cours à l'envers, il lui fallait remettre la vie à l'endroit. (Sa devise était d'ailleurs, à l'époque " remettez la vie à l'endroit où vous l'avez prise ", - et cela pourrait au demeurant être un principe de beaucoup de ses nouvelles).
    Elle enseigne donc la philosophie. Mais, dans sa classe, elle trouve bien peu de jeunes filles pures et délicates. Même pas dix blanches colombes. Le reste, des mal foutues, des tarées, des bancroches. Elle avait à l'époque, dit-elle quand elle se laisse aller à des confidences, l'impression d'être une enseigne pour une école de monstres.
    
Épreuve difficile à supporter. Elle se tourne vers la religion. Prend le voile, devient nonne. Prie. Appelle Dieu. Peine perdue. Dieu regarde et se tait.
    
Ce silence la révolte. Quelquefois dans les cérémonies, au beau milieu d'une célébration religieuse, il lui prend des envies de hurler.
     D'autant plus que les nonnes chantent faux. Les enfants de chœur ont beau faire tintinnabuler l'ostensoir pour scander les cantiques, elle sait bien, elle qui fut musicienne, qu'il n'y a pas de musique des sphères.
     Si on les tuait ?
se dit-elle, ils chantent tous si mal. Pensée impossible pour une religieuse. Elle jette son froc aux orties.
     Adieu le couvent. Vivent les grands horizons. La terre est à nous. Vive la liberté.
     Elle s'expatrie. Traverse l'Amérique en auto-stop. Des conducteurs de semi-remorques la prennent à leur bord. L'un d'eux tombe amoureux d'elle. La demande en mariage. C'est un rustre. Une brute qui n'aime que les pistons et les têtes de delco. Comment Annie pourrait-elle céder aux avances d'un tel obsédé du volant ? Je suis pas un camion, dit-elle au chauffeur dépité. Elle se retrouve seule. Au fond de l'Amérique profonde. Que faire pour gagner son billet de retour ? Pas le choix. Une bande de malfrats lui demande de les rejoindre. Ils sont spécialisés dans le kidnappingue. Elle y participe, enlève des mômes à leurs parents, les rend contre rançon. Cette activité ne lui pose aucun problème de conscience. Quand on l'interroge sur de tels méfaits, elle répond toujours, moi les enfants j'aime pas tellement.
    
Elle paie ainsi son billet de retour. Débarque à Roissy ; s'éloigne au plus vite de Paris, cherche un coin perdu de province où se retirer, abat du kilomètre, avale la route, passe le pont, la rivière, se retrouve dans mi village discret. Là, elle profite un peu du bon temps qu'elle se donne. C'est qu'elle a de l'expérience maintenant. Elle connaât quelque chose de la vie.
    
Ce bonheur n'a qu'un temps. L'argent s'épuise. Comment boucler les fins de mois ? Elle appelle ses amis kidnappeurs d'Amérique, ils lui doivent de fortes sommes. Elle menace de tout dévoiler : ils envoient les dollars. La receveuse des postes se rappelle très bien le jour où Annie est venue toucher son mandat, et ce cri du cœur qu'elle a laissé échapper quand elle a vu devant elle tant de dollars : les voilà, quel bonheur. Des mots pareils décrivent un caractère.
     Finie la misère. Annie achète une ferme. Pourtant, elle ne connaât rien aux travaux campagnards. Tout juste sait-elle que le lait est un liquide blanc. Et encore, elle n'en est pas sûre.
     Peu importe. Elle s'occupe.
     S'occuper, la belle affaire. Et après ?
    
Elle rêve d'autre chose. Résumons : l'argent, elle n'en réclame pas ; que lui manque-t-il ? la gloire, le prestige, les honneurs. Quel est le seul métier qui puisse satisfaire cette double exigence ? Pas d'argent mais la renommée ?
     Écrivain. Pire encore : nouvelliste.
     Annie Saumon ! décide donc de se faire nouvelliste.
     Mais elle ne sait pas écrire. Il lui faut donc un nègre. Elle le cherche, elle le trouve, elle le séduit. Embrassons-nous. Il cède, il travaillera pour elle. Ce sera un nègre comme les autres : noir, comme d'habitude. Elle l'installe devant l'ordinateur. Au boulot. Un recueil par an. Et que ça saute.
     Lorsqu'il se plaint des histoires épouvantables qu'elle le force à écrire, elle le console d'un mot : c'est rien, ça va passer. Puis elle lui dit au creux de l'oreille, Aldo mon ami, ne t'inquiète pas, qui sait si nous ne vivons pas les derniers jours heureux ? Profitons-en.
     Ainsi naissent les recueils d'Annie Saumont. Et ainsi s'explique ce que nul alors n'avait pu expliquer : la bizarrerie de leur titre. Ils ne sont que le nom des épisodes successifs de sa vie aventureuse.
     Elle est la seule nouvelliste à se livrer à l'autobiographie. Mais seulement dans les titres : pour le reste, ce n'est pas elle qui écrit ses livres.
     Peut-on en effet imaginer que cette femme respectable, modeste, réservée, toute ornée des agréments de la courtoisie, ait été capable décrire ceci par exemple
     " J'ai un tatouage sur le bras droit en deux couleurs. Une bite pénétrant dans une fleur pareille à un serpent ".
     " On remue du bout de la fourchette le morceau de viande dans l'assiette et c'est de la fesse très tendre de la fesse de fille ".
     " Lorsque grand-mère sera morte imagine qu'on empile des biscottes beurrées dans sa tombe pour son quatre heures ".
     " La mort-aux-rats
[...] ferait l'affaire. Sur une pizza aux trois fromages ".
     " Salope. Ma mère. Menteuse. Putain "
    
On peut aussi se livrer à cette petite expérience instructive : rapprocher la première et la dernière phrase de certaines nouvelles. Cela donne par exemple ceci : " le plus simple serait qu'il meure. | Et moi je serai Dieu qui regarde et se tait "
    
On voit le genre.
     Cela dit, on voit aussi l'économie redoutable de cette écriture. Son efficacité. Pas un mot de trop. Une écriture affûtée. Donc coupante.
     Et qui coupe où ça fait mal.
     Où ça fait du bien aussi.
     Mais il faut prendre garde : quand on en arrive là, les compliments ne sont pas loin. Or je ne voudrais pas faire trop de compliments. N'oublions pas qu'Annie Saumont fait écrire un nègre. Et avouons même, pour la première fois, l'identité de ce personnage : c'est moi. Annie n'a pas su résister au plaisir, un peu puéril peut-être mais finalement charmant, de s'offrir un nègre Blanc.
     Je suis donc le mieux placé peut la présenter. Mais assurément pas pour lui adresser des compliments. Tant pis. Je n'en pense pas moins.


In Initiales, octobre 2002




01



05




10




15




20




25




30




35




40




45




50




55




60




65




70




75




80



Étude menée par : 1 S

Problématique

Situation

ConclusionRemarques

 

 

Ouverture sur les autres textes

 

Webdesigner
Flèche
Φ - Menu